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27/02/2003 | FRANCE | N°2001/03545

France | France, Cour d'appel de Lyon, 27 février 2003, 2001/03545


COUR D'APPEL DE LYON PREMIERE CHAMBRE CIVILE ARRET DU 27 FEVRIER 2003 APPELANTE : Madame Jeanne X... veuve Y... représentée par Me DE FOURCROY, avoué à la Cour assistée de Me DE BUSTAMANTE Dominique avocat au barreau de DIJON INTIMES : SCP PATRICE PEYRIEUX ET JEAN Z... 7 Rue Gambetta 42400 SAINT-CHAMOND représentée par la SCP BRONDEL-TUDELA, avoués à la Cour assistée de Me RINCK, avocat au barreau de LYON Maître Jean Z... 7 Rue Gambetta 42400 SAINT-CHAMOND représenté par la SCP BRONDEL-TUDELA, avoués à la Cour assisté de Me RINCK, avocat au barreau de LYON

Instruction c

lôturée le 07 Novembre 2002

Audience de plaidoiries du 27 Novembre ...

COUR D'APPEL DE LYON PREMIERE CHAMBRE CIVILE ARRET DU 27 FEVRIER 2003 APPELANTE : Madame Jeanne X... veuve Y... représentée par Me DE FOURCROY, avoué à la Cour assistée de Me DE BUSTAMANTE Dominique avocat au barreau de DIJON INTIMES : SCP PATRICE PEYRIEUX ET JEAN Z... 7 Rue Gambetta 42400 SAINT-CHAMOND représentée par la SCP BRONDEL-TUDELA, avoués à la Cour assistée de Me RINCK, avocat au barreau de LYON Maître Jean Z... 7 Rue Gambetta 42400 SAINT-CHAMOND représenté par la SCP BRONDEL-TUDELA, avoués à la Cour assisté de Me RINCK, avocat au barreau de LYON

Instruction clôturée le 07 Novembre 2002

Audience de plaidoiries du 27 Novembre 2002

Les pièces de la procédure ont été régulièrement communiquées

à monsieur le procureur général. COMPOSITION DE LA COUR, lors des débats et du délibéré : - monsieur JACQUET, président, - monsieur ROUX, conseiller, - madame BIOT, conseiller, assistés pendant les débats de madame KROLAK, greffier. ARRET : contradictoire prononcé à l'audience publique par monsieur JACQUET, président, en présence de

Madame KROLAK, greffier, qui ont signé la minute. EXPOSE DU LITIGE

Par acte authentique en date du 25 janvier 1995 reçu par la SCP DELEAGE-PEYRIEUX, notaire à SAINT-CHAMOND, Monsieur Gérard Y... et Madame Y... se sont portés cautions solidaires et hypothécaires pour garantir le compte courant ouvert par la Société MULTICOM auprès de la BANQUE POPULAIRE DE LA LOIRE.

Par acte authentique séparé du 25 janvier 1995 dressé par Maître Z..., Madame Jeanne X... Y... s'est également portée caution hypothécaire de la Société MULTICOM.

Par jugement du 28 février 1996, la liquidation judiciaire de la Société MULTICOM a été prononcée par le Tribunal de Commerce du PUY-EN-VELAY. La BANQUE POPULAIRE a déclaré sa créance entre les mains du mandataire liquidateur pour un montant de 656.453 francs.

Par jugement définitif du 23 octobre 1998, le Tribunal de Grande Instance du PUY-EN-VELAY a condamné Monsieur Gérard Y..., Madame Martine Y... et Madame Jeanne X... Y... à payer à la BANQUE POPULAIRE DE LA LOIRE, en leurs qualités de cautions solidaires et hypothécaires de la Société MULTICOM les sommes de 599.375,98 francs représentant le solde débiteur du compte courant de la Société MULTICOM, 45.523,38 francs représentant les intérêts contractuels sur le principal jusqu'au 15 octobre 1998, outre intérêts contractuels à compter de cette date jusqu'à final paiement et 3.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Par acte en date du 7 avril 1999, Madame Jeanne X... Y... a fait assigner Maître Jean Z... et la SCP PEYRIEUX Z... aux fins d'entendre dire que le notaire a manqué à son devoir d'information et de conseil et obtenir le paiement de diverses sommes.

Par jugement du 14 mars 2001, le Tribunal de Grande Instance de SAINT-ETIENNE a débouté Madame X... Y... de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée à payer aux défendeurs la somme de 3.500 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Appelante, Madame X... Y... demande à la Cour de réformer ce jugement et de condamner in solidum Monsieur Jean Z... et la SCP PEYRIEUX Z... à lui verser la somme de 104.360,50 euros (684.560 francs) et à lui rembourser les frais de mainlevée de toute inscription hypothécaire prise au bénéfice de la BANQUE POPULAIRE DE LA LOIRE sur les immeubles de LA VALLA EN GIER. Elle sollicite également les sommes de 7.622,45 euros (50.000 francs) en réparation de son préjudice moral, 2.087,67 euros (13.694,21 francs) au titre du préjudice financier distinct, et 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Elle explique qu'en janvier 1995, date de l'engagement de caution, la situation de trésorerie de la Société MULTICOM était inquiétante et aurait justifié de la part de la Banque et/ou du notaire des réserves, cette situation faisant perdre en outre son caractère accessoire ou aléatoire à la caution.

