COUR D'APPEL DE LYON Troisième Chambre Civile SECTION A
ARRÊT DU 3 AVRIL 2008
Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Grande Instance à compétence commerciale de MONTBRISON du 01 juin 2005- N° rôle : 2005 / 66
N° R. G. : 06 / 05522
Nature du recours : Appel
APPELANTE :
Société MARINI SILVANO Via Sole 10 / A 63020 MONTAPPONE (AP) ITALIE
représentée par la SCP LAFFLY-WICKY, avoués à la Cour
assistée de la SCP FROMONT-BRIENS ET ASSOCIES, avocats au barreau de LYON
INTIMEE :
Société AMG2R SARL Quartier de la Cadenière Chemin de la Sarrière 13590 MEYREUIL
représentée par la SCP BRONDEL-TUDELA, avoués à la Cour
assistée de la SELARL HILBERT-THOMASSON PEIGNE, avocat au barreau de LYON
Instruction clôturée le 05 Mars 2008
Audience publique du 19 Mars 2008
LA TROISIÈME CHAMBRE SECTION A DE LA COUR D'APPEL DE LYON,
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
Monsieur Bernard CHAUVET, Président Monsieur Bernard SANTELLI, Conseiller Madame Marie-Françoise CLOZEL-TRUCHE, Conseiller
DEBATS : à l'audience publique du 19 Mars 2008 sur le rapport de Monsieur Bernard CHAUVET, Président
GREFFIER : la Cour était assistée lors des débats de Madame Joëlle POITOUX, Greffier
ARRET : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 3 avril 2008, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Signé par Monsieur Bernard CHAUVET, Président, et par Mademoiselle Patricia LE FLOCH, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
A compter du début de l'année 2000, la Ste MARINI SILVANO-fabricant d'accessoires de mode-a conclu avec la Ste A. M. G. 2R un contrat d'agence commerciale pour la commercialisation de ses produits en FRANCE.
Invoquant la rupture du contrat du fait de la Ste MARINI SILVANO, la Ste A. M. G. 2R lui a donné assignation devant le Tribunal de grande instance de MONTBRISON statuant en matière commerciale par acte d'huissier en date du 15 décembre 2004 et, par jugement réputé contradictoire en date du 1 juin 2005, le tribunal a retenu que la rupture était imputable à la société citée et l'a condamnée au paiement de la somme de 15 879, 94 euros au titre des commissions de l'année 2003, de 11 223, 48 euros au titre des commissions pour les sept premiers mois de l'année 2004, à celle de 10 514, 60 euros au titre des commissions postérieures à la rupture (6 mois), celle de 5 257, 13 euros au titre du préavis de trois mois et de celle de 42 057, 06 euros au titre de l'indemnité de rupture outre celle de 800 euros en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
La même décision a rejeté la demande de capitalisation des intérêts.
Le 10 août 2006, la Ste MARINI SILVANO a relevé appel de cette décision.
Elle expose que c'est la Ste A. M. G. 2R qui a mis fin au contrat par lettre du 28 juillet 2004, elle-même s'étant limitée à lui faire part de son intention de rompre du fait de ses manquements et qu'elle ne peut ainsi prétendre à l'indemnité prévue par l'article L 134-13 du Code de commerce.
La Ste MARINI SILVANO fait valoir qu'il résulte de l'ensemble des pièces produites et des écritures de la Ste A. M. G. 2R, qu'aucune rupture contractuelle n'est intervenue avant le 28 juillet 2004 et elle sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il a alloué la somme de 42 057, 60 euros à titre d'indemnité.
Elle soutient également que la Ste A. M. G. 2R a commis une faute grave en diffusant des produits directement concurrents des siens en violation de son obligation de loyauté, ce qui a d'ailleurs entraîné l'effondrement des ventes de ses produits au cours de l'année 2003, baisse confirmée en 2004.
La Ste MARINI SILVANO conteste ne pas avoir répondu aux demandes et interrogations de son mandataire-elle lui a communiqué le catalogue pour l'année 2004- relève que la faute grave peut être retenue en l'absence de lettre de rupture du mandant et qu'elle ne pouvait mettre en demeure la Ste A. M. G. 2R de s'expliquer puisqu'elle n'a appris les faits de concurrence que concomitamment à la rupture initiée par son mandataire.
