R.G : 13/04363
décision du
Tribunal de Commerce de LYON
Au fond
du 09 mars 2009
RG : 2007/3305
[S]
C/
[N]
[J]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 09 Décembre 2014
APPELANT :
M. [K] [S]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représenté par la SCP BAUFUME - SOURBE, avocat au barreau de LYON, assisté de la SELARL SEIGLE BARRIE ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON
INTIMES :
M. [F] [N]
né le [Date naissance 2] 1968 à [Localité 4]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par la SCP AGUIRAUD NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, assisté de Me Julien COMBIER, avocat au barreau de LYON
M. [P] [J]
né le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 5]
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représenté par la SELARL LAFFLY & ASSOCIES-LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON, assisté de la SELARL AXTEN, avocat au barreau de LYON
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Date de clôture de l'instruction : 21 Octobre 2014
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 21 Octobre 2014
Date de mise à disposition : 09 Décembre 2014
Audience tenue par Jean-Jacques BAIZET, président et Michel FICAGNA, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,
assistés pendant les débats de Patricia LARIVIERE, greffier
A l'audience, Jean-Jacques BAIZET a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Composition de la Cour lors du délibéré :
- Jean-Jacques BAIZET, président
- Pierre BARDOUX, conseiller
- Michel FICAGNA, conseiller
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Jean-Jacques BAIZET, président, et par Emanuela MAUREL, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSE DE L'AFFAIRE
Le 21 juillet 2000, M [S], directeur général de la société Eden Studio, s'est rendu acquéreur au prix de 762 245 euros d'une partie des actions détenues par M [J], représentant 10 % du capital de cette société.
Le 28 juillet 2000, M [S] a cédé à la société Infogrames Interactive les actions qu'il détenait dans la société Eden Studio, à concurrence de 10 % pour le prix de 1 736 918 euros. Le même jour, M [N], président directeur général de la société Eden Studio, a cédé 9, 8 % de ses actions à la société Infogrames Interactive.
M [J] a assigné M [S] et M [N] en indemnisation des préjudices financier et moral subis par leur manque de loyauté en ne l'informant pas du prix de rachat offert par la société Infogrames Interactive, convenu dans un accord auquel il n'a pas participé, ce qui l'a empêché de négocier de manière éclairée sa participation à l'opération, alors que la société Infogrames Interactive a voulu l'évincer.
Par jugement du 9 mars 2009, le tribunal de commerce de Lyon a déclaré recevables comme non prescrites les demande de M [J], dit que M [N] et M [S], en leurs qualités de dirigeants, ont manqué à leur devoir de loyauté à l'égard de leur associé, condamné solidairement ceux-ci à payer à M [J] la somme de 386 204 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 28 juillet 2000, en réparation de son préjudice financier, ordonné la capitalisation des intérêts, et débouté M [J] de sa demande d'indemnisation d'un préjudice moral.
Par arrêt du 30 novembre 2011, la cour d'appel de Lyon a réformé le jugement, déclaré recevables l'action et les demandes de M [J], et débouté ce de dernier de ses prétentions.
Par arrêt du 12 mars 2013, la cour de Cassation, Chambre Commerciale, Financière et Economique a cassé et annulé l'arrêt, sauf en ce qu'il a déclaré recevable l'action de M [J], et renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon autrement composée.
Après saisine de la cour de renvoi, M [J] conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a considéré que M [S] et M [N] ont manqué à leur obligation de loyauté, à sa réformation pour le surplus. Il sollicite la condamnation in solidum de M [N] de M [S] à lui payer la somme de 977 821 euros au titre de son préjudice financier, avec intérêts au taux légal à compter du 28 juillet 2000 et capitalisation de ceux-ci, ainsi que la somme de 50000 euros au titre de son préjudice moral.
