R.G : 13/06952
décisions :
- du Tribunal de Grande Instance de PUY-EN-VELAY
du 10 septembre 2010
RG : 2008/01344
- de la Cour d'Appel de RIOM en date du 05 janvier 2012
RG : 10/02982
- de la Cour de Cassation en date du 05 juin 2013
N° 656 FS-P+B
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 04 Mars 2014
APPELANTE :
SA SAFER D'AUVERGNE
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par la SCP BAUFUME - SOURBE, avocat au barreau de LYON
assistée de Maître Frédéric DELAHAYE, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
INTIMES :
M. [V] [W] [S] [F]
né le [Date naissance 2] 1966 à [Localité 4] (LOIRE)
[Adresse 2]
[Localité 1]
représenté par la SCP AGUIRAUD NOUVELLET, avocat au barreau de LYON
assisté de Me Albert MOUSEGHIAN de la SELARL CJA PUBLIC CHAVENT-MOUSEGHIAN-CAVROIS, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE
Mme [P] [Y] épouse [F]
née le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 3] (HAUTE LOIRE)
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par la SCP AGUIRAUD NOUVELLET, avocat au barreau de LYON
assistée de Me Albert MOUSEGHIAN de la SELARL CJA PUBLIC CHAVENT-MOUSEGHIAN-CAVROIS, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE
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Date de clôture de l'instruction : 20 Janvier 2014
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 04 Février 2014
Date de mise à disposition : 04 Mars 2014
Audience tenue par Jean-Jacques BAIZET, président et Michel FICAGNA, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,
assistés pendant les débats de Patricia LARIVIERE, greffier
A l'audience, Michel FICAGNA a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Composition de la Cour lors du délibéré :
- Jean-Jacques BAIZET, président
- Marie-Pierre GUIGUE, conseiller
- Michel FICAGNA, conseiller
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Jean-Jacques BAIZET, président, et par Patricia LARIVIERE, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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M. [O] [Z] et Mme [N] [I] épouse [Z] ont consenti à vendre à M. [L] [F] et Mme [P] [Y] épouse [F] une parcelle de terrain d'une superficie 1ha 36a 25 ca sur la commune de [Localité 5].
Par acte du 29 avril 2008, le notaire, requis à cet effet par les parties, a adressé à la société d'aménagement foncier et d'établissement rural d'Auvergne (la SAFER) les éléments concernant l'opération «pour notification du projet d'aliénation soumis au droit de préemption».
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 25 juin 2008, la SAFER a informé les acquéreurs qu'elle exerçait son droit de préemption afin de favoriser l'agrandissement et l'amélioration de la répartition parcellaire des exploitations existantes.
Par acte du 27 novembre 2008, les époux [F] ont assigné la SAFER devant le tribunal de grande instance du Puy en Velay aux fins de voir annuler la décision de préemption, au motif que s'agissant d'une parcelle pour partie boisée, le droit de préemption est, sauf exception, interdit.
La SAFER a demandé au tribunal de débouter les époux [F] de l'intégralité de leurs prétentions et de confirmer la validité du droit de préemption qu'elle a exercé.
Par jugement du 10 septembre 2010, le tribunal de grande instance du Puy en Velay a annulé la préemption exercée.
Le tribunal a retenu :
- que l'article L 143-4 6° a) du code rural permet la préemption de surface boisée "si ces dernières sont mises en vente avec d'autres parcelles non boisées dépendant de la même exploitation agricole (...)", quelle que soit, ajoute la jurisprudence invoquée, la proportion entre les deux.
- qu'en l'espèce il s'agissait de la vente d'une seule parcelle, qui de surcroît ne correspondait pas une exploitation agricole,
- que l'article L 143-4 6° c) du code rural permet la préemption de surface boisée "si elles ont fait l'objet d'une autorisation de défrichement ou si elles sont dispensées d'une déclaration de défrichement en application de l'article L 311-2 3° du code forestier", ce qui n'était pas le cas en l'espèce,
- qu'aucune autorisation de défrichement n'est alléguée et les dispositions de l'article L 311-2 3° du code forestier ont été abrogées.
