R.G : 06 / 02749
décision du Tribunal de Grande Instance de LYON au fond du 27 mars 2006
ch no 4
RG No2004 / 9974
X...
C /
Société MONSANTO AGRICULTURE FRANCE Sas ETABLISSEMENT JARDINS LOISIRS 28 Sa exploitant à l'enseigne GAMM VERT CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'EURE ET LOIR
COUR D'APPEL DE LYON
PREMIERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 06 SEPTEMBRE 2007
APPELANT :
Monsieur Sylvain X......... 28210 LORMAYE
représenté par Me BARRIQUAND avoué à la Cour
assisté de Me GOBILLOT avocat au barreau de GRASSE
INTIMEES :
Société MONSANTO AGRICULTURE FRANCE Sas Europarc du Chêne 1 rue Jacques Monod 69673 BRON CEDEX
représentée par la SCP LAFFLY-WICKY avoués à la Cour
assistée de Me LE BRETON avocat au barreau de PARIS
ETABLISSEMENTS JARDINS LOISIRS 28 Sa exploitant à l'enseigne GAMM VERT Route Nationale 829 28210 CHAUDON
représentée par la SCP AGUIRAUD-NOUVELLET avoués à la Cour
assistée de Me GOMEZ avocat au barreau de CHARTRES
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE (CPAM) DE L'EURE ET LOIR 11 rue du Docteur André Haye 28000 CHARTRES
avec agence 7 rue des Capucins 28100 DREUX 11 rue du Docteur André Haye 28000 CHARTRES
représentée par Me Christian MOREL avoué à la Cour
assistée de Me PHILIP de LABORIE avocat au barreau de LYON
L'instruction a été clôturée le 04 Mai 2007
L'audience de plaidoiries a eu lieu le 07 Juin 2007
L'affaire a été mise en délibéré au 06 Septembre 2007
COMPOSITION DE LA COUR, lors des débats et du délibéré :
Président : Monsieur BAIZET, Conseiller : Madame BIOT, Conseiller : Monsieur GOURD
Greffier : Madame JANKOV pendant les débats uniquement.
A l'audience Madame BIOT a fait le rapport conformément à l'article 785 du NCPC.
ARRET : contradictoire
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile,
signé par Monsieur BAIZET, président et par Madame JANKOV, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS-PROCEDURE-PRETENTIONS DES PARTIES
Grièvement brûlé à la jambe et à la cuisse gauche après avoir utilisé le 4 mai 2002 le désherbant HOCKEY-PRO de la marque MONSANTO qui avait été acheté dans un magasin JARDINS LOISIRS à CHAUDON (Eure), Monsieur Sylvain X... a obtenu par une ordonnance de référé du 4 février 2003 rendue par le Président du Tribunal de Grande Instance de LYON la désignation d'un expert puis, après dépôt du rapport du Docteur B..., a fait assigner devant le Tribunal de grande Instance de LYON la Société MONSANTO AGRICULTURE FRANCE Sas fabricant du produit, et la Société JARDINS LOISIRS exerçant sous l'enseigne GAMM VERT fournisseur de celui-ci pour que ces deux sociétés soient condamnées in solidum et avec exécution provisoire à l'indemniser du préjudice corporel subi en lui versant la somme de 673. 100 euros.
Par jugement du 27 mars 2006, le tribunal retenant le lien de causalité entre l'utilisation du produit et les brûlures mais considérant que la nocivité du désherbant était connue, que les conseils d'utilisation et les mises en garde étaient clairement mentionnées sur la notice d'utilisation et que Monsieur X... avait manqué de vigilance en n'enlevant pas immédiatement son pantalon mouillé et en ne se lavant pas à grande eau, a dit que cette victime avait commis une faute exonératoire au sens de l'article 1386-13 du Code Civil et l'a déboutée de toutes ses prétentions.
Appelant, Monsieur Sylvain X... conclut à l'infirmation du jugement et maintient ses prétentions initiales en faisant valoir qu'il conserve des séquelles importantes de ses brûlures puisqu'il a un déficit fonctionnel permanent de 6 % avec un préjudice professionnel, qu'il a supporté des souffrances considérables et conserve un préjudice esthétique de 5 / 7.