Il soutient que M [S] et M [N], qui avaient la qualité de mandataire social et donc de dirigeant de la société Eden Studios, ont manqué à l'obligation de loyauté qui leur incombait, l'empêchant ainsi de négocier sa participation de manière éclairée, alors qu'à la date de l'achat de ses actions, ils connaissaient parfaitement la valeur intrinsèque des actions composant le capital de la société Eden Studios, puisqu'ils venaient de concrétiser l'opération de vente avec la société Infogrames un mois auparavant, et alors que la cession de ses actions lui a toujours été présentée par ses associés comme permettant de lui faire profiter de l'entrée au capital de la société Infogrames, dans les conditions convenues, dans la mesure où cette dernière aurait refusé, selon leurs dires, de conclure la cession en direct avec lui. Il soutient que son préjudice financier consiste non en une perte de chance, mais en une perte directe consistant dans l'impossibilité de percevoir le juste prix correspondant à la valeur réelle de ses actions, les intérêts de retard y afférents, ainsi qu'un préjudice moral.
Il calcule son préjudice financier comme suit:
1300 (nombre d'actions vendues par lui) x
1338,51 (prix unitaire obtenu par M M [N] et [S])
- 1300 (nombres d'actions vendues par lui) x
586,34 (prix unitaire accordé à M [J]) =
977 821 euros
M [N] conclut au rejet des demandes de M [J] et soutient que ce dernier était parfaitement informé de l'existence et des conditions de l'acquisition par la société Infogrames Interactive de 19, 8 % du capital de la société Eden Studios par rachat de 9, 8 % de ses actions et de 10 % des actions de M [S], et qu'il connaissait les conditions de la revente des parts acquises par M [S], ce qui exclut toute idée de déloyauté des dirigeants. Il souligne qu'il est tiers à la cession litigieuse, qu'il a vendu ses titres au même prix que ceux cédés par M [S] sans aucune considération pour la cession intervenue entre ce dernier et M [J] et qu'il n'a tiré aucun intérêt personnel du défaut d'information qu'il lui est reproché.
A titre subsidiaire, sur le préjudice, il considère que M [J] ne disposait d'aucune chance de céder ses actions dans de meilleures conditions, que la société Infogrames Interactive ne voulait pas acheter ses actions car elle n'entendait nullement travailler avec lui, et qu'il ne disposait d'aucun autre acquéreur.
M [S] demande à la cour de:
-réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Lyon le 9 mars 2009,
-dire qu'avant l'assemblée du 6 juin 2000, il n'avait aucune obligation d'information ni de loyauté à l'égard de M [J] au motif qu'ils aient été tous deux également salariés, associés minoritaires au même pourcentage, de la société Eden Studios
-dire que postérieurement à l'assemblée générale du 6 juin 2000, M [J] et lui sont devenus également dirigeants de la société Eden Studios en qualité d'administrateurs, la qualité de directeur général ne lui donnant aucun pouvoir particulier à l'égard des autres administrateurs, mais seulement dans l'organisation de la société,
-dire que deux dirigeants entre eux ayant également la qualité d'administrateur n'ont aucune obligation d'information ou de loyauté entre eux,
-dire que la désignation de la société Infogrames en qualité d'administrateur impliquait sa qualité d'associé antérieurement, concomitamment, ou immédiatement après la décision la désignant,
-dire que M [J] pouvait solliciter préalablement à la tenue de l'assemblée générale désignant Infogrames comme administrateur, la communication de la manière dont elle était ou deviendrait actionnaire sur le plan juridique et sur le plan financier, à savoir le pourcentage de sa participation au capital et le montant de la valorisation de celle-ci,
-dire qu'en sa qualité de dirigeant, monsieur [J] n'était créditeur d'aucune obligation de loyauté de sa part,
-dire qu'en tout état de cause, monsieur [J] pouvait lui soumettre la cession de ses titres, à charge pour ce dernier de lui transmettre les conditions de la cession de ses propres titres à la société Infogrames, qu'en ne sollicitant pas cette information, M [J] était déjà informé des dites conditions, subsidiairement il a estimé que celle-ci ne pouvaient pas influer son consentement,
-dire que M [J] n'a subi aucun préjudice puisque la société Infogrames ne voulait pas lui acheter ses parts et qu'il n'aurait pas pu vendre ses parts à un tiers au motif que ce tiers n'aurait pas été agrée et qu'il ne justifie d'ailleurs pas avoir tenté de céder ses parts, ni à Infogrames, ni à un tiers,
-dire à titre subsidiaire que le préjudice, dont pourrait éventuellement se prévaloir M [J] correspondrait à une perte de chance, qui ne peut être évalué qu'à un montant symbolique de 1 euros,
-dire après avoir constaté qu'il a perçu moins après impôt que M [J], qu'il n'aurait pas payé un montant supérieur à M [J], sauf à permettre à ce dernier d'avoir une somme supérieure après incidence fiscale,
-dire que M [J] ne peut se prévaloir d'aucun préjudice moral,
-dire que M [J] ne peut pas solliciter d'intérêts sur la somme qui par impossible pourrait lui être allouée,
-en tout état de cause débouter M [J] de l'intégralité de ses demandes comme non justifiées et non fondées.
