La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/01/2004 | FRANCE | N°2001/00241

France | France, Cour d'appel de Lyon, 21 janvier 2004, 2001/00241


EXPOSE DU LITIGE Madame X... est entrée au service de la société AMITEL, société éditrice d'annuaires locaux, en mars 1985. Après une rupture ayant fait l'objet d'un accord transactionnel le 3 décembre 1992, Madame X... était réembauchée à compter du 27 novembre 1995 au poste de Chef de groupe commerciale, cadre, coefficient 400 de la convention collective de la publicité. Sa rémunération était composée d'un fixe mensuel de 10.000 francs et de commissionnement sur ventes et primes d'objectifs. Au titre de l'année 1999, elle a perçu une rémunération annuelle brute de 466.00

0 francs, soit une moyenne mensuelle de 38.800 francs. La Direction ...

EXPOSE DU LITIGE Madame X... est entrée au service de la société AMITEL, société éditrice d'annuaires locaux, en mars 1985. Après une rupture ayant fait l'objet d'un accord transactionnel le 3 décembre 1992, Madame X... était réembauchée à compter du 27 novembre 1995 au poste de Chef de groupe commerciale, cadre, coefficient 400 de la convention collective de la publicité. Sa rémunération était composée d'un fixe mensuel de 10.000 francs et de commissionnement sur ventes et primes d'objectifs. Au titre de l'année 1999, elle a perçu une rémunération annuelle brute de 466.000 francs, soit une moyenne mensuelle de 38.800 francs. La Direction de la société AMITEL engageait, au cours du second trimestre 1999 des négociations qui aboutissaient à la signature le 23 décembre 1999 avec un mandataire syndical (Monsieur Y..., mandataire syndical CFDT) d'un accord de réduction de la durée du travail à 35 heures, qui était soumis à l'approbation des salariés de l'entreprise. Le 27 décembre 1999, la société AMITEL adressait à Madame X... un courrier lui proposant, par application de l'accord de réduction du temps de travail, la signature d'un avenant modifiant ses conditions de rémunération. Madame X... qui opposait un refus par courrier du 8 janvier 2000, était convoquée à un entretien préalable le 20 janvier 2000, puis licenciée par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 1er février 2000, ainsi libellée : "...En effet, par application de l'accord d'entreprise de réduction du temps de travail du 23 décembre 1999, nous vous avons proposé par courrier en date du 27 décembre 1999, la modification de vos conditions de rémunération. En effet, les nouvelles modalités d'organisation du temps de travail liées à la nécessité de réduire le temps de travail par application de la réduction légale du temps de travail à 35 heures ont rendu nécessaire la mise en place d'un nouveau plan de rémunération des commerciaux. Par courrier du 13 janvier 2000, vous nous avez signifié votre refus d'accepter la

modification de vos conditions de rémunération. Ce refus nous conduit donc par application des dispositions de l'article 30.II de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 à procéder à votre licenciement." Madame X... saisissait le Conseil de Prud'hommes de BOURG EN BRESSE le 21 février 2000, lequel par jugement en date du 27 novembre 2000, la déboutait de sa demande principale tendant à voir déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse et ne lui accordait que des compléments au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, de l'indemnité compensatrice de congés payés et d'une prime d'objectif. Madame X... interjetait régulièrement appel de cette décision. Elle sollicite désormais la condamnation de la société AMITEL à lui verser la somme de 142.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que celle de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Au soutien de ses prétentions, Madame X... fait notamment valoir : - qu'il est manifeste que la société AMITEL s'est servie du prétexte de la négociation relative à la réduction du temps de travail pour imposer à ses commerciaux (à l'exclusion des salariés "sédentaires") un nouveau mode de rémunération, afin d'amener la marge bénéficiaire de cette société à un seuil comparable à la marge réalisée par les autres sociétés du groupe ; - que la lettre de rupture n'est fondée que sur le refus d'accepter la modification de ses conditions de rémunération, sans que jamais la société AMITEL ne fasse la démonstration de l'existence d'un quelconque lien entre cette modification et la réduction du temps de travail ; - que le protocole d'accord du 23 décembre 1999 qui n'établit pas davantage l'existence d'un tel lien , pose certes le principe d'une modification des conditions de rémunération des commerciaux, mais fait référence à une annexe relative à ces nouvelles conditions qui n'était nullement jointe aux documents soumis à l'approbation des salariés ; - que ces

