R.G : 12/01770
Décision du tribunal de grande instance de Saint-Etienne
Au fond du 25 janvier 2012
1ère chambre civile
RG : 10/03001
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 14 Mai 2013
APPELANT :
[Q]-[C] [B]
né le [Date naissance 2] 1947 à [Localité 4] (PUY-DE-DOME)
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par la SELARL MANTE SAROLI & COULOMBEAU, avocats au barreau de LYON
assisté de Maître Denis REBOUL-SALZE, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
INTIME :
[S] [K]
né le [Date naissance 1] 1949 à [Localité 3] (HAUTE LOIRE)
[Adresse 2]
[Localité 1]
représenté par Maître Antoine GUERINOT, avocat au barreau de LYON
assisté de la SCP GIROUD STAUFFERT-GIROUD, avocats au barreau de GRENOBLE
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Date de clôture de l'instruction : 22 Janvier 2013
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 02 Avril 2013
Date de mise à disposition : 14 Mai 2013
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Jean-Jacques BAIZET, président
- Marie-Pierre GUIGUE, conseiller
- Michel FICAGNA, conseiller
assistés pendant les débats de Frédérique JANKOV, greffier
A l'audience, Marie-Pierre GUIGUE a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Jean-Jacques BAIZET, président, et par Frédérique JANKOV, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur [S] [K], qui avait démissionné de son emploi le 30 octobre 2000, a demandé à Maître [Q] [C] [B], avocat au barreau de Clermont-Ferrand de l'assister dans une procédure prud'homale contre son ancien employeur la société STA.
Le conseil de prud'hommes de Clermont-Ferrand a été saisi le 17 mars 2005 et l'audience de conciliation a été fixée au 11 avril 2005.
En l'absence de conciliation, l'affaire a été renvoyée au bureau de jugement à l'audience du 3 octobre 2005, Monsieur [S] [K] devant adresser pièces et conclusions avant le 31 mai 2005.
Après renvois, l'affaire a été radiée pour défaut de diligences du demandeur par décision du 29 mai 2006.
Le 29 mai 2008, Maître [B] a déposé des conclusions pour demander la réinscription de l'affaire au rôle.
Par décision rendue le 27 avril 2009, le conseil de prud'hommes a déclaré irrecevable la demande de Monsieur [S] [K] pour péremption d'instance, estimant que le délai de deux ans commençait à courir à compter de la date du 31 mai 2005 prévue par la décision du bureau de conciliation pour la communication des conclusions et pièces du demandeur et qu'aucun acte interruptif n'avait été constaté avant le dépôt de conclusions le 29 mai 2008.
Monsieur [S] [K] n'a pas interjeté appel du jugement.
Le 8 octobre 2009, Monsieur [S] [K] a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats de Clermont-Ferrand aux fins de déclaration de sinistre.
Invoquant les manquements de l'avocat, Monsieur [S] [K] a assigné Monsieur [C] [B] devant le tribunal de grande instance de Saint-Etienne par acte du 14 septembre 2010 remis à personne pour obtenir l'indemnisation de son préjudice chiffré à la somme de 49 613 euros correspondant au montant de primes d'intéressement et de l'indemnité compensatrice de congés payés auxquelles il pouvait selon lui prétendre auprès de son employeur.
Par jugement réputé contradictoire du 25 janvier 2012, le tribunal de grande instance de Saint-Etienne a condamné Monsieur [B] à payer à Monsieur [S] [K] la somme de 13 740 euros à titre de dommages et intérêts outre la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal a retenu que Monsieur [C] [B] avait commis une faute engageant sa responsabilité contractuelle à l'égard de son client en s'abstenant de communiquer des conclusions et des pièces au défendeur dans le délai imparti par le bureau de conciliation, abstention ayant conduit à la radiation de l'affaire puis à la constatation de la péremption, cette faute ayant entraîné le préjudice consistant en une perte de chance de percevoir les primes d'intéressement représentant 30 % des sommes demandées devant le conseil de prud'hommes.
Monsieur [C] [B] a interjeté appel aux fins de réformation du jugement. Il conclut au débouté des demandes de Monsieur [S] [K] et sollicite paiement d'une indemnité de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Monsieur [C] [B] soutient :
- que le jugement entrepris a retenu à tort qu'était justifiée la décision de péremption d'instance puisque Monsieur [S] [K] reconnaissait lui-même que l'avocat avait bien déposé des conclusions dans le délai de deux ans de la décision lui enjoignant de déposer des conclusions de sorte qu'aucun manquement aux obligations de dévouement et de diligences de l'avocat n'était caractérisé,
- que le jugement entrepris a rejeté à bon droit la prétention de Monsieur [S] [K] concernant le manquement à l'obligation de conseil d'interjeter appel dès lors que Monsieur [S] [K] seul destinataire de la notification du jugement pouvait interjeter appel par déclaration adressée au greffe, n'avait pas donné mandat à son conseil d'interjeter appel et devant le silence de ce dernier tel qu'il l'invoque, se devait de prendre des initiatives en consultant au besoin un autre conseil,
- que si l'avocat a une responsabilité directe dans la radiation de l'affaire, cette responsabilité ne peut être ipso facto traduite en faute puisque de multiples raisons ont pu justifier le retard dans la rédaction des conclusions et que Monsieur [S] [K] a écrit qu'il renouvelait sa confiance à son avocat,
- que l'action prud'homale de Monsieur [S] [K] contre son employeur s'explique par le besoin de compenser la condamnation prononcée à son encontre par le tribunal correctionnel par jugement du 24 janvier 2005 pour escroquerie au moyen de détournements et encaissement de chèques au détriment de son ancien employeur avec versement d'une indemnité de 22 085,99 euros,
- que Monsieur [S] [K] ne justifie pas d'une perte de chance réelle et sérieuse de gagner son procès alors que réclamant un intéressement de 10% sur les ventes réalisées par trimestre en valeur brute au delà de 50 000 francs mensuel, il n'a communiqué aucune pièce comptable sérieuse ni détail des calculs effectués pour établir son chiffre d'affaires,
- que la société STA a déposé des conclusions de péremption, subsidiairement de débouté de ses demandes au motif que Monsieur [S] [K] s'attribuait des chiffres d'affaires imputés aux commerciaux de son équipe et répartis entre eux sur la base de la validation mensuelle signée par lui en qualité de responsable et s'attribuait en outre des affaires apportées par le directeur de la société outre le client France TELECOM avec lequel les relations commerciales avaient débuté avant l'embauche de Monsieur [S] [K],
- que les chiffres présentés par Monsieur [S] [K] sont erronés en ce qui concerne les prix d'achat HT,
- que les conditions d'attribution des commissions n'étaient pas remplies selon les pièces produites par l'employeur de sorte que si par impossible la cour devait retenir un solde de commissions, celui-ci serait chiffré à 217,69 euros devant se compenser avec l'indemnité due par Monsieur [S] [K] au profit de la société STA au titre de la condamnation prononcée par le tribunal correctionnel de sorte que son préjudice est inexistant,
- que le jugement entrepris a à juste titre rejeté la demande relative aux indemnités de congés payés puisque la société STA cotise à la Caisse de congés payés du bâtiment et des travaux publics laquelle a procédé au règlement des congés de Monsieur [S] [K],
- que la recevabilité de sa demande était elle-même contestable puisque le rappel de prime d'intéressement non atteint par la prescription quinquennale allait du 18 mars 2000 au 30 octobre 2000, période pendant laquelle le droit à commission n'est pas justifié puisque le chiffre d'affaires réalisé par Monsieur [S] [K] est à trois reprises seulement supérieur au chiffre de 50 000 francs mensuels.
