R.G : 13/04640
décision du
Tribunal de Grande Instance de LYON
Au fond
du 26 juin 2012
RG : 09/08948
ch n°10
SCI IMMOSCIZE PREMIERE
C/
[M]
[M]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 09 Décembre 2014
APPELANTE :
SCI IMMOSCIZE PREMIERE
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par la SELARL DE FOURCROY AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, assistée de l'AARPI FAIRWAY, avocat au barreau de PARIS
INTIMES :
M. [Q] [M]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représenté par la SELARL DELSOL AVOCATS, avocat au barreau de LYON
Mme [E] [M] épouse [M]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par la SELARL DELSOL AVOCATS, avocat au barreau de LYON
INTERVENANTE :
SCI WHITE KNIGHT VAISE 2013
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par la SELARL DE FOURCROY AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, assistée de l'AARPI FAIRWAY, avocat au barreau de PARIS
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Date de clôture de l'instruction : 18 Juin 2014
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 03 Novembre 2014
Date de mise à disposition : 09 Décembre 2014
Audience tenue par Jean-Jacques BAIZET, président et Michel FICAGNA, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,
assistés pendant les débats de Emanuela MAUREL, greffier
A l'audience, Jean-Jacques BAIZET a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Composition de la Cour lors du délibéré :
- Jean-Jacques BAIZET, président
- François MARTIN, conseiller
- Michel FICAGNA, conseiller
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Jean-Jacques BAIZET, président, et par Emanuela MAUREL, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSE DE L'AFFAIRE
Par acte sous seing privé en date du 29 septembre 1993, la société Les Docks Lyonnais aux droits de laquelle vient aujourd'hui la SCI Immoscize Première, a donné à bail un local commercial situé [Adresse 3] pour l'exploitation d'un café-restaurant et habitation du locataire, à M. [T], aux droits duquel viennent les époux [M].
Les époux [M] ont conclu une convention de location-gérance avec la société SARL Le Delta dont M. [M] est le gérant pour l'exploitation du fonds.
Le 9 juin 2006, la SCI Immoscize Première a donné congé aux époux [M] par acte extrajudiciaire, avec offre de renouvellement à compter du 12 décembre 2006 pour un loyer réévalué à 23.505€. Les preneurs ont accepté le principe du renouvellement mais ne sont pas parvenus à un accord avec le bailleur concernant le montant du loyer. Un expert amiable a été désigné.
Suite à l'expertise, la SCI Immoscize Première a rétracté son offre de renouvellement. Elle a donné congé au preneur au 30 juin 2009 sans offre de renouvellement, au motif que le premier étage du local loué à titre d'habitation avait été transformé en salle de restaurant et que la cour intérieure avait été fermée et couverte d'une toiture.
Le 30 juin 2009 et le 19 décembre 2009, les époux [M] ont assigné la SARL ALLTI, mandataire du bailleur, et la SCI Immoscize Première en contestation du congé.
Par jugement du 26 juin 2012, le tribunal de grande instance de Lyon a constaté le désistement des demandes des époux [M] à l'encontre de la société ALLTI, a déclaré irrégulier le congé donné sans offre de renouvellement et sans indemnité d'éviction au motif que les travaux étaient connus des propriétaires qui sont même venus les voir et que l'infraction au bail alléguée n'était pas suffisamment grave pour qu'ils puissent se prévaloir d'un refus de renouvellement. Le premier juge a également condamné la SCI Immoscize Première à 1.000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et n'a pas fait droit aux demandes de la société ALLTI sur ce fondement.
La SCI Immoscize Première a interjeté appel. La société White Knight ZC Vaise 2013 intervient volontairement à l'instance en tant que nouveau propriétaire du bien porteur du bail.
Ces deux sociétés concluent à l'infirmation du jugement et invoquent la validité de la rétractation de l'offre de renouvellement. Elles font valoir que le contrat de location-gérance est nul et constitue en réalité une cession de fonds de commerce, que les preneurs ne remplissent pas les conditions nécessaires pour bénéficier du statut des baux commerciaux et de ce fait, ne peuvent se prévaloir du droit au renouvellement. A titre subsidiaire, elles demandent qu'il ne soit pas fait droit à la demande d'indemnité d'éviction et qu'une indemnité d'occupation leur soit allouée. A titre encore plus subsidiaire, elles sollicitent la désignation d'un expert pour déterminer le montant de l'indemnité d'éviction et, en tout état de cause, 5.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elles font valoir que le congé donné est valable comme remplissant toutes les conditions nécessaires, et que partant, le bail a pris fin le 30 juin 2009. Elles expliquent que la rétractation de l'offre de renouvellement est possible jusqu'à ce qu'il existe un accord des parties ou une décision judiciaire sur le montant des loyers et qu'en l'espèce, aucun accord n'est intervenu.