nouvelles conditions dont elle n'a eu connaissance qu'à réception de la proposition d'avenant, constituent un bouleversement important de son mode de rémunération qui ne pouvaient dès lors intervenir sans son accord, son refus de les accepter ne pouvant en tout cas être considéré comme fautif ; - que son licenciement lui a occasionné un préjudice important, dès lors que ce n'est qu'en novembre 2002 qu'elle a pu retrouver un travail, du reste, nettement moins bien rémunéré. La société AMITEL a conclu à la confirmation du jugement du Conseil de Prud'hommes de BOURG EN BRESSE en ce qu'il a considéré le licenciement de Madame X... fondé sur une cause réelle et sérieuse et débouté Madame X... de sa demande de dommages-intérêts, à sa réformation en ce qu'il a alloué, à titre de prime d'objectifs et de compléments d'indemnités compensatrice de préavis et de congés payés, diverses sommes, alors que Madame X... avait été entièrement remplie de ses droits et à la condamnation de cette dernière à lui verser la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. La société AMITEL a notamment fait valoir que les négociations relatives aux 35 heures englobait la révision des conditions de rémunération des commerciaux, que Madame X... était présente au sein du comité de pilotage mis en place pour mener à bien ces négociations, qu'elle a approuvé l'accord de réduction du temps de travail, sans en contester le contenu ; que la société était dès lors fondée, en application de l'article 30.II de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000, à licencier Madame X... qui, de mauvaise fois, a refusé de signer l'avenant qui était la conséquence nécessaire de cet accord et enfin qu'il est inexact de dire que l'accord avait pour but et a eu pour effet d'entraîner une diminution de la rémunération des commerciaux. MOTIFS DE LA DECISION Attendu qu'il est constant qu'un "protocole d'accord sur la réduction du temps de travail" fut signé le 23 décembre 1999 par le chef d'entreprise et le mandataire

syndical désigné à cet effet pas le syndicat CFDT selon les conditions prévues par la Loi du 13 juin 1998, dite "Loi AUBRY I"; Or attendu qu'il est expressément indiqué dans le préambule de ce protocole d'accord que depuis son rachat en 1997 par un Groupe Suisse, la société AMITEL a subi d'importantes modifications dans sa gestion et dans son organisation, lui permettant d'opérer son redressement économique et financier ; que pour confirmer ce redressement, la société s'est fixée pour objectif une croissance de +7% de son chiffre d'affaires (contre 7,4% et 10% pour les deux années précédentes) et une amélioration de sa marge de +5%; que pour atteindre ces objectifs, la société se trouve confrontée à la nécessité : .

de prendre en considération les orientations définies par la Loi d'orientation et d'incitation à la réduction du temps de travail du 13 juin 1998, fixant la durée légale du travail à 35 heures au 1er janvier 2000 ; .

d'optimiser la commercialisation de ses annuaires par une nouvelle stratégie (notamment publication d'éditions portant sur deux années) .

d'adapter et de réviser les conditions de rémunération des Commerciaux en fonctions des nouvelles donnes économiques de la société et des nouvelles contraintes d'organisation du temps de travail ; Attendu que, dès lors que le protocole d'accord ne s'est pas borné à prévoir une réduction du temps de travail, mais a en outre prévu expressément une modification des conditions de rémunération des commerciaux, cette modification du contrat de travail devait faire l'objet de la part du salarié concerné d'une acceptation claire et non équivoque ; Qu'à cet égard, la société AMITEL ne peut valablement soutenir que du fait de sa participation, au cours des négociations, à un comité de pilotage, puis de sa

