R.G : 09/01595
décision du Tribunal de Grande Instance de CUSSET au fond du
04 décembre 2006
RG N°05.00132
[H]
[Y]
C/
[J]
COUR D'APPEL DE LYON
PREMIERE CHAMBRE CIVILE B
ARRET DU 08 DECEMBRE 2009
APPELANTS :
Monsieur [U] [H]
[Adresse 10]
[Localité 15]
représenté par Me Alain RAHON
avoué à la Cour
assisté de Me MARTIN-LAISNE
avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
Madame [E] [Y] épouse [H]
[Adresse 10]
[Localité 15]
représentée par Me Alain RAHON
avoué à la Cour
assistée de Me MARTIN-LAISNE
avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
INTIME :
Monsieur [O] [J]
[Adresse 12]
[Localité 14], BELGIQUE
représenté par Me Christian MOREL
avoué à la Cour
assisté de Me Alexandre BENAZDIA
avocat au barreau de CUSSET
L'audience de plaidoiries a eu lieu le 20 octobre 2009, date à laquelle l'affaire a été clôturée
L'affaire a été mise en délibéré au 24 novembre 2009, prorogée au 08 décembre 2009, les avoués dûment avisés, conformément à l'article 450 dernier alinéa du Code de procédure civile
COMPOSITION DE LA COUR, lors des débats et du délibéré :
Président : Monsieur BAIZET,
Conseiller : Monsieur ROUX,
Conseiller : Madame AUGE
Greffier : Madame JANKOV, pendant les débats uniquement.
A l'audience Monsieur ROUX a fait son rapport conformément à l'article 785 du Code de procédure civile.
ARRET : contradictoire
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
signé par Monsieur BAIZET, président de chambre et par Madame JANKOV greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Monsieur [U] [H] et son épouse née [E] [Y] ont acquis par acte du 23 avril 1998 des consorts [C] une propriété située à [Localité 15] (Allier) comprenant un château dit '[Adresse 10]' et un parc d'une superficie de 12 hectares 80 ares 25 centiares. Cette propriété comporte notamment les parcelles A [Cadastre 2] et [Cadastre 1].
Ces parcelles sont voisines de celles appartenant à Monsieur [O] [J] situées au Nord-Est et en aval, constituées d'un étang dénommé '[Localité 13]' recouvrant les parcelles A [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 8] en nature de pré-étang d'une superficie totale de 8 hectares 52 ares 01 centiare.
Monsieur [J] a acquis cet étang par acte du 17 septembre 2001 de Monsieur et Madame [V] qui eux-mêmes l'avaient acheté en 1985 à Monsieur [I] [M].
Les deux propriétés qui ont appartenu à un auteur commun sont séparées par un chemin communal dit '[Adresse 11]' sous lequel passe un aqueduc permettant l'écoulement d'un ruisseau dans le plan d'eau aménagé sur la propriété de Monsieur [J].
Les époux [H], se plaignant de ce que les eaux de l'étang de Monsieur [J] refoulent sur leurs parcelles et inondent leur propriété sur une superficie d'environ 1 hectare ont assigné le 23 octobre 2003 Monsieur [J] devant le juge des référés du Tribunal de Grande Instance de CUSSET afin d'obtenir la désignation d'un expert ayant pour mission de déterminer la surface inondée, d'analyser les dommages en résultant tels que érosion, dégradation, perte de récoltes... et de proposer les moyens propres à y remédier.
Par ordonnance en date du 7 janvier 2004 le juge des référés a ordonné une expertise confiée à Messieurs [R] et [N].
Par ordonnance en date du 23 juin 2004 l'expertise a été déclarée opposable aux consorts [V] auteurs de Monsieur [J] et à l'Association Syndicale autorisée de drainage et d'irrigation de l'Allier.
Les experts ont effectué leur mission et déposé leur rapport le 15 novembre 2004.
Ils confirmaient que la parcelle A [Cadastre 1] de Monsieur [H] était inondée régulièrement par le ruisseau la traversant, ruisseau desservant l'étang '[Localité 13]' de Monsieur [J], et ce en raison de l'altitude du plan d'eau de cet étang.
Ils précisaient que l'étang avait été créé en 1970 à l'époque où Madame [B] [M] était propriétaire des deux tènements appartenant depuis aux époux [H] et à Monsieur [J].
Ils exposaient qu'à l'époque la commune ne s'était pas opposée à ce que l'étang se prolonge en amont de la voie communale, et que le plan cadastral ainsi que la carte IGN de 1984 indiquaient la même retenue sur les parcelles A [Cadastre 1] et A [Cadastre 2] des époux [H].
