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13/01/2015 | FRANCE | N°13/06542

France | France, Cour d'appel de Lyon, 1ère chambre civile b, 13 janvier 2015, 13/06542


R.G : 13/06542









décision du

Tribunal de Grande Instance de LYON

Au fond

du 01 juillet 2013



RG : 12/01494

ch n°4



[C]



C/



[T]

[Z]

CPAM DE LYON

Mutuelle LE SOU MEDICAL





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



1ère chambre civile B



ARRET DU 13 Janvier 2015







APPELANTE :



Mme [O] [C]

née le

[Date naissance 1] 1967 à [Localité 7]

[Adresse 1]

[Localité 1]





Représentée par Me Frédérique TRUFFAZ, avocat au barreau de LYON









INTIMES :



M. [B] [T]

[Adresse 2]

[Localité 3]





Représenté par la SCP BERTIN & PETITJEAN-DOMEC ASSOCIES, avocat au barreau de LY...

R.G : 13/06542

décision du

Tribunal de Grande Instance de LYON

Au fond

du 01 juillet 2013

RG : 12/01494

ch n°4

[C]

C/

[T]

[Z]

CPAM DE LYON

Mutuelle LE SOU MEDICAL

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

1ère chambre civile B

ARRET DU 13 Janvier 2015

APPELANTE :

Mme [O] [C]

née le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 7]

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représentée par Me Frédérique TRUFFAZ, avocat au barreau de LYON

INTIMES :

M. [B] [T]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par la SCP BERTIN & PETITJEAN-DOMEC ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

M. [R] [Z]

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représenté par la SCP BERTIN & PETITJEAN-DOMEC ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

CPAM DE LYON

[Adresse 3]

[Localité 2]

défaillant

Mutuelle LE SOU MEDICAL

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représentée par la SCP BERTIN & PETITJEAN-DOMEC ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

******

Date de clôture de l'instruction : 19 Mars 2014

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 17 Novembre 2014

Date de mise à disposition : 13 Janvier 2015

Audience tenue par Jean-Jacques BAIZET, président et Michel FICAGNA, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,

assistés pendant les débats de Emanuela MAUREL, greffier

A l'audience, Michel FICAGNA a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.

Composition de la Cour lors du délibéré :

- Jean-Jacques BAIZET, président

- François MARTIN, conseiller

- Michel FICAGNA, conseiller

Arrêt Réputé Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Jean-Jacques BAIZET, président, et par Emanuela MAUREL, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

****

EXPOSE DE L'AFFAIRE

Mme [C], alors âgée de 11 ans, a été victime en 1985, d'un accident de skate-board ayant eu pour conséquence la perte de plusieurs dents nécessitant la mise en place d'un bridge au maxillaire supérieur, allant des dents 15 à 26 et un suivi régulier.

Le 22 novembre 2014, Mme [C] a consulté le docteur [T], dentiste à [Localité 8], lequel, le 2 décembre 2014, a procédé en urgence au rescellement provisoire du bridge et à l'extraction des dents 16 et 48.

Mme [C] a consulté de nouveau le docteur [T] pour la suite des soins le 2 octobre 1995.

Le docteur [T] a procédé du 2 octobre au 22 novembre 1995 à l'extraction de 13 autres dents au maxillaire supérieur et à la pose d'un appareillage prothétique complet de 14 dents.

L'appareillage définitif a été terminé le 12 novembre 1996.

En avril 2000, Madame [C] a consulté de nouveau le Dr [T] en raison d'une mauvaise tenue du bridge et a souhaité la mise en place d'une prothèse fixe.

Le docteur [T] l'a adressée au docteur [Z], spécialiste en implantologie, qui a préconisé la pose d'implants destinés à soutenir un bridge implanto-porté.

Le 14 avril 2001, le docteur [Z] a ainsi procédé à la pose chirurgicale de 11 implants et a procédé au suivi régulier de la patiente jusqu'au 28 avril 2005 date de son installation Outre-mer.

Le 2 juin 2009, Mme [C] a consulté le docteur [A] qui a traité un foyer infectieux et constaté une forte résorption osseuse.

