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30/05/2012 | FRANCE | N°10/05214

France | France, Cour d'appel de Lyon, 1ère chambre civile b, 30 mai 2012, 10/05214


R.G : 10/05214















Décision du Tribunal de Grande Instance de LYON au fond du 17 mai 2010



ch n°4

RG : 2007/03198







[C]

[O]

[O]



C/



[A]

[U]

SA LA MEDICALE DE FRANCE

SOCIETE HOSPITALIERE D'ASSURANCES MUTUELLES

CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS

CAISSE NATIONALE DE RETRAITES DES AGENTS DES COLLECTIVITES LOCALES















COUR D'APPEL DE LYON



1

ère chambre civile B



ARRET DU 30 Mai 2012







APPELANTS :



Mme [G] [C] veuve [N], agissant tant en son nom personnel qu'ès qualités d'administrateur légale de la personne et des biens de son fils mineur [R] [N], né le [Date naissance 4]

née le [Date naissa...

R.G : 10/05214

Décision du Tribunal de Grande Instance de LYON au fond du 17 mai 2010

ch n°4

RG : 2007/03198

[C]

[O]

[O]

C/

[A]

[U]

SA LA MEDICALE DE FRANCE

SOCIETE HOSPITALIERE D'ASSURANCES MUTUELLES

CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS

CAISSE NATIONALE DE RETRAITES DES AGENTS DES COLLECTIVITES LOCALES

COUR D'APPEL DE LYON

1ère chambre civile B

ARRET DU 30 Mai 2012

APPELANTS :

Mme [G] [C] veuve [N], agissant tant en son nom personnel qu'ès qualités d'administrateur légale de la personne et des biens de son fils mineur [R] [N], né le [Date naissance 4]

née le [Date naissance 6] 1958 à [Localité 17]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par la SCP AGUIRAUD-NOUVELLET, avocats au barreau de LYON, assistée de la SELARL VITAL-DURAND ET ASSOCIES, avocats au barreau de LYON

Mme [H] [N]

née le [Date naissance 5] 1989

[Adresse 13]

[Localité 8]

représentée par la SCP AGUIRAUD-NOUVELLET, avocats au barreau de LYON, assistée de la SELARL VITAL-DURAND ET ASSOCIES, avocats au barreau de LYON

M. [S] [N]

né le [Date naissance 5] 1989

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par la SCP AGUIRAUD-NOUVELLET, avocats au barreau de LYON, assisté de la SELARL VITAL-DURAND ET ASSOCIES, avocats au barreau de LYON

INTIMES :

M. le Docteur [I] [A]

[Adresse 12]

[Localité 28]

représenté par Me Luc CHAUPLANNAZ, avocat au barreau de LYON

M. le Docteur [V] [U]

[Adresse 26]

[Localité 9]

représenté par la SCP LAFFLY-WICKY, avocats au barreau de LYON, assisté de Me Laurence DOUMAS, avocat au barreau de BORDEAUX

SA LA MEDICALE DE FRANCE

[Adresse 11]

[Localité 15]

représentée par la SCP LAFFLY-WICKY, avocats au barreau de LYON, assistée de Me DOUMAS, avocat au barreau de BORDEAUX

SOCIETE HOSPITALIERE D'ASSURANCES MUTUELLES

[Adresse 3]

[Localité 14]

représentée par la SCP BRONDEL-TUDELA, avocats au barreau de LYON, assistée de Me DEYGAS, avocat au barreau de LYON

CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS

[Adresse 10]

[Localité 7]

représentée par Me Pierre-laurent MATAGRIN, avocat au barreau de LYON

CAISSE NATIONALE DE RETRAITES DES AGENTS DES COLLECTIVITES LOCALES

[Adresse 10]

[Localité 7]

représentée par Me Pierre-laurent MATAGRIN, avocat au barreau de LYON

******

Date de clôture de l'instruction : 22 Mars 2012

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 24 Avril 2012

Date de mise à disposition : 30 Mai 2012

Audience présidée par Jean-Jacques BAIZET et Claude MORIN, magistrats rapporteurs, sans opposition des parties dûment avisées, qui en ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré, assistés pendant les débats de Frédérique JANKOV, greffier.