La SAFER a relevé appel de ce jugement.
Par arrêt du 5 janvier 2012, la cour d'appel de Riom a réformé le jugement déféré et statuant de nouveau, a débouté les époux [F] de leur contestation du droit de préemption exercé par la SAFER.
Mais par un arrêt du 5 juin 2013, la Cour de cassation a cassé l'arrêt en toutes ses dispositions et renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon.
La Cour de cassation a jugé :
Sur le moyen unique :
Vu l'article L. 143-4 (6°) du code rural et de la pêche maritime, ensemble l'article L. 143-1 du même code ;
Attendu que ne peuvent faire l'objet d'un droit de préemption les acquisitions de surfaces boisées sauf si elles sont mises en vente avec d'autres parcelles non boisées dépendant de la même exploitation agricole, l'acquéreur ayant toutefois la faculté de conserver les parcelles boisées si le prix de celles-ci a fait l'objet d'une mention expresse dans la notification faite à la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural ou dans le cahier des charges de l'adjudication ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Riom, 5 janvier 2012), que M. [Z] a vendu à M. et Mme [F] une parcelle, pour partie boisée et pour partie en nature de prairie ; que, destinataire d'une notification de ce projet de vente, la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural d'Auvergne (la SAFER) a fait connaître sa décision de préempter ce bien ; que M. et Mme [F] ont demandé l'annulation de cette décision ;
Attendu que pour rejeter cette demande, l'arrêt retient qu'il n'est pas nécessaire, pour l'application des dispositions de l'article L. 143-4 du code rural et de la pêche maritime, que plusieurs parcelles soient mises en vente et que dans l'hypothèse de la vente d'une parcelle non intégralement boisée, la proportion de boisement est indifférente ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'une parcelle de nature mixte vendue isolément n'est susceptible d'être préemptée par la SAFER que si les surfaces à destination agricole sont prépondérantes, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
La SAFER demande à la cour d'appel de Lyon :
- de réformer la décision entreprise,
- de confirmer la validité de son droit de préemption exercé suivant lettre recommandée avec accusé de réception en date du 25 juin 2008,
- condamner solidairement M. et Mme [F] à lui payer une somme de 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens qui comprendront notamment le coût du procès verbal de constat de Me [U] en date du 24 novembre 2008.
Elle soutient à titre principal :
- qu'en application des dispositions de l'article L 412-8 du code rural, auquel il est renvoyé par l'article L 143-8, la notification adressée à la SAFER "...vaut offre de vente aux prix et conditions qui y sont contenus... ",
- que la notification qui lui a été faite a rendu la vente parfaite dès lors qu'elle a été acceptée,
- que le droit de préemption est institué "en cas d'aliénation à titre onéreux de terrains à vocation (et non pas à usage) agricole",
- qu'il est démontré au regard des constats d'huissiers que la parcelle d'une superficie de 1ha 36a 25ca est composée :
- de terrain effectivement agricole à concurrence de 40 ares environ (soit 29 %),
- de terrain à vocation agricole à concurrence de 50 ares environ (soit 37 %),
- de terrain boisé à concurrence de 50 ares environ (soit 37 % uniquement...),
- que la parcelle est ainsi majoritairement un terrain "....à utilisation agricole... "ou "...à vocation agricole... " au sens des dispositions de l'article L 143-1 du code Rural et de la Pêche Maritime, de telle sorte qu'elle était en mesure d'exercer son droit de préemption.
M. et Mme [F] demandent à la cour :
- de confirmer le jugement du tribunal de grande instance du Puy en Velay du 10 Septembre 2010,
y ajoutant,
- de condamner la SAFER au paiement d'une somme de 5000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner la SAFER au paiement des entiers dépens.