Par acte du 17 décembre 2009, Mme [C] a assigné en référé le docteur [T], le docteur [Z], et leur assureur commun le Sou médical, ainsi que la Caisse primaire d'assurance maladie du Rhône, aux fins de voir organiser une expertise médicale.

Par ordonnance du 2 mars 2010, le président du tribunal de grande instance de Lyon a fait droit à la demande et a désigné pour y procéder le docteur [Y] .

Ultérieurement, le docteur [A] a procédé au remplacement de plusieurs implants et a posé une nouvelle prothèse pour un coût total de 6.935,16 €.

Ensite du dépôt du rapport d'expertise, Mme [C] a assigné devant le tribunal de grande instance de Lyon le docteur [T], le docteur [Z], leur assureur commun le Sou médical, ainsi que la Caisse primaire d'assurance maladie du Rhône.

Par jugement du 1er juillet 2013, le tribunal de grande instance de Lyon l'a déboutée de l'ensemble de ses prétentions.

Mme [C] a relevé appel total de ce jugement.

Elle demande à la cour :

Vu l'article 1111-2 du Code de la santé publique,

Vu l'article 1142-1 du Code de la santé publique,

-d' infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

et statuant à nouveau :

à titre principal,

- de dire et juger que le docteur [T] a procédé à l'extraction injustifiée de 15 dents, en outre sans proposer préalablement un traitement conservateur,

- de dire et juger que le docteur [Z] a fautivement mis en place 11 implants très rapprochés et manqué de retirer la racine de la dent 14,

- de dire et juger que le docteur [Z] n'a pas assuré le suivi des soins, en ne l'adressant pas à un confrère, lors de son départ à la Réunion,

- de dire et juger que les docteur [T] et [M] ont manqué à leur devoir d'information,

- de dire et juger que la responsabilité du docteur [T] et du docteur [Z] est engagée du fait de ces soins et manquements fautifs,

- de condamner in solidum les docteur [T] et [Z], ainsi que le Sou Médical, à réparer l'entier préjudice subi ,

Constatant que les rapports d'expertise judiciaires, ne permettent pas une juste appréciation des préjudices de Mme [C],

- d'ordonner une nouvelle expertise, confiée à un chirurgien-dentiste, aux fins de déterminer ses préjudices,

subsidiairement

Si la Cour devait s'estimer insuffisamment éclairée, tant sur les soins litigieux, que sur leurs conséquences :

- d'ordonner une nouvelle expertise,

à titre infiniment subsidiaire,

- de dire et juger que les docteurs [T] et [Z] ont manqué à leur devoir d'information,

- de condamner in solidum les docteurs [T] et [Z], ainsi que le Sou Médical, à réparer le préjudice en résultant pour Madame [O] [C],

Par conséquent,

- de condamner in solidum les docteurs [T] et [Z], ainsi que le Sou Médical, à lui verser la somme de 20'000'€,

- de condamner les mêmes à payer à Mme [C] la somme de 2'500'€ en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner in solidum les docteurs [T] et [Z], ainsi que le Sou Médical aux entiers dépens de la procédure de référé, y compris d'expertise, de première instance et d'appel, distraits au profit de Me Frédérique Truffaz, avocat sur son affirmation de droit.

Mme [C] soutient :

Sur la responsabilité du docteur [T] :

- que le docteur [T] a effectué l'extraction de 15 dents, de manière injustifiée, et n'a pas réalisé dans un premier temps un traitement conservateur parodontal , et a manqué à son devoir d'information sur les soins qu'il envisageait, leurs risques et les alternatives,

- que le docteur [T] ne produisant aucun élément de preuve établissant la nécessité de ses interventions, celles-ci ne peuvent être que considérées comme infondées et donc fautives,

Sur la responsabilité du docteur [Z]:

- que le docteur [Z] n'aurait pas dû effectué la pose de 11 implants très proches,

- qu'il aurait dû retirer la racine de la dent 14,

- qu'il a manqué à son obligation de suivi et d'information sur le risque d'oedème facial, et les risques du tabagisme en cas d'implants,

Le docteur [R] [Z], le docteur [B] [T], et la société le Sou médical demandent à la cour :