A l'audience Jean-Jacques BAIZET a fait le rapport conformément à l'article 785 du code de procédure civile,

Composition de la Cour lors du délibéré :

- Jean-Jacques BAIZET, président

- Claude MORIN, conseiller

- Michel FICAGNA, conseiller

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Jean-Jacques BAIZET, président, et par Frédérique JANKOV, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire .

*****

EXPOSE DE L'AFFAIRE

Monsieur [N], âgé de 40 ans, a été adressé par son médecin traitant, le Docteur

[U] au Docteur [A], ORL, pour un problème de ronflement chronique. Après une opération réalisée le 02 mars 2004 par le Docteur [A] à la clinique [19] à [Localité 28] (Isère) il a regagné son domicile et a ressenti de vives douleurs qui ont justifié la prescription de morphine. Son état s'est aggravé dans la soirée du 08 mars après une augmentation des doses de morphine. Le SAMU de [Localité 22], alerté par son épouse, ne s'est pas déplacé, Son décès a été constaté le 09 mars au matin.

La CRCI Rhône Alpes a été saisie et a ordonné une expertise confiée au Docteur [L], qui a retenu un concours de fautes commises d'une part par le Docteur [A] et le Docteur [U] en ce qui concerne la prescription de morphine et la surveillance du patient, d'autre part, par le CHU de [Localité 22] pour non assistance. Dans un avis rendu le 08 mars 2006, la CRCI a retenu la responsabilité du CHU à hauteur de 60 %, celle du Docteur [A] à hauteur de 25 % et celle du Docteur [U] à hauteur de 15 %.

Après avoir refusé les offres des assureurs, les consorts [N] ont assigné Monsieur [A], Monsieur [U], et son assureur, la compagnie La Médicale de France, la Société Hospitalière d'Assurances Mutuelles (SHAM), assureur du centre hospitalier de [Localité 22] et la Caisse Nationale de retraite des agents des collectivités locales, en responsabilité et en indemnisation de leur préjudice.

Une instance a également été diligentée devant la juridiction administrative, et des poursuites pénales ont été engagées à l'encontre du médecin régulateur du SAMU.

Par jugement du 17 mai 2010, le tribunal de grande instance de Lyon a :

- rejeté une demande de nouvelle expertise,

- condamné in solidum Monsieur [A], Monsieur [U] et la Société Médicale de France à payer à :

Madame [G] [N] née [C]

Personnellement :

- en réparation de son préjudice moral....................................... 8.000,00 euros

- en réparation de son préjudice matériel................................... 1.985,95 euros

- en réparation de son préjudice économique............................ 28.035,20 euros

ès qualités de représentante légale de son fils mineur [R] :

- en réparation de son préjudice moral....................................... 8.000,00 euros

- en réparation de son préjudice économique............................. 11.602,27 euros

[S] [N]

- en réparation de son préjudice moral................................... 8.000,00 euros

- en réparation de son préjudice économique......................... 6.348,00 euros

[H] [N]

- en réparation de son préjudice moral................................... 8.000,00 euros

- en réparation de son préjudice économique......................... 6.351,50 euros

Mme [G] [N] née [C] en son nom et au nom de [R] [N], [S] [N], [H] [N]

ès qualité d'héritiers de [T] [N]................................. 6.400,00 euros

Le tribunal a déclaré recevables les demandes formées contre la SHAM, mais a sursis à statuer sur celles-ci jusqu'à la décision définitive de la juridiction administrative sur la responsabilité et le montant des préjudices mis à la charge du CHU de [Localité 22].

Les consorts [N] d'une part, Monsieur [U] et la société La Médicale de France, d'autre part, ont interjeté appel du jugement.

Par ordonnance du 07 juin 2011, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevable une expertise d'incompétence soulevée par la SHAM et dit qu'il y avait lieu à sursis à statuer sur l'action directe engagée à l'encontre de la SHAM dans l'attente de la décision définitive de la juridiction administrative sur la responsabilité du CHU de [Localité 22].