Sur les commissions, elle indique que la Ste A. M. G. 2R n'a plus établi de factures à compter du deuxième semestre 2003, bien qu'elle lui ait fait parvenir l'ensemble des éléments nécessaires pour établir sa facturation.
La Ste MARINI SILVANO souligne que les demandes de la Ste A. M. G. 2R ne reposent sur aucun élément, qu'elle a cessé toute activité à son profit à compter de la fin du premier trimestre 2004- la dernière commande est du 19 mars 2004- et qu'elle ne peut prétendre à aucune commissions pour la période postérieure à la rupture.
Elle conteste que la Ste A. M. G. 2R ait bénéficié d'un secteur géographique déterminé, précise que les dispositions de l'article L 134-6 du Code de commerce ne peuvent s'appliquer, qu'en l'absence d'envoi de factures aucune commission ne peut être réglée et prétend qu'en tout état de cause, les pièces comptables produites démontrent que la société intimée a été remplie de ses droits pour les années 2003 et 2004.
A titre subsidiaire, elle demande que le calcul de l'indemnité de clientèle soit réalisé sur les années 2003 et 2004 et non 2001 et 2002.
La Ste MARINI SILVANO conclut à l'infirmation du jugement, au rejet des demandes et à l'allocation de la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
La Ste A. M. G. 2R réplique, sur l'imputabilité de la rupture, que la Ste MARINI SILVANO a toujours dénié, jusqu'à l'instance d'appel, avoir été engagée par un contrat d'agent commercial et qu'elle a prétendu avoir suspendu le contrat le 29 juillet 2003 par un courrier électronique qu'elle n'a jamais reçu ;
Par ailleurs, soutient-elle, l'appelante lui a fait connaître le 19 juillet 2004, qu'elle avait reçu par erreur le catalogue des produits à vendre, ce qui confirme qu'elle avait pris la décision de mettre un terme à leurs relations commerciales.
La Ste A. M. G. 2R soutient qu'en tout état de cause, s'il devait être considéré que la rupture lui incombe, elle serait la conséquence de circonstances imputables à la Ste MARINI SILVANO, qui ne l'a pas mis en mesure d'exécuter son mandat en s'abstenant de lui communiquer toutes informations et documentations utiles et en ne lui transmettant pas les relevés de commissions et de chiffre d'affaires et les justificatifs qui lui étaient demandés : le silence opposé par le mandant à son agent, non réglé de ses commissions sur son secteur exclusif, justifie la rupture imputable au mandant.
Sur la faute grave, elle indique que seuls les faits visés dans la lettre de rupture peuvent être invoqués à titre de faute grave et que dès lors la Ste MARINI SILVANO est irrecevable à l'invoquer, ce d'autant qu'elle n'a nullement sanctionné immédiatement ce prétendu comportement fautif.
A titre subsidiaire, la Ste A. M. G. 2R conteste les faits qui lui sont reprochés, n'ayant jamais commercialisé de produits concurrents et la Ste MARINI SILVANO ne peut se fonder sur le témoignage de Monsieur X..., son ancien salarié démissionnaire qui a transmis à la société appelante toutes les informations commerciales et tout son fichier clients, qu'ils ont ensuite exploités, ce dernier devenant son nouvel agent commercial pour la FRANCE.
Sur les commissions, elle fait valoir qu'elle doit être rémunérée sur toutes les ventes réalisées en FRANCE, que le mandant a l'obligation de communiquer tous les éléments comptables relatifs à ces ventes-ce qu'il n'a pas fait-et que la Ste MARINI SILVANO doit être condamnée au paiement de la somme forfaitaire de 23 406, 92 euros au titre de l'année 2003, de 14 237, 37 euros pour l'année 2004 et 12 203, 46 euros pour la période post contractuelle.
A titre subsidiaire, elle sollicite la condamnation de l'appelante au paiement de la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts, du fait du préjudice causé par la non-communication des éléments susceptibles de prouver les ventes réalisées.