- d'écarter le rapport d'expertise judiciaire rédigé par le Docteur [E] [Y] le 4 juillet 2011,

En toute hypothèse,

- de dire prescrite l'action pour manquement à l'obligation d'information,

- de dire et juger que Madame [O] [C] ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, d'une faute des Docteurs [B] [T] et [R] [Z] qui ait causé un dommage corporel indemnisable,

Ce faisant,

- de confirmer le jugement entrepris,

- de débouter Mme [O] [C] de l'intégralité de ses demandes indemnitaires ,

- de condamner Mme [O] [C] aux entiers dépens distraits au profit de la Scp Bertin et Petitjean-Domec, avocats sur son affirmation de droit.

Ils soutiennent:

sur la responsabilité:

- que l'expert a indiqué qu'il n'y avait pas eu de manquement pouvant être reproché aux docteurs [T] et [Z] en relation directe et certaine avec l'état de l'intéressée,

- qu'il convient d'écarter l'avis de l'expert judiciaire selon lequel il pourrait être reproché aux docteurs [T] et [Z], de ne pas avoir procédé à l'extraction de la dent 14, en raison de la méconnaissance par l'expert des règles expertales, ce dernier ayant reconvoqué les parties alors qu'il avait terminé son expertise et était dessaisi,

- que si le Docteur [B] [T] a dû procéder à une alvéolectomie au niveau de la dent 14, c'est parce que la dent à extraire était très délabrée et que cette manoeuvre était nécessaire pour saisir la dent et l'extraire,

- que la proximité du sinus oblige en pareil cas à faire preuve d'une très grande prudence et si un apex résiduel demeure séquestré dans le tissu osseux, il est souvent recommandé de le laisser en place,

- que l'expert a bien voulu conclure que l'oubli de la racine de la dent 14 était non causal de la perte du bridge complet,

- que les radios étaient lisibles lorsque les soins ont été prodigués,

- qu'un examen clinique qui permet de déceler une dent mobile oblige à éviter l'exposition du patient à des rayons ionisants pour poser l'indication d'avulsion,

- qu'en remettant en cause les soins prodigués entre 1994 et 1995 par voie d'assignation délivrée en référé le 30 décembre 2009, Mme [O] [C] se heurte à la prescription décennale posée par l'article 2270-1 du Code civil résultant de la loi du 5 juillet 1985, spécialement en ce qui concerne l'obligation d'information, qui est nécessairement pré-contractuelle et, en tant que telle génératrice d'une responsabilité délictuelle,

- qu'au-delà même de la prescription, il est évident que l'absence de toute contestation sur les extractions dentaires pendant plus de 15 ans laisse présumer la satisfaction du patient quant aux soins qui ont été prodigués, et, partant, du respect par le chirurgien-dentiste de son obligation de moyens,

- que Mme [O] [C] est en réalité de mauvaise foi, qu' elle a été informée par le docteur [R] [Z] des méfaits du tabagisme au-delà de trois ou quatre cigarettes par jour car la consommation excessive de tabac nuit à l'ostéointégration des implants et qu'à cette occasion, la patiente a été informée, comme tous les patients du docteur [R] [Z], que le risque d'échec lié au tabac est multiplié par 4,

- qu'il est constant, d'après les propres indications du Docteur [A], que la nécessité de reprendre les travaux du docteur [R] [Z] résulte de la résorption osseuse observée chez la patiente après les soins, ce qui constitue selon l'expert judiciaire un aléa thérapeutique dont le chirurgien-dentiste ne peut, par hypothèse, être déclaré responsable,

- que le dommage dont se plaint la patiente résulte surtout de l'évolution pour son propre compte de la pathologie parodontale dont elle était atteinte, aggravée par le tabagisme,

Sur l'oubli de la racine de la dent 14 par le docteur [Z] :

- que la zone concernée était totalement asymptomatique,

- que la résorption osseuse s'est accélérée pour se manifester avec ampleur en 2009, sans qu'aucun élément scientifique ne permette de rattacher ce phénomène à la pose des implants, ni a fortiori à l'absence d'avulsion d'un apex résiduel en position 14,

Sur le suivi de la patiente :

-que Mme [O] [C] a été informée de ce que le docteur [F], qui en atteste, serait son successeur pour le suivi,

Sur le défaut d'information:

- que c'est justement que le premier juge a retenu que si le docteur [R] [Z] ne corroborait pas par un écrit son affirmation selon laquelle il avait informé sa patiente des risques de l'addiction tabagique, il n'y avait pas lieu de retenir l'existence d'un manquement en relation directe avec l'état de l'intéressé.