Elles invoquent le fait que les preneurs ne remplissent pas les conditions pour bénéficier d'un droit au renouvellement, en raison notamment du fait que M. [M] n'est plus immatriculé au registre du commerce et des sociétés depuis le 28 mai 2003, et que le contrat de location-gérance n'est pas valable, les preneurs n'apportant pas la preuve de sa réalité et de sa consistance. Elles considèrent que les preneurs ne remplissent pas les conditions leur permettant de bénéficier du statut des baux commerciaux. Elles se prévalent également d'un motif grave et légitime résultant d'une faute du preneur qui a transformé les lieux loués et leur destination. Elles estiment que le contrat de location-gérance a été conclu en violation des stipulations du contrat de bail et constitue en réalité une cession de fonds de commerce.
Subsidiairement, elles invoquent le fait qu'une simple attitude passive ou la tolérance du propriétaire ne suffisent pas à rapporter la preuve de son consentement aux changements de destination ou à la réalisation de travaux, que la renonciation ne se présume pas et qu'elle ne peut résulter que d'un comportement non équivoque. Elles précisent que le bail comporte une interdiction de transformation des lieux loués, que les preneurs n'apportent pas la preuve que le bailleur a eu connaissance de ces travaux et qu'il les a acceptés, même tacitement, que le bail portait à la fois sur un local commercial et un local d'habitation et que le défaut d'habitation du logement accessoire constitue un motif de refus de renouvellement qui peut être invoqué en l'espèce.
Concernant l'indemnité d'occupation, elles font valoir qu'elle doit correspondre au préjudice subi par le bailleur et comprendre la perte liée à l'absence de possibilité d'affecter les lieux loués à une destination plus rémunératrice, ce préjudice étant constitué de l'augmentation des loyers qui n'a pu avoir lieu, et de l'absence de recouvrement de certaines charges pouvant être mises à la charge d'un nouveau locataire. Elles évaluent l'indemnité d'occupation à 25.832€ se décomposant en 11.830€ au titre de la partie commerciale, 4.002€ au titre de la partie d'habitation et 10.000€ résultant de la longue durée de l'occupation.
Concernant l'indemnité d'éviction, elles estiment que seule la perte du droit au bail doit être indemnisée car le refus de renouvellement n'a pas pour conséquence la perte du fonds de commerce. Elles proposent d'allouer une valeur symbolique de 1 euro au droit au bail en raison du déplafonnement du loyer et une indemnité forfaitaire de 1 000 euros.
Les époux [M], intimés, concluent à la confirmation du jugement et au rejet des prétentions des sociétés appelantes. A titre subsidiaire, ils demandent que leur soit allouée une indemnité d'éviction de 165.000 euros en raison de l'absence de motif grave justifiant le non-renouvellement. Ils font valoir qu'ils ne sont pas tenus à une indemnité d'occupation puisqu'ils ont continué de verser le loyer depuis le congé qui leur a été donné.
Ils invoquent leur droit au renouvellement du bail et précisent que M. [M] est toujours immatriculé au registre des commerces et des sociétés, seule les activités liées à la gestion du local ayant été radiées. Ils précisent qu'en application de l'article 145-1 du code de commerce, en cas de location-gérance, le preneur n'a pas besoin d'être immatriculé au registre, que, ce contrat a été transmis au bailleur lors de sa conclusion et qu'aucune disposition du bail ne leur interdisait de le conclure. Ainsi, ils estiment pouvoir bénéficier du statut des baux commerciaux.
Ils considèrent le congé qui leur a été donné comme irrégulier étant donné que le bailleur, dont le siège social se trouve en face du local loué, avait connaissance des travaux qui avaient eu lieu plus de six ans auparavant, et que les propriétaires s'étaient rendus plusieurs fois au restaurant pendant leur réalisation donnant ainsi leur accord tacite aux changements. Ils mettent en avant le fait que la jurisprudence admet une utilisation à titre exclusivement professionnelle des biens loués à usage mixte, dès lors que l'activité exercée est celle prévue au contrat et qu'en tout état de cause, il ne peut s'agir d'une despécialisation juridique.
Concernant la demande de validation du congé avec offre d'indemnité d'éviction, les époux [M] opposent l'irrecevabilité de la demande qu'ils considèrent comme nouvelle et ne tendant pas aux mêmes fins que celles dont le premier juge a été saisi.
Ils rappellent que l'indemnité d'éviction doit, être égale à la valeur du fonds de commerce majorée d'indemnités annexes sauf preuve d'un préjudice moindre, et que celle-ci n'étant pas rapportée, la valeur du fonds de commerce doit être fixée à 165.000€ ainsi que la retenu un expert amiable.
Enfin, ils expliquent que le locataire qui peut prétendre à une indemnité d'éviction ne peut être obligé de quitter les lieux qu'à partir du moment où cette indemnité lui a été payée et qu'en l'absence de paiement, il peut se maintenir dans les lieux contre une indemnité qui, n'étant pas une indemnité d'occupation irrégulière, est égale au prix de l'ancien loyer et que en l'occurrence, ils ont toujours continué à payer le loyer.