Monsieur X... affirme que le désherbant " HOCKEY-PRO " est un produit défectueux car il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre puisqu'il a provoqué de graves brûlures par simple contact indirect à travers des vêtements et en dépit d'une utilisation normale en particulier d'une bonne dissolution.
Il prétend que le lien de causalité est établi par les présomptions graves, précises et concordantes résultant des rapports médicaux et du témoignage de son frère.
Il insiste sur le fait que les divers médecins qui l'ont examiné n'ont pas mis en doute l'origine chimique des brûlures. Il s'insurge contre le fait qui lui est reproché en faisant valoir qu'il n'existait aucune indication sur un usage réservé au professionnel, et qu'ainsi il n'a enfreint aucune recommandation. Il considère qu'en tout état de cause ce reproche relève de la responsabilité du revendeur.
Il souligne qu'il a respecté les consignes de sécurité notées sur l'emballage lesquelles n'indiquaient pas d'enlever immédiatement le vêtement en cas d'imprégnation ni ne faisait état de précaution à prendre en cas de contact indirect.
L'appelant fait remarquer que seule la fiche de sécurité de MONSANTO comporte l'indication d'enlever immédiatement les vêtements contaminés mais que cette fiche n'est pas toujours remise au consommateur et qu'en l'espèce la Société JARDINS ET LOISIRS reconnaît que ces fiches ne sont transmises qu'aux clients qui les demandent.
La Société MONSANTO AGRICULTURE FRANCE Sas (ci-après MONSANTO), intimée, conclut au principal à la confirmation du jugement et subsidiairement à son exonération de responsabilité en raison de la faute de la victime. Elle conteste le préjudice professionnel allégué.
En tout état de cause cette société forme un appel en garantie contre la Société JARDINS ET LOISIRS qui a commis une faute en ne vérifiant pas la qualité de professionnel de Monsieur Sylvain X... et qui n'a pas suffisamment informé l'acheteur sur les conditions d'utilisation du produit.
Le Société MONSANTO indique que le désherbant " HOCKEY-PRO " contient deux substances nocives le Glyphosate et le Diuron mais qu'il a été homologué par la direction générale de l'Alimentation du ministère de l'Agriculture et figure dans la catégorie " XN NOCIF " à l'usage exclusif des professionnels ; que le récipient du produit comporte tous les avertissements pour une bonne utilisation et les précautions à prendre et qu'en outre la fiche de sécurité mise à la disposition des utilisateurs précise que si les vêtements sont contaminés il faut les enlever.
Cette société estime que le victime ne rapporte pas la preuve du lien de causalité entre le désherbant et les brûlures présentées, preuve qui lui incombe en application de l'article 1386-9 du Code Civil.
Elle prétend en effet que l'identité du véritable acheteur est inconnue, que les circonstances de l'utilisation ne sont connues que par les déclarations de la victime et de son frère, qu'aucun test cutané n'a été effectué ensuite pour vérifier la réalité de l'action du HOCKEY-PRO et que selon l'avis scientifique du Docteur D...aucun cas n'a été recensé.
Elle souligne que l'expert a lui-même utilisé le terme éventuel en ce qui concerne le lien de causalité.
Elle demande enfin d'écarter toute responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil dès lors qu'elle a informé l'utilisateur en étiquetant correctement et en notant les précautions utiles sur l'étiquette et sur le fiche.
La Société MONSANTO insisté également sur l'insouciance de Monsieur X... qui aurait du s'apercevoir que son pantalon avait été mouillé par le désherbant et penser que le contact avec la peau pouvait être nocif.
A l'appui de son appel en garantie contre la Société JARDIN LOISIRS elle reproche l'absence de contrôle de la qualité de professionnel de l'acheteur et l'absence d'information suffisante sur les précautions d'utilisation.
La Société JARDINS LOISIRS conclut au rejet des demandes de Monsieur X... en ce qu'elles sont dirigées contre elle au motif que le producteur du produit est connu.
Subsidiairement, elle fait valoir que les conditions d'utilisation du désherbant sont indéterminées, que l'achat a été effectué dans des conditions suspectes et que la victime a commis une faute manifeste en omettant de se laver à grande eau après avoir enlevé son pantalon immédiatement après la souillure.
