R.G : 12/06336
Décision du
Tribunal de Grande Instance de BOURG EN BRESSE
Au fond
du 28 juin 2012
RG : 12/00001
ch n°
Commune DE [Localité 2]
Syndicat SYNDICAT INTERCOMMUNAL D'ENERGIE
Commune DE [Localité 4]
Commune DE [Localité 14]
Commune DE [Localité 15]
Commune DE [Localité 23]
Commune DE [Localité 3]
C/
Société Anonyme FRANCE TELECOM
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 05 Février 2013
APPELANTES :
Commune de [Localité 2]
représentée par son maire en exercice
en Mairie, [Adresse 18]
[Localité 2]
représentée de la SCP LAFFLY - WICKY, avocats au barreau de LYON
assistée de Me Anne-Cécile VIVIEN avocat au barreau de Lyon
Syndicat Intercommunal d'énergie et de E-Communication de l'Ain (EPCI),
[Adresse 6]
[Localité 1]
représentée par la SCP LAFFLY - WICKY, avocats au barreau de LYON
assistée de Me Anne-Cécile VIVIEN avocat au barreau de Lyon
Commune de [Localité 4]
représentée par son Maire en exercice
en Mairie, [Adresse 21]
[Localité 4]
représentée par la SCP LAFFLY - WICKY, avocats au barreau de LYON
assistée de Me Anne-Cécile VIVIEN avocat au barreau de Lyon
Commune de [Localité 14]
représentée par son Maire en exercice
en mairie, [Adresse 20]
[Localité 14]
représentée par la SCP LAFFLY - WICKY, avocats au barreau de LYON
assistée de Me Anne-Cécile VIVIEN avocat au barreau de Lyon
Commune de [Localité 15]
représentée par son Maire en exercice
en Mairie, [Adresse 16]
[Localité 15]
représentée par la SCP LAFFLY - WICKY, avocats au barreau de LYON
assistée de Me Anne-Cécile VIVIEN avocat au barreau de Lyon
Commune de [Localité 23]
représentée par son Maire en exercice
en Mairie, [Adresse 17]
[Localité 5]
représentée par la SCP LAFFLY - WICKY, avocats au barreau de LYON
assistée de Me Anne-Cécile VIVIEN avocat au barreau de Lyon
Commune DE [Localité 3]
représentée par son Maire en exercice
en Mairie, [Adresse 19]
[Localité 3]
représentée par la SCP LAFFLY - WICKY, avocats au barreau de LYON
assistée de Me Anne-Cécile VIVIEN avocat au barreau de Lyon
INTIMEE :
Société FRANCE TELECOM
[Adresse 8]
[Localité 7]
représentée par la SCP AGUIRAUD NOUVELLET, avocats au barreau de LYON,
assistée de Me Benoît COURTILLE, avocat au barreau de Lyon, et de Me LIMBOUR, avocat au barreau de Paris
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Date de clôture de l'instruction : 30 Novembre 2012
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 10 Décembre 2012
Date de mise à disposition : 29 janvier 2013 prorogé 05 Février 2013 les avoués dûment avisés, conformément à l'article 450 dernier alinéa du code de procédure civile
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Jean-Jacques BAIZET, président
- Marie-Pierre GUIGUE, conseiller
- Michel FICAGNA, conseiller
assistés pendant les débats de Frédérique JANKOV, greffier
A l'audience, Marie-Pierre GUIGUE a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Jean-Jacques BAIZET, président, et par Frédérique JANKOV, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSÉ DU LITIGE
La société France TELECOM déploie ses réseaux de communication électronique dans des infrastructures aériennes ou de génie civil constituées de fourreaux enfouis en souterrain des villes qu'elle alimente.
Le syndicat intercommunal d'énergie et d'E-communication de l'Ain SIEA est un établissement public constituant un groupement de communes du département destiné notamment à développer la communication électronique dans toutes ses applications existantes et à venir.
Il s'est déclaré opérateur téléphonique depuis novembre 2007 auprès de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes ARCEPT.
Par lettre recommandée avec avis de réception des 23 et 29 juillet 2010, la SA France TELECOM a mis en demeure le SIAE d'enlever les câbles qu'elle a installés dans ses installations à [Localité 12], [Localité 2], [Localité 4], [Localité 14], [Localité 15], [Localité 3], [Localité 23] et [Localité 13].