L'appelante a notifié sa déclaration d'appel puis ses conclusions à la Caisse primaire d'assurance maladie du Rhône les 7 octobre 2013 et 7 novembre 2013, les actes ayant été délivrés à une personne habilité, laquelle n'a pas comparu.

L'arrêt sera donc rendu par arrêt réputé contradictoire.

MOTIFS

Sur la demande tendant à voir écarter le rapport complémentaire de l'expert en date du 1er juillet 2011

Le docteur [Y] a procédé aux opérations d'expertise à son cabinet le 11 juin 2010, à la suite desquelles il a déposé un «pré-rapport» communiqué aux parties en octobre 2010.

L'expert a ensuite établi un «rapport d'expertise» daté du 18 décembre 2010 reprenant les termes de son pré-rapport et répondant aux dires des parties.

Dans ce rapport, il est mentionné :

- «il serait souhaitable que le docteur [A] nous fasse parvenir la radiographie panoramique ou qu'il en refasse une autre et nous l'apporte ou nous le fasse parvenir lors des prochaines opérations d'expertises prévues en mars 2011'»,

- « Mme [C] apportera une radiographie panoramique lors de la prochaine réunion d'expertise, nos radiographies rétro alvéolaires prises le jour de l'opération d'expertise n'ayant pas permis de visualiser de façon précise ce point anatomique»,

- «le docteur [Z], lors de la prochaine réunion d'expertise nous expliquera l'information qu'il a donné à Mme [C] et nous dira pourquoi il a choisi de placer 11 implants»,

-' «la deuxième réunion d'expertise sollicitée par Mme [C] pourra avoir lieu courant mars 2011 en présence de son conseil, le docteur [A] s'il le souhaite, du docteur [R] [Z] et éventuellement du docteur [T] dans les respect du contradictoire»

- que la date de consolidation n'est pas connue.

Il résulte de ces éléments le «rapport d'expertise» déposé par l'expert était provisoire et que l'expert pouvait dès lors procéder à de nouvelles opérations d'expertise, lesquelles se sont déroulées le 15 avril 2011 en présence de Mme [C] assistée de son avocate et de son médecin conseil, le docteur [A], du docteur [T], du Docteur [L] expert conseil de la compagnie d'assurance des docteurs [T] et [Z], et du docteur [D] sapiteur du docteur [L].

Le docteur [Z] ne s'est pas présenté aux deux réunions d'expertise, mais il ne conteste pas avoir été convoqué.

Par ailleurs, la patiente est libre de choisir comme médecin conseil son médecin traitant, en l'occurrence le docteur [A], auquel il ne peut être reproché d'avoir présenté des observations dans les intérêts de sa patiente au cours des opérations d'expertise qui se sont déroulées contradictoirement.

En conséquence, il convient de rejeter la demande des intimés tendant à voir écarter le rapport complémentaire de l'expert du 1er juillet 2011.

Sur l'action en responsabilité à l'encontre du docteur [T]

1- sur la prescription

L'article 2270-1 ancien du code civil invoqué par les intimés étant relatif aux actions en responsabilité civile extra-contractuelles n'est pas applicable en l'espèce, le médecin étant lié à son patient par un contrat de soins.

La prescription de droit commun en matière contractuelle applicable en 1995 étant alors de trente ans, la prescription était en cours au jour de l'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 qui a fixé à 10 ans l'action en responsabilité dirigée à l'encontre des professionnels de santé (article L. 1142-28 du code de la santé publique).

L'action engagée par Mme [C] en 2009 n'est donc pas prescrite.

2 - Sur la nature de l'intervention du docteur [T]

Mme [C] a consulté le docteur [T] en novembre 1994 du fait du descellement de son bridge de 15 à 26 réalisé en 1985 par un autre dentiste.

Le docteur [T] a soigné les infections sur les dents 16 et 18 qu'il a extraites le 2/12/1994 et il a rescellé le bridge.

Elle consulté de nouveau le Docteur [T] le 2/10/1995 pour une infection sur la dent n° 24 et un descellement complet du bridge.

Le docteur [T] a estimé que les racines dentaires au maxillaire supérieur n'étaient plus conservables et a préconisé la réalisation d'un appareillage prothétique complet de 14 dents.

- Le 2/10/1995, la 27 est extraite.

- Le 09/10/1995 24, 25, 26 sont extraites.

- Le 18/10/1995, 17, 15, 14 sont extraites.

- Le 26/10/1995, 12, 21, 22, 11 sont extraites.

- Le 22/11/1995, 23 et 13 sont extraites.

Le travail prothétique provisoire a été posé fin novembre 1995 et le travail a été terminé le 12/11/1996.

Le docteur [T] n'est plus intervenu à compter de cette date pour des soins à Mme [C].

3 - Sur les manquements reprochés au docteur [T]

a) sur la technique médicale

Le médecin s'engage à donner des soins consciencieux, attentifs et, réserve faite de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science.

Il appartient à Mme [C] de rapporter la preuve d'un manquement du docteur [T] à ces obligations.

En l'espèce l'expert a indiqué dans son rapport n°2 :

« Le Docteur [T] a pris en charge Mme [C] le 22/11/1994.

Il a rescellé un bridge avec incrustations vestibulaires allant de 15 à 26 présentant des récidives de caries sous les piliers.

Il a extrait les racines qu'il a estimées irrécupérables.

Il a réalisé une prothèse complète provisoire plus une prothèse définitive.

A l'examen des radiographies réalisées avant les extractions (pièces n° 9-10-11-12-13-14-15-16-17-18-19-20-21-25) et de ses observations, il apparaît qu'il était vraisemblablement nécessaire de procéder à l'avulsion de ses racines.

On peut dire que les soins du Docteur [T] ont été consciencieux (suivi régulier de Mme [C] dans un souci de faire de son mieux).

Attentif aux règles de l'art et aux données actuelles de la science.

Madame [C] a été convenablement soignée malgré la non tolérance d'une prothèse supérieure totale qui n'incombe pas au Docteur [T].»

Dans on rapport complémentaire il précise, au vu des observations du médecin conseil de Mme [C] :

«On peut certes, faire le reproche au Docteur [T] de :

Ne pas avoir fait pratiquer une radiographie panoramique.

Et d'avoir réalisé des clichés numérisés de qualité très moyenne et au nombre insuffisant.

De ne pas avoir tenu sa fiche de soins de façon stricte et rigoureuse.

Et de na pas avoir ôté la racine de 14 lors de l'extraction de cette dernière ni en avoir informé Mme [C].

Concernant la décision thérapeutique d'extraction des dents, il semble que le Docteur [T] ait pris cette décision principalement en raison de l'examen clinique.

On peut penser qu'il a examiné Madame [C] (en 1994) puis en 1995 et (il nous l'a relaté) qu'entre les deux consultations à plusieurs mois d'intervalle, le bridge étant à nouveau descellé, l'état des racines dentaires s'est détérioré pendant cette période.

Il résulte de ces éléments qu'aucune faute en lien de causalité avec les dommages déterminés ci-dessus n'est retenue par l'expert au docteur [T].

Il convient d'homologuer ces conclusions précises de l'expert et de considérer qu'il n'est pas prouvé que l'extraction des 13 dents étaient «injustifiées».

De surcroît, l'expert n'a objectivé aucun lien de causalité entre l'extraction des 13 dents en 1995 et la résorption généralisée de l'os maxillaire supérieur ou bien le syndrome dépressif présentés par Mme [C] en 2010.

b) sur le manquement au devoir d'information reproché au docteur [T]

Le médecin doit recueillir le consentement libre et éclairé du patient et l'informer sur la nature de l'acte médical et les alternatives envisageables.

