R.G : 13/08216
décision du
Tribunal de Grande Instance de THONON-LES-BAINS
Au fond
du 28 mars 2013
RG : 11.01544
ch civile
[T]
C/
SA COMPAGNIE COVEA RISKS
SCP MICHEL FILLARD ET JULIETTE COCHET-BARBUAT
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 02 Décembre 2014
APPELANTE :
Mme [D] [C] [T]
née en à
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par la SELARL REBOTIER ROSSI ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON
INTIMEES :
SA COMPAGNIE COVEA RISKS
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par la SCP J.TACHET, avocat au barreau de LYON
SCP MICHEL FILLARD ET JULIETTE COCHET-BARBUAT
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par la SCP J.TACHET, avocat au barreau de LYON
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Date de clôture de l'instruction : 05 Mars 2014
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 28 Octobre 2014
Date de mise à disposition : 02 Décembre 2014
Audience tenue par Jean-Jacques BAIZET, président et Michel FICAGNA, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,
assistés pendant les débats de Emanuela MAUREL, greffier
A l'audience, Jean-Jacques BAIZET a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Composition de la Cour lors du délibéré :
- Jean-Jacques BAIZET, président
- François MARTIN, conseiller
- Michel FICAGNA, conseiller
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Jean-Jacques BAIZET, président, et par Emanuela MAUREL, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSE DE L'AFFAIRE
Par décision du 10 avril 2008, le juge aux affaires familiales du Tribunal de grande instance de Thonon-les bains a prononcé le divorce des époux [L] aux torts partagés et a condamné M. [L] au paiement de pensions alimentaires pour l'éducation de leurs deux enfants à hauteur de 400 et 200€ ainsi que la somme de 60 000 euros à Mme [T], son épouse. Le jugement a été signifié à cette dernière le 16 juillet 2008.
Mme [T] a demandé à son conseil d'interjeter appel par courrier du 27 juin 2008 afin de voir sa prestation compensatoire évaluée à 200.000€ et la pension de leur enfant mineur, fixée par le juge à 200 €, réévaluée à 500€
La Société civile professionnelle d'avoués Fillard - Cochet - Barbuat (la SCP), mandatée à cette fin, a omis d'interjeter appel dans les délais. Un certificat de non-appel a été délivré le 21 novembre 2008.
Par exploit d'huissier du 29 juin 2011, Mme [T] a assigné la SCP d'avoués et son assureur professionnel, la Compagnie Covéa Risks, en paiement de 200.000€ de dommages et intérêts en raison de la faute commise.
Le tribunal de grande instance de Thonon-les-bains, par jugement du 28 mars 2013, a qualifié de faute le fait d'avoir omis d'interjeter appel alors que Mme [T] l'avait demandé et a condamné la SCP d'avoués à 10.000€ au titre de la chance perdue ainsi que 1.000€ sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure, la Compagnie Covéa Risks devant la relever et garantir de cette condamnation.
Mme [T] a interjeté appel . La SCP d'avoués a sollicité le renvoi de l'affaire devant une juridiction limitrophe en application de l'article 47 du Code de procédure civile, demande à laquelle il a été fait droit par ordonnance du 17 octobre 2013 renvoyant le dossier devant la Cour d'appel de Lyon.
Mme [T] conclut à la réformation du jugement. Elle demande que la SCP d'avoués soit condamnée à lui payer 200.000€ de dommages et intérêts, dont son assureur devra garantie ainsi que 2.000€ au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.
Elle fait valoir que la faute de la SCP d'avoués est incontestable et résulte du simple fait de ne pas avoir fait appel. Elle précise que cette faute est constitutive en elle-même d'un préjudice car la seule probabilité de succès de la voie de recours est suffisante pour justifier une perte de chance.
Elle sollicite la somme de 200.000€ de dommages et intérêts correspondant à la prestation dont elle estimait avoir le droit au regard du nombre d'années de son mariage, du nombre de leurs enfants, de la disparité des revenus existant entre elle et son époux, de sa perte de revenus dans le cadre de ses droits à retraite et en considération du fait qu'au moment du divorce elle ne travaillait plus depuis 1980.