MOTIFS
Attendu que les parties n'ayant pas trouvé d'accord sur le montant du loyer de renouvellement, et le juge des loyers commerciaux n'ayant pas été saisi d'une demande de fixation du montant du loyer renouvelé, le bailleur pouvait valablement rétracter son offre de renouvellement du bail;
Attendu qu'en application de l'article L 145-17de code de commerce, le bailleur peut refuser le renouvellement du bail sans être tenu au paiement d'aucune indemnité s'il justifie d'un motif grave et légitime à l'encontre du locataire sortant;
Attendu que le bail conclu entre les parties prévoit que tous les travaux ayant une incidence sur les éléments et équipements communs devront recevoir l'accord du bailleur ou de son architecte, que le preneur s'engage à ne faire dans les lieux loués aucune modification du gros oeuvre sans l'autorisation expresse et écrite du bailleur, et à ne faire aucun changement de distribution, ni aucune modification de quelque nature que ce soit par rapport à l'état des lieux sans avoir reçu préalablement l'accord écrit du bailleur ou de son mandataire;
Attendu qu'il résulte de l'expertise amiable réalisé par M [F], ce que ne contestent pas M et Mme [M], que ces derniers ont procédé à d'importants travaux sans autorisation du bailleur, en modifiant les lieux loués, en transformant le local du premier étage destiné à l'habitation en salle de restaurant avec changement de l'escalier d'accès à l'étage, et en faisant fermer la cour de l'immeuble avec installation d'une toiture pour créer un espace réserve; qu'au vu des travaux ainsi révélés par l'expertise amiable, le bailleur a, par acte extra judiciaire du 14 octobre 2008, fait sommation aux preneurs de remettre les lieux en l'état, et notamment de supprimer la salle de restaurant, de remettre en état l'escalier d'origine et de supprimer la fermeture de la cour de l'immeuble; que cette sommation n'ayant pas été suivie d'effet, le bailleur a signifié, par acte extrajudiciaire du 16 décembre 2008, la rétractation de son offre de renouvellement et notifié un congé portant refus de renouvellement pour motif grave et légitime pour le 30 juin 2009;
Attendu que M et Mme [M] n'établissent pas que la Sci Immoscize Première a donné une autorisation, même implicite ou tacite, à la réalisation des travaux; qu'en effet, les attestations sommaires et imprécises qu'ils produisent, si elles font état d'une visite des lieux par le bailleur, ne font nullement apparaître une approbation quelconque de sa part à la réalisation des travaux; qu'elles ne permettent pas de considérer que le bailleur a connu et approuvé l'ensemble des travaux, leur nature exacte et leur ampleur; qu'en conséquence, l'exécution des travaux décrits précédemment sans accord du bailleur, et l'absence de remise en état des lieux malgré la sommation adressée aux preneurs, constituent un motif grave justifiant le refus de renouvellement du bail sans paiement d'une indemnité d'éviction;
Attendu que le congé étant régulier, les époux [M] sont occupants sans droit ni titre des locaux depuis le 1er juillet 2009; qu'il y a lieu d'ordonner leur expulsion dans les conditions précisées au dispositif de l'arrêt; que les époux [M] sont débiteurs d'une indemnité d'occupation qui doit être fixée à la valeur locative soit 15 832 euros par an hors taxes et hors charges;
Attendu que M et Mme [M] qui succombent, doivent supporter les dépens et une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile;
PAR CES MOTIFS
Réforme le jugement entrepris,
Statuant à nouveau,
Déclare valable le congé délivré le 16 décembre 2008,
Ordonne l'expulsion de M et Mme [M] et de tous occupants de leur chef, des lieux loués dans le délai de deux mois de la signification de l'arrêt, avec l'assistance de la force publique si nécessaire, sous astreinte de 200 euros par jour de retard,
Dit n'y avoir lieu pour la cour de se réserver la liquidation de l'astreinte,
Dit que les meubles et objets mobiliers se trouvant sur place donneront lieu à l'application des articles L 433-1 et L 433-2 du code des procédures civiles d'exécution,
Condamne M et Mme [M] à payer à la société Immoscize Première une indemnité d'occupation annuelle de 15 832 euros à compter du 1er juillet 2009 jusqu'à la libération des lieux, ainsi que les charges, la TVA et les accessoires du bail, outre les intérêts au taux légal sur le différentiel résultant de l'indemnité d'occupation ainsi fixée avec l'indemnité d'occupation acquittée depuis le 1er juillet 2009,
Ordonne la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1 154 du code civil,
Condamne M et Mme [M] à payer à la société Immoscize Première et à la société White Knigtht, ensemble, la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette la demande de M et Mme [M] présentée sur ce fondement,
Condamne M et Mme [M] aux dépens de première instance et d'appel, avec pour ces derniers, droit de recouvrement direct par la Selarl De Fourcroy, avocats.
Le GreffierLe PRÉSIDENT