R.G : 11/08305
Décision du Tribunal de Grande Instance de LYON au fond du 16 novembre 2011
RG : 09/12072
S.A.R.L. VILLAS LESPINE
C/
S.A.R.L. FOCH ET ASSOCIES
SCP [N]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 26 Mars 2013
APPELANTE :
S.A.R.L. VILLAS LESPINE
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 4]
représentée par SCP AGUIRAUD-NOUVELLET, avocats au barreau de LYON, assistée de M BIGEARD, avocat au barreau de LYON,
INTIMEES :
Me [V], domicilié [Adresse 2] es-qualité de liquidateur judiciaire de la
SARL FOCH ET ASSOCIES
domiciliée [Adresse 1]
en vertu d'un jugement rendu par le tribunal de commerce de Lyon le 11/9/12
représenté par la SCP BAUFUME-SOURBE, avocats au barreau de LYON, assisté de Me Christophe NEYRET, avocat au barreau de LYON
SCP [Z]
Notaires associés d'un office notarial sis
[Adresse 9]
[Adresse 9]
[Localité 3]
représentée par la SCP TUDELA & ASSOCIES, avocats au barreau de LYON, assistée de M RINCK, avocat au barreau de LYON
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Date de clôture de l'instruction : 22 Janvier 2013
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 19 Février 2013
Date de mise à disposition : 26 Mars 2013
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Jean-Jacques BAIZET, président
- Marie-Pierre GUIGUE, conseiller
- Michel FICAGNA, conseiller
assistés pendant les débats de Frédérique JANKOV, greffier
A l'audience, Jean-Jacques BAIZET a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Jean-Jacques BAIZET, président, et par Frédérique JANKOV, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSE DE L'AFFAIRE
Par acte sous seing privé du 10 avril 2008, déposé en l'étude de la Scp [H], notaires, la société Foch et Associés, vendeur, et la société Villas Lépine, acquéreur, ont régularisé un compromis de vente d'un terrain à bâtir situé à Pollionnay au prix de 640.000 euros, sous plusieurs conditions suspensives, notamment l'obtention par l'acquéreur d'un prêt de 500.000 euros. La réitération par acte authentique devait intervenir au plus tard le 10 juillet 2008. Le transfert du permis de construire obtenu par la société Foch et Associés a été autorisé au profit de la société Villas Lespine par arrêté du 30 juin 2008.
La société Villas Lespine a refusé de réitérer la vente au motif que le compromis ne prévoyait pas l'existence d'une servitude et qu'une ligne EDF haute tension passait au milieu du terrain et que son déplacement présentait un coût élevé.
Par ordonnance du 02 octobre 2008, le juge des référés du tribunal de commerce a constaté la caducité du compromis, et ordonné à la société Villas Lespine de restituer le dossier de permis de construire, d'enlever à ses frais les panneaux de commercialisation fixée sur le terrain, et de remettre le terrain en l'état, sous peine d'astreinte.
Par acte du 07 novembre 2008, la société Foch et Associés a assigné la société Villas Lespine devant le tribunal de commerce de Lyon en indemnisation de son préjudice. La société Villas Lespine a assigné en garantie la Scp [H] pour manquement à son devoir de conseil.
Par jugement du 16 novembre 2011, le tribunal de grande instance statuant après une décision d'incompétence rendue par le tribunal de commerce de Lyon, a déclaré recevable la demande de la Société Foch et Associés, condamné la société Villas Lespine à payer à la société Foch et Associés la somme de 64.000 euros au titre de la clause pénale, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation et capitalisation de ceux-ci et à condamné la Scp [Y] à garantir la société Villas Lespine à hauteur de 20%.
Ont interjeté appel la société Villas Lespine et la Scp Christian Bernaud-Eric Quintana.
La société Villas Lespine conclut à l'irrecevabilité de l'action, la société Foch et Associés, qui n'est pas devenue propriétaire de la parcelle, étant dépourvue de qualité à agir.
Au fond, elle conclut au rejet des demandes dirigées contre elle. Elle soutient que le premier juge a statué ultra petita, dès lors que la société Foch et Associés n'avait pas sollicité le paiement de la clause pénale, mais des dommages intérêts, et que cette société a renoncé au bénéfice de la clause pénale pour solliciter des dommages intérêts dont elle n'a pas justifié. Elle fait valoir que l'existence de la servitude de passage au profit d'EDF lui a été sciemment cachée, le compromis prévoyant qu'il n'existe aucune servitude, alors que le précédent compromis conclu par la société Foch et Associés mentionnait la servitude existante. Elle souligne que la convention avec EDF ne lui a jamais été communiquée et qu'elle pensait, en toute bonne foi, lors de la signature du compromis, que les limites des parcelles s'arrêtaient avant la ligne EDF, leur bornage définitif n'ayant été réalisé qu'en juin 2008.
