R.G : 10/08100
Décision du
Tribunal de Grande Instance de SAINT-ETIENNE
Au fond
du 03 novembre 2010
RG : 2007/00223
ch n°1
[O]
C/
SAS AUTOMOBILES J.P. BENMELEH
SAS JAGUAR LAND ROVER DIVISION LAND ROVER FRANCE
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 30 Mai 2012
APPELANTE :
Mme [Z] [O] épouse [L]
née le [Date naissance 3] 1969 à [Localité 14] (ILE DE REUNION)
[Adresse 11]
[Adresse 11]
[Localité 5]
représentée par la SCP AGUIRAUD NOUVELLET, avocats au barreau de LYON
assistée de la SELARL LEXFACE, avocats au barreau de SAINT-ETIENNE,
INTIMEES :
SAS AUTOMOBILES J.P. BENMELEH
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par la SCP BAUFUME - SOURBE, avocats au barreau de LYON,
assistée de Me Martine MARIES, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE
SAS JAGUAR LAND ROVER LAND ROVER FRANCE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 6]
représentée par la SCP BELIN DE CHANTEMELE- ANDRES & LANEYRIE, avocats au barreau de LYON,
assistée de Me Gilles SERREUILLE, avocat au barreau de PARIS,
******
Date de clôture de l'instruction : 18 Octobre 2011
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 23 Avril 2012
Date de mise à disposition : 30 Mai 2012
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Jean-Jacques BAIZET, président
- Michel FICAGNA, conseiller
- Christian RISS, conseiller
assistés pendant les débats de Frédérique JANKOV, greffier
A l'audience, Michel FICAGNA a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Jean-Jacques BAIZET, président, et par Frédérique JANKOV, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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Madame [Z] [O] épouse [L] a acquis le 28 janvier 2005 un véhicule d'occasion de marque Land Rover Freelander présentant un kilométrage de 99 300 km, auprès de la société automobiles JP Benmeleh à [Localité 15] moyennant un prix de 14 696 euros.
Ayant constaté un bruit anormal en cours de fonctionnement du véhicule, Madame [L] a fait intervenir son assureur, lequel a mandaté Monsieur [D] en qualité d'expert.
Une réunion d'expertise amiable a été organisée par ce dernier le 12 septembre 2006 dans les locaux du garage Benmeleh.
L'examen du véhicule a fait apparaître une fissuration du longeron arrière droit, désordre récurrent sur ce type de véhicule.
Par courrier du 27 novembre 2006, Madame [L] a sollicité la résolution de la vente du véhicule, la restitution du prix de vente, le remboursement des frais générés par ce véhicule depuis son acquisition et le règlement d'une indemnité de privation de jouissance.
N'obtenant pas satisfaction à sa demande, Madame [L] a assigné la société Benmeleh devant le tribunal de grande instance de Saint-Étienne par acte du 11 janvier 2007.
La société Benmeleh a appelé en garantie la société Jaguar Land Rover France.
Par ordonnance du 26 février 2009, le juge de la mise en état a ordonné une expertise judiciaire confiée à Monsieur [P].
Par jugement du 3 novembre 2010, le tribunal de grande instance de Saint Etienne a :
-débouté Madame [L] de sa demande aux fins de résolution de la vente pour vices cachés,
-a constaté que l'appel en garantie dirigé à l'encontre de la société Jaguar Land Rover est devenu sans objet,
-a condamné Madame [L] a payer à la société Benmeleh et à la société Jaguar Land Rover une somme de 1000 euros à chacune, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Madame [L], par déclaration du 12 novembre 2010, a relevé appel de ce jugement. Par ses conclusions du 9 septembre 2011, elle demande à la cour :
à titre principal :
-de réformer le jugement entrepris,
-de prononcer la résolution judiciaire de la vente du véhicule litigieux,
-de condamner la société Benmeleh à lui restituer le prix de vente, soit 14 696 euros, outre le montant des factures d'entretien le montant des frais de crédit acquittés en pure perte, le montant des intérêts du prêt d'acquisition jusqu'à la date de l'arrêt à intervenir et une indemnité pour privation de jouissance du véhicule depuis le 4 septembre 2006 à hauteur de 15,25 euros par jour,
à titre subsidiaire :
-de faire droit à son action estimatoire et de condamner la société Benmeleh à lui payer le coût de la réparation s'élevant à 2060 euros TTC, une indemnité de privation de jouissance pour un montant de 15, 25 euros par jour à compter du 4 septembre 2006, une somme de 3000 euros de dommages et intérêts .