Ils soutiennent que :
- que la notification à la SAFER d'un projet de vente n'interdit nullement de contester la décision de préemption devant le juge compétent,en raison de la méconnaissance du champ d'intervention de la SAFER,
- que les constatations de Me [H], huissier de Justice et de l'expert forestier M. [M] consulté par eux, établissent que, conformément au critère dégagé par l'arrêt de la Cour de Cassation du 5 Juin 2013, "les surfaces à destination agricole sont prépondérantes".
MOTIFS
Sur la recevabilité de l'action des époux [F]
Aux termes de l'article L. 143-3 du code rural et de la pêche maritime, "À peine de nullité, la société d'aménagement foncier et d'établissement rural, doit justifier sa décision de préemption par référence explicite et motivée à l'un ou à plusieurs des objectifs (...) et la porter à la connaissance des intéressés. Elle doit également motiver et publier la décision de rétrocession (...)"
Il appartient donc à la SAFER de déterminer si le bien mis en vente est soumis à son droit de préemption, sous le contrôle du juge compétent en cas de contestation.
La qualification erronée donnée par les parties à la vente est indifférente et celles-ci peuvent toujours agir en nullité de la préemption réalisée par la SAFER portant sur un bien en réalité non soumis à préemption, et qui ne saurait de ce fait répondre à aucun des objectifs légaux assignés.
En conséquence, l'action des époux [F] est recevable.
Sur la soumission de la parcelle litigieuse au droit de préemption de la SAFER
Le droit de préemption s'applique aux immeubles non bâtis utilisés pour des activités agricoles ou ayant vocation à l'être ( code rural et de la pêche maritime, art. L. 143-1).
S'agissant en l'espèce d'une parcelle de nature mixte vendue isolément, elle n'est susceptible d'être préemptée par la SAFER que si les surfaces à destination agricole sont prépondérantes.
Les époux [F] produisent un procès-verbal de constat d'huissier de justice, dressé par Me [H].
Aux termes de ce rapport il est mentionné que le couvert total de la surface boisée atteint 6 045 m2.
Il en résulte que la surface non boisée de la parcelle est de 13 625 m2 - 6045 m2 = 7580 m2.
La SAFER produit quant à elle, un constat d'huissier de justice en date du 24 novembre 2008 dressé par Me [U], huissier de justice, dont il résulte que la parcelle est mixte, qu'elle comprend un pré d'une surface de 4 000m2 et que le reste de la parcelle est composé pour moitié de landes ( plantes, buissons, fougères) et pour une autre moitié de bois. L'huissier indique que les parcelles entourant la parcelle litigieuse sont cultivées.
Les constatations des huissiers de justice ne sont pas en contradiction avec le rapport de M. [M], qui fait apparaître une surface de 5253 m2 de boisement adulte, le reste étant constitué de surfaces de pré ou de trouées colonisées par une « régénération naturelle forestière».
Il résulte de ces éléments que la surface non boisée est prépondérante, qu'elle a une destination agricole ou une vocation agricole, après nettoyage pour une partie, eu égard à l'existence d'un pré exploité par un agriculteur riverain d'une surface de 4 000 m2 et de la présence de terres agricoles entourant la parcelle.
En conséquence, la parcelle était bien soumise au droit de préemption de la SAFER.
Le jugement sera donc infirmé.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Il convient de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Infirmant le jugement déféré et statuant de nouveau,
- Déclare valable la préemption exercée par la SAFER d'Auvergne suivant lettre recommandée avec accusé de réception en date du 25 juin 2008, portant sur la parcelle de terrain d'une superficie 1ha 36a 25 ca sise sur la commune de [Localité 5], appartenant à M. [O] [Z] et Mme [N] [I] épouse [Z],
- Condamne solidairement M. [L] [F] et Mme [P] [Y] épouse [F] à payer à la SAFER d'Auvergne une somme de 1.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamne solidairement M. [L] [F] et Mme [P] [Y] épouse [F] aux entiers dépens de première instance qui comprendront notamment le coût du procès verbal de constat de Me [U] en date du 24 novembre 2008, ainsi qu'aux dépens d'appel, y compris ceux afférents à l'arrêt cassé.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT