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29/10/2013 | FRANCE | N°12/02217

France | France, Cour d'appel de Lyon, 1ère chambre civile b, 29 octobre 2013, 12/02217


R.G : 12/02217









Décisions :

- du Tribunal de Grande Instance de MONTLUCON

du 30 octobre 2009

- de la cour d'appel de RIOM en date du 24 novembre 2010

- de la Cour de Cassation en date du 15 décembre 2011









SARL FRIGELAY



C/



[Y]

SA AXA FRANCE IARD





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



1ère chambre civile B



ARRET DU 29 Octobre 2013

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APPELANTE :



SARL FRIGELAIT

[Adresse 3]

[Localité 2]



représentée par la SCP AGUIRAUD NOUVELLET, avocat au barreau de LYON

assistée par Me SOUTHON, avocat au barreau de MONTLUCON









INTIMES :



M. [C] [Y]

né le [Date nais...

R.G : 12/02217

Décisions :

- du Tribunal de Grande Instance de MONTLUCON

du 30 octobre 2009

- de la cour d'appel de RIOM en date du 24 novembre 2010

- de la Cour de Cassation en date du 15 décembre 2011

SARL FRIGELAY

C/

[Y]

SA AXA FRANCE IARD

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

1ère chambre civile B

ARRET DU 29 Octobre 2013

APPELANTE :

SARL FRIGELAIT

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par la SCP AGUIRAUD NOUVELLET, avocat au barreau de LYON

assistée par Me SOUTHON, avocat au barreau de MONTLUCON

INTIMES :

M. [C] [Y]

né le [Date naissance 1] 1947 à [Localité 5] (25)

[Adresse 1]

[Localité 1]

représenté par la SCP M A MAURICE-M RIVAT ET F VACHERON, avocat au barreau de LYON

SA AXA FRANCE IARD

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par la SCP M A MAURICE-M RIVAT ET F VACHERON, avocat au barreau de LYON

******

Date de clôture de l'instruction : 16 Mai 2013

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 24 Septembre 2013

Date de mise à disposition : 29 Octobre 2013

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Jean-Jacques BAIZET, président

- Michel FICAGNA, conseiller

- Stéphanie JOSCHT, vice-présidente

assistés pendant les débats de Frédérique JANKOV, greffier

A l'audience, Stéphanie JOSCHT a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Jean-Jacques BAIZET, président, et par Frédérique JANKOV, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

****

M. [P], gérant et principal porteur de parts de la société Frigélait, ayant pour objet la conception et la fabrication de matériel agro-alimentaire, a été victime le 3 octobre 1996 d'un accident de la circulation ayant impliqué le véhicule conduit par M. [Y], assuré auprès de la société Axa France IARD.

M. [P] a été indemnisé de ses préjudices corporel et financier, en ce compris la perte de valeur de ses parts sociales.

La société Frigélait a fait assigner M. [Y] et la société Axa France IARD devant le tribunal de grande instance de Montluçon qui, par décision du 30 octobre 2009, a condamné ces derniers in solidum à payer à cette société la somme de 39 462 euros en réparation du préjudice résultant de la perte de chance de réaliser les ventes de ses produits et d'assurer son développement tant au titre du produit PRT que de la station de lavage LAVKE ou autres produits et l'a déboutée du surplus de ses demandes.

Il a été interjeté appel de ce jugement.

Par arrêt du 24 novembre 2010, la cour d'appel de Riom a infirmé le jugement et a débouté la société Frigélait de l'ensemble de ses demandes.

La société Frigélait s'est pourvue en cassation.

Par arrêt du 15 décembre 2011, la cour de cassation a cassé l'arrêt rendu le 24 novembre 2010 par la cour d'appel de Riom en toutes ses dispositions, remis les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Lyon.

La Cour de cassation, visant les articles 1382 et 1383 du code civil, ensemble l'article 6 de la loi du 5 juillet 1985 et le principe de la réparation intégrale, a retenu d'une part, que la société et son associé principal constituant des personnes juridiques différentes, le préjudice personnel de ce dernier ne pouvait être pris en compte pour apprécier le préjudice propre de la personne morale et d'autre part, que la cour n'avait pas recherché, comme il était invitée, si l'accident avait fait perdre à la société une éventualité favorable, spécifique et distincte de la perte de marge brute sur les produits déjà commercialisés.

La société Frigélait a saisi la cour à laquelle elle demande, aux termes de ses conclusions, de :

- réformer le jugement du tribunal de grande instance de Montluçon du 30 octobre 2009,

- condamner in solidum M. [Y] et la société Axa France IARD à lui payer la somme de 2 689 235 euros en réparation de son préjudice résultant de la perte de chance de réaliser les ventes de ses produits et d'assurer son développement tant au titre du produit PRT que de la station de lavage LAVKE et des autres produits qu'elle commercialise,

- débouter les intimés de toutes demandes plus amples ou contraires, sauf à constater, qu'à titre subsidiaire, ils évaluent son préjudice résultant de la perte de résultat sur la vente du produit PRT à la somme de 56 886 euros et, à titre infiniment subsidiaire, de les condamner a minima au paiement de cette somme ainsi qu'à celle de 20 000 euros au titre de la perte de résultat sur la vente de la station de lavage LAVKE,

- condamner in solidum M. [Y] et la société Axa France IARD à lui payer et porter la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Frigélait fait valoir qu'elle a été victime d'un préjudice économique par ricochet. Elle explique que du fait de l'indisponibilité temporaire de son gérant, dont l'état n'a été consolidé que six ans après les faits, elle a subi une baisse d'activité qui s'est traduite par un manque à gagner, indemnisable à tout le moins au titre d'une perte de chance, et a été confrontée à l'impossibilité de développer son activité dans la continuité des exercices antérieurs à l'accident et de l'augmenter en la diversifiant grâce en particulier à la station de lavage LAVKE. Elle évalue la perte de marge sur les seules ventes de PRT pour les exercices 1997 à 2002 à 1 689 235 euros et la perte de chance afférente au développement des ventes complémentaires, et notamment de sa station de lavage, à 1 000 000 euros.

M. [Y] et la société Axa France IARD concluent à la réformation du jugement du 30 octobre 2009 et au rejet de l'intégralité des demandes formées par la société Frigélait.

Ils indiquent que M. [P], qui a été indemnisé de la perte de valeur de ses parts sociales, a toujours entendu confondre son intérêt personnel et celui de la société. Ils font valoir qu'à compter du mois d'avril 1998 au plus tard, M. [P] avait pleinement repris son activité professionnelle, la date de consolidation étant à cet égard indifférente, et qu'il n'existe dès lors pas de corrélation entre l'état de santé de M. [P] et la santé financière de son entreprise entre 1998 et 2002. Ils en déduisent que la preuve d'une baisse de marge brute sur la vente du PRT en lien direct et certain avec l'accident subi par M. [P] n'est pas rapportée et que ne l'est pas davantage celle de l'existence d'une perte de chance afférente au développement de ventes complémentaires, portant notamment sur la station de lavage LAVKE.

A titre subsidiaire, ils considèrent que le préjudice propre de la société Frigelait en lien direct avec l'accident subi par son gérant ne saurait être supérieur à la somme de 56 886 euros.

En toute hypothèse, ils sollicitent la condamnation de la société Frigelait à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS

Attendu que la société Frigélait qui a pour objet la conception, la fabrication, la commercialisation et l'installation de matériel agro-alimentaire, a été créée en 1988 par M. [P], gérant et détenteur de près de 90 % du capital ; que cette société a notamment invente un système de pré-refroidissement du lait dénommé PRT qui a été breveté;

Attendu qu'à la date à laquelle M. [P] a été victime de l'accident litigieux, soit le 3 octobre 1996, la société Frigélait employait un technicien salarié chargé de la fabrication et de l'installation dans les exploitations laitières du système PRT ; que M. [P] s'occupait quant à lui de la partie administrative, commerciale et technique et donc de la création et du développement des produits ; que la commercialisation se faisait en France mais également à l'étranger ;

Attendu qu'il résulte du rapport d'expertise comptable de M. [J] que le chiffre d'affaires de la société Frigélait qui progressait régulièrement dans les années précédant l'accident a nettement chuté au terme de l'exercice, clos en mars 1997, au cours duquel celui-ci est survenu ; que la société n'a retrouvé un niveau d'activité équivalent à celui qui était le sien en 1996 qu'au cours de l'exercice clos en juin 2003 ;

Attendu que la société Frigélait, dont le préjudice économique ne se confond pas avec celui de son gérant, est fondée à en solliciter l'indemnisation ; que les pertes qu'elle a enregistrées pour les exercices clos en 1997 et en 1998 peuvent de manière certaine être attribuées à l'interruption temporaire d'activité de M. [P], qui représentait à lui seul 50 % de l'effectif de la société et accomplissait tout le travail de prospection ; qu'il en va en revanche différemment pour la période postérieure ;

Qu'en effet, il résulte du rapport d'expertise médicale du docteur [V] que M. [P], s'il a été gravement blessé et a subi une incapacité temporaire totale de travail du 3 octobre 1996 au 7 novembre 1996, soit pendant un peu plus d'un mois, a ensuite repris son activité professionnelle ; qu'il n'est à aucun moment fait état dans l'expertise d'un arrêt de travail jusqu'au mois de juillet 1998 ; que cette reprise s'est faite de manière progressive, d'abord dans des fonctions administratives puis commerciales, M. [P] étant aidé en cela par des tiers qui le conduisaient auprès de ses clients ; que les frais de déplacement ont néanmoins retrouvé le même niveau qu'avant l'accident au mois de mars 1998 ; qu'il sera encore relevé que dans un entretien accordé à la presse en avril 1999, M. [P] évoquait l'année de travail qu'il avait perdue avant de s'expliquer sur la poursuite d'activité de sa société et le développement de nouveaux produits ; qu'il apparaît ainsi que M. [P] avait retrouvé sa capacité professionnelle bien avant que la consolidation médico-légale, notion indépendante, ne soit acquise ;

Que par ailleurs, l'estimation de la perte de marge sur les ventes de PRT, sur laquelle la société Frigélait fonde sa réclamation à hauteur de 1 689 235 euros, l'a été en retenant un taux constant de progression sans qu'il soit tenu compte d'évènements extérieurs, et notamment des aléas liés à la conjoncture économique ; que l'argument selon lequel la société JLC développement qui a repris l'activité de la société Frigélait a, en 2011, vu son chiffre d'affaires pratiquement doubler en un exercice grâce à la vente du PRT n'est pas pertinent, la période n'étant pas la même et ces résultats s'expliquant non seulement par le développement du PRT dans le cadre de programmes d'aides mais également par l'élargissement de la gamme des produits proposés par cette société ;

Attendu qu'il convient en conséquence d'évaluer la perte financière subie par la société Frigélait sur les ventes du produit PRT par adoption de la méthode de calcul proposée par M. [Y] et la société Axa France IARD qui la limitent à juste titre à deux exercices et se référent à la perte de marge brute globale de l'entreprise évaluée par M. [J], expert, à 130 000 euros par an ; qu'après déduction des marges brutes effectivement dégagées (83 109 et 77 005 euros) et des économies réalisées au titre des charges externes (21 000 et 22 000 euros), le préjudice de la société Frigélait s'élève à 56 886 euros ; que le jugement sera infirmé sur ce point ;

Attendu que la société Frigélait se prévaut d'un préjudice distinct du précédent consistant en la perte de chance de développer ses ventes d'autres produits, et notamment celles du LAVKE, station de lavage des quais de traite ; qu'elle explique avoir présenté ce système, qu'elle qualifie d'innovant, lors d'un salon agricole qui s'est tenu à [Localité 4] en septembre 1996 mais qu'elle n'a pu, en raison de l'indisponibilité physique de son gérant, le protéger de sorte qu'il a rapidement été copié ; que cependant, la société Frigélait ne rapporte pas la preuve de ce qu'elle avance ; que l'abondante documentation produite se rapporte essentiellement au PRT et la pièce concernant le LAKVE n'est pas précisément datée étant observé que lors de l'entretien précité du mois d'avril 1999, M. [P] expliquait que le système de lavage des quais de traite était proposé par la société depuis un an ;

Qu'il doit cependant être admis que l'acquisition en 1995 par la société Frigélait de nouveaux locaux témoignait d'une volonté d'agrandissement et de développement, objectif en conformité avec son activité et son chiffre d'affaires croissants ; que l'arrêt puis la reprise progressive d'activité de son gérant, qui seul assurait la conception et la promotion des produits, lesquels ne se limitaient pas au seul PRT, a temporairement mis un frein à cette politique de développement entraînant à ce titre une perte de chance pour la société qui ne saurait toutefois, au regard de ce qui précède, donner lieu à une indemnisation supérieure à 20 000 euros, ainsi que l'a exactement chiffrée le tribunal ;

Attendu qu'il convient en conséquence de condamner M. [Y] et son assureur, la société Axa France IARD, à payer à la société Frigélait la somme totale de 76 886 euros en réparation du préjudice financier subi par celle-ci ;

Attendu que M. [Y] et la société Axa France IARD seront également à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement,

Statuant à nouveau,

Condamne in solidum M. [Y] et la société Axa France IARD à payer à la société Frigélait la somme totale de 76 886 euros en réparation de son préjudice,

Condamne in solidum M. [Y] et la société Axa France IARD à payer à la société Frigélait la somme totale de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de M. [Y] et de la société Axa France IARD,

Condamne in solidum M. [Y] et la société Axa France IARD aux dépens de premières instance et d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Aguiraud-Nouvellet.

Le greffierLe président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre civile b
Numéro d'arrêt : 12/02217
Date de la décision : 29/10/2013

Références :

Cour d'appel de Lyon 1B, arrêt n°12/02217 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-10-29;12.02217 ?
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