Les consorts [N] concluent à la réformation du jugement et sollicitent la condamnation in solidum de Monsieur [U] et Monsieur [A], et leurs assureurs à indemniser l'intégralité de leurs préjudices, et à leur payer :

- à chacun, la somme de 30.000 euros au titre de leur préjudice moral,

- au titre de leur préjudice économique :

1 - à [H] [N], la somme de 20.754,17 euros,

2 - à [S] [N], la somme de 31.716,77 euros,

3 - à Madame [N], ès qualités d'administratrice légale de son fils mineur [R] [N], la somme de 29.351,14 euros,

4 - à Madame [N], la somme de 377.997,95 euros.

- à Madame [N], au titre de son préjudice matériel, la somme de 4.964,88 euros,

- à [H] et [S] [N] et à Madame [N] ès qualités d'administratrice légale de son fils mineur [R], au titre des souffrances endurées par leur père la somme de 20.000 euros.

Ils considèrent que l'expertise a été effectuée dans le respect de la règle du contradictoire, l'expert ayant répondu aux observations des parties.

Ils font valoir qu'il résulte de l'expertise :

- que Monsieur [A] a sous estimé l'importance de la surveillance post-opératoire, a prescrit un traitement morphinique inadapté dans sa nature et sa galénique sans que le contact soit gardé avec le malade alors que cette thérapie n'est pas sans risque dans un tel contexte pathologique, et que le patient présentait une fragilité et une susceptibilité aux traitements morphiniques purs qui étaient connus du chirurgien ou auraient dû l'être,

- qu'ont été mis en évidence l'absence de prescription d'anti-inflammatoires associés à des antalgiques qui ne présentent pas d'effet dépresseur respiratoire, ainsi que le manque de diligence de ce médecin le 08 mars au matin suite à l'appel de Monsieur [N] indiquant qu'il souhaitait être hospitalisé,

- que Monsieur [U], seul médecin ayant eu un contact clinique avec la victime, aurait dû prendre conscience de la gravité des symptômes et alerter le spécialiste,

- qu'il a également suivi la mauvaise direction en prescrivant une dose excessive de morphine sans avoir pris en compte de manière suffisante l'état clinique de la victime, ce qui a précipité les complications respiratoires.

Ils considèrent que les fautes commises par les deux médecins ayant contribué au décès, ceux-ci doivent être déclarés responsables in solidum des préjudices.

La Caisse des dépôts et consignations, intimée et appelante à titre incident, conclut à la réformation du jugement en ce qu'il n'a pas prononcé de condamnation à l'encontre de Monsieur [U], Monsieur [A] et La Médicale de France, à son profit, et sollicite leur condamnation in solidum à leur payer la somme de 113.784,79 euros. Elle demande également que soit retenue la compétence intégrale des juridictions judiciaires et que la SHAM soit condamnée in solidum avec Monsieur [U], Monsieur [A] et la Médicale de France à lui payer la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Monsieur [A] conclut à la réformation du jugement et sollicite à titre principal la nullité du rapport d'expertise déposé par le Docteur [L] et la désignation, avant-dire-droit, d'un collège d'experts comprenant un ORL et un pneumologue. Il considère que l'expert n'a pas respecté le principe du contradictoire, ni son devoir d'impartialité. Il fait valoir qu'il n'a pas été en mesure d'apprécier avant les opérations d'expertise les pièces produites par Madame [N], qu'il n'a pu préparer utilement sa défense, que l'expert a élaboré, sans avoir entendu les médecins, une théorie sur la cause du décès (surdosage en morphine), et lui a reproché à tort un défaut de suivi.

A titre subsidiaire, il sollicite sa mise hors de cause, et soutient que la prescription de morphine était licite et justifiée, qu'il a assuré un suivi post-opératoire satisfaisant, et que le lien de causalité entre la prise de morphine et le décès de Monsieur [N] n'est pas établi. Il insiste sur les avantages de la morphine par rapport à tout autre antalgique et considère que cette substance n'était pas contre-indiquée dans le cas de Monsieur [N] qui n'était pas un ronfleur présentant des troubles respiratoires associés. Il fait valoir que l'expert a élaboré une théorie expliquant le décès basé sur la déshydratation et la fièvre, alors que ces éléments sont contredits par Madame [N] et les deux médecins.

A titre également subsidiaire, il demande que sa condamnation à indemniser Madame [N] soit limitée à 25 %, et sollicite une réduction des demandes indemnitaires.

Monsieur [U] et la compagnie La Médicale de France concluent à la réformation du jugement et sollicitent la nullité du rapport d'expertise établi au mépris du principe du contradictoire, contraire aux données acquises de la science au moment des faits et inexact et incomplet. Ils demandent la désignation d'un collège d'experts composé d'un ORL et d'un pharmacologue. Ils font valoir notamment que l'expert n'a pas tenu compte des observations de Monsieur [U] sur l'état clinique du patient, et qu'il a pris position sur les responsabilités sans avoir entendu les deux médecins ni consulté leurs pièces. Ils considèrent que l'expert a élaboré une théorie expliquant le décès basé sur la déshydratation et la fièvre, alors que ces éléments n'ont pas été établis et que la cause du décès est restée indéterminée.

A titre subsidiaire, ils soutiennent que la prescription de morphine était licite et justifiée, et que Monsieur [U] a agi conformément aux données acquises de la science, qu'il n'a commis aucune faute médicale dans la prise en charge du patient, et qu'il n'est pas rapporté de preuve d'un lien ce causalité certain entre la prise de morphine et le décès. Ils soulignent que lors de la consultation du 08 mars en début d'après-midi, Monsieur [U] n'a constaté ni état fiévreux, ni déshydratation, éléments dont l'expert n'a pas tenu compte, et que le rapport d'autopsie fait apparaître que la vessie était pleine et que les reins ne présentaient aucune particularité, alors que si Monsieur [N] s'était trouvé en état de déshydratation, l'on n'aurait pas retrouvé une vessie remplie d'urine. Ils estiment que Monsieur [U] n'a pas commis un manque d'accompagnement du patient, et que si le SAMU avait accordé son assistance à Monsieur [N], et l'avait pris en charge en urgence, comme le réclamait son épouse, le décès aurait été évité.

Ils ajoutent que si l'assureur a fait une offre d'indemnisation à la suite de l'avis de la CRCI, il n'en résulte pas une reconnaissance de responsabilité au regard des articles L 142.14, L 142.15 et L 142.17 du code de la santé publique.

A titre subsidiaire, ils demandent de limiter à 15 % la participation causale de Monsieur [U], et concluent à la réduction des demandes indemnitaires.

La Société Hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) fait valoir que l'ordonnance définitive ayant décidé d'un sursis à statuer sur les prétentions émises à son encontre fait obstacle à l'examen de celles-ci.

La caisse nationale des retraites des agents des collectivités locales fait siennes les écritures déposées par la Caisse des dépôts et consignations.

MOTIFS

Sur la responsabilité

Attendu qu'en application de l'article 1142-2 du code de la santé publique, les professionnels de santé ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ;

Attendu que l'expert [L] a indiqué :

- qu'aucun bilan n'avait été réalisé par un pneumologue pour établir si le patient souffrait d'un ronflement simple, d'un ronflement avec anomalies du sommeil ou d'un ronflement avec syndrome d'apnée sommeil (SAS),

- que l'intervention d'UVPP, associée à une amygdalectomie présente un caractère particulièrement douloureux qui justifie habituellement un traitement morphinique par voie veineuse contrôlé en hospitalisation, en tout cas dans les 24 à 48 heures post-opératoires,

- qu'en l'absence notamment d'évaluation du ronflement, une attitude prudente aurait dû être adoptée dans la prescription de drogues connues pour leur propension à induire des troubles de la commande respiratoire et que le traitement morphinique, surtout prolongé, manifestement peu efficace, surtout à de très fortes doses, aurait dû être interrompu ou être associé à des anti-inflammatoires non stéroïdiens,

- que la biodisponibilité de la morphine est étroitement dépendante de l'état d'hydratation au travers de la fonction rénale,

- que les doses utilisées ont été très importantes, allant au-delà de ce qui est utilisé dans le traitement de la douleur aigue, qu'elles ont été mises en oeuvre sans précautions, de manière trop importante et ont été responsables de signes très rapides de surdosage, en raison d'une hypersensibilité à la morphine et d'un état de déshydratation, associé à la fièvre,

- que l'état de fièvre, associé aux douleurs et à l'altération de l'état général du patient aurait dû conduire à une consultation spécialisée au plus vite,

- que peuvent être retenus un défaut de suivi et un défaut de communication entre les deux intervenants médicaux et que l'échec du traitement initial prescrit par Monsieur [A] aurait dû conduire à une hospitalisation rapide ;

Attendu que si l'expert a retenu une faute lourde du médecin du SAMU, il a également mis en lumière des fautes commises par Monsieur [A] et Monsieur [U] qui ont été à l'origine du décès de Monsieur [N] ;

Attendu que Monsieur [A] a sous estimé l'importance de la surveillance post-opératoire et a prescrit un traitement morphinique inadapté dans sa nature et sa galénique sans que le contact soit gardé avec le malade, alors que la thérapie prescrite n'était pas sans risque dans le contexte pathologique ; qu'il n'a pas réévalué la thérapeutique lourde, dangereuse et inadaptée dans son dosage ; que l'expert a également mis en évidence l'absence de prescription d'anti-inflammatoires associés à des antalgiques qui ne présentent pas d'effet dépresseur respiratoire ; qu'il a relevé le manque de diligence dont a fait preuve Monsieur [A] le 08 mars au matin à la suite de l'appel de Monsieur [N] indiquant qu'il souhaitait être hospitalisé ;

Attendu qu'il découle de l'expertise que Monsieur [U], seul médecin ayant eu un contact clinique avec le patient, aurait dû prendre conscience de la gravité des symptômes et alerter le spécialiste Monsieur [A] ; qu'il n'a fait que reproduire en l'amplifiant le schéma thérapeutique prescrit par ce dernier, sans s'assurer auprès de lui que ce schéma pouvait convenir au contexte et sans prévoir une surveillance rapprochée, alors que le choix thérapeutique a précipité les complications respiratoires ;

Attendu qu'à la suite de la décision de la CRCI du 21 juillet 2005, l'expert a organisé le 16 novembre 2005, une nouvelle réunion d'expertise au cours de laquelle Monsieur [U] et Monsieur [A], qui étaient représentés, ont pu s'expliquer ; qu'à la suite de cette réunion, ces médecins ont adressé plusieurs dires reproduits dans le corps du rapport d'expertise et auxquels l'expert a répondu ; que ce dernier a présenté une discussion précise et fortement argumentée au long de son rapport ; qu'il a notamment démontré l'existence d'une déshydratation ; qu'il a répondu sur ce point à l'argumentation sur l'existence d'urine dans la vessie lors de l'autopsie en précisant qu'elle n'était que le témoignage de la filtration minimale réalisée depuis la dernière évacuation vésicale ; que les principes de la contradiction et du respect des droits de la défense ont été assurés au cours de l'expertise;

Attendu qu'aucun élément ne permet de considérer que l'expert a fait preuve de partialité, alors qu'il a longuement détaillé les arguments retenus pour parvenir à ses conclusions, tout en prenant en compte les observations des parties ;

Attendu enfin que ses conclusions sont en concordance avec celles de l'expert [X], désigné dans le cadre de la procédure pénale, qui a également retenu un surdosage dans la prescription de morphine, sans titration progressive, et sans qu'il soit tenu compte de l'état et de la déshydratation de Monsieur [N] ;

Attendu en conséquence qu'il n'y a pas lieu d'annuler le rapport d'expertise ni d'ordonner une nouvelle expertise ;

Attendu qu'il découle de ce qui précède que Monsieur [A] et Monsieur [U] ont tous deux commis des fautes qui ont été à l'origine du décès de Monsieur [N] ; que le premier juge a retenu à tort une limitation de leur part de responsabilité envers les consorts [N], dès lors que chacun des responsables d'un même dommage doit être condamné à le réparer en totalité, l'éventuel partage de responsabilité auquel il est procédé entre eux n'affectant pas l'étendue de leurs obligations envers la partie lésée ; que les deux médecins doivent être déclarés responsables in solidum de l'entier préjudice de Madame [N] et de ses enfants ;

Attendu que le conseiller de la mise en état a sursis à statuer sur l'action dirigée contre la SHAM dans l'attente de la décision définitive de la juridiction administrative sur la responsabilité du CHU de [Localité 22] ; que les consorts [N] et la Caisse des dépôts et consignations ne sont pas fondés à solliciter actuellement devant la cour la condamnation de cette société d'assurance, avant l'issue du sursis ;

Sur les préjudices

Attendu que Monsieur et Madame [N] étaient mariés depuis près de seize ans et parents de trois enfants ; que Monsieur [N] était âgé de 40 ans lors de son décès; que le préjudice moral de Madame [N] doit être réparé par une indemnité de 30.000 ans ; que l'indemnisation du préjudice moral des trois enfants, âgés lors du décès de 8 et 14 ans, et qui vivaient avec leur père, doit être fixée à 25.000 euros ;

Attendu que Madame [N] justifie avoir supporté des frais funéraires pour un montant de 4.964,88 euros ;

Attendu que les revenus annuels du ménage lors du décès s'élevaient à 34.900 euros; que compte tenu de la part d'auto-consommation du défunt (20 %), des revenus du conjoint survivant (2.900 euros par an) et de la pension de réversion perçue par Madame [N], la perte annuelle de la famille s'élève à 22.004 euros ;

Attendu que le préjudice annuel de chacun des enfants doit être fixé à 10 % du préjudice financier annuel de la famille, soit 2.200,40 euros ; que leur préjudice économique doit être évalué comme suit :

- [H] (âgée de 14 ans lors du décès de son père) :

2.200,40 euros x 9,432 (prix de l'euro de rente à l'âge du décès jusqu'à 25 ans) = 20.754,17 euros,

- [S] (âgée de 14 ans lors du décès de son père) :

2.200,40 euros x 9,415 = 20.716,76 euros,

à déduire les arrérages échus et à échoir de la pension temporaire d'orphelin versée par la Caisse des dépôts et consignations : 3.085,78 euros

soit un solde de : 17.630,98 euros

- [R] (âgé de 8 ans au décès de son père) :

2.200,40 euros x 13,339 = 29.351,14 euros,

à déduire les arrérages échus et à échoir de la pension temporaire d'orphelin versée par la Caisse des dépôts et consignations : 10.917,67 euros,

soit un solde de : 18.433,47 euros ;

Attendu que le préjudice économique annuel de Madame [N] correspond à 70% du préjudice annuel de la famille, soit 15.402,80 euros ; que son préjudice global doit être évalué comme suit :

15.402,80 euros x 21.235 (prix de l'euro de rente viagère avec comme référence l'âge du défunt le jour de son décès) = 327.078,45 euros ;

Que la réparation intégrale de son préjudice doit prendre en compte la réintégration de la part non consommée des enfants après leur vingt cinquième anniversaire ; que cette part doit être divisée par deux, dès lors que le défunt aurait bénéficié, comme son conjoint survivant, de l'accession à l'indépendance des enfants ; que cette réintégration doit dès lors être évaluée comme suit :

Pour [H] :

2.200,40/2 = 1.100,20 euros x 16,325 (prix de l'euro de rente viagère avec comme référence l'âge qu'aurait eu le défunt lors des 25 ans de son enfant), soit 17.960,77 euros,

Pour [S] :

1.100,20 euros x 16,325 = 17.960,77 euros,

Pour [R] :

1.100,20 euros x 13,632 = 14.997,93 euros ;

Que le préjudice économique de Madame [N] s'élève à : 377.997,92 euros, avec déduction des arrérages échus et à échoir de la pension de réversion versés par la Caisse des dépôts et consignations (99.781,24 euros), soit un solde de 278.216,68 euros ;