La preuve du consentement libre et éclairé peut résulter d'une série de présomptions, déduites des circonstances même de réalisation de l'acte médical .

En l'espèce, il convient de relever que les extractions se sont produites en 5 interventions successives échelonnées sur près de deux mois ce dont il résulte que Mme [C], qui ne soutient pas que le docteur [T] aurait procédé à l'extraction de ses dents «par surprise», a nécessairement été informée de ce que le docteur [T] procédait à l'extraction de ses dents définitives.

Par ailleurs, l'expert , après examen des pièces (11 à 24) du dossier radiologique complet et des annotations du docteur [T] (pièce n°9) ne retient pas qu'il existait une alternative dont le docteur [T] aurait dû informer Mme [C].

En effet, l'expert mentionne : « il semble que Madame [C] ait été convenablement informée de son état bucco-dentaire et du travail proposé pour y remédier. Elle a eu la possibilité de refuser, mais ses dents étant porteuses de caries et d'abcès elle aurait certainement eu des ennuis d'ordre infectieux.»

D'autre part, les dommages invoqués ou présentés par Mme [C] ( résorption osseuse et troubles dépressifs) ne correspondent pas à un risque connu de l'extraction de dents, dont elle n'a pas été informée et qui se serait réalisé.

Ceci n'est pas contesté par Mme [C] qui indique dans ses écritures, que son médecin conseil, le docteur [A] « avait souligné que la pose d'implants très proches était à l'origine du phénomène ischémique comme n'ayant pas facilité une bonne irrigation sanguine des septums inter-implants » ce dont il résulte que ce médecin n'envisage pas que le phénomène de résorption osseuse soit une conséquence directe de l'extraction des dents pratiquée par le docteur [T].

En conséquence, il convient de constater qu'il n'y pas eu manquement par le docteur [T] à son obligation d'information.

Sur l'action en responsabilité à l'encontre du docteur [Z]

1- Nature de l'intervention du docteur [Z]

Il résulte de l'expertise que Mme [C] a consulté le docteur [Z] qui a prescrit un scanner qui a «objectivé un volume osseux suffisant pour la pose d'implants au maxillaire destinés à soutenir un bridge implanto-porté» .

Le coût de ce travail important a été solutionné par le règlement uniquement du prix de revient des implants et de la prothèse par la patiente, le docteur [Z] ne demandant pas d'honoraires en contrepartie de l'autorisation de réaliser un dossier photographique, afin de présenter ce cas lors d'une journée d'implantologie à [Localité 6] en novembre 2002. (pièces 5 et 6)

- La pose chirurgicale des implants a été réalisée le 14/04/2001 ( 11 implants maxillaires de type ONB).

- La prothèse amovible a été placée en provisoire.

- La mise à jour des implants a été réalisée le 28/11/2001.

Pendant les six mois séparant les deux interventions, le docteur [Z] a procédé à la correction du plan d'occlusion mandibulaire avec élongation coronaire du secteur molaire et réalisation de deux bridges résines bilatéraux.

Le montage sur cire (réalisé sur articulateur semi-adaptable) a été fait et deux infrastructures droite et gauche maxillaires et une supra-structure globale céramo-métallique ont été réalisées.

- La pose, après contrôle de l'occlusion a été faite au ciment provisoire le 3/03/2002.

Madame [C] s'est rendue très régulièrement au cabinet du docteur [Z] pour des contrôles, le dernier ayant eu lieu le 28/04/2005, soit deux mois avant le départ du docteur [Z] pour l'Ile de la Réunion où il e s'est installé.

2 - Sur les manquements reprochés au docteur [Z]

a) sur la technique médicale

L'expert a conclu de la manière suivante :

6) (...)« Soins pratiqués par le Docteur [Z] :

Le Docteur [Z] a prescrit un scanner le 22/02/2001 (pièce n°4) qui lui permis d'apprécier le volume osseux disponible.

- indication implantaire adaptée au cas clinique.

- L'intervention longue et délicate a, certes, induit un oedème important, mais il s'agit d'une suite opératoire fréquente dans, ce type de chirurgie.