Le syndicat ne s'étant pas exécuté, la société France TELECOM l'a assigné à jour fixe devant le tribunal de grande instance de Bourg en Bresse en enlèvement des câbles de fibre optique sur le fondement des articles 544 et suivants du code civil et 1382 du code civil.
Par jugement du 28 juin 2012, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de grande instance de Bourg en Bresse :
-a rejeté les demandes de question préjudicielle et sursis à statuer concernant les communes de [Localité 2], [Localité 4], [Localité 14], [Localité 15], [Localité 3], et [Localité 23],
-a sursis à statuer concernant la commune de [Localité 12] jusqu'à l'issue de la procédure engagée devant la juridiction administrative,
-constaté que la société France TELECOM est propriétaire des infrastructures de génie civil objet de la procédure situées à [Localité 2], [Localité 4], [Localité 14], [Localité 15], [Localité 3], et [Localité 23],
-constaté que le SIAE a implanté sans droit ni titre ses câbles de fibre optique dans les dites infrastructures de génie civil et endommagé celles-ci,
-ordonné au SIAE de retirer ses câbles de fibres optiques des infrastructures de génie civil appartenant à la société France TELECOM situées sur les territoires des communes de [Localité 2], [Localité 14], [Localité 15], [Localité 3], et [Localité 23], ce retrait devant être réalisé en présence de la société France TELECOM sous astreinte de 1000 euros par jour de retard dans le délai de trente jours à compter de la signification du jugement,
-autorisé la société France TELECOM, à défaut pour le syndicat d'y avoir procédé dans le délai de 90 jours à compter de la signification du jugement, à faire procéder au delà de ce délai à l'évacuation des installation de génie civil occupées par le SIAE et à leur remise en état sous le contrôle d'un huissier de justice aux frais du SIAE,
-condamné le SIAE à payer à la société France TELECOM la somme de 723,96 euros au titre des frais de remise en état des infrastructures de génie civil situé sur la commune de [Localité 4], la somme de 40275,43 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par l'occupation sans autorisation et la saturation du réseau et les dégradations causées aux installations outre la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le 3 septembre 2012, cette commune et le SIEA ont déposé une requête aux fins de question préjudicielle devant le tribunal administratif de Lyon. Cette commune n'est donc pas partie en appel.
En septembre et octobre 2012, les communes de [Localité 2], [Localité 15], [Localité 3] et [Localité 23] ont saisi le tribunal administratif de Lyon d'actions en validité contractuelles des conventions d'enfouissement signées avec la société France TELECOM, visées dans le jugement.
Le syndicat intercommunal d'énergie et d'E-communication de l'Ain et les communes de [Localité 2], [Localité 14], [Localité 4], [Localité 15], [Localité 23] et [Localité 3] ont interjeté appel. Elles demandent à la cour de prononcer l'annulation du jugement, in limine litis de surseoir à statuer dans l'attente du jugement du tribunal administratif sur la légalité des conventions conclues entre la société France TELECOM et les communes de [Localité 2], [Localité 15], [Localité 23] et [Localité 3] et sur la propriété des communes de [Localité 14] et [Localité 4], en tout état de cause, de constater à titre principal l'irrecevabilité de l'action de la société France TELECOM, de constater à titre subsidiaire, le caractère mal fondé de l'action, de débouter la société France TELECOM de ses demandes et de la condamner au paiement de la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Ils font valoir que les communes ont signé des conventions portant irrégulièrement transfert de propriété de biens du domaine communal à une personne privée dès lors que ces biens construits et financés par les communes sur leur domaine public relevaient de leur propriété publique dès l'origine, selon la définition de l'article L.2122-9 du code général de la propriété des personnes publiques, étant remplis les critères de l'appartenance à une personne publique en vue de l'affectation à un service public des télécommunications résultant de l'article 35 du code des postes et télécommunications en vigueur, au moyen d'aménagements indispensables, ce qui établit le sérieux de la question préjudicielle.
Ils ajoutent que s'il n'est pas contesté que les infrastructures aériennes réalisées avant 1996 ont été transférées à la société France TELECOM, les infrastructures réalisées postérieurement, sur demande des communes d'enfouissement des câbles pris en charge matériellement et financièrement par celles-ci, appartenaient dès leur réalisation aux communes et devenaient incessibles, que France TELECOM n'était plus la seule compétente pour construire des infrastructures de génie civil sur le fondement de l'article 1511-6 du code général des collectivités territoriales applicable à l'époque des faits.