signature apposée sur un formulaire "à remettre à la Direction au plus tard le 23 décembre 1999" aux termes duquel elle déclarait accepter l'accord sur la RTT, Madame X... aurait accepté d'une manière claire et non équivoque les modifications de ses conditions de rémunération ; qu'en effet le protocole d'accord arrête seulement le principe d'un nouveau plan de rémunération des salariés commerciaux, cadres ou non cadres, "ayant pour objet la révision des taux de commission et la révision des seuils de chiffre d'affaires déclenchant le changement de taux de commission", en précisant que "les nouvelles modalités de rémunération et de durée de travail seront proposées à chaque salarié par la voie d'un avenant individuel au contrat de travail qu'ils resteront libres d'accepter ou de refuser" (page 12 du protocole d'accord) ; qu'il convient également d'ajouter, que si l'accord mentionne l'existence d'une annexe sur les conditions de rémunération, les salariés indiquent qu'aucune annexe n'accompagnait le projet de protocole qui fut soumis à leur approbation et force est de constater à cet égard que la société appelante ne produit nullement aux débats cette annexe qui était censée accompagner le protocole ; Qu'en réalité, ce n'est qu'à réception du courrier du 27 décembre 1999 qui soumettait à sa signature un projet d'avenant à son contrat de travail, que Madame X... prenait connaissance de ses nouvelles modalités de rémunération ; Qu'il s'agit, à la lecture de ce projet d'avenant, d'un changement important des éléments permettant de déterminer sa rémunération, puisque le salaire fixe mensuel est ramené de 9.000 francs à 5.000 francs, les taux et les seuils de chiffre d'affaires déclenchant les changements de taux sont révisés à la baisse par rapport à ceux fixés dans l'avenant du 9 mars 1998 (notamment plus aucun taux à 20%, les taux culminant à 14%), la prime dénommée "superbonus" prévue dans le précédent avenant (pouvant aller jusqu'à 30.000 francs) est

supprimée, de même que le remboursement forfaitaire mensuel de 750 francs pour frais de téléphone...; Qu'il est acquis que Madame X... qui n'avait jamais auparavant donné son accord clair et non équivoque à de telles modifications de son contrat de travail, conservait son entière liberté de refuser ; Attendu qu'il est constant que la lettre de licenciement fonde le licenciement de Madame X... sur ce refus d'accepter les modifications de ses conditions de rémunération à la suite de l'adoption du protocole d'accord et a estimé pouvoir viser, pour légitimer ce licenciement, les dispositions de l'article 30.II de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 (bien que les négociations et la signature de l'accord l'aient été sous l'empire de la Loi du 13 juin 1998 et qu'à l'expiration (11 janvier 2000) du délai de réflexion laissé à Madame X... dans le courrier du 27 décembre 1999 lui soumettant le projet d'avenant, la Loi du 19 janvier 2000 ne fût pas encore promulguée) ; Or attendu que ce refus de nouvelles conditions de rémunération n'était pas pour autant illégitime et de nature à fonder un licenciement ; Qu'il résulte en effet des documents produits que le changement des conditions de rémunérations des seuls commerciaux de l'entreprise n'est pas une résultante directe, ou du moins, ne l'est que très partiellement, des dispositions adoptées pour assurer le passage du temps de travail de 39 à 35 heures ; que ce changement des conditions de rémunération y apparaît au contraire comme la conséquence de raisons économiques telles qu'explicitées dans le préambule du protocole d'accord dont les termes ont été rappelés plus haut (notamment en vue de l'amélioration de la marge de +5% pour parfaire le redressement économique et financier) ; que ceci est rappelé également de manière explicite dans le préambule du projet d'avenant soumis à Madame X... en ces termes : "Dans le cadre de la négociation du passage aux 35 heures, la société, afin d'assurer la sauvegarde de sa compétitivité a mis en place une nouvelle