MOTIFS
Attendu que manque à son devoir de loyauté le dirigeant social qui s'abstient d'informer l'associé cédant de circonstances de nature à influer sur son consentement;
Attendu qu'en 1997 M [N], M [J] et M [S], anciens salariés de la société Infogrames Interactive ont crée leur propre entreprise de conception et de production de logiciels de jeux vidéos, la Sarl Eden Studio;
que le capital social était ainsi réparti:
-M [N].............................................................................................................................60%
-M [S]...............................................................................................................................20%
-M [J]...................................................................................................................................20%
que M Baudait assurait les fonctions de gérant;
que dans le courant de l'année 2000, la société Infogrames Interactive proposait à M [N] et M [S] de racheter 19, 80 % des parts détenues par eux, tout en ne souhaitant pas acheter de parts à [P] [J];
que le 6 juin 2000, un protocole d'accord a été signé entre la société Infogrames Interactive et M [N] et M [S] aux termes duquel cette société s'engageait à prendre 19, 80% du capital de la société Eden Studio par l'acquisition de 10% des titres détenus par M [S] et 9, 80 % des titres détenus par M [N], à la condition d'une part que la société Eden Studio soit transformée en société anonyme, d'autre part que l'agrément soit donné à la société Infogrames Interactive pour être administrateur;
que le même jour, une assemblée générale extraordinaire des associés de la société Eden Studio décidait à l'unanimité de sa transformation en société anonyme et nommait M [N], M [S], M [J] et la société Infogrames Interactive administrateurs de la nouvelle société; que le conseil d'administration nommait M [N] aux fonctions de président du conseil d'administration et M [S] aux fonctions de directeur général;
que le 21 juillet 2000, M [J] acceptait de vendre à M [S] 1 300 actions de la société Eden Studio, représentant 10 % du capital, pour le prix de 762 245 euros;
que le 28 juillet 2000, la société Infogrames Interactive rachetait 10% des actions détenues par M [N], soit 19, 8% des actions moyennant le prix de 3 439 097, 38 euros, soit pour 10% la somme de 1 736 918 euros;
Attendu que ni le procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire de la société Eden Studio du 6 juin 2000, ni celui du conseil d'administration qui a suivi ne mentionnent que les conditions financières de l'offre de participation proposée par la société Infogrames Interactive ont été communiquées aux associés ou administrateurs, notamment à M [J], qui était le seul à ne pas y avoir participé, puisqu'il n'était pas concerné par la proposition de la société Infogrames Interactive; que ces documents indiquent que la société Eden Studio est transformée en SA, et que M [N] est nommé en qualité de président du conseil d'administration et M [S] en qualité de directeur général; qu'en ces qualités, ces derniers étaient débiteurs d'une obligation de loyauté envers M [J], qui devait les conduire à l'informer de l'existence du protocole d'accord intervenu avec la société Infogrames Interactive et du contenu des conditions financières de celui-ci, et cela avant la cession des actions qui devait intervenir entre M [S] et M [J] le 21 juillet 2000; que comme l'a relevé de manière pertinente le premier juge, le devoir de loyauté s'imposait d'autant plus que la solution finalement proposée à M [J] consistait à faire acquérir par un des deux associés concernés par la reprise une partie de ses actions à un prix plus de deux fois inférieur au prix offert par la société Infogrames Interactive;
Attendu certes que M [J] a voté pour la désignation de cette dernière au poste d'administrateur; qu'il ne peut cependant lui être reproché de n'avoir pas sollicité la communication des documents concernant les modalités permettant à la société Infogrames Interactive de devenir associée; que les droits à information dont il disposait ne dispensaient pas M [S] et M [N] de satisfaire à leur obligation de loyauté;
Attendu par ailleurs qu'est sans incidence le fait que le prix de la cession des actions intervenue entre M [S] et la société Infogrames Interactive a été négocié avant la nomination de M [S] aux fonctions de dirigeant;
