RG N° : 07/05916
décision du Tribunal de Commerce de BOURG EN BRESSEAu fond du20 juillet 2007
RG No : 2005/4711
GIMEL LAVERGNE SA
C/
Société TWD INDUSTRIES SAS
COUR D'APPEL DE LYON
PREMIERE CHAMBRE CIVILE A
ARRET DU 30 Octobre 2008
APPELANTE :
GIMEL LAVERGNE SA,Allée des Petites CombesZAC des Baterses01700 BEYNOST
représentée par la SCP BAUFUME-SOURBE, avoués à la Courassistée par Me BONNEFOY avocat au barreau de Lyon
INTIMEE :
Société TWD INDUSTRIES SAS,204 avenue des Platanes06410 BIOT
représentée par Me Annick DE FOURCROY, avoué à la Courassistée par Me BAETS, avocat au barreau de Nice
L'instruction a été clôturée le 30 Juin 2008
L'audience de plaidoiries a eu lieu le 25 Septembre 2008
L'affaire a été mise en délibéré au 23 octobre 2008 puis prorogé au 30 octobre 2008 les avoués dûment avisés, conformément à l'article 450 dernier alinéa du NCPC
COMPOSITION DE LA COUR, lors des débats :
En application des dispositions des articles 786 et 910 du nouveau code de procédure civile, l'affaire a été débattue devant Madame MARTIN présidente et Madame BIOT, conseiller, (sans opposition des avocats dûment avisés) qui ont fait lecture de leur rapport, ont entendu les plaidoiries et en ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,
assistées de Madame SAUVAGE, greffier.
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Madame MARTIN, présidenteMadame BIOT, conseillerMadame AUGE conseiller
ARRET : contradictoire
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
signé par Madame MARTIN, présidente et par Madame JANKOV, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE - PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
La société GIMEL LAVERGNE, créée en 1980, a pour activité le développement de solutions informatiques et pour assurer la maintenance des logiciels installés chez ses clients, elle a fait acquérir à ceux-ci un exemplaire de la licence du logiciel LAPLINK.
A la fin de l'année 2004, ayant eu connaissance de l'existence d'un logiciel plus performant dénommé " REMOTE-ANYTHING", elle a procédé au téléchargement d'une version de celui-ci qu'elle a installée pour test sur un certain nombre de postes des réseaux de ses clients.
Le 9 mai 2005, elle a fait l'objet d'une saisie contrefaçon à la requête de la société TWD INDUSTRIES qui lui reprochait l'utilisation d'une version contrefaite de son logiciel, version disponible sur internet et permettant son utilisation sans limitation.
La société TWD INDUSTRIES a alors assigné la société GIMEL LAVERGNE devant le Tribunal de Commerce de BOURG-en-BRESSE qui, par jugement du 20 juillet 2007 a :
- condamné la société GIMEL LAVERGNE à payer à la société TWD la somme de 50.000 € au titre du préjudice subi du fait de l'installation et de l'utilisation d'une version contrefaite des logiciels DS, Masters et Slaves et la somme de 10.000 € au titre du préjudice moral,
- condamné la société GIMEL LAVERGNE à procéder à la désinstallation complète du logiciel DS contrefait et de la totalité des modules " masters" et " slaves", et ce, sous astreinte de 200 € par jour de retard à compter du 30e jour suivant la signification du jugement,
- rejeté toutes autres demandes,
- condamné la société GIMEL LAVERGNE au paiement de la somme de mille euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision,
- condamné la société GIMEL LAVERGNE aux dépens.
Par déclaration au greffe de la Cour en date du 10 septembre 2007, la société GIMEL LAVERGNE a relevé appel.
Elle conclut à l'infirmation de la décision, au déboutement de la société TWD INDUSTRIES de ses nouvelles prétentions quant à l'évaluation de son préjudice et à la condamnation de cette dernière au paiement de la somme de dix mille euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile. Elle sollicite également sa condamnation à rembourser les sommes versées au titre de l'exécution provisoire avec intérêts de droit.
Elle soutient pour l'essentiel à l'appui de son recours que la SAS TWD INDUSTRIES n'établit pas qu'elle est l'auteur du logiciel REMOTE ANYTHING ou DIRECTORY SERVOR puisqu'elle ne verse aux débats aucun élément de preuve; que le dépôt par le dirigeant de TWD, en son nom propre du nom du logiciel à titre de marque n'a aucun rapport avec la qualité d'auteur du logiciel revendiquée par cette société; que TWD ne peut avoir cette qualité dès l'instant où le logiciel a été écrit et diffusé plusieurs années avant sa création; que TWD qui reconnaît que son dirigeant social serait l'auteur de l'un des deux logiciels ne justifie pas d'un apport en industrie à une quelconque société et qu'en conséquence, elle est sans qualité pour agir.
Elle invoque la nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon dans la mesure où il n'a été obtenu qu'à l'aide de procédés déloyaux à savoir l'obtention d'informations nominatives par l'utilisation d'un module secret du logiciel expédiant, à l'insu de l'utilisateur, des informations contenues dans son installation informatique.
A titre subsidiaire, elle conteste un préjudice autre que celui consécutif à l'implantation du logiciel litigieux sur 61 machines et soutient que sont inapplicables les dispositions de la loi du 29 octobre 2007 qui ne prévoit aucune disposition transitoire appliquant les sanctions civiles aux procédures en cours.
La société TWD INDUSTRIES conclut à la réformation du jugement et à la condamnation de la SA GIMEL LAVERGNE au paiement de la somme de 34.461.440 € en réparation des préjudices subis du fait de la contrefaçon outre 15.000 € au titre des frais irrépétibles. Elle sollicite également la condamnation de la SA GIMEL LAVERGNE à publier l'arrêt à venir dans les journaux généralistes " Le Monde" et spécialisé en informatique " 01 Informatique" à compter de la signification de l'arrêt sous astreinte de 1.000 € par jour de retard.
Elle fait valoir que le logiciel a été créé par Pierre A..., actuel dirigeant de TWD qui l'a apporté en industrie à la société TWD INDUSTRIES LLC créée début 1998 aux Etats-Unis puis a transféré son activité en France en créant en 2002 la SAS TWD INDUSTRIES. Elle ajoute que le logiciel repose sur le brevet français N° FR 03/03268 déposé par Pierre A... le 18 mars 2003. Elle bénéficie de la présomption légale de la qualité d'auteur et la SA GIMEL LAVERGNE doit apporter la preuve contraire.
Sur les moyens de preuve, elle expose que c'est la société GIMEL qui a déclenché l'enregistrement d'une clef de licence contrefaite en utilisant une version altérée du logiciel dans laquelle le dispositif de protection ne vérifie plus la validité de la clé de licence et que si elle avait utilisé la version originale, le logiciel en version de démonstration ne se serait jamais enregistré, même avec l'importation d'une clef de licence contrefaite.
Sur son préjudice, elle expose que son calcul ne peut se fonder uniquement sur la base de l'achat d'une licence mais doit tenir compte de l'achat annuel des mises à jour des licences acquises. Elle estime que son préjudice se situe à plusieurs niveaux : perte de ventes, avilissement de la marque, perte de parts de marchés, perte de bénéfices, perte de notoriété de la marque et du produit, banalisation des actes de contrefaçon, moindre qualité des logiciels contrefaisant et dépréciation et vulgarisation de l'oeuvre.
La société GIMEL LAVERGNE a communiqué une pièce nouvelle le 8 septembre 2008 et a déposé le 22 septembre 2008 des conclusions tendant à la révocation de l'ordonnance de clôture intervenue le 30 juin 2008. La société TWD INDUSTRIES s'oppose à cette demande.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Attendu qu'à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, aucune conclusion ou pièce ne peut être déposée après l'ordonnance de clôture, celle-ci ne pouvant être révoquée que s'il se révèle une cause grave survenue depuis qu'elle a été rendue; qu'en l'espèce, le prononcé d'un arrêt par une Cour d'Appel postérieurement à cette ordonnance ne constitue pas une cause grave au sens de l'article 784, alinéa 1er, du Nouveau Code de Procédure Civile; que la pièce déposée le 8 septembre 2008 par la société GIMEL LAVERGNE sera déclarée irrecevable;
1/ Sur la qualité à agir de la SAS TWD INDUSTRIES
Attendu qu'en vertu de l'article L.113-5 du Code de la Propriété Intellectuelle, l'exploitation et la divulgation d'une oeuvre et notamment d'un logiciel par une personne morale sous son nom fait présumer, à l'égard des tiers recherchés pour contrefaçon, que cette personne est titulaire sur cette oeuvre du droit de propriété incorporelle de l'auteur;
Attendu qu'en l'espèce, il résulte des pièces versées aux débats que la société TWD INDUSTRIES, inscrite au registre du commerce et des sociétés du Tribunal de Commerce d'ANTIBES et dont le dirigeant est Monsieur Pierre A..., exploite sous la marque " "Remote-Anything", un utilitaire d'administration à distance donnant accès à l'interface d'une machine à distance en temps réel; que ce logiciel est composé de trois modules, un module " Master", un module " Slave" et un module " Directory Server"; que ce dernier est un logiciel installé sur le serveur connecté en permanence à Internet ou à un réseau local et permet un déploiement des modules " master" et " slaves" sur les ordinateurs du parc informatique;
Attendu que la société TWD INDUSTRIES verse aux débats la publication internationale du brevet du 7 octobre 2004 qu'elle a déposé, mentionnant aux données relatives à la priorité une publication en France à la date du 18 mars 2003; que le logiciel " Remote-Anything a été commercialisé en Mai 2000 et le Directory Server en septembre 2001 comme le démontrent les communiqués de presse de TWD INDUSTRIES des années 2000 et 2001 versés aux débats par la société GIMEL LAVERGNE; que le site internet de TWD INDUSTRIES présente le logiciel DS ainsi que le tarif des licences pour le module Remote-Anything Master, le module slave et le "Directory Server" ce qui confirme qu'elle en assure bien la divulgation ;
Attendu qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments l'exploitation par la SAS TWD INDUSTRIES des logiciels " Remote-Anything " et " Directory Server"; qu'en l'absence de toute revendication du ou des auteurs de ces logiciels cette personne morale bénéficie de la présomption de titularité du droit d'auteur sur ces logiciels;
Attendu que la SAS TWD INDUSTRIES a donc qualité pour agir;
2/ Sur les moyens de preuve
Attendu que la société appelante reproche à la société intimée l'utilisation de moyens de preuve déloyaux à savoir la transmission à celle-ci par le logiciel comportant un véritable "mouchard" de données personnelles de l'utilisateur à son insu;
Attendu cependant que lors de l'acquisition d'un logiciel dont l'activation se fait par la connexion à un serveur, le client lui-même fournit un certain nombre de renseignements parmi lesquels son identité et son adresse; que l'activation de la clé entraîne inévitablement et généralement la transmission de données sur l'utilisation et l'utilisateur de ce logiciel; qu'en effet, l'octroi d'une licence confère un droit non-exclusif et non transférable d'utiliser la version du logiciel acquis et de l'installer sur un ordinateur; que la licence est accordée à une personne physique ou morale et que les exploitants interdisent à l'acquéreur de louer ou prêter le logiciel et de transférer la licence ou le droit d'utilisation à un tiers;
Attendu que l'installation du logiciel et l'activation de la clé donnent au vendeur les adresses IP, l'adresse MAC, le nombre de licences acquises et le nombre d'utilisateurs enregistrés; que l'installation même du logiciel ne peut se faire que si les coordonnées de l'ordinateur sur lequel elle est réalisée sont transmises au vendeur; que ce procédé permet à l'exploitant d'un logiciel non seulement de le rendre efficace mais également de contrôler que l'utilisation de celui-ci est conforme à celle indiquée par le client lors de l'achat; que dès lors que la clé d'utilisation adressée au client correspond à un nombre donné de licences, il doit pouvoir s'assurer que ce dernier ne procède pas à des installations sur des postes supplémentaires sans en acquérir de nouvelles;
Attendu qu'en l'espèce, lorsque le client achète une licence auprès de TWD INDUSTRIES, il donne son identité et son adresse, les informations concernant la machine et le nombre d'utilisateurs étant transmises au moment de l'activation de la clé; que l'adresse IP ne se rapportant qu'à une machine ne constitue pas une donnée nominative;
Attendu que la société GIMEL LAVERGNE, selon ses propres écritures, a téléchargé une version de démonstration à la fin de l'année 2004 dont l'installation a obligatoirement transmis à l'exploitant un certain nombre de données sur l"utilisateur, qu'en effet, l'utilisation de la version de démonstration étant limitée à 30 jours, ces données sont nécessaires pour désactiver le logiciel à l'issue de cette période si aucune licence n'est acquise;
Attendu qu'en février et en mai 2005, la société GIMEL LAVERGNE utilisait, sans avoir acquis de licence, le logiciel de la SAS TWD INDUSTRIES; qu'elle a donc fait usage d'une version altérée de celui-ci déclenchant l'enregistrement d'une clé de licence contrefaite transmettant à l'exploitant des données sur l'utilisateur; qu'elle ne peut reprocher à la société TWD INDUSTRIES d'avoir recueilli ces informations alors qu'elle même utilisait les logiciels à l'insu de la société intimée;
Attendu par ailleurs que c'est par une ordonnance rendue sur requête par le Président du Tribunal de Grande Instance de Nanterre que la société TWD INDUSTRIES a obtenu du fournisseur d'accès l'identité de l'abonné auquel a été attribué l'adresse IP de l'utilisateur des logiciels contrefaits;
Attendu que par la suite, c'est sur ordonnance du président du Tribunal de Grande Instance de Bourg-en-Bresse que la société TWD INDUSTRIES a fait pratiquer par un huissier, autorisé par ce magistrat à se faire assister d'un expert, une saisie description et une saisie contrefaçon de la version du logiciel DIRECTORY SERVER installé sur les ordinateurs dépendants du parc informatique de la société GIMEL LAVERGNE;
Attendu que contrairement à ce que soutient la société appelante, c'est par des procédés parfaitement admissibles et non déloyaux que les preuves de la contrefaçon ont été recueillies; que la procédure est régulière;
3/ Sur le préjudice de la SAS TWD INDUSTRIES
Attendu que le droit de propriété intellectuelle exclusif et opposable à tous de l'auteur d'un logiciel comporte celui exclusif de le commercialiser dans le cadre d'une licence d'exploitation; que la reproduction d'une oeuvre est une contrefaçon dès lors qu'elle est effectuée sans droit; que l'atteinte à ce droit privatif autorise l'exercice d'une action en contrefaçon;
Attendu que la société appelante ne discute pas avoir utilisé une version des logiciels de la société TWD INDUSTRIES sans avoir acquis les licences; que par ailleurs, la contrefaçon est établie par les constatations faites par l'huissier lors de ses opérations du 9 mai 2005 établissant l'utilisation des logiciels sur plusieurs machines depuis le mois de novembre 2004 jusqu'au jour de son intervention; qu'ainsi, la société TWD INDUSTRIES doit être indemnisée du préjudice subi du fait de la contrefaçon;
Attendu que l'ampleur du préjudice causé à cette dernière doit être apprécié en considération de l'étendue des atteintes portées à son droit d'auteur au regard de l'activité exercée par la société appelante;
Attendu qu'en l'espèce, les faits de contrefaçon ne se sont poursuivis que durant six mois; qu'il n'est pas démontré par la société TWD INDUSTRIES que les logiciels aient été utilisés postérieurement aux opérations de l'huissier de justice du 9 mai 2005; que le nombre de licences installées sur un des serveurs de la société GIMEL LAVERGNE est largement supérieur à celui des logiciels réellement installés sur les postes informatiques; qu'en conséquence, la Cour estime que le préjudice de la société TWD INDUSTRIE résultant de la contrefaçon sera réparé par l'allocation d'une somme de 100.000 euros; que le jugement entrepris sera réformé de ce chef;
Attendu qu'il n'y a pas lieu d'ordonner la publication du présent arrêt;
Attendu que la société appelante sera condamnée à payer à la SAS TWD INDUSTRIES la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme le jugement entrepris, sauf en sa disposition ayant condamné la SA GIMEL LAVERGNE à payer à la SAS TWD INDUSTRIES la somme de 60.000 € en réparation de ses préjudices,
Et statuant à nouveau sur ce chef :
Condamne la SA GIMEL LAVERGNE à payer à la SAS TWD INDUSTRIES la somme de CENT MILLE EUROS ( 100.000 €) en réparation du préjudice subi du fait de la contrefaçon;
Déboute les parties de leurs autres demandes,
Condamne la SA GIMEL LAVERGNE à payer à la SAS TWD INDUSTRIES la somme de TROIS MILLE Euros (3.000 €) sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, en sus de celle allouée en première instance de ce chef
La condamne aux dépens et autorise Me de FOURCROY, titulaire d'un office d'avoué à en poursuivre le recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.