Dans l'hypothèse ou la cour ferait droit à la demande de sursis à statuer, les appelants soulèvent l'irrecevabilité de l'action de la société France TELECOM, à défaut de justifier d'un titre de propriété.
A titre subsidiaire, ils estiment que le préjudice n'a pas été exactement apprécié par le premier juge.
La société France TELECOM demande confirmation du jugement sauf à fixer l'astreinte à 10000 euros par jour de retard et à lui allouer une indemnité de 15000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle réplique qu'aucune convention particulière n'a rétrocédé aux communes la propriété des ouvrages de génie civil appartenant au patrimoine de France TELECOM par l'effet de la loi du 26 juillet 1996, que de tels ouvrages restent distincts du domaine public routier n'étant ni des dépendances ni des accessoires de voirie, que France TELECOM n'est pas concessionnaire des communes de sorte que la notion de biens de retour n'est pas applicable au litige.
Elle estime que l'article L.1511-6 du code général des collectivités territoriales n'est pas applicable puisque le droit conféré aux communes d'établir des infrastructures n'intervenait qu'en cas de constat de carence de fourniture par les acteurs du marché à un coût raisonnable, d'autant que la compétence légale du syndicat n'est intervenue qu'en 2007 et que l'article L.2122-9 du code général de la propriété des personnes publiques
ne s'applique pas aux collectivités locales d'autant que les deux conditions alternatives requises par le texte ne sont pas remplies.
Elle soutient que les conventions sont parfaitement valables ce que le SIAE n'ignorait pas puisqu'au terme de sa délibération du 24 février 2001, le syndicat reconnaissait que seules des conventions passées avec France TELECOM permettraient de donner à la collectivité la propriété des ouvrages d'infrastructure de génie civil et que par convention particulière du 18 mai 2006, il était stipulé que les infrastructures construites à compter de 2005 pourraient appartenir soit aux communes soit à France TELECOM selon la répartition choisie par les parties
Elle souligne que les voies de fait commises par le SIAE sont établies par les constats d'huissier produits au débat justifiant de l'occupation des fourreaux et chambres par le passage de câbles implantés par le SIAE ainsi que de la dégradation de certaines chambres justifiant son préjudice exactement apprécié par le premier juge.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Saisi d'une question préjudicielle, le juge n'est tenu de surseoir à statuer que si l'exception présente un caractère sérieux et porte sur une question dont la solution est nécessaire au litige.
L'article L. 2331-1 du Code général de la propriété des personnes publiques reprend le principe posé par l'article L.84 du code des domaines de l'Etat codifiant l'article 1er du décret du 17 juin 1938 en application duquel a été décidé par le tribunal des conflits que le juge administratif est compétent pour connaître des litiges relatifs aux autorisations ou contrats portant occupation du domaine public, quelle que soit leur forme ou dénomination, passées par les personnes publiques ou leurs concessionnaires.
Sont assimilés à ces contrats, ceux qui sont « relatifs » à une occupation du domaine public selon la jurisprudence du Conseil d'Etat.
Préalablement à la question de savoir si un contrat emporte occupation du domaine public, il convient de déterminer s'il appartient au domaine public de la personne concernée.
Selon la jurisprudence antérieure à la codification de 2006, font partie du domaine public les biens appartenant à une personne publique affectés matériellement à l'utilité publique, soit par affectation à l'usage direct du public, soit par affectation à un service public, cette affectation devant résulter de l'aménagement spécial du bien au service public en cause.
En l'absence d'aménagement spécial, le bien ne fait pas partie du domaine public de la personne publique.
Les conventions litigieuses dites d'enfouissement des lignes aériennes conclues entre France TELECOM et les communes de [Localité 3] le 8 juillet 1998, [Localité 15] le 5 août 1998, [Localité 23] le 22 décembre 1999 et [Localité 2] le 5 janvier 2001, stipulent que France TELECOM en sa qualité de permissionnaire de voirie « demeurera propriétaire » des installations de télécommunications, ouvrages de génie civil exécutés sur le domaine public ainsi que du câblage réalisé.
Les appelants font valoir que les ouvrages appartiennent au domaine public des communes et n'ont pu être transférés à France TELECOM en vertu du principe d'inaliénabilité.
Cependant, les conventions en cause ne permettent pas de constater l'existence d'un aménagement spécial des parcelles des communes qui servent seulement d'assiette aux infrastructures de génie civil de France TELECOM dont elles ne constituent que le support de sorte que manque le critère de domanialité publique.
