COUR D'APPEL DE LYONTroisième Chambre Civile SECTION A
ARRÊT DU 29 Novembre 2007
Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de LYON du 23 mai 2005 - No rôle : 2003j3703
No R.G. : 05/03668
Nature du recours : Appel
APPELANTE :
Société INSTALLUX, SAChemin du Bois Rond69720 ST BONNET DE MURE
représentée par la SCP JUNILLON-WICKY, avoués à la Cour
assistée de Me Adrien-Charles DANA, avocat au barreau de LYON
INTIME :
Monsieur Michel Y...né le 25 mai 1945...69300 CALUIRE ET CUIRE
représenté par la SCP BRONDEL-TUDELA, avoués à la Cour
assisté de la SELARL LEXFACE, avocats au barreau de SAINT-ETIENNE
Instruction clôturée le 19 Juin 2007
Audience publique du 24 Octobre 2007
LA TROISIÈME CHAMBRE SECTION A DE LA COUR D'APPEL DE LYON,
DÉBATS en audience publique du 24 Octobre 2007tenue par Monsieur Bernard SANTELLI et Madame Marie-Françoise CLOZEL-TRUCHE, conseillers qui ont ainsi siégé, sans opposition des avocats dûment avisés, et en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré sur le rapport de Madame Marie-Françoise CLOZEL-TRUCHE
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
Monsieur Bernard CHAUVET, PrésidentMonsieur Bernard SANTELLI, Conseiller Madame Marie-Françoise CLOZEL-TRUCHE, Conseiller
GREFFIER : la Cour était assistée lors des débats de Mademoiselle Marie-Pierre BASTIDE, greffier
ARRET : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 29 Novembre 2007, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Signé par Monsieur Bernard CHAUVET, Président et par Melle Patricia LE FLOCH, Adjoint Administratif faisant fonction de greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Monsieur Y... détenait 77 % du capital social de la société TIASO, qui exerce une activité de commercialisation d'ossatures de cloisons destinées aux immeubles et il a passé, le 11 février 1991, un protocole d'accord avec la société INSTALLUX, aux termes duquel cette dernière prendrait dans un premier temps une participation majoritaire dans la société TIASO (70%), puis ensuite le contrôle total de la société dans un délai de 4 ans.
Une clause de non concurrence interdisait pendant 5 ans à Monsieur Y... de s'intéresser à toute entreprise concurrente de la société TIASO ou, en cas de départ du Groupe INSTALLUX, pendant une période de deux ans suivant ce départ.
Un second protocole d'accord a été signé entre les parties le 17 janvier 1994 se rapportant à l'achat du solde des actions, comportant une clause de confidentialité et une clause de non concurrence pendant deux ans.
Le 24 avril 1995, Monsieur Y... cesse toute activité au sein du Groupe INSTALLUX.
Invoquant le non respect de ses engagements par Monsieur Y..., la société INSTALLUX lui a donné assignation le 3 novembre 2003 devant le Tribunal de commerce de LYON pour obtenir sa condamnation au paiement d'une indemnité provisionnelle à valoir sur son préjudice et l'institution d'une mesure d'expertise et, par jugement en date du 23 mai 2005, elle a été déboutée de sa demande et condamnée au paiement de la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Le 27 mai 2005, la société INSTALLUX a relevé appel de cette décision.
Elle fonde sa demande sur la garantie d'éviction des articles 1625 et 1626 du Code civil en exposant que dès la première cession de ses titres, Monsieur Y... a entrepris toutes démarches pour récupérer une partie de la clientèle qu'il avait cédée en acquérant les titres de la société BIANCHI, jusqu'alors spécialisée dans la fabrication de meubles, pour réorienter son activité dans le domaine de l'aluminium et des profilés et en passant lui-même des commandes.
La société INSTALLUX fait valoir qu'il a gouverné en sous-main la société KTY, à la tête de laquelle il a placé Monsieur A..., ancien commercial de la société TIASO et Monsieur B..., ancien ingénieur de cette société.
De plus, soutient-elle, Monsieur Y... avait souscrit un engagement spécial de non concurrence et de secret et conteste l'avoir délié de son obligation de non concurrence par courrier du 25 mars 1994 -qui ne concerne que sa qualité de salarié- et indique que la concurrence trouve sa concrétisation dès le rachat en 1993 de la société BIANCHI puis dans la création et la direction de la société KTY.
La société INSTALLUX prétend que Monsieur Y..., après avoir quitté la société SAFI CONCEPT en avril 1995 (société du Groupe INSTALLUX) a violé les secrets de fabrication qu'il détenait en établissant lui-même les plans et profilés servant à la fabrication de cloisons en aluminium pour la société BIANCHI et la société KTY, qu'il contrôlait par l'intermédiaire de ses enfants et que son comportement lui a crée un préjudice qu'elle estime à 10 % de la valeur des titres cédés soit à la somme de 350 632 euros outre la somme de 500 000 euros à titre de dommages-intérêts à raison du préjudice souffert commercialement ensuite du détournement de clientèle opéré.
La société INSTALLUX fixe à 10 000 euros sa réclamation en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Monsieur Y... réplique, sur la garantie contre l'éviction, que la société INSTALLUX ne démontre nullement avoir enregistré une perte de clientèle alors qu'au contraire le chiffre d'affaires n'a cessé de progresser.
Il conteste les allégations relative à Monsieur B... qui a quitté la société KTY fin octobre 2003, au terme d'un protocole transactionnel, indique qu'il n'a pas été débauché en 1996 par cette société mais embauché se trouvant au chômage et que l'attestation produite par celui-ci, en violation de son engagement de confidentialité, est de pure complaisance.
Monsieur Y... prétend qu'aucun chiffre d'affaires en cloison n'a été réalisé par la société KTY avant le mois de décembre 1996 ni aucun chiffre d'affaires avec les sociétés citées par la société INSTALLUX, avant l'année 1997, soit bien après l'expiration de la clause de non concurrence.
Sur la clause de non concurrence qui est mentionnée dans six actes, il relève qu'elle est expirée soit le 17 décembre 1995 (acte du 17 décembre 1993) soit le 17 janvier 1996 (acte signé le 17 janvier 1994) et qu'il a été délié de celle figurant à son contrat de travail à durée déterminée lorsqu'il a occupé le poste de directeur de la société TIASO du 5 janvier au 15 avril 1994, après la cession totale de ses actions : il s'est dès lors trouvé définitivement délié de toute limitation de son activité professionnelle à compter du 15 avril 1994.
Compte tenu de l'indivisiblité des clauses de non concurrence et de secret -il ne pouvait être délié pour ses activités de salarié et tenu au respect de la clause pour des fonctions de dirigeant- Monsieur Y... s'estime déchargé de toute obligation à compter du 15 avril 1994.
Il ajoute qu'en tout état de cause, aucune preuve n'est rapportée de la violation de ses obligations avant le 17 janvier 1996 ni en matière de clause de non concurrence ni en matière de clause de secret.
Monsieur Y... conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation de la société INSTALLUX au paiement de la somme de 229 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral et pour procédure abusive et de celle de 10 000 euros en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 19 juin 2007.
MOTIFS DE LA DÉCISION
+ Sur la non concurrence et la clause de secret :
Attendu que dans le protocole d'accord du 11 février 1991, Monsieur Y... promet de ne pas s'intéresser à quelque titre que ce soit ou sous quelque forme que ce soit à toute société ou entreprise susceptible de concurrencer directement ou indirectement la société TIASO pendant une période de cinq ans, ou en cas de départ du Groupe INSTALLUX, pendant une période de deux ans suivant ce départ ;
Que l'acte de garantie de passif signé le même jour reprend les mêmes dispositions ;
Attendu que le protocole d'accord du 17 janvier 1994 dispose que Monsieur Y... s'interdit de s'intéresser directement ou indirectement par lui-même ou toute personne interposée, physique ou morale, soit à titre d'exploitant, soit à titre d'associé, même commanditaire, soit à titre de salarié, soit à titre de Conseil même bénévole, à toute entreprise quelle qu'en soit la forme, fabriquant ou vendant des articles ou prestations de services pouvant concurrencer ceux de la société TIASO, même accessoirement et ce, pendant une durée de deux ans ;
Que la même convention indique que Monsieur Y... s'engage formellement à ne divulguer à qui que ce soit aucun des plans, études, conceptions, projets, réalisations, étudiés, mis au point ou exploités dans l'entreprise, soit pour le compte de la société TIASO soit pour le compte de clients de celle-ci ;
Attendu que dans un acte signé le 17 décembre 1993, date à laquelle Monsieur Y... a démissionné de ses fonctions de Président du Conseil d'administration de la société TIASO, il est convenu que la période de non concurrence est limitée à une période de deux ans ;
Attendu que selon procès-verbal d'assemblée générale du 24 avril 1995, Monsieur Y... a démissionné de ses fonctions de gérant de la société SAFI CONCEPT, filiale à 100 % du Groupe INSTALLUX (rapport de gestion du Groupe INSTALLUX du 20 juin 2002);
Attendu que conformément aux dispositions du protocole d'accord du 11 février 1991, Monsieur Y... restait tenu par un engagement de non concurrence jusqu'au 24 avril 1997, soit deux ans après son départ du Groupe INSTALLUX ;
Que du fait du protocole du 17 janvier 1994, il était délié de la clause de secret à compter du 18 janvier 1996 ;
Attendu que par la lettre du 25 mars 1994, à en-tête de la société TIASO, cette dernière délie Monsieur Y... de son engagement de secret et de non concurrence figurant dans le contrat de travail les ayant liés du 5 janvier au 15 avril 1994 ;
Que ce courrier ne concerne que la clause de non concurrence et de secret figurant dans le contrat de travail qui n'est pas produit aux débats et ne vise pas les engagements antérieurs des parties figurant notamment dans le protocole d'accord du 11 février 1991 ;
Attendu sur le respect de la clause de non concurrence jusqu'au 24 avril 1997, que Monsieur Y... a travaillé au sein de la société BIANCHI en 1996, ainsi qu'en atteste le courrier envoyé à la société HYDRO ALUMINIUM à CHÂTEAUROUX le 28 juin 1996 pour commander des profils et les plans du mois de juin 1996 réalisés pour ces commandes par la société HYDRO ALUMINIUM ;
Que les plans révèlent que les commandes portent sur des cloisons, fournitures également fabriquées par la société TIASO et comprises dans le périmètre de la clause de non concurrence;
Attendu que la lettre adressée le 28 juin 1996 par Monsieur Y... à la société HYDRO ALUMINIUM, concerne également la société KTY, puisqu'elle indique le siège social de cette société comme adresse de livraison et de facturation ;
Attendu que la concurrence prohibée est également établie par l'attestation de Monsieur B..., lequel précise, qu'en sa qualité d'ancien salarié de la société TIASO, il a été contacté au début de l'année 1995 par Monsieur Y... pour venir travailler à la société BIANCHI, où il a crée le Bureau d'études, avant de passer au service de la société KTY fin 1996, à l'initiative de l'intimé ;
Que le Commissaire aux comptes de la société KTY indique que le chiffre d'affaires sur les cloisons a été intégralement réalisé au cours du mois de décembre 1996, soit antérieurement à l'expiration de la clause de non concurrence ;
Attendu qu'il convient de retenir que Monsieur Y... a violé la clause de non concurrence intervenue au bénéfice de la société INSTALLUX ;
+ Sur la garantie d'éviction :
Attendu que l'éviction dont souffre la société INSTALLUX dans la cession des actions trouve sa source dans la concurrence prohibée effectuée par Monsieur Y... ;
+ Sur le préjudice :
Attendu que la seule violation de l'obligation contractuelle de non concurrence crée un préjudice à la société INSTALLUX ;
Attendu de plus, que le chiffre d'affaires de la société TIASO n'a pas cessé d'augmenter entre le 31 décembre 1990 et le 31 décembre 1996 (de plus de 26 millions de francs à 37,5 millions de francs) alors qu'il s'est stabilisé à la somme de 37,2 millions de francs au 31 décembre 1997 et que résultat net est passé de 2,5 millions de francs au 31 décembre 1996 à 1,9 millions de francs au 31 décembre 1997 ;
Que compte tenu de ces éléments et de la durée de la violation (juin 1996-avril 1997), il convient, en infirmant le jugement déféré, de fixer à la somme de 80 000 euros le préjudice subi par la société INSTALLUX et de condamner Monsieur Y... au paiement de cette somme ;
Attendu que la demande de dommages-intérêts formée par Monsieur Y... pour procédure abusive est écartée ;
Attendu que l'équité commande d'allouer à la société INSTALLUX la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile et de rejeter la demande de ce chef de Monsieur Y... ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Reçoit l'appel comme régulier en la forme,
Infirme le jugement et statuant à nouveau,
Condamne Monsieur Y... à payer à la société INSTALLUX la somme de 80 000 euros à titre de dommages-intérêts,
Condamne Monsieur Y... à payer à la société INSTALLUX la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile,
Rejette les autres demandes,
Condamne Monsieur Y... aux dépens, ceux d'appel étant recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.