COUR D'APPEL DE LYONTroisième Chambre Civile SECTION A
ARRÊT DU 05 Juin 2008
Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de LYON du 09 octobre 2006 - No rôle : 2004j2438
No R.G. : 06/07219
Nature du recours : Appel
APPELANTE :
SOCIETE D'ECONOMIE MIXTE DE CONSTRUCTION DU DEPARTEMENT DE L'AIN - SEMCODA, venant aux droits de la SARL SOLYMOB9, rue de La Grenouillère01000 BOURG EN BRESSE
représentée par la SCP BAUFUME-SOURBE, avoués à la Cour
assistée de la SCP DUCROT ASSOCIES "DPA", avocats au barreau de LYON
INTIMEE :
Société RHODIA CHIMIE SAS, venant aux droits de la société GESMO GESTION MOBILITE40, rue de la Haie Coq93300 AUBERVILLIERS
représentée par la SCP AGUIRAUD-NOUVELLET, avoués à la Cour
assistée de Me Joëlle HERSCHTEL, avocat au barreau de PARIS
Instruction clôturée le 12 Février 2008
Audience publique du 26 Mars 2008
LA TROISIÈME CHAMBRE SECTION A DE LA COUR D'APPEL DE LYON,
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
Monsieur Bernard CHAUVET, PrésidentMonsieur Bernard SANTELLI, Conseiller Madame Marie-Françoise CLOZEL-TRUCHE, Conseiller
DEBATS : à l'audience publique du 26 Mars 2008sur le rapport de Monsieur Bernard CHAUVET, Président
GREFFIER : la Cour était assistée lors des débats de Mademoiselle Patricia LE FLOCH, greffier
ARRET : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 05 Juin 2008, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
Signé par Monsieur Bernard CHAUVET, Président, et par Mademoiselle Patricia LE FLOCH, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
La Ste SEMCODA a acquis de la Ste SOLYMOB le 9 mars 2001, un terrain (parcelle no 141 de la ZAC SAINT PIERRE à LYON-VAISE), qui faisait partie, avec les parcelles no 144 et 143, d'une ancienne friche industrielle où ont été exploitées par la Ste RHODIACETA, jusqu'en 1981, des activités de fabrication de textile.
La Ste SOLYMOB avait acquis le terrain le 1 septembre 2000 de la Ste CASSIN, qui le tenait de la Ste SAINT PIERRE DE VAISE depuis le 31 décembre 1998, qui l'avait acquis elle-même de la Ste TISA le 8 janvier 1992, cette dernière l'ayant reçu le 12 octobre 1987, par apport partiel d'actifs de la Ste RHÔNE POULENC TEXTILE.
A la suite de la découverte de substances suspectes sur les parcelles 144 et 143, la Ste SAINT PIERRE DE VAISE a obtenu du Tribunal de grande instance de LYON la désignation d'un expert, Monsieur Y..., le 13 novembre 2000, lequel a indiqué que les substances découvertes -biphényle et oxyde de biphényle- avaient été utilisées depuis 1924 dans le cadre d'activité textile, jusqu'en 1981, date de la cessation d'activité industrielle.
Par ordonnance en date du 5 août 2002, les opérations d'expertise ont été étendues à la parcelle no 141 et à la Ste SEMCODA.
Par acte d'huissier en date du 12 août 2004, la Ste SEMCODA a donné assignation à la Ste RHODIA CHIMIE et à la Ste GESMO GESTION IMMOBILIER MOBILITE, absorbée le 2 juillet 2004 par la Ste RHODIA CHIMIE, devant le Tribunal de commerce de LYON pour obtenir sa condamnation au paiement du coût des travaux de dépollution réalisés et, par jugement en date du 9 octobre 2006, elle a été déboutée de ses demandes aux motifs d'une part, que le fondement contractuel de la demande ne pouvait être retenu eu égard à l'existence de clauses contractuelles transférant l'obligation de réhabilitation des parcelles aux acquéreurs successifs et d'autre part, sur le fondement délictuel, qu'aucune obligation n'avait été mise à la charge des citées par l'autorité administrative et qu'elles n'avaient ainsi commis aucun manquement.
Le 16 novembre 2006, la Ste SEMCODA a relevé appel de cette décision.
Vu les conclusions récapitulatives de la Ste SEMCODA en date du 13 novembre 2007.
Vu les conclusions récapitulatives de la Ste RHODIA CHIMIE en date du 7 décembre 2007.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 10 mars 2008.
MOTIFS DE LA DECISION
Attendu que dans l'acte de vente du 9 mars 2001, par la Ste SOLYMOB de la parcelle no 141 à la Ste SEMCODA, il est indiqué que l'acquéreur prend le bien vendu dans l'état où il se trouve et qu'il est informé d'une part de la mesure d'expertise confiée à Monsieur Y... et d'autre part du courrier de la Préfecture du RHÔNE du 2 mars 2001 contenant le projet d'arrêté relatif à la réalisation d'une étude de sol du terrain pour apprécier sa pollution;
Que la Ste SEMCODA fait son affaire personnelle de cette situation et de ses conséquences sans recours contre le vendeur;
Attendu qu'il est constant aux débats et non contesté que la parcelle acquise par la Ste SEMCODA a révélé la présence de biphényl et d'oxyde de biphényl et qu'il résulte d'un rapport de la Direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (ci-après DRIRE), que les études ont abouti au classement du site en classe 2 (nécessitant une surveillance), une teneur importante de ces produits ayant été trouvée dans les eaux souterraines (rapport du 2 octobre 2002);
Que ces produits étaient utilisés dans le cadre de l'activité textile de la Ste RHODIACETA puis RHÔNE POULENC TEXTILE (rapports d'expertise de Monsieur Y... du 10 juillet 2001 et du 18 mars 2003);
Attendu sur la qualité d'ayant droit du dernier exploitant de la Ste RHODIA CHIMIE, que le rapport d'expertise (étude du sapiteur Ste DELOITTE et TOUCHE) établit que le seul ayant cause à titre universel incontestable de la Ste RHÔNE POULENC FIBRES, détentrice de l'intégralité des actions de la Ste RHÔNE POULENC TEXTILE, dernier exploitant sur le site, est la Ste GESMO GESTION MOBILITE, aux droits de laquelle se trouve la Ste RHODIA CHIMIE;
Qu'il importe peu que l'intégralité des terrains ou des activités ne lui a pas été transmise et qu'il convient de retenir que la Ste RHODIA CHIMIE est l'ayant cause du dernier exploitant du site pollué;
Attendu qu'aux termes des dispositions de la loi no 76-663 du 19 juillet 1976, la charge de la dépollution, d'un site industriel incombe au dernier exploitant, à moins qu'il n'ait cédé son installation et que le cessionnaire se soit régulièrement substitué à lui en qualité d'exploitant;
Que l'article 34-1 du décret du 21 septembre 1977 dispose que lorsqu'une installation classée est mise à l'arrêt définitif, son exploitant remet son site dans un état tel qu'il ne s'y manifeste aucun des dangers ou inconvénients mentionnés à l'article 1 er de la loi susvisée, qui mentionne les dangers ou inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publique, soit pour la protection de la nature et de l'environnement;
Attendu en l'espèce, que le 3 avril 2001, la Ste SOLYMOB, vendeur du terrain le 9 mars 2001, a été destinataire d'un arrêté préfectoral en date du 3 avril 2001, lui prescrivant la réalisation d'une étude de sol de la parcelle 141, au visa de l'article L 511-1 du Code de l'environnement -codifiant la loi du 19 juillet 1976- et sous peine des sanctions administratives et pénales prévues par la réglementation en vigueur sur les installations classées;
Que par arrêté préfectoral du 9 décembre 2002, une surveillance des eaux souterraines a été mise à la charge de la Ste SEMCODA;
Attendu que les obligations de la loi du 19 juillet 1976 et du décret du 21 septembre 1977 comportent des obligations impératives qui s'imposent au dernier exploitant et non au vendeur dès lors que cette obligation légale de remise en état n'a pas seulement pour objet la protection de l'acquéreur, mais un intérêt collectif touchant à la protection générale de l'environnement;
Que cette obligation de remise en état est étrangère au contrat de vente et que la Ste SEMCODA est fondée à invoquer la responsabilité délictuelle de l'exploitant ou de son ayant-droit, sans que puisse lui être opposée la clause de non recours énoncée au contrat, ce d'autant au surplus, qu'à la date de la vente, l'étude des sols réalisée par le Cabinet BERTRAND le 24 octobre 2001, suite à l'arrêté préfectoral du 3 avril 2001, n'avait mis en évidence aucune source de pollution dans les sols de la parcelle 141 et qu'il n'est pas démontré que la parcelle ait été acquise à un prix inférieur à sa valeur primitive pour tenir compte de l'état du sol ou du sous-sol (vente SCI CASSIN à Ste SOLYMOB le 1/9/2000 pour le prix de 2 649 947 F et vente Ste SOLYMOB à Ste SEMCODA le 9 mars 2001 pour le prix de 3 243 300 F;
Attendu dès lors, que la Ste SEMCODA ayant été contrainte de prendre des mesures de surveillance des eaux souterraines en application d'une obligation de police administrative, alors que le dernier exploitant ou son ayant cause, avait l'obligation de procéder à la remise en l'état de la parcelle en application des prescriptions de la loi du 19 juillet 1976 et que cette obligation pesait sur lui sans que puissent être invoquées les dispositions contractuelles de la vente du 9 mars 2001, la société appelante est fondée à invoquer le manquement de la Ste RHÔNE POULENC TEXTILE -aux droits de la quelle se trouve la Ste RHODIA CHIMIE- à son obligation légale, constitutif d'une faute au sens de l'article 1382 du Code civil;
Attendu qu'il importe peu qu'aucune mesure de réhabilitation du site n'ait été prescrite par le Préfet du RHÔNE à la Ste RHÔNE POULENC TEXTILE à la suite de la notification, le 26 mai 1981, de l'arrêt définitif d'exploitation de son établissement de LYON VAISE, alors d'une part qu'elle ne justifie nullement avoir notifié le dossier visé à l'article 34-1 III du décret du 21 septembre 1977 et d'autre part qu'aux termes de l'alinéa 2 de cet article, le Préfet peut, à tout moment, imposer à l'exploitant les prescriptions relative à la remise en état du site;
Que de plus, l'obligation mise à la charge de la Ste SEMCODA et les travaux réalisés sont antérieurs à l'entrée en vigueur du décret du 13 septembre 2005, modifiant les dispositions du décret du 21 septembre 1977, et la Ste RHODIA CHIMIE ne justifie pas qu'en apportant ses actifs le 9 novembre 1987 à une société ayant pour objet l'achat en vue de la revente d'immeubles bâtis et non bâtis-la Ste TRANSACTIONS IMMOBILIERES- elle était dispensée de la réhabilitation du site ou que l'obligation de remise en état n'était pas nécessaire même pour un nouvel usage industriel;
Attendu qu'il convient de retenir la responsabilité de la Ste RHODIA CHIMIE qui doit supporter le coût des travaux nécessaires à la remise en état du site;
Attendu sur le montant du préjudice, que l'étude de Monsieur Z..., sapiteur, en date du 30 avril 2003, fixe à la somme de 149 541,54 euros le montant des dépenses déjà engagées et à celle de 84 840 euros celles devant intervenir postérieurement au 5 février 2002;
Que l'expert Y... relève que le volume des terres à dépolluer a été déterminé sous le contrôle de la DRIRE, que le coût d'intervention a été contrôlé par ses soins et qu'il paraît conforme aux pratiques exercées dans le domaine de la dépollution;
Que la Ste RHODIA CHIMIE, qui a fait réaliser en 2002, une Evaluation simplifiée des risques, ne démontre pas -par une évaluation détaillée des risques qu'elle aurait pu entreprendre- que les travaux réalisés excèdent ceux nécessaires pour atteindre le seuil de dépollution fixé par la DRIRE le 9 janvier 2001 (55mg/kg);
Attendu que si l'arrêté préfectoral a prévu une surveillance trimestrielle des eaux pendant deux années, la DRIRE a demandé le maintien de la surveillance pendant une année supplémentaire du fait de l'apparition, pour la première fois, de biphényle et de diphényléther sur le terrain;
Que par courrier du 3 octobre 2005, le Préfet du RHÔNE a prolongé d'une année la surveillance des eaux;
Attendu que compte tenu de ces éléments, le montant du préjudice de la Ste SEMCODA doit être fixé à la somme de 99 988,52 euros HT (mission confiée au Cabinet BERTRAND et actualisation des prix), à celle de 84 840 euros HT ((frais survenus postérieurement au 5 février 2002), à celle de 10 175,68 euros (bilan prévisionnel du 14 novembre 2002), celle de 5 625,68 euros HT (factures des 5 mai et 10 août 2006 et 25 janvier 2007) et celle de 2 812,84 euros HT (factures des 25 janvier et 10 septembre 2007);
Que par contre, il convient d'écarter les frais financiers revendiqués par la Ste SEMCODA, compte tenu du retard causé à son projet immobilier, alors qu'elle connaissait de par son acte de'achat, les risques affectant le terrain quant à sa pollution et des travaux éventuels qu'elle aurait à réaliser;
Attendu que la Ste RHODIA CHIMIE doit être condamnée au paiement de la somme de 203 442,72 euros HT qui portera intérêt au taux légal à compter de l'assignation à concurrence de 184 828,52 euros, à compter du 9 février 2006 -date des conclusions- pour la somme de 10 175,68 euros et du 13 novembre 2007 (date des conclusions) pour le surplus;
Attendu que l'équité commande d'allouer à la Ste SEMCODA la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et de rejeter la demande de ce chef de la Ste RHODIA CHIMIE;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Reçoit l'appel comme régulier en la forme,
Infirme le jugement et statuant à nouveau,
Condamne la Ste RHODIA CHIMIE à payer à la Ste SEMCODA la somme de 203 442,72 euros HT qui portera intérêt au taux légal à compter de l'assignation à concurrence de 184 828,52 euros, à compter du 9 février 2006, pour la somme de 10 175,68 euros et du 13 novembre 2007 pour le surplus,
Condamne la Ste RHODIA CHIMIE à payer à la Ste SEMCODA la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
Rejette les autres demandes,
Condamne la Ste RHODIA CHIMIE aux dépens, ceux d'appel étant recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.