La Ste A. M. G. 2R sollicite également la somme de 6 101, 73 euros au titre du préavis et celle de 48 813, 84 euros au titre de l'indemnité de l'article L 134-12 du Code de commerce et demande la capitalisation des intérêts.
Elle fixe à 6 000 euros sa réclamation sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 5 mars 2008.
MOTIFS DE LA DECISION
Attendu que même si aucun contrat écrit n'est intervenu entre les parties, il n'est plus contesté qu'elles étaient liées par un contrat d'agent commercial ;
Attendu sur la rupture du contrat, qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi ;
Que cette réparation n'est pas due lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent ou lorsqu'elle résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ;
Attendu en l'espèce que par courrier électronique du 19 juillet 2004, la Ste MARINI SILVANO rappelait à son mandataire que le 29 juillet 2003, elle lui avait envoyé un fax et plusieurs e-mails par lesquels elle l'informait que du fait du chiffre d'affaires réalisé au cours des dernières saisons, elle n'avait pas l'intention de continuer leur collaboration ;
Que par courrier du 28 juillet 2004, la Ste A. M. G. 2R considérait que notamment ce courrier consommait la rupture immédiate de leurs relations et elle sollicitait le paiement de ses commissions, d'une indemnité minimum de 40 000 euros et la remise de documents comptables ;
Attendu que le 28 juillet 2004, la Ste MARINI SILVANO contestait la qualité d'agent commercial de la Ste A. M. G. 2R, prétendait que toutes les commissions avaient été payées, rappelait que depuis le 12 janvier 2004 elle n'avait reçu aucune commande de sa part et qu'elle a ainsi confirmé son intention de rompre le contrat et qu'elle pensait que le travail des deux dernières années avait été insuffisant parce qu'elle était agent d'une maison concurrente qui vend des produits identiques ;
Attendu qu'aux termes de l'article L 134-3 du Code de commerce, l'agent commercial ne peut accepter la représentation d'une entreprise concurrente de celle de l'un de ses mandants sans accord de ce dernier ;
Que même en l'absence d'exclusivité, l'agent commercial est tenu d'une obligation de loyauté vis à vis de son mandant ;
Attendu en l'espèce qu'il résulte de l'attestation de Monsieur X..., directeur des ventes de la Ste A. M. G. 2R jusqu'au 31 mai 2003, qu'en cette qualité il a représenté notamment la Ste MARINI SILVANO, la Ste CABOT et Cie et la Ste IL CAPPELLO, ces trois sociétés étant concurrentes et les consignes de la direction étant de ne pas parler de CABOT chez IL CAPPELLO et chez MARINI SILVANO et vice versa ;
Que la qualité d'ancien salarié de la Ste MARINI SILVANO et le fait que Monsieur X... serait désormais l'agent commercial de la Ste MARINI SILVANO est insuffisant pour écarter cette attestation ;
Attendu qu'il résulte du catalogue de la Ste MARINI SILVANO qu'elle commercialise des bonnets et chapeaux de tous modèles pour enfants et adultes, des écharpes et des gants ;
Que la Ste CABOT et Cie propose à la vente des bonnets, des chapeaux, des casquettes et des gants pour enfants et adultes ;
Que ces sociétés proposent des produits concurrents ;
Attendu que la faute grave de l'agent commercial peut être invoquée par le mandant même postérieurement à la constatation de la rupture par le mandataire et que son absence de mention dans une lettre de rupture ne peut, en soi, lui interdire de s'en prévaloir lors d'une instance postérieure ;
Qu'en l'espèce, la Ste MARINI SILVANO fait état des manquements de la Ste A. M. G. 2R dans son courrier du 28 juillet 2004 ;
Attendu que si la Ste MARINI SILVANO a manqué à ses obligations en ne réglant à la Ste A. M. G. 2R que le 12 janvier 2004 les commissions du dernier semestre 2003 (alors qu'elles étaient payées trimestriellement jusqu'alors), le manquement par la société intimée à son obligation de loyauté, essentielle au mandat d'intérêt commun, caractérisé par le fait d'avoir caché une activité parallèle avec un concurrent, constitue une faute grave privative de l'indemnité prévue à l'article L 134-12 du Code de commerce ;
Que le jugement est réformé en ce qu'il a condamné la Ste MARINI SILVANO à payer à la Ste AMG 2R la somme de 42 057 euros à titre de dommages-intérêts ;
Attendu sur la demande relative au paiement de commissions, qu'il résulte des pièces produites et notamment des relevés de paiement de commissions, que l'activité de la Ste A. M. G. 2R s'est étendue sur tout le territoire français et que la sté MARINI SILVANO ne démontre pas, en donnant mandat à celle-ci de négocier des contrats de vente, qu'elle a entendu limiter son secteur géographique d'activité ;
Qu'il convient dès lors de retenir que la Ste A. M. G. 2R était chargée d'un secteur géographique déterminé au sens de l'article L 134-6 du Code de commerce et qu'elle a droit à la commission pour toute opération conclue pendant la durée du contrat avec une personne appartenant à ce secteur ;
Attendu que dans sa lettre de rupture du 26 juillet 2004, la Ste A. M. G. 2R a demandé à la Ste MARINI SILVANO qu'elle lui fasse parvenir le double des commandes, le double des factures, son journal des ventes et le grand livre des comptes clients, conformément aux dispositions de l'article R 134-3 du Code de commerce ;
Attendu que la Ste MARINI SILVANO a produit aux débats, en octobre 2007, des extraits de ses comptes pour l'année 2003 et l'année 2004, représentant, selon son chef comptable, l'intégralité des ventes pour les clients indiqués, lesquels n'ont pas effectué d'autres commandes directement ;
Attendu que ces documents ne concernent que les ventes pour lesquelles la Ste A. M. G. 2R a été commissionnée selon relevés des 12 janvier et 19 juillet 2004 et non l'ensemble des ventes de la Ste MARINI SILVANO qui permettrait de définir celles émanant de clients ayant leur activité sur le territoire français ;
Qu'ils ne comportent pas le nom de clients mentionnés par la Ste A. M. G. 2R (ORCA, AUBER PRICE, MODE COMPANY...), qui avaient passé des commandes en 2001 et 2002 ;
Attendu que compte tenu de ces éléments, il convient de déterminer le montant des commissions dues à la Ste A. M. G. 2R en tenant compte du dernier état accepté le 5 avril 2003 par la société intimée, portant sur le premier trimestre 2003 ;
Que compte tenu de ce montant (1 555, 62 euros) et du montant des commissions du deuxième trimestre 2003 qui n'ont fait l'objet d'aucune contestation de la part de la Ste A. M. G. 2R (3 592, 97 euros) et des sommes versées par la Ste MARINI SILVANO en 2003, il convient de fixer à la somme de 4 695, 13 euros le solde de commissions dû pour l'année 2003 et à celle de 5 837, 51 euros les commissions dues jusqu'au 28 juillet 2004 (5 148, 59 + 800, 89-111, 97), sommes qui porteront intérêt au taux légal à compter du 15 décembre 2004 ;
Attendu que sur le fondement de l'article L 134-7 du Code de commerce, il convient de fixer à la somme de 3 432, 40 euros le montant des commissions dû pendant quatre mois pour les opérations nées de l'activité antérieure du mandataire ;
Attendu que compte tenu de la cause de la rupture, la Ste A. M. G. 2R ne peut prétendre à un préavis ;
Attendu qu'il convient d'ordonner la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil ;
Attendu que l'équité commande d'allouer à la Ste A. M. G. 2R la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Reçoit l'appel comme régulier en la forme,
Infirme le jugement et statuant à nouveau,
Condamne la Ste MARINI SILVANO à payer à la Ste A. M. G. 2R la somme de 13 965, 04 euros à titre de commissions outre intérêt au taux légal à compter du 15 décembre 2004,
Condamne la Ste MARINI SILVANO à payer à la Ste A. M. G. 2R la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
Ordonne la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil,
Rejette les autres demandes,
Condamne la Ste MARINI SILVANO aux dépens, ceux d'appel étant recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.