Elle considère que la société Foch et Associés ne justifie pas le préjudice exorbitant qu'elle réclame, qu'elle a reconnu ne pas avoir acquis le terrain appartenant aux époux [O], que le préjudice invoqué n'est qu'éventuel, et ne présente pas un caractère légitime compte tenu de l'attitude dolosive de la société Foch et Associés.
Elle sollicite la condamnation de cette dernière à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de dommages intérêts en remboursement des frais de publicité qu'elle a engagés inutilement.
Elle soutient que le notaire a gravement manqué à son obligation de conseil en cachant une partie des caractéristiques particulières qu'il ne pouvait ignorer, puisqu'il était le rédacteur du précédent compromis mentionnant la servitude. Elle sollicite la condamnation de la Scp Bernaud-Quintana à la garantir de l'intégralité des condamnations qui pourraient être mises à sa charge.
Maître [V], liquidateur judiciaire de la société Foch et Associés, sollicite la condamnation de la société Villas Lespine à lui payer la somme de 233.944 euros, subsidiairement la confirmation du jugement.
Il soutient que la société Villas Lespine a qualité à agir, puisqu'en vertu des deux compromis signés, elle disposait des droits nécessaires pour procéder à la vente du terrain.
Elle fait valoir que la société Villas Lespine ne peut sérieusement soutenir qu'elle n'était pas informée de la présence d'une ligne EDF passant au milieu du terrain avant la signature du compromis pour tenter de justifier son refus de réitérer la vente, dès lors que :
- professionnel de l'immobilier, elle a visité le terrain à plusieurs reprises avant le 10 avril 2008,
- par courrier du 19 mars 2008, elle a attesté de sa volonté de se porter acquéreur du terrain sur lequel a été obtenu le permis de construire,
- que dès le lendemain, elle a procédé à l'affichage réglementaire du permis sur le terrain,
- que le dossier de permis de construire et les frais mentionnent la présence de la ligne EDF,
- que le panneau d'affichage du permis de construire a été implanté à proximité immédiate de cette ligne,
- que le plan topographique dressé par un géomètre expert, visé par le compromis et annexé à celui-ci, est signé par le gérant de la société Villas Lespine,
- que cette dernière n'a excipé de la difficulté que dans sa lettre du 22 juillet 2008 par laquelle elle a indiqué refuser de réitérer la vente, alors qu'auparavant elle avait sollicite le transfert du permis de construire à son profit et commencé la commercialisation des terrains.
Elle considère qu'elle a subi un préjudice commercial indiscutable, puisque, si la société Villas Lespine, comme elle s'y était engagée, avait régularisé la vente, elle aurait perçu la somme de 233.944 euros résultant de la différence entre le prix d'acquisition du terrain s'élevant à 406.056 euros HT et le prix de revente du terrain prêt à bâtir pour 640.000 euros HT, en tenant compte des frais exposés pour l'obtention du permis de construire, et des différentes autorisations administratives, ainsi que des plans de géomètre.
Elle sollicite enfin la capitalisation des intérêts.
La Scp Christian Bernaud-Eric Quintana conclut à la réformation du jugement. Elle fait valoir que la société Foch et Associés n'est jamais devenue propriétaire du terrain litigieux, que son préjudice n'apparaît ni certain, ni actuel, et qu'il est en toute hypothèse dénué de lien de causalité avec le grief allégué, puisque rien ne l'aurait empêchée de revendre le terrain si elle en était devenue propriétaire.
Elle rappelle que le compromis ne résulte pas d'une négociation du notaire et que ce dernier ne saurait être responsable des discussions menées entre elles ayant abouti à l'accord qu'elles ont entendu transcrire dans le compromis, acte sous seing privé. Elle soutient qu'à l'inverse du notaire, la société Villas Lespine a visité le bien immobilier à plusieurs reprises et ne pouvait ignorer l'existence de la ligne à haute tension. Elle précise que la lettre de cette société du 22 juillet 2008 démontre que la véritable motivation de son refus de réitérer la vente n'a pas été l'existence de la ligne EDF, mais le coût d'enterrement de la ligne, dont elle voulait faire partager les frais à son vendeur.