Elle se prévaut également d'un manque à gagner de 9.600€ qu'elle aurait obtenu par la fixation de la pension alimentaire de son plus jeune enfant à 500€ au lieu de 200€.
Elle précise que la vente du capital de la communauté a seulement permis de payer les crédits afférents, qu'elle est dans l'obligation de payer un loyer pour rester dans son logement et qu'elle entend obtenir réparation de la trahison de son mari qui a quitté le domicile conjugal. Elle met en exergue trois méthodes de calcul de la prestation compensatoire la portant à 67.200€, 73.500€ ou 162.750€. Elle fait ainsi valoir qu'elle aurait obtenu gain de cause.
La SCP Fillard - Cochet - Barbuat, intimée, conclut à la réformation du jugement, au rejet de la demande indemnitaire et à la condamnation de l'appelante aux entiers dépens.
Sans contester la faute, la SCP d'avoués indique qu'il revient au demandeur de démontrer la réalité et l'importance de la perte de chance alléguée et donc que Mme [T] doit prouver la réalité de la possibilité d'obtenir une décision plus favorable en deuxième instance. Elle rappelle que toute action en justice est affectée d'un aléa et que le montant de la prestation compensatoire fait l'objet d'une appréciation souveraine des juges du fond.
Elle se prévaut du fait que le calcul de la prestation compensatoire en première instance a tenu compte de tous les éléments susceptibles de l'être et notamment du fait que Mme [T] avait vocation à recevoir la moitié de la valeur des biens de la communauté. Elle relève qu'elle n'apporte pas la preuve de l'utilisation intégrale de ces sommes au remboursement d'emprunts, qu'elle n'a pas pris de disposition pour recevoir sa part de capital dans le partage de la communauté et qu'elle ne justifie pas de sa situation professionnelle actuelle. Elle rappelle qu'il ne peut y avoir de lien entre les torts des époux et la prestation compensatoire. Elle en conclut que l'appelante n'apporte pas la preuve du caractère erroné de l'appréciation du juge aux affaires familiales, ni d'éléments nouveaux permettant de la remettre en cause, d'autant plus que, selon elle, le montant fixé est conforme à ceux habituellement alloués dans des cas similaires par la cour d'appel qui aurait été compétente.
La société Covea Risks a constitué avocat, mais n'a pas conclu.
MOTIFS
Attendu que la Scp d'avocats admet la faute qui lui est reprochée pour n'avoir pas interjeté appel du jugement de divorce malgré la demande de Mme [T];
Attendu que cette faute n'a pu entraîner qu'une perte de chance d'obtenir en appel une décision plus favorable sur le montant de la prestation compensatoire, et non un préjudice financier équivalent à la somme réclamée à ce titre; que la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée; qu'il appartient à Mme [T] de rapporter la preuve de la réalité d'une perte de chance constituée par la possibilité d'obtenir une décision plus favorable, et non à la Scp d'avocats d'établir l'absence de probabilité de succès de la voie de recours, comme l'a retenu par erreur le premier juge;
Attendu que Mme [T] ne produit aucune pièce de nature à permettre d'évaluer la disparité existant entre les situations respectives des époux en fonction des éléments fixés par les articles 270 et suivants du code civil, alors que la Scp d'avocats établit que Mme [T] devait percevoir la moitié de la valeur de l'immeuble commun et que le jugement rendu par le juge aux affaires familiales s'inscrit dans la jurisprudence habituelle de la cour d'appel de Chambéry; que les calculs théoriques qu'elle expose, à partir d'éléments de fait non démontrés, sur les revenus et le patrimoine des parties, sont dépourvus de toute pertinence; qu'elle ne démontre par aucun élément qu'elle disposait d'une chance sérieuse d'obtenir une pension alimentaire plus élevée pour sa fille encore mineure;qu'en conséquence, dès lors qu'elle n'établit pas la réalité d'une perte de chance du fait de la faute commise par l'avoué, elle doit être déboutée de sa demande;
PAR CES MOTIFS
Réforme le jugement entrepris,
Statuant à nouveau,
Déboute Mme [T] de ses demandes,
Condamne Mme [T] aux dépens de première instance et d'appel.
Le GreffierLe PRÉSIDENT