Monsieur [S] [K] forme appel incident et sollicite condamnation de Monsieur [S] [K] au paiement de la somme de 49 613 euros outre intérêts au taux légal à compter du 30 octobre 2000, date de la rupture du contrat de travail ainsi que de la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il réplique :
- que Monsieur [C] [B] a manqué de diligences en s'abstenant de conclure ce qui a conduit à la radiation de l'affaire, en ne sollicitant la réinscription au rôle que le 29 mai 2008 malgré les lettres de rappel de son client puis en concluant tardivement le 9 février 2009 pour contester la péremption opposée par l'adversaire alors qu'il disposait des éléments de son client depuis décembre 2008,
- que Monsieur [C] [B] était tenu de mener sa mission à son terme, et ainsi de l'informer sur les délais d'appel et de conseiller son client sur l'opportunité ou non d'un recours, d'autant plus que la décision procédait d'une erreur de droit sur le point de départ de la péremption alors qu'à réception du jugement, il s'était inquiété auprès de l'avocat de ses intentions dans le dossier au vu des sommes en jeu,
- qu'à défaut de faire connaître à son client qu'il n'entendait plus intervenir, Monsieur [C] [B] a engagé sa responsabilité,
- que Monsieur [C] [B] n'a aucun moyen d'affirmer que la société STA détiendrait une créance à son encontre qui n'est pas l'objet du litige,
- que le préjudice est caractérisé sans aléa par la perte de son droit à prime d'intéressement lesquelles devaient se calculer sur les ventes et non sur ses ventes personnelles puisqu'il exerçait les fonctions de responsable des ventes/ingénieur commercial, au delà d'un montant de vente de 50 000 francs mensuel sous réserve d'une marge brute garantissant un taux horaire de 160 francs et une marge sur matériel d'au moins 4 avec versement après encaissement des ventes,
- que le coefficient 4 est obtenu en divisant le prix de vente HT du matériel par le prix d'achat HT et qu'il n'avait aucune maîtrise sur le prix de vente horaire facturé par le service électricité de la société STA sans contrôle de sa part, le forfait étant toujours dépassé,
- que le montant des primes d'intéressement est calculé selon le récapitulatif des clients versés au débat par Monsieur [C] [B] lui-même à l'occasion de la procédure alors que l'avocat produit une liste établie par la société STA ayant fait disparaître volontairement des clients pour minimiser le chiffre d'affaires,
- que les chiffres avancés à l'appui de sa demande sont exacts puisque le grand livre de la société STA fait apparaître un chiffre d'affaires de 1998 à 2000 de 433 306,71 euros HT de sorte qu'il pouvait prétendre à un intéressement de 45 800 euros outre l'indemnité compensatrice de congés payés sur ces commissions à hauteur de 3 813 euros soit un total de 49 613 euros,
- qu'à supposer la prescription admise par la cour, la période non prescrite va du 17 décembre 1999 au 30 octobre 2000, date de sa démission car les commissions étaient versées à trimestre échu selon le contrat de travail et non du 18 mars 2000 comme soutenu par l'appelant.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il ressort des pièces produites, en particulier du jugement du conseil de prud'hommes de radiation en date du 29 mai 2006, du courrier de Monsieur [B] dont l'avocat a accusé réception le 9 mai 2005 que Maître [K] n'a pas déposé conclusions et pièces jointes au courrier dans le cadre de la procédure prud'homale.
La décision de radiation est ainsi le fruit de l'inaction de l'avocat.
Le jugement du 29 mai 2006 avait précisé que la réinscription de l'affaire était subordonnée à la justification de l'accomplissement des diligences qui avait été prescrites par le bureau de conciliation dans un délai allant jusqu'au 31 mai 2005.
Il appartenait en conséquence à Maître [B] de veiller à réenrôler l'affaire dans le délai impératif de deux ans prescrit par les dispositions de l'article 386 du code de procédure civile, dont le point de départ devait être à défaut de date impartie pour la réalisation des diligences, la date de la notification de la décision.
Il résulte du jugement du 27 avril 2009 constatant la péremption d'instance que Maître [B] a conclu le 29 mai 2008 pour solliciter la réinscription de l'affaire au rôle du conseil de prud'hommes. Le cachet du conseil de prud'hommes apposé sur les conclusions en atteste. Il a donc satisfait à son obligation de diligence bien qu'ayant agi en toute fin du délai.
Ce jugement a retenu que le délai de péremption commençait à courir à compte du 31 mai 2005, date prescrite par le bureau de conciliation lors de l'audience du 11 avril 2005.
Or, il résulte de l'article R.1452-8 du code du code du travail que l'instance n'est périmée que lorsque les parties s'abstiennent d'accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l' article 386 du code de procédure civile , les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction.