Ces conventions ont été conclues, non dans le cadre de concession de service public auquel la notion de biens de retour serait applicable, mais en application des articles L.45-1, L.46 et L.47 du code des postes et des communications électroniques alors applicable, autorisant les exploitants autorisés de réseaux ouverts au public à implanter dans le domaine public les ouvrages nécessaires au fonctionnement du service universel des télécommunications, ouvrages dont ils restent propriétaires pendant toute la période pendant laquelle ils sont titulaires d'une permission de voirie.
Les communes, qui n'avaient pas alors la charge du service universel de télécommunications auquel le domaine public routier est étranger, ne peuvent donc opposer une absence de titre à France TELECOM qui avait la qualité d'exploitant public chargé de l'exercice des missions de service public des télécommunications et bénéficiait d'un droit d'appropriation privative sur les installations en cause en tant que permissionnaire de voirie.
Selon leurs clauses, les conventions avaient pour objet l'enfouissement des ouvrages aériens de la société France TELECOM et non la création d'infrastructures par les collectivités dans les conditions restrictives d'insuffisance qualitative de l'offre des acteurs du marché prévues par l'article 1511-6 du code général des collectivités territoriales créé par la loi du 25 juin 1999 dans sa rédaction en vigueur à l'époque des conventions.
Les collectivités territoriales n'ont reçu cette compétence sans restriction que par loi du 17 juillet 2001 postérieure à la dernière convention en cause.
Par ailleurs, du fait du transfert et déclassement des biens de l'Etat résultant de l'article 1er-1 ajouté à la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications par la loi n° 96-660 du 26 juillet 1996, le patrimoine de l'ancienne personne morale de droit public France Télécom a été intégré au patrimoine privé de la nouvelle société France TELECOM s'agissant des biens entrés dans ce patrimoine jusqu'à la publication du décret d'application du 30 mai 1997 lui appartient.
France TELECOM justifie par les pièces produites l'antériorité des installations sur les communes de [Localité 4] et [Localité 14] par les pièces produites, notamment les plans de réseau et liste des abonnements téléphoniques depuis 1950 desservis par les câbles transitant dans les chambres aux emplacements visés par les constats d'huissier lesquels relèvent en outre la présence d'équipements anciens dits à quarte. le syndicat intercommunal d'énergie et d'E-communication de l'Ain et les communes ne produisent aucun élément contraire.
L'exception soulevée par le syndicat et les communes ne présente donc pas un caractère sérieux et nécessaire à la solution au fond du litige justifiant un sursis à statuer.
France TELECOM, qui peut se prévaloir de bonne foi de son appropriation privative des infrastructures par l'effet des conventions et de la loi, justifie de son intérêt légitime à agir contre le syndicat intercommunal d'énergie et d'E-communication de l'Ain.
Les constats d'huissier produits au débat démontrent que le syndicat intercommunal d'énergie et d'E-communication de l'Ain est bien l'auteur des implantations de câbles comportant identification sous forme de sigles aux emplacements visés dans les constats et retenus par le premier juge par des motifs exacts et pertinents que la cour adopte.
L'occupation sans autorisation de la propriété de France TELECOM par le syndicat intercommunal d'énergie et d'E-communication de l'Ain est ainsi établie. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a ordonné au syndicat intercommunal d'énergie et d'E-communication de l'Ain de retirer ses câbles et fibres optiques et de remettre les installations en l'état, à défaut, a autorisé la société France TELECOM à y procéder aux frais du syndicat.
Le préjudice de la société France TELECOM est actuel, direct et certain. Il résulte, d'une part, de la détérioration des infrastructures de génie civil endommagé sur la commune de [Localité 4], d'autre part, de l'occupation sans autorisation ni rétribution résultant du partage sans droit des infrastructures passives.
Les premiers juges ont fait une exacte appréciation de l'étendue de ce préjudice que la cour adopte, de sorte qu'il convient de confirmer la décision en son entier.
L'équité commande d'allouer en appel à la société France TELECOM la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le syndicat intercommunal d'énergie et d'E-communication de l'Ain, qui succombe, supporte les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Condamne le syndicat intercommunal d'énergie et d'E-communication de l'Ain à payer à la société France TELECOM la somme de 5000 euros au titre des frais exposés en appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne le syndicat intercommunal d'énergie et d'E-communication de l'Ain aux dépens d'appel recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le greffierLe président