COUR D'APPEL DE LYON Troisième Chambre Civile ARRÊT DU 15 Juin 2006
Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de LYON du 21 septembre 2004 - No rôle : 2003j97 No R.G. : 04/07563
Nature du recours : Appel
APPELANTE : La BNP PARIBAS, SA 16 Bd des Italiens 75009 PARIS représentée par la SCP BAUFUME-SOURBE, avoués à la Cour assistée de la SCP GRAFMEYER-BAUDRIER, avocats au barreau de LYON
INTIMEE : Mademoiselle Carole X..., née le 9 octobre 1965 à Asnières (92) 1627 Brickell Avenue Apt 1104, MIAMI FL.33129 USA représentée par la SCP JUNILLON-WICKY, avoués à la Cour assistée de la SCP RIBEYRE etamp; ASSOCIES, avocats au barreau de LYON Instruction clôturée le 06 Décembre 2005 Audience publique du 10 Mai 2006
LA TROISIÈME CHAMBRE DE LA COUR D'APPEL DE LYON, COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré : Monsieur ROBERT, Président Monsieur SANTELLI, Conseiller Madame CLOZEL-TRUCHE, Conseiller DEBATS : à l'audience publique du 10 mai 2006 sur le rapport de Monsieur ROBERT, Président GREFFIER : la Cour était assistée lors des débats de Mademoiselle Y..., Greffier ARRET :
CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 15 juin 2006, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Nouveau Code de Procédure Civile signé par Monsieur ROBERT, Président, et par Mademoiselle Y..., Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Le 7 décembre 1993, la BNP Paribas a consenti un prêt de 640
000 F à la SARL H.F. en vue du financement de l'acquisition des parts sociales de la société FARLEA.
Ce prêt a été cautionné par Carole X..., gérante de la société FARLEA, ainsi que par ses parents les époux X..., et la société FARLEA elle-même. Le fonds de commerce de celle-ci a été nanti au profit de la banque.
La société H.F. a été placée en redressement judiciaire le 12 août 1997 ; un plan de redressement par continuation a été arrêté le 24 juin 1998 mais sa liquidation judiciaire est intervenue le 2 mai 2000.
De son côté, la société FARLEA a également fait l'objet d'un redressement judiciaire ouvert le 12 août 1997, avec adoption d'un plan de continuation le 24 juin 1998 puis d'une liquidation judiciaire prononcée par jugement du 2 mai 2000.
Saisi le 13 décembre 2002 d'une assignation en paiement de la somme principale de 66
778,77 ç dirigée par la BNP Paribas à l'encontre de Carole X..., le tribunal de commerce de Lyon a, après avoir constaté que la banque avait omis de déclarer sa créance à l'encontre de la société FARLEA et considéré qu'ainsi elle avait fait perdre à Carole X... une réelle et concrète faculté de subrogation, a déchargé cette dernière de son engagement de caution au visa de l'article 2037 du Code civil et rejeté toutes les prétentions de la BNP Paribas.
La BNP Paribas a relevé appel le 26 novembre 2004. PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES:
Par des écritures du 13 septembre 2005, la SA BNP Paribas conclut à titre principal au rejet de la demande de Carole X... tendant à se voir décharger de son engagement de caution sur le fondement de
l'article 2037 du code civil et, en conséquence à sa condamnation au paiement d'une somme de 56
922,30 ç, correspondant à la dette du débiteur principal hors intérêts, à celle de 1999,64 ç au titre des intérêts au taux légal du 4 mars 1999 au 1er mars 2000, ainsi qu'aux intérêts postérieurs à cette date.
À titre subsidiaire, la banque demande à la cour de constater que le préjudice subi par la caution ne s'élèverait qu'à une somme maximum de 7
953,95 ç, s'il était fait application de l'article 2037 du code civil et elle requiert dans ce cas la condamnation de l'intimée à lui payer la somme de 59
404,44 ç avec intérêts au taux légal à compter du 22 mars 2005, après déduction de ce préjudice.
Elle sollicite l'allocation d'une indemnité de procédure de 1500 ç.
Faisant valoir que l'application de l'article 2037 du code civil est subordonnée à un fait exclusif et fautif du créancier, la BNP Paribas, si elle reconnaît n'avoir pas déclaré sa créance à la liquidation judiciaire de la société FARLEA, l'une des quatre cautions solidaires, indique que le mandataire judiciaire ne l'a pas avisée personnellement de l'ouverture de la procédure collective de la caution, comme il aurait dû le faire puisqu'elle détenait un nantissement sur le fonds de commerce, publié le 17 décembre 1993. Elle ajoute que Carole X... elle-même gérante de la société FARLEA, et donc nécessairement informée des inscriptions existantes aurait dû prendre contact avec elle pour lui permettre de participer à la répartition du prix de vente du fonds.
La banque relève qu'en toute hypothèse, les effets de l'article 2037 du code civil tendent seulement à réduire l'engagement de la caution au montant subsistant après déduction de son préjudice, et non à la libérer de son engagement. Elle en déduit que le préjudice réellement subi par Carole X... ne peut excéder la somme de 52
174,50 F (7
953,95 ç) correspondant au solde disponible sur l'actif après
règlement des créances fiscales et des salaires primant le créancier nanti.
Au sujet de l'application de l'article L. 313-22 du code monétaire et financier, la BNP Paribas qui admet ne pouvoir apporter la preuve d'une information des cautions, soutient que les intérêts atteints par la déchéance doivent être limités à ceux que n'a pas payés le débiteur principal avant le 1er juillet 1999, date d'entrée de la loi du 25 juin 1999. Elle considère que le calcul de sa créance envers Carole X... doit être effectué à partir du capital restant dû à la date de la dernière échéance impayée par la débitrice soit au 29 décembre 1996 et elle en déduit que le solde restant dû au 4 mars 1999 date du dernier versement antérieur à l'entrée en vigueur de la loi du 25 juin 1999 s'établissait à 59
209,03 ç ; elle précise qu'un seul versement est intervenu par la suite de la part de la débitrice pour 15
000 F le 1er mars 2000 et reconnaît que cette somme doit être déduite du principal dû, ainsi ramené à 56
922,30 ç. Mais elle rappelle qu'elle peut réclamer les intérêts au taux légal à la caution depuis la première mise en demeure qui lui a été adressée, en l'espèce le 15 octobre 1998 soit antérieurement à l'arrêté de sa créance le 4 mars 1999.
Dans le cadre de sa demande subsidiaire, la banque expose qu'il y aurait lieu de déduire le préjudice subi par la caution du principal dû, ainsi ramené à la date du 2 mai 2000 à 49
236,96 ç ; elle requiert donc l'allocation de cette somme, et des intérêts au taux légal.
De son côté, par des conclusions du 2 septembre 2005, Carole X... demande à la cour de constater que la société BNP Paribas n'a pas déclaré sa créance nantie sur le fonds de commerce de la société FARLEA et qu'elle a ainsi perdu tous ses droits sur le prix de la
liquidation de ce fonds, l'empêchant d'être utilement subrogée dans ses droits. Elle sollicite la décharge complète de son engagement de caution et le rejet de l'ensemble des prétentions de la banque, sauf à titre subsidiaire, à la déclarer déchue de son droit à percevoir des intérêts, quel qu'en soit le taux, à compter du 7 décembre 1993 et, dans ce cas, à constater le caractère incertain de sa créance et rejeter pareillement ses demandes et à la condamner au paiement d'une indemnité de procédure de 6
000 ç.
L'intimée soutient qu'il y a lieu à application de l'article 2037 du code civil lorsque le défaut de déclaration de créance dans une procédure collective même autre que celle du débiteur principal - et notamment celle d'un cofidéjusseur - emporte la perte d'un droit préférentiel; or, selon elle tel est bien le cas en l'espèce ou la banque a omis de déclarer sa créance à l'encontre de la société FARLEA bien qu'elle ait bénéficié d'un nantissement sur son fonds de commerce; elle considère que le fait que le mandataire liquidateur n'ait pas averti la banque de l'ouverture de la procédure collective rendait la forclusion inopposable à la BNP Paribas, qui aurait donc pu agir pour faire inscrire sa créance au passif au lieu de la laisser s'éteindre.
Carole X... fait valoir, à propos de son préjudice, que celui-ci doit s'apprécier à la date de la défaillance de la société H.F. c'est-à-dire lors de la première échéance impayée, à laquelle rien n'établit que la banque n'aurait pu recouvrer qu'un montant inférieur à sa créance totale.
À titre subsidiaire, Carole X... se prévaut des dispositions de l'article L. 313-22 du code monétaire et financier en indiquant que la banque n'apporte pas la preuve de l'information légale des cautions, de sorte qu'elle doit encourir la double sanction prévue par ce texte sans aucune limitation dans le temps. Elle estime qu'en
outre il convient d'affecter prioritairement au règlement du principal les paiements effectués par le débiteur principal ce que, selon elle, la banque s'abstiendrait de faire, conférant ainsi un caractère incertain à sa créance. SUR CE, LA COUR :
Attendu que l'article 2037 du Code civil dispose que la caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution ; que ce texte n'opère aucune distinction selon que les droits et privilèges que le créancier a laissé dépérir auraient eu vocation à s'exercer contre le débiteur principal ou contre d'autres cautions solidaires ; que par suite son application est possible en l'espèce, alors qu'il est constant que la banque, bénéficiaire d'un nantissement sur le fonds de commerce de la société FARLEA, a , ayant omis de déclarer sa créance à l'égard de celle-ci, perdu toute possibilité de concourir parmi ses créanciers privilégiés, bénéficiaires d'une distribution dans le cadre de sa procédure de liquidation judiciaire ;
Attendu que contrairement à ce que soutient la BNP Paribas, la perte du bénéfice de son privilège résulte bien de son fait personnel fautif puisqu'il lui incombait au premier chef, en sa qualité de créancier potentiel de la société FARLEA, caution de la société H.F.,
débiteur principal, de veiller à déclarer sa créance en temps utile, ce qu'elle a fait en ce qui concerne cette dernière société ; que cela lui était d'autant plus aisé que les procédures collectives des deux sociétés ont suivi très précisément le même cheminement et que la banque aurait dû être attentive au fait que la seule valeur économique résidait dans le fonds de commerce dont était propriétaire la société FARLEA ; que par ailleurs, à supposer que la banque n'ait pas été avisée par le représentant des créanciers de la société FARLEA du jugement d'ouverture, ce qu'aucune pièce du dossier ne permet d'établir, elle n'était pas dépourvue de moyens procéduraux pour pallier les conséquences de cette omission, si elle l'avait effectivement empêchée de déclarer sa créance;
Attendu que Carole X... est donc fondée à se prévaloir du bénéfice des dispositions de l'article 2037 du Code civil ; que toutefois elle ne peut être déchargée de ses obligations de caution qu'à hauteur du préjudice réel résultant de la perte des droits dont elle a été privée du fait de l'extinction de la créance privilégiée de la banque à l'égard de la société FARLEA ; que la valeur de ses droits doit nécessairement s'apprécier en l'espèce à la date du 2 mai 2000, qui est celle de la conversion en liquidation judiciaire des procédures de redressement judiciaire ouvertes aussi bien l'égard de la société H.F. que de la société FARLEA ; qu'en effet c'est seulement à ce moment-là qu'a été constatée la défaillance du débiteur principal dans l'exécution du plan de redressement par continuation adopté en juin 1998, dans le cadre duquel le règlement de la créance de la banque avait été réaménagé dans les conditions figurant au tableau d'amortissement par elle communiquée en pièce 2 ;
Qu'il convient donc de se référer au tableau de reddition de comptes établi par le liquidateur de la SARL FARLEA qui, comme l'indique la banque, fait apparaître qu'après règlement des dettes prévues à
l'article L. 621-32 du code du Commerce, des créances de nature salariale et des créances fiscales privilégiées, un solde de 52
174,50 F (7
953,95 ç) aurait été disponible pour être appréhendé par la BNP Paribas en sa qualité de créancier nanti sur le fonds de commerce (vendu 450
000 F), alors que cette somme a été affectée au paiement d'autres créances privilégiées, notamment sociales, de rang moins favorable ;
Que c'est donc dans cette limite de 7
953,95 ç que Carole X... devra être déchargée de ses obligations de caution envers la banque ; Attendu, sur le montant de la créance de la BNP Paribas, que cette banque admet ne pas apporter la preuve d'une information de la caution et, par suite s'exposer aux sanctions édictées par l'article L. 313-22 du code monétaire et financier ; que n'établissant l'envoi d'aucune lettre d'information, à quelque époque que ce soit, elle ne peut donc prétendre à aucun autre intérêt que ceux, au taux légal, dus par la caution à titre personnel en application de l'article 1153 du Code civil à compter de la mise en demeure qui lui a été adressée ; qu'à ce sujet, la banque ne saurait utilement se prévaloir de la lettre envoyée le 15 octobre 1998 à Carole X..., alors d'une part qu'elle ne comporte aucune interpellation suffisante pour lui conférer le caractère d'une mise en demeure et d'autre part que la banque avait accepté les termes du plan de redressement de la société H.F. effectivement en cours d'exécution normale à cette époque ; que c'est seulement par un courrier recommandé du 13 décembre 2000 que la BNP Paribas a mis en demeure Carole X... de lui régler une somme de 357
970,99 F en exécution de son engagement de caution ; que les courriers précédents, notamment celui du 23 mai 2000 n'ont pas atteint l'intimée, ayant été envoyés à une mauvaise adresse ;
Attendu qu'il convient également, en application de l'article L.
313-22 précité, et particulièrement de son dernier alinéa, résultant de la loi du 25 juin 1999, d'imputer sur le principal de la dette les versements effectués par le débiteur principal, c'est-à-dire la société H.F. postérieurement à l'entrée en vigueur de ce texte ; qu'il s'agit ici du paiement de 15
000 F intervenu le 1er mars 2000 ; Attendu que dans le dernier état de ses calculs, la banque a tenu compte de ce versement en l'imputant directement sur le capital qu'elle fixe à la somme de 56
922,30 ç (373
385,81 F) ; que ce montant doit être réduit, comme il a déjà été vu, de 7
953,95 ç, ce qui conduit à fixer à 48
968,35 ç la créance en principal de la BNP Paribas ; que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 13 décembre 2000 ;
Attendu que Carole X... sera donc condamnée à payer ladite somme, la créance de la banque n'ayant ainsi aucun caractère incertain ;
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :
Réforme en toutes ses dispositions le jugement du 21 septembre 2004 ; Condamne Carole X... à payer à la société BNP Paribas la somme de 48
968,35 ç avec intérêts au taux légal à compter du 13 décembre 2000 ;
Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, condamne Carole X... à payer à la société BNP Paribas une indemnité de procédure de 1250 ç;
Rejette comme mal
Rejette comme mal fondé le surplus des demandes ;
Dit que Carole X... supportera les dépens de première instance et
d'appel et accorde contre elle à la SCP BAUFUME-SOURBE, avoués, le droit de recouvrement direct prévu à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
Le Greffier,
Le Président,
M.P. Y...
H. ROBERT