La réalisation a été bonne avec un parallélisme des implants convenable.

Le délai entre la pose des implants et le début de la réalisation prothétique a été de 6 mois c'est-à-dire une durée nécessaire et suffisante.

L'occlusion a été réglée de façon très correcte.

La réalisation prothétique a été contrôlée selon les règles de l'art, ce travail est bien documenté (pièce n°5-6-7)

- On peut seulement s'interroger sur la nécessité de placer des implants rapprochés dans le secteur postérieur.

En résumé : Le travail important réalisé par le Docteur [Z] : Indication et réalisation bonnes, conformes aux données acquises de la science. Le résultat esthétique et fonctionnel immédiat a été très correct.

Tout au plus on pourrait demander au docteur [Z] pour quelle raison il a placé des implants rapprochés en position postérieure et pourquoi il a jugé utile d'en placer 11.

Il n'y a pas de manquement pouvant être reproché aux Docteurs [T] et [Z] en relation directe et certaine avec l'état de l'intéressée.

Le docteur [Z] a réalisé un bilan pré-implantaire complet.

L'intervention, malgré les suites immédiates pénibles a été bien réalisée.

La prothèse a été posée avec un délai d'attente nécessaire à l'ostéo-intégration et consciencieusement contrôlée.

Le docteur [Z] a fait preuve de sérieux dans son travail.

On pourrait seulement s'interroger sur la nécessité de poser un tel nombre d'implants et si la nocivité de l'addiction tabagique a été expliquée avec suffisamment d'insistance.»

9) Mme [C] présentait un état bucco dentaire de faible qualité (radiographies prises par le Docteur [T] pièce n°11 à 24).

Cet état a justifié les extractions et la pose d'implants était une indication bonne. Lors de cette dernière le volume osseux était suffisant pour leur réalisation (cf scanner pré-opératoire de 2001 pièce n°4).

A l'heure actuelle, le volume osseux est beaucoup plus faible et n'est plus compatible avec le type de réalisation qu'a pratiqué le Docteur [Z] en 2001.

La perte de cette quantité d'os résulte de la convergence de plusieurs facteurs.

un phénomène physiologique qui n'est pas explicable en totalité lié très probablement à un problème d'ischémie, aggravé par la consommationde tabac ( et aussi auparavant par la prise de contraceptifs oraux) et la fonction masticatoire forte en raison d'une mandibule en classe III bien que les réglages occlusaux ont été réalisés consciencieusement.»

Dans son rapport complémentaire, l'expert n'a pas remis en cause ces conclusions .

Au contraire il indique dans celui-ci : « Nous avons déjà répondu à certains points de la mission (3,4,5,6,7,8,9,10).»

Sur la pose très proche de 11 implants, l'expert a précisé suite aux observations du médecin conseil de Mme [C], qu'à cette époque le docteur [Z] était, «comme beaucoup de chirurgiens implantologistes, dans une logique qui consistait à placer un implant par racine dentaire, ce qui peut expliquer le grand nombre d'implants utilisés. Il est vrai qu'aujourd'hui cette tendance n'est plus tout à fait la même.»

En aucun cas l'expert ne mentionne :

- que l'intervention du docteur [Z] pouvait s'apparenter à une « expérimentation», l'indication implantaire étant au contraire jugée adaptée au cas clinique.

- que la pose chirurgicale de 11 implants est fautive,

En ce qui concerne la racine de la dent 14 et la pose au contact de cette racine, de deux implants (15 et 16), l'expert précise «que le docteur [Z] n'a pas extrait cette racine effectivement visible sur la radiographie panoramique de 2009 et qu'il aurait été préférable de le faire. Il est probable que cette racine a été responsable d'un foyer infectieux strictement local.»

L'expert n'a pas cependant indiqué expressément qu'il s'agissait à l'époque d'une faute médicale, alors que cette racine était dans un état correct et n' a pas retenu un lien de causalité direct entre l'absence d'extraction de cette racine et la survenance 8 ans plus tard de l'infection au niveau de cette racine :

En effet l'expert a précisé : « Le problème de la racine 14: elle a été oubliée par le docteur [T] et le docteur [Z]. Cet oubli a induit des complications locales facteurs aggravants certes, mais non causales de la perte du bridge complet ».

b) sur le défaut de suivi du docteur [Z] :

Il convient de rappeler que l'expert a considéré que la prothèse été «consciencieusement contrôlée».