Un appel pouvait ainsi être soutenu en arguant de ce que le bulletin de renvoi à l'audience avec calendrier de procédure n'était pas une décision de la juridiction.
En suite de la notification qui lui était faite de la décision de péremption par le greffe du conseil de prud'hommes, Monsieur [K] a adressé à son avocat une lettre recommandée lui demandant de faire connaître sous 48 heures ses intentions sur ce dossier.
Face à cette situation et à cette mise en demeure, il appartient à Maître [B] d'établir qu'il avait informé son client, en temps utile pour lui permettre de sauvegarder ses intérêts, de son refus de poursuivre la procédure en cause d'appel.
Aucune réponse n'a été apportée par l'avocat qui ne peut se prévaloir du fait que Monsieur [K] aurait pu lui-même interjeter appel.
Ce manquement engage la responsabilité de Maître [B] dans le cadre du mandat d'assistance confié par Monsieur [K].
Pour obtenir réparation d'un préjudice, Monsieur [K] doit établir qu'il subit une perte de chance réelle et sérieuse de gagner son procès, non équivalente à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.
Monsieur [K], qui avait démissionné de son emploi le 30 octobre 2000, a intenté une action devant le conseil de prud'hommes le 17 mars 2005.
Il demandait paiement de commissions à hauteur de 45 800 euros calculées sur la base du taux de 10 % du chiffre d'affaires réalisés par son service sécurité de 1998 à 2000 figurant dans le grand livre de son employeur la société STA outre l'indemnité compensatrice de congés payés sur ces commissions à hauteur de 3 813 euros soit un total de 49 613 euros.
La société STA avait fait état devant le conseil de prud'hommes d'un chiffres d'affaires des ventes pour le secteur sécurité dirigé par Monsieur [K] de 435 518,89 euros, ce qui est conforme à l'évaluation revendiquée par Monsieur [K].
Sur la totalité de ce chiffre d'affaires, les pièces produites par l'intimé, qui sont les pièces fondant les conclusions de la société STA montraient qu'une partie du chiffre chiffré à 295 716, 50 euros d'affaires était réparti au profit des commerciaux du service ainsi qu'en faisait foi les bulletins de salaire versés au débat. Monsieur [K], qui validait les sommes versées aux commerciaux de son équipe en qualité de chef de service, n'apporte aucune explication convaincante sur ce point.
Surtout, son action en paiement de commissions et indemnité compensatrice de congés payés est soumise au délai de prescription de cinq ans de l'article L. 3245-1 du code du travail.
La saisine du conseil de prud'hommes est intervenue le 17 mars 2005 produisant son effet interruptif à compter de la réception de la lettre recommandée de convocation de l'employeur soit en l'espèce le 18 mars 2005.
Il en résulte que toutes les réclamations antérieures au 18 décembre 1999 pour tenir compte du paiement à terme échu des commissions sont prescrites avec effet libératoire extinctif pour l'employeur de Monsieur [K]. Seule la période du 18 décembre 1999 au 30 octobre 2000 pouvait ouvrir droit à rémunération.
Or, il ressort des pièces produites que les conditions du contrat du travail prévoyant le déclenchement du droit à commission, à savoir un montant de chiffre d'affaires supérieur à 50 000 francs mensuels, n'ont été atteintes qu'à quatre reprises pendant la période concernée.
Monsieur [K], qui avait été condamné par le tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand le 24 janvier 2005 à payer à son ancien employeur la société STA la somme de 22 085,99 euros de dommages et intérêts et n'avait réglé qu'une somme de 2 009,54 euros, pouvait donc légitimement se voir opposer par son employeur la compensation absorbant intégralement sa créance de rappel de commissions et indemnité compensatrice de congés payés pour la période non prescrite.
En conséquence, Monsieur [K] ne justifie pas d'un préjudice indemnisable au titre de la perte de chance et doit être débouté de sa demande contre Maître [B].
Le jugement entrepris sera infirmé.
L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Infirme le jugement entrepris,
Déboute Monsieur [K] de sa demande contre Monsieur [B],
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes des parties,
Condamne Monsieur [K] aux dépens de première instance et d'appel recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT