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30/04/2008 | FRANCE | N°07/00791

France | France, Cour d'appel de Lyon, Ct0109, 30 avril 2008, 07/00791


COUR D'APPEL DE LYONTroisième Chambre Civile SECTION A

ARRÊT DU 30 AVRIL 2008

Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de LYON du 02 janvier 2007 - No rôle : 2005j515
N° R.G. : 07/00791
Nature du recours : Appel

APPELANTE :
Société PIECES SERVICES GRUES SARL, représentée par ses dirigeants légaux5 rue Adrien Régent56370 SARZEAU
représentée par la SCP BAUFUME-SOURBE, avoués à la Cour
assistée de la SELAFA FIDAL, avocats au barreau de RENNES

INTIMEE :
Société MANITOWOC CRANE GROUPE FRANCE SAS anciennement d

énommée POTAIN18, rue des CharbonnièresBP 17369130 ECULLY CEDEX
représentée par Me Christian MOREL, avoué à la ...

COUR D'APPEL DE LYONTroisième Chambre Civile SECTION A

ARRÊT DU 30 AVRIL 2008

Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de LYON du 02 janvier 2007 - No rôle : 2005j515
N° R.G. : 07/00791
Nature du recours : Appel

APPELANTE :
Société PIECES SERVICES GRUES SARL, représentée par ses dirigeants légaux5 rue Adrien Régent56370 SARZEAU
représentée par la SCP BAUFUME-SOURBE, avoués à la Cour
assistée de la SELAFA FIDAL, avocats au barreau de RENNES

INTIMEE :
Société MANITOWOC CRANE GROUPE FRANCE SAS anciennement dénommée POTAIN18, rue des CharbonnièresBP 17369130 ECULLY CEDEX
représentée par Me Christian MOREL, avoué à la Cour
assistée de la SCP JAKUBOWICZ et ASSOCIES, avocats au barreau de LYON

Instruction clôturée le 26 Février 2008
Audience publique du 12 Mars 2008

LA TROISIÈME CHAMBRE SECTION A DE LA COUR D'APPEL DE LYON,

COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
Monsieur Bernard CHAUVET, PrésidentMonsieur Bernard SANTELLI, Conseiller Madame Marie-Françoise CLOZEL-TRUCHE, Conseiller
DEBATS : à l'audience publique du 12 Mars 2008sur le rapport de Monsieur Bernard CHAUVET, Président

GREFFIER : la Cour était assistée lors des débats de Mademoiselle Patricia LE FLOCH, greffier
ARRET : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 30 avril 2008, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Signé par Monsieur Bernard CHAUVET, Président, et par Mademoiselle Patricia LE FLOCH, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

La Ste PIECES SERVICES GRUES est spécialisée dans le négoce en gros de pièces détachées pour grue et pont roulant et s'approvisionnait depuis septembre1998 auprès de la Ste POTAIN, acquise en 2001 par la Ste MANITOWOC CRANE GROUP.
Invoquant une modification sans préavis de ses conditions de vente le 21 mars 2003, la Ste PIECES SERVICES GRUES a donné assignation à la Ste MANITOWOC CRANE GROUP le 5 mars 2003 devant le Tribunal de commerce de VANNES pour obtenir la réparation de son préjudice causé par la rupture brutale de leurs relations commerciales et par des pratiques discriminatoires et, par jugement en date du 28 janvier 2005, le Tribunal s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de LYON.
Par jugement en date du 2 janvier 2007, le Tribunal de commerce de LYON a débouté la Ste PIECES SERVICES GRUES de ses demandes et l'a condamnée au paiement de la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Le 5 février 2007, la Ste PIECES SERVICES GRUES a relevé appel de cette décision.
Elle expose que la Ste MANITOWOC CRANE GROUP lui a notifié une modification immédiate de ses conditions de vente, lui imposant sans justification, de nouvelles conditions inacceptables (suppression de remises, règlement au comptant) constitutives d'une pratique discriminatoire au sens de l'article L. 442-6 I 1° du Code de commerce.
La Ste PIECES SERVICES GRUES fait valoir que la Ste MANITOWOC CRANE GROUP a poursuivi avec d'autres partenaires, notamment son concurrent direct la Ste SAUDEM ou la Ste OUEST GRUES, des pratiques de prix antérieures avantageuses, qui ne sauraient reposer sur l'allégation d'un chiffre d'affaires plus important réalisé avec cette société ce critère n'étant d'ailleurs pas prévu par ses conditions générales de vente.
Elle rappelle que la modification des conditions de vente s'analyse en une rupture brutale des relations commerciales et indique que la Ste MANITOWOC CRANE GROUP n'a plus voulu assurer ses commandes postérieurement au 21 mars 2003.
Sur son préjudice, la Ste PIECES SERVICES GRUES relève qu'elle était en situation de dépendance économique obligée et non choisie, eu égard au caractère non substituable des pièces des grues POTAIN, qu'elle a dû dans l'urgence se réapprovisionner auprès d'autres fournisseurs dont les prix sont moins compétitifs et que compte tenu du volume d'affaires qu'elle entretenait avec la Ste MANITOWOC CRANE GROUP (50 % de son chiffre d'affaires), elle évalue à deux ans la période d'indemnisation sollicitée et à 408 000 euros son manque à gagner.
Elle fixe enfin à 78 650 euros sa perte subie compte tenu du fait qu'elle a du augmenter son stock (les pièces fournies par la Ste POTAIN étaient disponibles dans un bref délai) et qu'elle a connu des difficultés de trésorerie et à celle de 15 000 euros le préjudice lié aux approvisionnements plus onéreux qu'elle a dû subir.
La Ste PIECES SERVICES GRUES conclut à l'infirmation du jugement et à la condamnation de la Ste MANITOWOC CRANE GROUP au paiement de la somme de 501 650 euros à titre de dommages-intérêts et de celle de 10 000 euros en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
La Ste MANITOWOC CRANE GROUP réplique que la pluralité de tarifs est admise lorsqu'elle est justifiée par différents facteurs ou critères, par la situation de clients opérant sur des marchés différents ou des secteurs différents, par un risque commercial élevé, par l'allégement des charges de distribution ou par l'entreposage ou la tenue d'un stock important.
Elle soutient qu'elle peut pratiquer une politiques tarifaires distincte à l'égard d'acheteurs qui ne présentent pas les mêmes caractéristiques que la Ste PIECES SERVICES GRUES et notamment vis à vis de la Ste SAUDEM qui générait en 2002, un chiffre d'affaires trois fois plus important que l'appelante et qui dispose d'un stock de pièces POTAIN très important et varié qui permet de satisfaire les clients dans un délai record.: elle est ainsi fondée, dans le cadre de ses conditions particulières de vente, de pratiquer une politique tarifaire différente.
Pour ce qui concerne la Ste OUEST GRUES, elle précise, pour expliquer sa différence tarifaire, qu'elle collabore avec elle depuis plus de vingt ans, que son chiffre d'affaires est deux fois plus important que celui de la Ste PIECES SERVICES GRUES et qu'elle a acquis en 1985 l'activité grues de la Ste BPR, dont la Ste OUEST GRUES était concessionnaire.
Elle ajoute que cette situation ne saurait caractériser une rupture des relations commerciales, dès lors qu'elle n'a jamais refusé de répondre à une demande de prix ou à une commande, comme le prouve la commande du 9 mars 2004, pour laquelle elle a bénéficié d'une remise de 15 %.
La Ste MANITOWOC CRANE GROUP conclut à la confirmation du jugement et à l'inexistence de tout préjudice, fait observer que les ventes de la Ste PIECES SERVICES GRUES ont augmenté de 28 % entre 2002 et 2003, que son chiffre d'affaires a progressé de 75 % en 2005 et qu'elle ne démontre pas avoir eu à reconstituer son stock.
Elle fixe à la somme de 8 000 euros sa réclamation en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 26 février 2008.
MOTIFS DE LA DECISION
Attendu que pour solliciter la réparation de son préjudice, la Ste PIECES SERVICES GRUES invoque deux fondements, l'un relatif à la rupture brutale par la Ste MANITOWOC CRANE GROUP FRANCE de leurs relations commerciales et l'autre relatif à des pratiques discriminatoires à son égard, non justifiées;
Attendu qu'aux termes de l'article L 442-6 I 5° du Code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait par tout industriel de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels;