Après le départ du docteur [Z] pour l'île de la Réunion en 2005, Mme [C] qui rencontrait régulièrement le docteur [Z] pouvait s'adresser à son successeur pour la poursuite des soins.

L'expert ne précise d'ailleurs pas qu'un meilleur suivi aurait permis d'éviter la résorption osseuse, celle-ci étant la conséquence d'un phénomène physiologique.

Aucune faute ne peut donc être reprochée au docteur [Z] à ce titre.

c) Sur le manquement par le docteur [Z] à son devoir d'information :

Il ne saurait être reproché au docteur [Z] de ne pas avoir informé Mme [C] du «risque ischémique» puisque ce risque n'est pas la conséquence des soins pratiqués.

En revanche, l'expert a conclu que la résorption osseuse est probablement consécutive à un problème d'ischémie aggravée par la consommation de tabac et auparavant par la prise de contraceptifs oraux.

Par ailleurs Mme [C] a présenté un oedème facial ensuite de la pose des implants ayant nécessité un arrêt de travail.

Or le docteur [Z] ne justifie pas avoir informé Mme [C] sur ce risque d'oedème facial et sur les risques inhérents au tabagisme à savoir une moins bonne tenue des implants, alors que ces risques étaient connus et fréquents.

Le dommage résultant de l'absence d'information pouvait être chiffré par Mme [C] au vu des conclusions du rapport d'expertise. La nouvelle expertise sollicitée à ce titre est donc injustifiée.

Au vu de la demande subsidiaire de Mme [C] qui sollicite la réparation de son préjudice moral résultant de l'atteinte à son droit d'être informée, de fixer ce préjudice à la somme de 2 000 €.

PAR CES MOTIFS

la cour,

Réformant le jugement déféré et statuant de nouveau,

- Déboute M. [B] [T], M. [R] [Z] et la société le Sou médical de leurs prétentions tendant à voir écarter le rapport d'expertise médical,

- Déboute Mme [O] [C] de sa demande de nouvelle expertise en recherche de responsabilité et aux fins de fixation de ses divers préjudices,

- Dit que M. [B] [T], chirurgien dentiste, n'a pas commis de faute dans le diagnostic, dans l'indication thérapeutique, ni dans la réalisation des soins prodigués à Mme [O] [C] courant 1995 et 1996, en lien avec les complications survenues en 2009, ni de manquement à son obligation de recueillir le consentement libre et éclairé de la patiente,

- Déboute Mme [O] [C] de toutes ses prétentions dirigées à l'encontre de ce dernier,

- Dit que M. [R] [Z] n'a pas commis de faute dans le diagnostic, l'indication thérapeutique, ni dans la réalisation des soins prodigués à Mme [O] [C] courant 2002 à 2005, en lien avec les complications survenues en 2009,

- Constate un manquement à l'obligation d'information de M. [R] [Z] au titre de la survenance d'un oedème facial et au titre des risques pesant sur la bonne tenue des implants en cas de poursuite par Mme [C] de son tabagisme alors avéré,

- Fixe le préjudice moral en résultant à la somme de 2 000 €,

- Condamne solidairement M. [R] [Z] et sa compagnie d'assurance le Sou médical à payer cette somme à Mme [O] [C], outre celle de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Déboute M. [B] [T], M. [R] [Z] et la société le Sou médical de leurs demandes reconventionnelles,

- Déboute Mme [O] [C] du surplus de ses prétentions,

- Condamne Mme [R] [Z] aux dépens, de première instance et d'appel, qui comprendront les frais d'expertise, distraits au profit de Me Frédérique Truffaz, avocat sur son affirmation de droit,

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre civile b
Numéro d'arrêt : 13/06542
Date de la décision : 13/01/2015

Références :

Cour d'appel de Lyon 1B, arrêt n°13/06542 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-01-13;13.06542 ?
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