Ils préconisaient comme solution d'abaisser l'altitude du plan d'eau de l'étang '[Localité 13]'. Ils estimaient le coût des travaux à 9.210,400 euros TTC.
Ils estimaient le préjudice des époux [H] de la manière suivante :
- perte de revenus depuis 1998 : 525 euros,
- coût de la remise en état en cas d'assèchement : 175 euros.
Ils précisaient que la réclamation de Monsieur [H] selon laquelle sa propriété aurait été érodée par les eaux sur une hauteur de 80 centimètres à 1 mètre ne leur paraissait pas justifiée.
Par acte en date du 14 janvier 2005 les époux [H] ont assigné Monsieur [J] devant le Tribunal de Grande Instance de CUSSET afin d'obtenir sa condamnation à exécuter les travaux préconisés par les experts.
Monsieur [J] résistait à la demande en faisant valoir que les lieux n'avaient jamais été modifiés depuis 1970 et comprenaient déjà une retenue sur la propriété des époux [H].
Par jugement en date du 4 décembre 2006 le Tribunal de Grande Instance de CUSSET, après avoir relevé que l'étang n'avait pas subi de modifications depuis son origine et que les époux [H] comme Monsieur [J] avaient acquis leurs propriétés respectives dans cette situation et en présence d'un ouvrage de retenue manifeste se prolongeant en amont de la voie communale, a estimé que les époux [H] ne rapportaient pas la preuve du trouble qu'ils invoquaient.
Les époux [H] étaient en conséquence déboutés de leurs demandes et condamnés à payer à Monsieur [J] la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Les époux [H] ont relevé appel de cette décision.
Par arrêt en date du 12 décembre 2007 la Cour d'Appel de RIOM a estimé que les inondations générées sur la propriété des époux [H] par l'altitude du plan d'eau fixée par la retenue située en aval de l'étang de Monsieur [J] constituaient un trouble anormal de voisinage au sens des articles 544 et 1384 du Code Civil rendant inaccessible une partie de la propriété affectée par les inondations.
La Cour a cependant estimé que les données de fait à l'origine des inondations existaient en toute légalité depuis 1970 et que les conséquences qui en résultaient ne pouvaient donner lieu à réparation par l'effet de la prescription trentenaire de l'article 2262 du Code Civil.
La Cour déclarait en conséquence irrecevable comme prescrite l'action de Monsieur et Madame [H] et condamnait ces derniers au paiement d'une nouvelle indemnité de 1.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Monsieur [U] [H] et son épouse née [E] [Y] ont formé un pourvoi en cassation contre cette décision.
Par un arrêt en date du 12 février 2009 la Cour de Cassation a estimé qu'en relevant d'office le moyen résultant de la prescription la Cour d'Appel avait violé l'article 2223 du Code Civil dans sa rédaction alors applicable.
La Cour de Cassation a en conséquence cassé et annulé l'arrêt de la Cour d'Appel de RIOM en toutes ses dispositions et renvoyé la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt devant la Cour d'Appel de LYON.
Les époux [H] rappellent que leur propriété et celle de Monsieur [J] ont appartenu à un seul propriétaire Madame [B] [D] veuve [M] décédée le [Date décès 9] 1972. Ils précisent que lors du partage qui a eu lieu en 1972 les parcelles A [Cadastre 2] et [Cadastre 1] ont été attribuées à Madame [W] [M] épouse [C], et que les héritiers de cette dernière
leur ont vendu ces parcelles par acte du 23 avril 1998, tandis que la propriété actuelle de Monsieur [J] a été attribuée à Monsieur [I] [M] qui l'a revendue en 1985 aux époux [V] qui l'ont eux-mêmes revendue à Monsieur [J] le 17 septembre 2001.
Ils exposent que l'étang a été créé avant le partage de 1972 mais s'est élargi et a vraisemblablement été terminé entre 1983 et 1985.
Ils soutiennent qu'au moment où ils ont acquis leur propriété l'étang situé sur la propriété des époux [V] (aujourd'hui [J]) n'inondait pas leurs parcelles A [Cadastre 2] et [Cadastre 1]. Ils font valoir que leur compromis de vente comme l'acte authentique ne fait état d'aucun débordement permanent sur lesdites parcelles. Ils soutiennent que l'inondation permanente de leurs parcelles constitue un trouble anormal de voisinage.
Ils rappellent que cette inondation permanente par le tributaire (affluent) débordant en raison de l'altitude de l'étang a été constatée par les experts et par procès-verbal d'huissier du 2 mars 2007.
Ils font valoir que l'étang de Monsieur [J] a été créé sans autorisation administrative, que Monsieur [J] ne peut invoquer une servitude d'écoulement des eaux dès lors qu'il ne s'agit pas d'un écoulement naturel, et qu'il ne peut davantage invoquer la prescription trentenaire dès lors que le trouble est apparu en 2003, ce que confirme la sommation avec assignation qu'ils ont délivrée à Monsieur [J] le 23 octobre 2003.
Ils exposent qu'ils ne peuvent accéder à leurs parcelles inondées ni les entretenir et que leurs terres subissent une érosion.
Ils rappellent que Monsieur [J] n'a effectué aucun des travaux préconisés par les experts.
Ils demandent à la Cour de réformer le jugement déféré, de dire et juger qu'il existe un trouble anormal de voisinage, et de condamner Monsieur [J] à leur payer la somme de 14.000 euros à titre de dommages et intérêts, toutes causes de préjudice confondues et 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Monsieur [J] rappelle que l'étang litigieux est alimenté par le ruisseau dénommé '[Localité 13]' et qu'au moment de sa création il s'étendait en amont et en aval du chemin communal séparant sa propriété de celle des époux [H], et que son niveau n'a pas varié.
Il fait valoir que la retenue sur les parcelles des époux [H] apparaît sur le plan cadastral de 1983 et une carte IGN de 1984, de même que sur une photographie aérienne du 21 juillet 1971.
Il soutient qu'en tout état de cause les époux [H] ne justifient d'aucun trouble anormal de voisinage résultant d'un agissement de sa part et encore moins d'un trouble dit permanent.
Il sollicite la confirmation de la décision et demande à la Cour d'y ajouter la condamnation des époux [H] à lui payer 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et 3.588 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
DISCUSSION
Attendu qu'il est constant que les propriétés des époux [H] et de Monsieur [J] ont appartenu à un seul propriétaire jusqu'au partage de la succession de Madame [B] [D] veuve [M] décédée le [Date décès 9] 1972 ;
Attendu que l'étang [Localité 13] a été créé en 1970 ;
Attendu qu'il résulte du rapport d'expertise qu'à sa création l'étang se prolongeait en amont du chemin communal donc sur les parcelles appartenant actuellement aux époux [H]
(rapport d'expertise page 17) ;
Attendu que cette situation est confirmée par le plan cadastral, la carte IGN de 1984 et le document d'arpentage de Monsieur [A] du 7 mars 1983 ; que ces documents font apparaître clairement le prolongement de l'étang en amont du chemin communal ; que ce prolongement apparaît également sur une photographie aérienne émanant de la photothèque nationale en date du 21 juillet 1971;
Attendu qu'il résulte du courrier de Monsieur le Maire de [Localité 15] en date du 13 juin 2003 que le niveau de l'eau est identique à ce qu'il était lors de sa création, ce qui est confirmé par Monsieur [V] auteur de Monsieur [J], et par Monsieur [X] entrepreneur de génie civile qui a réalisé l'étang ;
Attendu qu'il résulte de ces éléments que les époux [H] ont acquis en 1998 une propriété comportant une retenue d'eau dont le niveau et la surface n'ont pas baissé depuis ;
Attendu que des débordements ou des assèchements peuvent naturellement se produire par suite de fortes précipitations ou de périodes de sécheresse ; qu'il s'agit là de phénomènes naturels incontournables dans une propriété comportant une portion d'étang ;
Attendu que les époux [H] ne peuvent imputer à Monsieur [J] aucun fait malveillant qui soit à l'origine d'inondations ou de débordements, et constitutif d'un trouble anormal de voisinage ; qu'ils sont encore moins fondés à évoquer un trouble permanent ;
Attendu qu'il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement déféré qui les a déboutés de l'ensemble de leurs demandes ;
Attendu que Monsieur [J] ne démontre pas avoir subi un préjudice justifiant les dommages et intérêts qu'il sollicite ;
Attendu par contre que l'équité commande d'allouer à Monsieur [J] une indemnité supplémentaire de 3.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Vu l'arrêt de la Cour de Cassation du 12 février 2009,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 4 décembre 2006 par le Tribunal de Grande Instance de CUSSET,
Déboute Monsieur [J] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
Ajoutant au jugement déféré,
Condamne Monsieur [U] [H] et son épouse née [E] [Y] à payer à Monsieur [O] [J] une indemnité supplémentaire de TROIS MILLE EUROS (3.000 EUROS) en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
Les condamne aux dépens de l'arrêt cassé et du présent arrêt, avec pour ces derniers, droit de recouvrement direct au profit de Maître MOREL, avoué.
LE GREFFIER LE PRESIDENT