Attendu en l'espèce, que la Ste PIECES SERVICES GRUES bénéficiait de la part de la Ste MANITOWOC CRANE GROUP FRANCE de conditions de vente lui assurant des paiements à 60 jours et des remises commerciales de 30 % au minimum;
Attendu que par courrier du 21 mars 2003, la Ste MANITOWOC CRANE GROUP FRANCE a fait connaître à la Ste PIECES SERVICES GRUES qu'à compter du 24 mars 2003, les conditions de vente étaient modifiées, les règlements s'effectuant à la réception de la facture et la facturation étant établie au tarif en vigueur, sans aucune remise;
Attendu qu'une modification substantielle par le fournisseur de ses conditions tarifaires et de ses conditions de vente constitue une modification essentielle du contrat liant les parties et s'analyse en une rupture des relations commerciales établies entre elles depuis quatre années et demi, qui doit être précédée d'un préavis;
Qu'en effet cette modification des éléments essentiels du contrat, entraîne pour l'acquéreur, la nécessité de réadapter son organisation notamment financière et qu'à défaut de délai de prévenance, la suppression des avantages consentis aurait entraîné, à volume égal d'activité, une baisse du chiffre d'affaires et de la marge brute de la Ste PIECES SERVICES GRUES;
Attendu que la Ste MANITOWOC CRANE GROUP FRANCE n'invoque pas en l'espèce des manquements de la Ste PIECES SERVICES GRUES à ses obligations, seuls, avec la force majeure, susceptibles de justifier une rupture sans préavis;
Que s'il était loisible à la Ste MANITOWOC CRANE GROUP FRANCE de modifier ses conditions tarifaires, elle devait différer dans le temps l'application de sa décision en tenant compte de la durée des relations commerciales qu'elle entretenait avec la Ste PIECES SERVICES GRUES depuis septembre 1998;
Attendu que le seul fait que la Ste MANITOWOC CRANE GROUP FRANCE ait accepté, au mois d'avril 2004, de livrer à la Ste PIECES SERVICES GRUES des pièces de rechange pour un montant supérieur à 7 000 euros avec une remise commerciale de 15 %, n'est pas de nature à priver d'effet la décision prise le 21 mars 2003, sur laquelle la société intimée n'est jamais revenu postérieurement, son courrier du 17 avril 2003 se limitant à donner les raisons de sa nouvelle attitude (concurrence tarifaire sur certains marchés, contrats avec ses fournisseurs...);
Attendu que compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales, du chiffre d'affaires réalisés en 2002 par la Ste PIECES SERVICES GRUES avec la Ste MANITOWOC CRANE GROUP FRANCE (187 505 euros), représentant près de 50 % des achats de la société, l'importance économique du fournisseur dans le domaine des grues, il apparaît que la Ste PIECES SERVICES GRUES aurait du bénéficier d'un préavis dont la durée doit être fixée à 5 mois;
Attendu sur le préjudice, que celui-ci ne peut résulter que du caractère brutal de la rupture et non de la rupture elle-même;
Que le préjudice doit être notamment apprécié en fonction de la marge bénéficiaire brute que la société appelante aurait été en droit de prétendre en l'absence de rupture immédiate et sans préavis des relations commerciales;
Attendu en l'espèce, que la moitié du chiffre d'affaires de la Ste PIECES SERVICES GRUES ne dépendait pas des fournitures de la Ste MANITOWOC CRANE GROUP FRANCE;
Attendu que l'exercice de la Ste PIECES SERVICES GRUES clôt au 31 décembre 2003, fait apparaître un chiffre d'affaires de 826 771 euros en augmentation de plus de 35 % par rapport à 2002 (594 445), avec une marge brute globale de 34 %;
Que le chiffre d'affaires a stagné en 2004 à la somme de 832 538 euros et s'est élevé à la somme de 1 459 598 euros en 2005;
Attendu que compte tenu de ces éléments, du fait que la Ste PIECES SERVICES GRUES a du constituer un stock auprès de fournisseurs différents, qu'elle venait d'engager un responsable commercial au mois de février 2003, il convient de fixer son préjudice à la somme de 50 000 euros;
Attendu que l'équité commande d'allouer à l'appelant la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et de rejeter la demande de ce chef de la Ste MANITOWOC CRANE GROUP FRANCE;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Reçoit l'appel comme régulier en la forme,
Infirme le jugement et statuant à nouveau,
Condamne la Ste MANITOWOC CRANE GROUP FRANCE à payer à la Ste PIECES SERVICES GRUES la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts,
Condamne la Ste MANITOWOC CRANE GROUP FRANCE à payer à la Ste PIECES SERVICES GRUES la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
Rejette les autres demandes,
Condamne la Ste MANITOWOC CRANE GROUP FRANCE aux dépens, ceux d'appel étant recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Ct0109
Numéro d'arrêt : 07/00791
Date de la décision : 30/04/2008

Analyses

CONCURRENCE - Transparence et pratiques restrictives - Rupture brutale des relations commerciales.

Le préjudice lié à la rupture brutale d'une relation commerciale établie, résulte non pas de la rupture en tant que telle, mais du caractère brutal de cette rupture, ce qui est le cas lorsque la rupture des relations commerciales est immédiate et sans préavis.Cette rupture constitue le point de départ pour l'évaluation du préjudice, lequel est apprécié en fonction de la marge bénéficiaire brute à laquelle la partie victime aurait pu prétendre s'il n'y avait pas eu cette rupture brutale.


Références :

article L. 442-6 I 5° du code de commerce

Décision attaquée : Tribunal de commerce de Lyon, 02 janvier 2007


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.lyon;arret;2008-04-30;07.00791 ?
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