à titre infiniment subsidiaire :
-de constater que la société Benmeleh a engagé sa responsabilité, faute de s'être assurée de l'état du longeron arrière droit et faute d'avoir accepté de procéder aux réparations,
-de la condamner à lui payer le coût de la réparation s'élevant à 2060 euros TTC, une indemnité de privation de jouissance pour un montant de 15, 25 euros par jour à compter du 4 septembre 2006, une somme de 3000 euros de dommages et intérêts ,
et en tout état de cause :
-de la condamner à lui payer une somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile .
Au soutien de ses prétentions elle allègue les conclusions du rapport d'expertise judiciaire qui a constaté l'existence d'un vice caché connu du constructeur et du vendeur.
Elle soutient que le choix entre l'action rédhibitoire et l'action estimatoire n'appartient qu'à elle-même et que le premier juge ne pouvait dès lors l'écarter au motif que la réparation du vice est d'un coût abordable.
La société Benmeleh, par ses conclusions du 29 mars 2011, demande à la cour :
à titre principal :
-de confirmer le jugement entrepris,
à titre subsidiaire :
-de dire que seule la responsabilité du constructeur peut être engagée s'agissant d'un vice de conception,
-de débouter Madame [L] de ses demandes relatives aux factures d'entretien et de réparation, et à la privation de jouissance,
-de condamner la société Jaguar Land Rover France à la relever et garantir de toutes condamnations pouvant être prononcées à son encontre,
-de dire que le montant de la réparation du véhicule doit être fixé à la somme de 1761,17 euros,
en tout état de cause :
-de condamner Madame [O] épouse [L] ou qui mieux le devra à lui payer la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Benmeleh fait valoir que Madame [L] a parcouru 26.940 km avant de se plaindre du bruit anormal du véhicule, que l'expert a indiqué que le remplacement du longeron est tout à fait possible, pour un coût de 1761,17 euros et que pour ces raisons le vice affectant le véhicule n'est pas suffisamment grave pour fonder une action en résolution de la vente.
Elle fait valoir qu'elle ignorait ce vice de conception signalé par le constructeur dans une note technique du 20 mai 2003, alors qu'elle avait rompu son contrat de concession avec ce constructeur par lettre du 18 janvier 2001 et alors qu'au moment de la vente, il n'a été décelé aucun bruit anormal.
Elle indique avoir proposé de faire examiner le véhicule dans le réseau constructeur ce que Madame [L] a refusé.
La société Benmeleh indique que les factures d'entretien et de réparation doivent rester en tout état de cause à la charge de Madame [L] qui a utilisé le véhicule du 1er février 2005 à septembre 2006.
Enfin, la société Benmeleh indique que l'ensemble des préjudices devront in fine être supportés par la société Jaguar Land Rover en raison de la mise sur le marché d'un véhicule comportant un vice de conception.
La société Jaguar Land Rover France, par ses conclusions du 26 aout 2011, demande à la cour :
à titre principal :
-de confirmer le jugement entrepris,
-de juger que la société Benmeleh a commis un manquement fautif cause exonératoire de responsabilité en vendant un véhicule comportant un désordre minime ce dont il était informé,
-de condamner le société Benmeleh à la relever et garantir des condamnations pouvant être prononcées à son encontre,
-de prononcer sa mise hors de cause,
à titre subsidiaire :
-de déduire du montant des préjudices réclamés, une somme de 20 000 euros compte tenu du bénéfice retiré de l'usage du véhicule et compte tenu de la dépréciation de celui-ci,
-de constater que Madame [L] ne justifie d'aucun préjudice ayant un lien direct et immédiat avec le prétendu dommage,
-de la débouter de ses prétentions,
en tout état de cause :
-de condamner tout succombant à lui verser la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Jaguar Land Rover France indique qu'elle est seulement importatrice de véhicules Land Rover aux fins de revente sur le territoire français et qu'elle n'intervient pas dans le processus de fabrication.
