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24/11/2005 | FRANCE | N°JURITEXT000006946695

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre civile 3, 24 novembre 2005, JURITEXT000006946695


COUR D'APPEL DE LYON Troisième Chambre Civile ARRÊT DU 24 Novembre 2005

Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de LYON du 04 juin 2004 - No rôle : 2002j4163 No R.G. : 04/03987

Nature du recours : Appel

APPELANTE : La Société LETTRING SERVICE, SA 418, rue Companet 69140 RILLIEUX LA PAPE représentée par la SCP AGUIRAUD-NOUVELLET, avoués à la Cour assistée de Me Olivier LACROIX, avocat au barreau de LYON

INTIME : Monsieur Gilles X..., né le 4 mai 1962 à ANNECY (74) 57, rue Victor Hugo 69002 LYON représenté par la SCP BRONDEL

-TUDELA, avoués à la Cour assistée de la SCP HAMEL etamp; PARADO, avocats au barreau de LY...

COUR D'APPEL DE LYON Troisième Chambre Civile ARRÊT DU 24 Novembre 2005

Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de LYON du 04 juin 2004 - No rôle : 2002j4163 No R.G. : 04/03987

Nature du recours : Appel

APPELANTE : La Société LETTRING SERVICE, SA 418, rue Companet 69140 RILLIEUX LA PAPE représentée par la SCP AGUIRAUD-NOUVELLET, avoués à la Cour assistée de Me Olivier LACROIX, avocat au barreau de LYON

INTIME : Monsieur Gilles X..., né le 4 mai 1962 à ANNECY (74) 57, rue Victor Hugo 69002 LYON représenté par la SCP BRONDEL-TUDELA, avoués à la Cour assistée de la SCP HAMEL etamp; PARADO, avocats au barreau de LYON Instruction clôturée le 03 Mai 2005 Audience publique du 20 Octobre 2005 LA TROISIÈME CHAMBRE DE LA COUR D'APPEL DE LYON, COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré : Monsieur ROBERT, Président, Madame MIRET, Conseiller Madame CLOZEL-TRUCHE, Conseiller DEBATS : à l'audience publique du 20 octobre 2005 GREFFIER : la Cour était assistée lors des débats de Mademoiselle Y..., Greffier, ARRET :

CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 24 novembre 2005, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Nouveau Code de Procédure Civile signé par Monsieur ROBERT, Président, et par Mademoiselle Y..., Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire. FAITS ET PROCÉDURE ANTÉRIEURE :

La société LETTRING SERVICE, qui exerce une activité d'impression

numérique, a embauché Gilles X... le 10 octobre 1997 en qualité de cadre, Responsable impression numérique. Par une délibération du conseil d'administration du 29 décembre 1998, il a été nommé aux fonctions de directeur général en remplacement et succession du poste qu'il occupait précédemment, avec une rémunération d'un montant mensuel brut de 25

000 F. Damien Albert conservait sa qualité de président du conseil d'administration.

Se réunissant le 6 février 2002 sur une convocation du 30 janvier prévoyant parmi les points à l'ordre du jour l'examen du mandat de directeur général délégué de Gilles X..., le conseil d'administration l'a alors révoqué et réintégré à son ancien poste, à compter du 1er février 2002, sans changement de sa rémunération.

Gilles X... a été convoqué le 7 février 2002 à un entretien préalable en vue de son licenciement pour motif économique, lequel est intervenu par lettre du 11 mars 2002, avec un préavis de trois mois. Par jugement du 4 mars 2004, définitif, le conseil de prud'hommes de Lyon a jugé que ce licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse, eu égard aux difficultés économiques de la société LETTRING SERVICE et l'a débouté de l'ensemble de ses demandes.

Saisi par acte du 3 décembre 2002 par Gilles X..., qui sollicitait des dommages-intérêts d'un montant de 91

469 ç pour révocation brutale et sans justes motifs de ses fonctions de directeur général, le tribunal de commerce de Lyon a, par jugement du 4 juin 2004, condamné la société LETTRING SERVICE à payer à Gilles X... la somme de 45

734,70 ç à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale et sans justes motifs ainsi qu'une indemnité de procédure de 750 ç, le tout avec exécution provisoire.

La société LETTRING SERVICE a relevé appel le 9 juin 2004.

Par ordonnance de référé du 13 juillet 2004 le premier président a

arrêté cette exécution provisoire en considération de la situation économique et de trésorerie de la société LETTRING SERVICE.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Aux termes de ses conclusions du 1er octobre 2004, la société LETTRING SERVICE demande à la cour, au visa des articles L. 225-55 et L. 225-51 du code de commerce de constater que la révocation du mandat de directeur général de Gilles X... est intervenue dans le strict respect des dispositions de ce texte et de la jurisprudence prise en application et, en conséquence, réformant le jugement, de dire la révocation régulière et légitime et de rejeter les prétentions de Gilles X...

À titre subsidiaire elle relève qu'en vertu de l'article L. 225-55 alinéa 1er du code de commerce, Gilles X... ne saurait solliciter des dommages-intérêts dès lors qu'il était investi des fonctions de président directeur général de la société.

Elle reprend sa demande reconventionnelle tendant à la condamnation de Gilles X... au paiement d'une somme de 535

993 ç à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par ses fautes de gestion, qu'elle évalue à la moitié de son résultat négatif pour l'exercice 2001.

Rappelant que le principe fondamental de la révocation ad nutum d'un directeur général n'a pas été atteint par la modification introduite par la loi du 15 mai 2001 dans la rédaction de l'article L. 122-55 du code de commerce, la société LETTRING SERVICE soutient que la révocation du Gilles X... : - n'a présenté aucun caractère brusque

n'étant nullement intervenue avant le 6 février 2002, date à laquelle, nonobstant l'erreur matérielle commise, il a repris ses fonctions antérieures de salarié responsable de l'impression numérique

et ayant été décidé après convocation écrite des membres du conseil d'administration, dont Gilles X..., et possibilité offerte à ce dernier de faire valoir ses observations ou explications lors de la séance du conseil, c'est-à-dire dans le strict respect du contradictoire, -était fondée sur de justes motifs, tirés de sa totale défaillance dans l'exercice du mandat social, malgré la réalité des pouvoirs dont il disposait à l'égal du PDG, ayant conduit l'entreprise à une situation catastrophique, caractérisée par un déficit de plus d'un million d'euros en 2001, alors que le résultat était positif de 161

000 ç l'année précédente, ce qui a nécessité une importante opération de recapitalisation pour éviter le dépôt de bilan.

À titre très subsidiaire, l'appelante fait valoir que Gilles X... ne justifie pas de la réalité d'un préjudice puisqu'après sa révocation des fonctions de directeur général délégué, il a été réintégré à son poste de cadre avec une rémunération maintenue ; selon elle , la situation dommageable invoquée est seulement liée au licenciement pour motif économique, jugé fondé par le conseil de prud'hommes.

Au soutien de sa demande reconventionnelle sur la base des dispositions de l'article L. 225 51 du code de commerce, la société LETTRING SERVICE invoque la carence et la négligence totales de Gilles X... dans l'exécution de son mandat social, qu'il aurait délaissé pour se consacrer au développement d'un logiciel de gestion de production assistée par ordinateur dont la mise en place a abouti à un échec complet et provoqué le mécontentement de nombreux clients. De son côté, aux termes de ses conclusions du 18 janvier 2005, Gilles X... sollicite la confirmation du jugement en son principe, mais, formant appel incident, requiert la condamnation de la société

LETTRING SERVICE à lui payer la somme des 91

469 ç à titre de dommages-intérêts, ainsi qu'une indemnité de procédure de 2500 ç.

Il s'oppose à sa demande reconventionnelle en soulignant que c'est seulement le 31 octobre 2003 que pour la première fois, elle lui a imputé des fautes dans la gestion de l'entreprise; il considère qu'aucun commencement de preuve n'est rapporté d'une quelconque négligence de sa part.

Indiquant que l'article L. 225-55 du code de commerce pose clairement le principe d'une indemnisation en cas de révocation du directeur général sans justes motifs, il observe d'abord que contrairement à ce que soutient la société LETTRING SERVICE dans son subsidiaire, lui-même n'exerçait pas les fonctions de PDG, qui ont été constamment tenues par Damien Albert.

Sur le fond, il fait valoir que le comportement permettant la révocation est celui qui compromet l'intérêt social ou le fonctionnement de la société et qu'il doit s'agir d'une faute caractérisée ; selon lui, tel n'est pas le cas puisque aucune des pièces produites ne révèle de négligence de sa part alors, en particulier, que c'est à la demande expresse du PDG qu'il a développé le logiciel VISTAPROD et que l'appelante n'explique pas en quoi son travail aurait pu avoir une quelconque influence sur la baisse de résultat de l'entreprise, dont le chiffre d'affaires est passé de 6 à 25 millions de francs entre 1997 et 2001. Il considère qu'en réalité la société LETTRING SERVICE, de structure familiale, a voulu se réorganiser à son détriment.

Au sujet de son préjudice, Gilles X... fait observer que l'ASSEDIC a refusé de le prendre en charge, n'ayant pas accepté de lui reconnaître la qualité de salarié titulaire d'un contrat de travail, ce qui l'a privé de toute ressource après son licenciement.

SUR CE, LA COUR :

Attendu qu'il ressort des pièces produites et notamment des diverses délibérations du conseil d'administration de la société LETTRING, que, pendant la période intéressant le présent litige, Damien Z... est constamment resté président de ce conseil d'administration ; que Gilles X... a seulement été désigné en qualité de directeur général et que, quelqu'étendus qu'aient été les pouvoirs qui lui ont été conférés à ce titre, il n'a jamais remplacé le président du conseil d'administration dans l'exercice de ses attributions propres ; qu'il importe peu à cet égard que dans un document publicitaire il ait été qualifié de co-PDG, à l'égal de Damien Z... ;

Que par suite, en application de l'article L. 225-55 du code de commerce, sa révocation, possible à tout moment, peut donner lieu à dommages-intérêts si elle a été décidée sans juste motif ;

Attendu à cet égard, que contrairement à ce que soutient Gilles X..., la démonstration d'une faute caractérisée du directeur général n'est pas nécessaire pour établir l'existence des justes motifs de la révocation; que ceux-ci peuvent résulter d'éléments objectifs commandés par l'intérêt de la société ;

Qu'en l'espèce, l'examen des comptes 2001 de la société LETTRING révèle la dégradation rapide et grave de sa situation ayant imposé, dès le courant cet exercice, caractérisé par une perte de 1 071 986 F (au lieu d'un bénéfice de 161 018 F l'année précédente) un apport en

compte courant des consorts Z... pour 260 000 F ; que comme le montre la délibération du conseil d'administration du 24 juin 2002, une recapitalisation de plus grande ampleur a rapidement dû être effectuée ; qu'ainsi que le relève la société LETTRING, il était nécessaire, début 2002, d'envisager à court terme une modification radicale de la gestion de l'entreprise pour éviter qu'elle soit conduite au dépôt de bilan ;

Que dans cette perspective, il n'était pas illégitime pour le conseil d'administration de décider la révocation de Gilles X..., étroitement associé à la gestion de l'entreprise depuis près de trois ans, même s'il n'en avait pas eu l'exclusivité, de manière à permettre une nouvelle orientation, dont la réalité a été confirmée par la révocation du PDG lui-même quelques mois plus tard ; que le 6 février 2002, c'est d'ailleurs une révocation sans remplacement du directeur général qui a été arrêtée ; et que, comme le conseil de prud'hommes l'a définitivement jugé à propos du licenciement économique de Gilles X..., consécutif à la suppression de son poste de cadre, la nécessaire réorganisation des organes dirigeants de l'entreprise était de nature à justifier la décision prise de ne pas conserver Gilles X... à son poste de directeur général ;

Attendu qu'ainsi n'est pas établie l'absence de juste motif à laquelle est subordonnée l'allocation de dommages-intérêts en faveur du directeur général révoqué ;

Attendu, par ailleurs que les modalités selon lesquelles le conseil d'administration a procédé à cette révocation ne peuvent être qualifiées de brutales ou de vexatoires ; qu'en effet Gilles X... a été avisé le 30 janvier 2002 de la réunion du conseil d'administration du 6 février, avec un ordre du jour (comportant notamment l'examen de son mandat de directeur général) suffisamment précis pour qu'il puisse utilement préparer ses explications à propos

de la situation de la société et de la politique générale à mettre en oeuvre ; qu'il a été invité à formuler ses observations lors de la réunion ;

Attendu en conséquence que la révocation de Gilles X... ne peut donner droit à indemnisation ; que le jugement sera donc réformé en ce sens ;

Attendu, sur la demande reconventionnelle de la société LETTRING, que celle-ci ne produit aucun document utile à l'appui de ses allégations relatives aux fautes de gestion de Gilles X..., et notamment à propos de sa responsabilité personnelle dans le développement d'un logiciel de gestion de production assistée par ordinateur, qui se serait révélé inadapté, non plus qu'au sujet d'investissements malheureux en Pologne ; que de manière générale et alors que la faute de gestion ne peut résulter que d'une action personnelle directement imputable au mandataire social recherché, la société LETTRING démontre seulement que sa situation s'est dégradée en 2001 sans mettre la cour en mesure de faire le départ entre les erreurs pouvant incomber au chef d'entreprise, Damien Z... et celles commises par Gilles X...

Que sa demande en dommages-intérêts ne sera donc pas accueillie ;

Attendu qu'il serait inéquitable en l'espèce de faire application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, eu égard aux conséquences du licenciement de Gilles X...; PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

Réforme en toutes ses dispositions le jugement du 4 juin 2004 ;

Rejette comme mal fondées la demande principale de Gilles X... et celle, reconventionnelle, de la société LETTRING ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Fait masse des dépens de première instance et d'appel et dit qu'ils

seront supportés par moitié par chacune des parties ;

Accorde dans cette limite aux avoués de la cause le droit de recouvrement direct prévu à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

LE GREFFIER,

LE PRESIDENT,

M.P. Y...

H. ROBERT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : JURITEXT000006946695
Date de la décision : 24/11/2005
Type d'affaire : Civile

Analyses

SOCIETE ANONYME - Directeur général - Révocation

La démonstration d'une faute caractérisée du directeur général n'est pas nécessaire pour établir l'existence de justes motifs de la révocation, ceux-ci peuvent résulter d'éléments objectifs commandés par l'intérêt de la société


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.lyon;arret;2005-11-24;juritext000006946695 ?
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