Attendu qu'il n'est pas établi que M [J] a été parfaitement informé du principe et des modalités de l'opération réalisée comme le soutiennent M [S] et M [N]; que les attestations établies par M [C], M [Z] et M [W] n'indiquent pas que M [J] connaissait le prix de revente des actions à la société Infogrames Interactive; que la seule attestation imprécise de Mme [B], qui affirme simplement qu'il était au courant du montant auquel les actions seraient revendues, est insuffisante à rapporter la preuve de sa connaissance des modalités de l'opération, dès lors que ce témoin n'indique pas le montant de la cession, ni la date à laquelle M [J] en aurait été informé; qu'en outre, l'arrêt du 30 novembre 2011 n'a pas été cassé en ce qu'il a déclaré recevable l'action de M [J], au motif que ce dernier n'avait eu connaissance qu'en juin 2007 des termes du protocole conclu entre la société Infogrames Interactive et M [N] et M [S];
Attendu que si M [N] est tiers à la cession litigieuse des actions qui est intervenue entre M [S] et M [J], le montage dans lequel s'est inscrite cette cession, qui permettait à M [N] de bénéficier de la réalisation de ses actions à hauteur de 9, 8 % du capital, a été défini dans le cadre d'un accord intervenu entre la société Infogrames Interactive, M [S] et M [N], qui, vendant ses titres au même prix que ceux cédés par M [S], poursuivait un intérêt personnel dans l'opération;
Attendu en conséquence que M [S] et M [N] doivent être déclarés responsables in solidum du préjudice subi par M [J] en raison du manquement à leur obligation de loyauté;
Attendu que leur comportement a empêché M [J] de négocier sa participation de manière éclairée; que le préjudice subi par ce dernier ne peut s'analyser en la perte financière directe qu'il invoque, calculée par la différence entre la valeur des actions au prix obtenu par M [N] et M [S], et la valeur au prix qu'il lui a été accordé; que M [J] a en réalité subi uniquement une perte de chance de pouvoir négocier ses actions à des conditions plus avantageuses s'il avait été informé des conditions de la cession intervenue avec la société Infogrames Interactive; que cependant, cette perte de chance apparaît extrêmement limitée; que certes, l'acquisition des 1 300 actions par M [S] auprès de M [J] permettait de donner à la répartition du capital la configuration exigée par la société Infogrames Interactive; que cependant, cette société ne souhaitait pas acheter les actions de M [J] car elle n'entendait pas travailler avec lui; que ce dernier pouvait difficilement espérer vendre ses actions à un tiers; qu'il ne démontre pas avoir jamais reçu une autre offre d'achat de quiconque; que la seule chance qu'il a perdue consiste en la possibilité pour lui de négocier un prix supérieur avec M [S]; que compte tenu des éléments rappelés précédemment, cette perte de chance doit être fixée à 5% de la différence entre la valeur des actions au prix obtenu par M [N] et M [S] et la valeur au prix accordé à M [J], soit:
1300 euros x 1338,51 - 1300 x 586, 34 =
977 821 euros x 5 % = 48 891, 05 euros;
Attendu que les intérêts doivent courir au taux légal à compter du présent arrêt qui fixe la créance indemnitaire;
Attendu que M [J] ne justifie pas d'un préjudice moral distinct de la perte de chance qu'il a subie;
Attendu que M [N] et M [S] doivent supporter les dépens et une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile;
PAR CES MOTIFS
Réforme le jugement entrepris,
Statuant à nouveau,
Condamne M [N] et M [S] in solidum à payer à M [J] la somme de 48 891, 05 euros, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Ordonne la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1154 du code civil,
Déboute M [J] de sa demande en indemnisation d'un préjudice moral,
Condamne M [N] et M [S] in solidum à payer à M [J] la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette les demandes présentées sur ce fondement par M [N] et M [S],
Condamne M [N] et M [S] in solidum aux dépens de première instance et d'appel, y compris ceux afférents à l'arrêt cassé, avec, pour ceux exposés devant la cour de renvoi, droit de recouvrement direct par la Scp Laffly et associés.
Le GreffierLe PRÉSIDENT