COUR D'APPEL DE LYON Troisième Chambre Civile ARRÊT DU 21 Octobre 2004
Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de SAINT-ETIENNE du 24 juillet 2003 - N° rôle : 2001/1852 N° R.G. :
03/05340
Nature du recours : Appel
APPELANTE : SOCIETE SULLYVAN S.A représentée par Me Christian MOREL, avoué à la Cour assistée de Me MOURONVALLE, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIME : Maître André Charles ROCHE, mandataire judiciaire, pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SOCIETE VETEMENTS TECHNIQUES DU GIER, SARL représenté par la SCP DUTRIEVOZ, avoués à la Cour assisté de Me PUTIGNIER, avocat au barreau de SAINT ETIENNE Instruction clôturée le 03 Septembre 2004 Audience publique du 16 Septembre 2004 LA TROISIÈME CHAMBRE DE LA COUR D'APPEL DE LYON, DÉBATS en audience publique du 16 septembre 2004 tenue par Monsieur ROBERT, Président, chargé de faire rapport sans opposition des avocats dûment avisés, qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, COMPOSITION DE LA COUR lors délibéré : Monsieur ROBERT, Président, Monsieur SIMON, Conseiller Madame MIRET, Conseiller DEBATS : à l'audience publique du 16 septembre 2004 GREFFIER : la Cour était assistée de Mademoiselle X..., Greffier, présent lors des débats et du prononcé de l'arrêt, ARRET :
CONTRADICTOIRE prononcé à l'audience publique du 21 octobre 2004 par Monsieur ROBERT, Président, qui a signé la minute avec Mademoiselle X..., Greffier.
EXPOSE DU LITIGE - PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Par déclaration du 3 septembre 2003, la SAS SULLYVAN a relevé appel d'un jugement du Tribunal de Commerce de SAINT-ETIENNE du 24 juillet 2003 l'ayant condamnée avec exécution provisoire à payer à Maître Roche, mandataire judiciaire, agissant comme liquidateur de la société VETEMENTS TECHNIQUES DU GIER (VTG), la somme de 29.988,20 euros assortie d'intérêts à compter du 31 mars 2001, à titre de dommages et intérêts sur le fondement des articles 1384 et suivants du Code Civil, outre une somme de 1000 euros en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Sollicitant la réformation complète du jugement, le rejet des prétentions de Maître Roche et sa condamnation au paiement d'une indemnité de 5000 euros pour procédure abusive et d'une somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, la société SULLYVAN expose que :
- dans le cadre de l'exploitation de la ligne de vêtements de ski Jonathan et Fletcher, elle a eu recours en qualité de sous-traitant à la société VTG, qui devait être placée en liquidation judiciaire par le Tribunal de Commerce de SAINT-ETIENNE le 6 décembre 2000, avec autorisation de poursuite d'activité jusqu'au 22 décembre,
- envisageant de faire une proposition de reprise de l'unité de production VTG, elle a marqué son intérêt pour cette entreprise par deux courriers à l'administrateur des 18 et 22 décembre, à la suite desquels le Tribunal de Commerce a prolongé l'activité de VTG jusqu'au 31 janvier 2001, elle-même s'étant engagée à fournir suffisamment de travail à l'atelier pour lui permettre de faire face aux charges inhérentes à la prolongation d'activité,
- l'atelier n'ayant pas fonctionné dans de bonnes conditions et sa productivité n'ayant pas été correctement assurée, il ne lui a pas
été possible de faire une offre de reprise.
L'appelante soutient n'avoir commis aucune faute quasi-délictuelle dans la mesure où elle s'était seulement engagée à fournir du travail à l'atelier VTG et qu'elle l'a fait, mais que c'est cette entreprise qui a rencontré des difficultés tant avec son personnel qu'avec les fournisseurs, s'avérant en définitive incapable de mettre en fabrication ou de terminer la totalité des vêtements à façonner.
Elle fait en outre valoir que Maître Roche ne justifie pas de la réalité du préjudice invoqué dans la mesure où il omettait de déduire de sa réclamation, correspondant aux charges de la société VTG pour janvier 2001, le montant du chiffre d'affaires réalisé par l'entreprise durant cette période, soit avec des tiers soit avec la SA SULLYVAN et ses filiales (13.217 euros), l'ensemble représentant 32.268 euros. Elle ajoute qu'aucun document comptable n'est versé aux débats pour attester des frais allégués.
Elle invoque enfin à titre subsidiaire des faits exonératoires de responsabilité, tenant aux difficultés rencontrées avec les fournisseurs et salariés de la société VTG, qu'elle déclare imputer une très grande portée au comportement de Me Pozzoli, administrateur et de Me Roche, en soulignant qu'elle-même n'avait pas part à la gestion de la société.
De côté, aux termes de ses conclusions récapitulatives, Me Roche, qui requiert la confirmation du jugement et l'allocation d'une indemnité de procédure complémentaire de 2500 euros, fait valoir que c'est sur l'affirmation de la société SULLYVAN qu'elle fournirait à l'entreprise suffisamment de travail pour faire face aux charges de janvier 2001, le temps nécessaire à l'élaboration de sa proposition de reprise, que le Tribunal de Commerce a autorisé la poursuite de l'activité, laquelle a généré des frais nouveaux pour 29.988,20 euros.
Admettant qu'il n'y a pas au contrat, faute d'accord parfait, Me Roche fait greif à la société SULLYVAN d'avoir commis une faute de négligence et voulu tromper ses interlocuteurs en s'engageant à régler les charges générales de la poursuite d'exploitation puis en s'abstenant de fournir le travail promis.
Il estime le préjudice parfaitement caractérisé, comme résultant du passif supplémentaire de l'article 40, généré en janvier 2001 ; il conteste la réalité des difficultés invoquées par l'appelante, observant au contraire que les salariés étaient parfaitement volontaires pour que l'activité se poursuive.
SUR CE, LA COUR :
Attendu, quant aux faits, que par ses courriers des 18 et 22 décembre 2000 à Me Pozzoli, administrateur de la société VTG qui venait d'être placée en liquidation judiciaire avec autorisation de poursuite d'activité jusqu'au 21 décembre, la société SULLYVAN marquait son intérêt pour une éventuelle reprise de l'atelier VTG et déclarait souhaiter que l'activité de celui-ci soit prolongée jusqu'au 21 janvier 2001 pour lui laisser le temps d'élaborer sa proposition de reprise ;
Qu'elle assurait pouvoir alimenter en minutes l'atelier VTG jusqu'à cette date, par elle-même ou sa filiale la SARL ARPIN, de manière à ce que la prolongation d'activité ne vienne pas alourdir le passif ; que dans sa lettre du 22 décembre, l'intimée détaillait avec précision les commandes, qualifiées de fermes et définitives, qu'elle confierait à la société VTG, évaluant à 197.285 francs HT le chiffre d'affaires correspondant, après avoir évalué à 250.000 francs HT le
volume d'affaires nécessaires pour couvrir les charges et rappelé qu'une société Richard Frères apporterait de son côté 50.000 francs de chiffre d'affaires en janvier 2001 ; qu'il est constant que c'est au vu de cette perspective d'éventuelle reprise et de l'engagement d'apport d'activité pris par la société SULLYVAN que le Tribunal de Commerce a proposé la période de poursuite d'activité par son jugement du 3 janvier 2001 ;
Attendu que contrairement à ce que soutient la SA SULLYVAN, il n'est nullement établi que l'activité n'ait pas redémarré le 4 janvier, puisque dès le 3 janvier 2001, son dirigeant, informé de la décision du tribunal, indiquait dans son message aux salariés de VTG que Monsieur Y..., ancien cadre de l'entreprise, serait sur place le 4 janvier "pour assurer la conduite et le redéploiement de VTG" ; que la lettre de Madame Z..., représentante des salariés, adressée le 3 janvier à Me Roche, contient diverses interrogations fort légitimes sur les conséquences de la poursuite d'activité mais ne fait état d'aucune opposition ou volonté d'obstruction de la part des ouvrières de l'atelier ; que l'intéressée a attesté le 30 mai 2001 de ce qu'aucun mouvement de grève n'avait été envisagé en janvier ;
Qu'il ressort des échanges de fax ou de courriers que la société SULLYVAN a passé commande à la société DAMPIERRE CONFECTION de certaines fournitures à destination de VTG le 4 janvier puis précisé le même jour à l'atelier VTG le nombre de vêtements "Long Shell" à assembler en lui promettant l'arrivée des approvisionnements;
Que ces fournitures paraissent avoir été commandées à la société QUINTENAS, d'Annonay, que d'autres ont été livrées le 5 janvier à VTG, dont, le même jour, le chef d'atelier sollicitait de la société SULLYVAN des instructions plus précises pour le montage des manteaux ;
Qu'aucune pièce ne vient étayer l'allégation de l'appelante, relative
au défaut de productivité imputable à VTG ou plus généralement de sa responsabilité dans l'inexécution de commandes ; que dans sa lettre du 9 février 2001, à Me Roche, la société SULLYVAN faisait état "de nouveaux éléments imprévisibles et pour certains insurmontables venus retarder la production de l'atelier VTG", mais là encore, sans en préciser la nature et la cause, de sorte que celle-ci ne peut être imputée à l'entreprise en liquidation judiciaire, alors surtout que dans le même courrier, la société SULLYVAN admet que "la gestion efficace d'un atelier requiert des compétences qu'elle ne possède pas";
Or, attendu qu'ainsi, en l'absence de toute preuve d'une défaillance de l'atelier VTG, il reste que celui-ci n'a pu facturer à la société SULLYVAN et à sa filiale la société ARPIN que des prestations d'un montant respectif de 55.924 francs et 30.792 francs soit 86.716 francs au total ; que dans son courrier du 2 février 2001, Me Roche indique que le chiffre d'affaires global s'est élevé à 124.961,70 francs, ce qui révèle qu'un chiffre de 38.000 francs environ a été réalisé avec des tiers ;
Attendu qu'il est donc suffisamment établi que la société SULLYVAN n'a apporté à l'atelier VTG qu'une part du chiffre d'affaires escompté (86.716 francs au lieu de 197.285 francs) ;
Attendu que dès lors que, comme il vient d'être vu, rien n'établit que cette situation soit due au fait de la société VTG ou de son administrateur, il apparaît que la faute de la société SULLYVAN est suffisamment caractérisée en ce que celle-ci a, dans le cadre de négociations sur la reprise éventuelle de l'atelier VTG, fait une promesse de commandes dont elle n'ignorait nullement la portée - décider le Tribunal de Commerce à autoriser une nouvelle poursuite d'activité et déterminer ainsi des frais de fonctionnement supplémentaires pour la société VTG - et qu'elle n'a pas été en
mesure d'honorer ; qu'elle a donc agi en cela avec une légèreté blâmable et doit donc répondre des conséquences de cette faute d'imprudence ;
Que comme le notait Me Roche dans sa lettre à la société SULLYVAN du 2 février 2001, le préjudice subi par la société VTG est constitué non par le montant des frais et charges exposés durant la poursuite d'activité de janvier 2001 mais par l'insuffisance de chiffres d'affaires imputable à la société SULLYVAN, diminué, s'il y a lieu des charges proportionnelles à ce chiffre d'affaires ; que celles-ci apparaissent en réalité minimes, s'agissant d'une activité de façonnier ;
Qu'ainsi c'est à un montant total de 16.000 euros que peut évaluer ce préjudice tel que subi au 31 janvier 2001 ; que c'est donc cette seule somme qui sera mise à la charge de la société SULLYVAN avec intérêts à compter de l'assignation du 31 mars 2001 valant mise en demeure ; que la solution donnée au litige implique le rejet de sa demande en dommages et intérêts ;
Qu'il serait contraire à l'équité de faire une plus ample application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile que celle décidée par le tribunal qui sera confirmée;
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :
Réforme le jugement du 24 juillet 2003 en ce qu'il a fixé à 29.988,20 euros le préjudice de la liquidation judiciaire de la société VTG ;
Statuant à nouveau, condamne la SA SULLYVAN à payer à Me Roche, liquidateur de la société VTG, la somme de 16.000 euros à titre de dommages et intérêts, majorée des intérêts au taux légal à compter du 31 mars 2001 ;
Confirme le jugement pour le surplus et dit n'y avoir lieu à plus ample application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens d'appel ;
LE GREFFIER,
LE PRESIDENT,
M.P. X...
H. ROBERT