Elle précise qu'elle a respecté son obligation d'information étant observé que l'acheteur direct du produit est la père de Monsieur Sylvain X... qui est un professionnel.
Elle demande en conséquence de débouter Monsieur X... de toutes ses prétentions.
La CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE (CPAM) DE L'EURE ET LOIR conclut pour le cas où la demande de Monsieur X... serait accueillie, de condamner in solidum la Société MONSANTO AGRICULTURE FRANCE Sas et la Sa JARDINS LOISIRS à lui payer la somme de 82. 864,10 euros, montant des prestations versées à Monsieur X... outre intérêts au taux légal, la somme de 926 euros au titre de l'article L 376-1 du Code de la Sécurité Sociale et la somme de 900 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
MOTIFS ET DECISION
Sur la responsabilité
Attendu que la déclaration du frère de la victime, les constatations des médecins qui ont examiné celle-ci dès le 5 mai 2002 et les jours suivants ainsi que les conclusions de l'expert B... constituent des présomptions graves, précises et concordantes du lien de causalité entre les brûlures chimiques du troisième degré dont elle a été atteinte et l'utilisation du désherbant HOCKEY-PRO fabriqué par la Société MONSANTO AGRICULTURE ;
Attendu que ce produit classé XN NOCIF comme contenant du Glyphosate et du Diuron est non seulement dangereux mais en l'espèce défectueux au sens de l'article 1386-4 du Code Civil en ce qu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre dès lors que l'étiquette apposée sur l'emballage ne mentionne pas très complètement les précautions d'emploi pour l'utilisateur ;
Attendu qu'en effet si l'indication XN NOCIF est apposée et s'il est noté les risques d'effets graves pour la santé en cas d'exposition prolongée ou d'ingestion, éviter le contact avec la peau, conserver à l'écart des aliments et boisson y compris ceux pour les animaux, ne pas manger, ne pas boire, ne pas fumer pendant l'utilisation, conserver uniquement dans le récipient d'origine, après contact avec la peau se laver abondamment à l'eau et au savon, il n'est pas précisé, comme sur la fiche de données de sécurité, d'enlever immédiatement les vêtements très contaminés et de laver avant réutilisation ; qu'il n'est pas non plus recommandé de se protéger avec des vêtements et des gants, d'éviter les risques d'allergie ni n'est enfin indiqué que le produit est à usage des seuls professionnels, la dénomination HOCKEY-PRO n'étant pas suffisante ;
Attendu que la Société MONSANTO qui n'établit pas que Monsieur X... a utilisé ce produit dans des conditions inattendues ou a enfreint une recommandation très précise figurant sur l'étiquette ne prouve pas une faute de la victime qui l'exonérerait de sa responsabilité de plein droit ;
Attendu que la demande de Monsieur X... contre la Société JARDINS LOISIRS n'est pas justifiée dès lors que le producteur est connu ;
Attendu que l'appel en garantie de la Société MONSANTO contre la Société JARDINS LOISIRS doit être rejeté puisque cette société ne démontre pas qu'elle avait donné à ses distributeurs des consignes très strictes de vente aux seuls professionnels après vérification de leur qualité et remise de la fiche de sécurité ;
Sur le préjudice
Attendu que selon les conclusions du Docteur Guy B... Monsieur Sylvain X... a été atteint de brûlures du troisième degré sur la face externe de la cuisse et de la jambe gauche qui ont nécessité des soins et une greffe au centre des grands brûlés de l'Hôpital SAINT ANTOINE à PARIS où il est resté jusqu'au 24 juin 2002, séjour suivi d'une prise en charge par le service de chirurgie plastique et reconstructive de l'Hôpital ROTHSCHILD par l'intermédiaire duquel il a bénéficié de soins infirmiers à domicile tous les deux jours pendant un mois puis de consultations épisodiques ;
Que lors de l'expertise le 27 juin 2003 l'intéressé s'est plaint de sensations de tiraillement au niveau des cicatrices et de difficultés à maintenir longtemps une position assise ou debout prolongée, de gêne à la chaleur et de la nécessité de porter des vêtements de coton ;
Que l'expert a noté la présence de cicatrices importantes et de mauvaise qualité sur les membres inférieurs ;