stratégie commerciale de développement visant à intensifier son action commerciale et à augmenter son chiffre d'affaires. Cette nouvelle dynamique conjuguée à la réduction du temps de travail organisée dans le cadre d'une annualisation, nécessite que soient révisées et adaptées les modalités du personnel commercial de l'entreprise." ; Que la société AMITEL n'a pas pour autant usé de la procédure prévu à l'article L 321-1-2 du contrat de travail (alors qu'elle a notamment limité dans sa lettre du 27 décembre 1999 le délai de réflexion à une durée inférieure à un mois) ; que par ailleurs les raisons économiques ne sont nullement explicitées dans la lettre de licenciement ; que de même, dans ses écritures et les pièces jointes, la société AMITEL ne justifie nullement de la réalité de ces motifs économiques ; qu'ainsi rien n'est dit, ni prouvé sur les risques qui menaceraient la compétitivité de l'entreprise ou sur sa situation générale sur le plan économique et financier, alors qu'il n'est pas inutile de relever qu'il est indiqué au contraire dans le protocole d'accord que depuis deux ans le chiffre d'affaires connaît une progression annuelle de 7 à 10% ; Attendu que dans ces conditions, le licenciement fondé sur le seul refus de Madame X... de signer l'avenant au contrat de travail est dépourvu de cause réelle et sérieux; Qu'il convient de réformer en ce sens le jugement du Conseil de Prud'hommes et d'allouer à Madame X... des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que cette dernière justifie du temps et des difficultés qu'elle a rencontrées, en dépit de ses efforts, pour retrouver un emploi ; que la Cour dispose, à cet égard, des éléments d'appréciation suffisants pour fixer son préjudice à la somme de 59.000 euros; Qu'il convient en outre d'ordonner à la société AMITEL, en application de l'article L 122-14-4 du code du travail, de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage payées à salariée licenciée du jour de son

licenciement au jour du jugement dans la limite de six mois d'indemnité de chômage ; Attendu qu'après vérification du compte des parties, le Conseil de Prud'hommes a fait une juste appréciation des sommes restant dues à Madame X... au titre du solde de l'indemnité de préavis (674,63 euros), des congés payés y afférents (67,46 euros), d'un solde de congés payés au titre de le l'année 1998/1999 (238,46 euros) et au titre de l'année 1999/2000 (285,82 euros) et enfin de la prime d'objectif 'Bourg en Bresse' (184,46 euros) ; qu'il convient de confirmer le jugement de chef ; Attendu qu'il est équitable, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, d'allouer à Madame X... une indemnité au titre des frais non compris dans les dépens, qu'elle a dû exposer pour assurer sa défense en première instance et en cause d'appel ; Attendu que la société AMITEL qui succombe à l'instance, sera déboutée de la demande qu'elle forme sur le même fondement et sera tenue de supporter les dépens. DECISION PAR CES MOTIFS La Cour, Confirme le jugement rendu le 27 novembre 2000 par le Conseil de Prud'hommes de BOURG EN BRESSE en ce qu'il a alloué à Madame X... les sommes 674,63 euros au titre du solde de l'indemnité compensatrice de préavis , 67,46 euros au titre des congés payés y afférents, de 238,46 euros d'un solde de congés payés au titre de le l'année 1998/1999 et de 285,82 euros au titre de l'année 1999/2000 et enfin de 184,46 euros au titre de la prime d'objectif 'Bourg en Bresse' ; Le réforme pour le surplus et statuant à nouveau, Dit que le licenciement de Madame X... ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse; Condamne la société AMITEL à verser à Madame Eliane X... la somme de 59.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et celle de 1.600 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Déboute Madame X... de ses demandes plus amples ou contraires et la société AMITEL de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code

de procédure civile; Condamne la société AMITEL, en application de l'article L 122-14-4 du code du travail, à rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage payées à la salariée licenciée du jour de son licenciement au jour du jugement dans la limite de six mois d'indemnité de chômage ; Condamne la société AMITEL aux dépens.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Numéro d'arrêt : 2001/00241
Date de la décision : 21/01/2004

Analyses

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION - Modification

Une modification des conditions de rémunération doit faire l'objet de la part du salarié concerné d'une acceptation claire et non équivoque.En l'espèce, l'employeur ne peut valablement soutenir que du fait de sa participation aux négociations d'un protocole d'accord sur la réduction du temps de travail arrêtant un nouveau plan de rémunération des salariés, le salarié aurait accepté d'une manière claire et non équivoque les modifications de ses conditions de rémunération.


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.lyon;arret;2004-01-21;2001.00241 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award