Attendu que les enfants de Monsieur [N], en leur qualité d'héritiers, sont fondés à solliciter l'indemnisation des souffrances endurées par leur père avant son décès, qui justifient une indemnité de 16.000 euros ;

Attendu que la Caisse des dépôts et consignations justifie de sa créance s'élevant au total à 113.784,79 euros au titre de la pension de réversion versée à Madame [N] et des pensions temporaires d'orphelin versées à [S] et [R] [N] ;

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Réforme le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

Déclare Monsieur [U] et Monsieur [A] responsables in solidum de l'entier préjudice subi par les consorts [N],

Condamne Monsieur [U], Monsieur [A] et la société La Médicale de France in solidum à payer :

* en réparation de leur préjudice moral, à Madame [N] la somme de TRENTE MILLE EUROS (30.000 EUROS), et à Madame [H] [N], Monsieur [S] [N] et à Madame [N] ès qualités d'administratrice légale de son fils mineur [R] [N], à chacun, la somme de VINGT CINQ MILLE EUROS (25.000 EUROS),

- en réparation de leur préjudice économique,

* à Madame [G] [N], la somme de DEUX CENT SOIXANTE DIX HUIT MILLE DEUX CENT SEIZE EUROS SOIXANTE HUIT CENTS (278.216,68 EUROS),

* à Madame [H] [N], la somme de VINGT MILLE SEPT CENT CINQUANTE QUATRE EUROS DIX SEPT CENTS (20.754,17 EUROS),

* à Monsieur [S] [N], la somme de DIX SEPT MILLE SIX CENT TRENTE EUROS QUATRE VINGT DIX HUIT CENTS (17.630,98 EUROS),

* à Madame [N] ès qualités d'administratrice légale de son fils mineur [R] [N], la somme de DIX HUIT MILLE QUATRE CENT TRENTE TROIS EUROS QUARANTE SEPT CENTS (18.433,47 EUROS),

* à Madame [G] [N] la somme de QUATRE MILLE NEUF CENT SOIXANTE QUATRE EUROS QUATRE VINGT HUIT CENTS (4.964,88 EUROS),

* à Madame [H] [N] Monsieur [S] [N] et à Madame [N] ès qualités d'administratrice légale de son fils mineur [R] [N], la somme de SEIZE MILLE EUROS (16.000 EUROS) au titre des souffrances endurées par leur père,

* à la Caisse des dépôts et consignations, la somme de CENT TREIZE MILLE SEPT CENT QUATRE VINGT QUATRE EUROS SOIXANTE DIX NEUF CENTS (113.784,79 EUROS),

Constate que par ordonnance du 07 juin 2011 le conseiller de la mise en état a dit qu'il devait être sursis à statuer sur l'action directe engagée à l'encontre de la SHAM jusqu'à la décision définitive de la juridiction administrative sur la responsabilité du CHU de [Localité 22],

Déclare irrecevables avant l'issue du sursis les demandes de condamnations présentées à l'encontre de la SHAM,

Déclare l'arrêt opposable à la Caisse nationale de Retraite des agents des collectivités locales,

Condamne in solidum Monsieur [U], Monsieur [A] et la société La Médicale de France à payer, en application de l'article 700 du code de procédure civile, aux consorts [N] la somme de CINQ MILLE EUROS (5.000 EUROS), et à la Caisse des dépôts et consignations la somme de MILLE CINQ CENTS EUROS (1.500 EUROS),

Rejette les autres demandes présentées sur le même fondement,

Réserve les dépens de l'action engagée à l'encontre de la SHAM jusqu'à l'issue du sursis à statuer,

Condamne in solidum Monsieur [U], Monsieur [A] et la société La Médicale de France au surplus des dépens de première instance et d'appel, et dit que ces derniers pourront être recouvrés directement par la Scp Aguiraud-Nouvellet et Me Matagrin dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre civile b
Numéro d'arrêt : 10/05214
Date de la décision : 30/05/2012

Références :

Cour d'appel de Lyon 1B, arrêt n°10/05214 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-05-30;10.05214 ?
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