Attendu que l'expert a conclu à une incapacité temporaire totale de travail (ITT) du 4 mai 2002 au 15 août 2002 avec une date de consolidation au 27 mai 2003, à un pretium doloris 5 / 7, une incapacité permanente partielle (IPP) de 6 %, un préjudice esthétique de 5 / 7, à un préjudice d'agrément et à un préjudice sexuel mais à l'absence de préjudice professionnel ;
Attendu qu'au vu de ces conclusions et des justifications produites, le préjudice professionnel écarté par l'expert n'étant par ailleurs pas démontré par les courriers versés aux débats et la promesse d'embauche par le restaurant PLAISANCE n'étant pas confortée par la production d'un contrat de travail ni justifiée par la présence sur les lieux de Monsieur X... fin avril 2002 avant l'accident du 4 mai 2002, il convient d'évaluer le préjudice corporel de la victime de la manière suivante :
-frais médicaux, d'hospitalisation, de transfert : prestations CPAM.............. 79. 896,74 euros
-frais restés à charge........................................................................................ 900,00 euros-ITT du 4 mai 2002 au 15 août 2002............................................................... 4. 480,00 euros
-IPP 6 % à 39 ans............................................................................................ 6. 600,00 euros (déficit fonctionnel permanent)
-pretium doloris 5 / 7........................................................................................ 16. 000,00 euros
-préjudice esthétique 5 / 7................................................................................ 13. 000,00 euros
-préjudice d'agrément.................................................................................... 2. 500,00 euros
-préjudice sexuel............................................................................................ 2. 000,00 euros
Attendu qu'après déduction des prestations versées par la CPAM DE L'EURE ET LOIR avec une imputation poste par poste il reviendra à la victime un solde indemnitaire de 43. 710 euros ;
Attendu que la CPAM DE L'EURE ET LOIR sera remboursée de ses prestations à hauteur de la somme de 81. 667,04 euros, le versement d'indemnités journalières étant limité à la période d'ITT du 4 mai 2002 au 15 août 2002 retenue par l'expert ; qu'il y a lieu en outre de lui allouer la somme de 926 euros en application de l'article L 376-1 du Code de la Sécurité Sociale et une indemnité de 900 euros sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile ;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à Monsieur X... et à la Société JARDINS LOISIRS la charge de l'intégralité de leurs frais irrépétibles ; qu'il sera alloué à Monsieur X... une somme de 2. 000 euros et à la Société JARDINS LOISIRS celle de 1. 000 euros ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Infirme le jugement,
Statuant à nouveau,
Dit que la Société MONSANTO AGRICULTURE FRANCE Sas en sa qualité de producteur du désherbant HOCKEY-PRO est responsable du dommage causé à Monsieur Sylvain X...,
La condamne à payer :
-à Monsieur Sylvain X... la somme de QUARANTE TROIS MILLE SEPT CENT DIX EUROS (43. 710,00 EUROS) en réparation de son préjudice corporel,
-à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE (CPAM) DE L'EURE ET LOIR la somme de QUATRE VINGT ET UN MILLE SIX CENT SOIXANTE SEPT EUROS QUATRE CENTS (81. 667,04 EUROS) en remboursement des prestations versées à son assuré social et la somme de NEUF CENT VINGT SIX EUROS (926,00 EUROS) en application de l'article L 376-1 du Code de la Sécurité Sociale,
Rejette la demande de Monsieur X... dirigée contre la Société JARDINS LOISIRS et l'appel en garantie de la Société MONSANTO AGRICULTURE FRANCE contre cette même société,
Condamne la Société MONSANTO AGRICULTURE FRANCE à verser sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :
-à Monsieur Sylvain X... la somme de DEUX MILLE EUROS (2. 000 EUROS),
-à la Société JARDINS LOISIRS la somme de MILLE EUROS (1. 000 EUROS),
-à la CPAM DE L'EURE ET LOIR la somme de NEUF CENTS EUROS (900,00 EUROS),
La condamne aux dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit de Maître BARRIQUAND, la Société Civile Professionnelle (SCP) AGUIRAUD-NOUVELLET et Maître MOREL, avoués.
LE GREFFIER LE PRESIDENT