Elle fait valoir qu'elle a relayé le bulletin d'information technique émis par le constructeur dès le 17 février 2003 et que partant, elle n'a commis aucun manquement à ses obligations.
Elle soutient que le garage Benmeleh avait toujours accès aux données de Land Rover France jusqu'à fin décembre 2003,
Sur le plan juridique, la société soutient :
-que les juges conservent une liberté d'appréciation sur la gravité du vice pour prononcer ou non la résolution de la vente et que l'acheteur ne peut plus invoquer l'action en garantie légale des vices cachés dès lors que le véhicule est réparé ou réparable.
-qu'en l'espèce, la faiblesse du longeron arrière droit, ne constitue pas un vice grave puisque le phénomène dont il est question est parfaitement mineur et facilement réparable, pour une somme modique de 1761,17 euros au regard du prix du véhicule,
Elle relève que Madame [L] a roulé 25 000 km avec son véhicule avant de constater le phénomène.
Sur l'appel en garantie, la société Jaguar Land Rover France indique que la société Benmeleh a acquis son véhicule le 25 octobre 2004 à une époque où elle connaissait le vice, lequel n'était pas caché pour lui .
Par ailleurs elle indique que la restitution du prix par le garage Benmeleh ne constitue pas un préjudice indemnisable pouvant être garanti.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur les constatations de l'expert
L'expert judiciaire Monsieur [E], a constaté une oxydation de la tôle du longeron arrière droit au niveau de la fixation du berceau arrière, à l'origine d'une fissuration de ce longeron.
L'origine du désordre est liée à une faiblesse dans la construction du véhicule reconnue par le constructeur qui d'après une note technique n° 0112 du 3 mai 2003 a informé son réseau de concessionnaires de la méthodologie des réparations à effectuer et de la prise en charge financière de la réalisation hors garantie.
L'expert indique que le garage Benmeleh ne pouvait pas ne pas connaître cette note.
Le désordre est apparu en aout 2006 sur le véhicule de Madame [L].
L'expert indique que le coût de la réparation est de 1761,17 euros et que cette réparation n'altèrera en rien la résistance mécanique de la structure du véhicule.
Sur l'action en garantie des vices cachés : action rédhibitoire et estimatoire
En application des articles 1641 et suivants du Code civil, le vendeur est tenu à raison des vices cachés qui rendent la chose vendue impropre à l'usage auquel elle était destinée ou qui en diminuent tellement celui-ci que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un prix moindre.
Au vu des conclusions de l'expert, il convient de constater que le véhicule était bien atteint d'un vice caché au moment de la vente, indécelable pour un non professionnel , à savoir, une faiblesse dans la construction du véhicule au niveau du longeron arrière droit .
La fissuration du longeron qui n'existait pas au moment de la vente ne constitue pas le vice.
La faiblesse dans la construction du véhicule, constituant le vice caché, ne rendait pas le véhicule impropre à l'usage auquel il était destiné, et n'en diminuait pas l'usage.
En effet, le véhicule a parcouru 120 000 km depuis sa 1ère mise en circulation et près de 25 000 km à compter de son acquisition par Madame [L], et ce, sans que la faiblesse dans la construction du véhicule n'occasionne une quelconque gêne dans l'utilisation du véhicule.
Le constructeur n'a d'ailleurs pas procédé à une campagne de rappel des véhicules concernés aux fins d'échange systématique du longeron arrière droit ou de prévention du désordre.
L'expert judiciaire n'indique d'ailleurs pas dans son rapport que le véhicule était dangereux du fait du défaut de conception.
Il apparaît que seul le désordre, lorsqu'il survient et s'il n'y est pas remédié rapidement, peut présenter un danger, à l'instar de toute défaillance mécanique non prise en compte par le propriétaire.
Enfin, l'expert indique qu'il peut être remédié sans difficulté au désordre par le remplacement du longeron endommagé, le véhicule étant ainsi techniquement et économiquement réparable .
En conséquence, le véhicule était atteint d'un vice caché, à savoir une faiblesse de construction au niveau du longeron arrière droit, mais qui ne rendait pas le véhicule acquis par Madame [L], impropre à sa destination, ce dernier ayant parcouru 25 000 km sur une période de 18 mois environ avant que le désordre n'apparaisse progressivement.
En conséquence, Madame [L] doit être déboutée de son action en garantie des vices cachés, tant rédhibitoire qu'estimatoire.
Sur l'action en responsabilité contractuelle de droit commun dirigée par Madame [L] à l'encontre du vendeur
La société Benmeleh a vendu à Madame [L] un véhicule présentant une faiblesse de construction au niveau du longeron arrière droit.
Il a ainsi livré à Madame [L] un véhicule atteint d'un défaut de conformité, qu'il était en sa qualité de professionnel présumé connaître et dont il doit réparation.
Le préjudice est constitué uniquement par le coût de la réparation et l'immobilisation prévisible du véhicule pendant cette réparation, qui peut être évaluée à 3 jours.
La demande d'indemnité de privation de jouissance pour la période de septembre 2006 au jour du présent arrêt sera rejetée .
En effet, Madame [Z] [O] a exclusivement sollicité depuis sa mise en demeure adressée à la société Benmeleh, la résolution de la vente, empêchant ainsi la remise en état de son véhicule. La société Benmeleh ayant résisté à juste titre à la demande de résolution, jugée infondée, elle ne peut être tenue responsable de l'immobilisation du véhicule.
Madame [L] est en outre mal fondée a solliciter la prise en charge des frais relatifs à l'entretien et la réparation du véhicule, et des frais financiers, qui sont sans lien de causalité avec la défaillance du longeron.
Sur l'action en garantie de la société Benmeleh à l'encontre de la société Jaguar Land Rover France
La société Jaguar Land Rover France fait observer dans ses conclusions qu'elle n'est pas le constructeur du véhicule mais l'importateur pour la France des véhicules de marque Land Rover, mais sans conclure à sa mise hors de cause sur ce fondement.
Elle n'a pas jugé utile d'appeler le « constructeur » en la cause.
En outre, elle reconnaît jouer un rôle sur le plan technique puisqu'elle a diffusé la note du 17 février 2003 .
Elle tient également à la disposition des concessionnaires la documentation technique et se comporte ainsi comme le représentant du constructeur en France.
La société Jaguar Land Rover France sera en conséquence tenue de relever et garantir la société Benmeleh de toutes les condamnations prononcées contre elle, le défaut de conception du véhicule étant une non conformité qui lui est imputable.
Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile
L'équité commande d'allouer à Madame [L] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile .
PAR CES MOTIFS
la cour
réformant partiellement le jugement et statuant de nouveau,
-Confirme le jugement en ce qu'il a débouté Madame [Z] [O] épouse [L] de sa demande en garantie des vices cachés,
-Constate que le véhicule était atteint d'un défaut de conformité au moment de la vente,
-Condamne la société Automobiles JP Benmeleh à payer à Madame [Z] [O] épouse [L], la somme de :
-1761,17 euros au tire de la réparation,
-45, 75 euros au titre de la privation de jouissance,
-2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-Déboute la société Jaguar Land Rover France et la société automobiles JP Benmeleh de leurs prétentions,
-Condamne la société Jaguar Land Rover France à relever et garantir la société automobiles JP Benmeleh de toutes les condamnations prononcées à son encontre,
-Condamne la société Jaguar Land Rover France aux dépens, de première instance et d'appel, et qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, par ceux qui en ont fait la demande,
LE GREFFIER LE PRESIDENT.