MOTIFS
Attendu que la société Foch et Associés, qui avait conclu un compromis de vente avec les propriétaires du terrain, disposait des droits lui permettant de procéder à la vente du terrain à la société Villas Lespine ; qu'elle dispose de la qualité à agir pour solliciter réparation du préjudice découlant de l'absence de réitération de la vente avec la société Villas Lespine;
que son action est dès lors recevable ;
Attendu que si le compromis régularisé entre les parties ne fait pas mention d'une servitude relative au passage d'une ligne haute tension EDF, il comporte, en annexe, une copie, visée par les parties, d'un plan topographique établi par un géomètre expert, mentionnant clairement la présence d'une ligne EDF sur le terrain vendu ;
Attendu qu'il résulte de ce plan que des bornes délimitant les limites de la parcelle ont été placées le 26 février 2008, plusieurs semaines avant la signature du compromis ; que la délimitation du terrain vendu est indiquée sans ambiguïté sur ce plan ;
Attendu que le compromis fait apparaître que le jour même, le dossier complet du permis de construire a été remis à la société Villas Lespine ; que ce dossier comportait un plan sur lequel figure la ligne haute tension ;
Attendu que la société Villas Lespine, professionnel de l'immobilier, qui a visité le terrain avant la signature du compromis et qui disposait du plan comportant les mentions rappelées précédemment, a constaté la présence de la ligne EDF sur le terrain ; qu''elle n'a pu se méprendre sur son implantation, puisque celle-ci est éloignée des limites de la parcelle; qu'elle ne peut sérieusement soutenir qu'elle pensait en toute bonne foi, que les limites des parcelles s'arrêtaient avant la ligne EDF ; que par courrier du 19 mars 2008, elle a attesté de sa volonté de se porter acquéreur du terrain ; que dès le 20 mars 2008, c'est-à-dire avant la signature du compromis, elle a fait afficher le permis de construire sur le terrain ; qu'un procès-verbal de constat établi le même jour montre que le panneau d'affichage du permis de construire a été implanté à proximité immédiate de la ligne EDF ;
Attendu que dans sa lettre du 22 juillet 2008 par laquelle elle a confirmé son refus de réitérer la vente, elle a justifié ce refus essentiellement par le coût des travaux d'enterrement de la ligne dont elle voulait faire partager les frais à son vendeur ;
Attendu qu'il découle de ce qui précède que la société Villas Lespine, qui était informée dès avant la signature du compromis, de la présence de la ligne EDF, a refusé de manière fautive de réitérer l'acte authentique de vente, alors que les conditions suspensives étaient levées ;
Attendu qu'au titre de son préjudice, la société Foch et Associés sollicite le paiement de la somme de 233.944 euros représentant la perte financière qu'elle a subie, constituée par la différence entre le prix d'acquisition du terrain (406.056 euros HT) et celui de la revente du terrain prêt à bâtir (640.000 euros ) ;
Attendu cependant que la société Foch et Associés n'a pas elle-même réitéré la vente avec les propriétaires du terrain avec lesquels elle s'était engagée par compromis ; que si elle l'avait fait elle aurait eu la possibilité de revendre la parcelle à un autre investisseur ; que son préjudice s'analyse en réalité en une perte de chance de réaliser l'opération bénéficiaire qu'elle espérait ; que compte tenu de ce qui précède, ce préjudice n'apparaît pas supérieur au montant de la clause pénale prévue contractuellement, soit 64.000 euros, comme le demande à titre subsidiaire Maître [V] ès qualités ; que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt qui fixe la créance indemnitaire ;
Attendu qu'aucun élément ne justifie de condamner la société Foch et Associés à payer à la société Villas Lespine la somme de 5.000 euros au titre des frais de publicité qu'elle a engagés ;
Attendu que si le notaire, rédacteur du compromis, n'a pas mentionné dans cet acte la présence de la ligne EDF, alors qu'il avait inclus dans le précédent compromis signé entre les époux [O] et la société Foch et Associés l'existence d'une servitude à ce titre, il ne peut néanmoins lui être reproché de n'avoir pas avisé l'acquéreur d'un élément dont celui-ci avait connaissance, ainsi qu'il a été rappelé précédemment, et qui était clairement mentionné dans le plan topographique annexé au compromis et visé par les parties ; que l'action en garantie contre la Scp [Y] doit être rejetée ;
Attendu que cette dernière n'établit pas que l'action dirigée par la société Villas Lespine est abusive ni que les griefs formulés à son encontre lui ont causé un préjudice moral ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a dit que la somme de 64.000 euros portera intérêts au taux légal à compter du 07 novembre 2008 et en ce qu'il a condamné la Scp [Y] à garantir la société Villas Lespine,
Réformant de ces seuls chefs,
Dit que la somme de 64.000 euros portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Déboute la société Villas Lespine de sa demande en garantie dirigée contre la société [Y],
Ajoutant,
Déboute la société Villas Lespine de sa demande en paiement de la somme de 5.000 euros,
Déboute la Scp [Y] de sa demande de dommages intérêts,
Condamne la société Villas Lespine à payer à Maître [V], ès qualités, la somme supplémentaire de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Villas Lespine à payer à la Scp Christian Bernaud-Eric Quintana la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette la demande de la société Villas Lespine présentée sur ce fondement,
Condamne la société Villas Lespine aux dépens, avec droit de recouvrement direct par la Scp Baufumé-Sourbé et la Scp Tudela et associés, avocats.
Le Greffier Le Président