Elle précise que l'engagement de caution n'a pas été demandé pour l'octroi d'un nouveau prêt mais pour la mise en place par la Banque de garanties personnelles et réelles à son profit exclusif sur un

compte courant dangereusement débiteur et en dépassement d'autorisation de découvert, ouvert par la Banque sans garanties.

Elle indique que le notaire n'a pas sollicité de la banque le minimum d'informations raisonnable sur la situation économique de la Société MULTICOM et lui reproche un manquement à son devoir de conseil, d'autant plus grave que la caution a engagé tous ses actifs immobiliers, seule source de revenus dont son immeuble d'habitation, et ce peu importe la compétence personnelle du client ou même la présence d'un conseiller personnel aux côtés du client.

Elle estime qu'elle ne pouvait pas être considérée comme une femme d'affaire avisée et que sa qualité d'administrateur ne permet pas à elle seule de dire qu'elle avait un intérêt personnel à la bonne marche de l'entreprise puisqu'elle n'en tirait aucun profit financier ; qu'elle était manifestement inconsciente de l'étendue des obligations réelles qui incombent à un administrateur de SA et qu'elle n'aurait jamais signé l'acte de caution si elle avait été utilement conseillée par le notaire.

Elle ajoute que l'obligation de conseil du notaire à l'égard de la caution est indépendante et autonome par rapport à l'obligation de conseil et d'information pesant sur l'organisme prêteur.

Elle indique enfin qu'une transaction est intervenue entre elle et la Banque pour un montant de 626.000 francs à titre de solde de tout compte, qu'elle a financé à hauteur de 580.000 francs par la vente d'actifs forestiers et à hauteur de 50.000 francs par un prêt.

Intimé, Maître Jean Z... et la SCP PEYRIEUX-DELEAGE concluent au rejet des demandes adverses et à la confirmation du jugement entrepris, et sollicitent les sommes de 1.524,49 euros (10.000 francs) à titre de dommages et intérêts pour appel abusif et 1.219,59 euros (8.000 francs) sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Ils exposent que Madame veuve Y... s'est portée caution d'un prêt souscrit auprès de la BANQUE POPULAIRE DE LA LOIRE qu'elle a accepté dans un intérêt personnel.

Ils estiment que cet engagement a été pris librement et en pleine connaissance des besoins et de la situation économique de la Société MULTICOM, eu égard notamment à sa qualité d'actionnaire, la réunion d'un conseil d'administration en date du 9 janvier 1995, sa connaissance de la vie de la société et ses relations avec ses propres fils.

Ils contestent avoir commis une quelconque faute, mais précisent à titre subsidiaire que Madame veuve Y... ne démontre même pas l'existence d'un préjudice ayant un lien causal direct avec le grief allégué, étant ajouté qu'elle a signé une transaction avec la Banque, qu'elle n'a pas interjeté appel du jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance du PUY-EN-VELAY et qu'elle dispose d'un recours contre le débiteur principal et les autres cautions.

Monsieur le Procureur Général auquel l'affaire a été communiquée n'a pas présenté d'observations. DISCUSSION

Attendu qu'il appartient aux notaires d'éclairer les parties et d'appeler leur attention sur les conséquences et les risques des actes auxquels ils sont requis de donner la forme authentique ;

Attendu qu'en l'espèce Madame Jeanne Noella X... veuve Y... s'est engagée comme caution de la Société MULTICOM, Société Anonyme dont elle détenait qu'une seule action sur 2.500 et dont le Président Directeur Général était son fils Monsieur Gérard Y..., titulaire de 2.494 actions, les cinq actions restantes étant réparties entre cinq autres membres de la famille ;

Attendu que le capital social n'a été libéré qu'à hauteur du quart soit 62.500 francs, Madame Jeanne Noella X... veuve Y... n'ayant versé que 25 francs ;

Attendu que la Société a été créée le 17 mars 1994 ; que Madame Jeanne Noella Y... n'a participé qu'à un seul conseil d'administration en date du même jour au cours duquel Monsieur Gérard Y... a été nommé Président Directeur Général ;

Attendu que par un courrier en date du 25 janvier 1995 le conseil de la Société MULTICOM a adressé Monsieur Gérard Y... pour signatures un projet de procès-verbal du conseil d'administration du 9 janvier 1995 et celui d'une assemblée générale extraordinaire du 25 janvier 1995

dont les résolutions étaient la modification de l'objet social et la modification de la date de clôture de l'exercice social qui était repoussée du 31 janvier 1995 au 30 septembre 1995 ;

Attendu qu'il résulte de ces éléments qu'à la date du 25 janvier 1995, date de l'acte de caution, Madame Jeanne Noella Y... n'avait participé à aucun conseil d'administration en dehors de celui du 19 mars 1994 et à aucune assemblée générale et que le bilan n'avait pas été communiqué aux administrateurs ;

Attendu que l'acte authentique du 25 janvier 1995 énonce en son article 1 : "il est convenu un compte courant entre la BANQUE et le CLIENT, destiné à enregistrer toutes les opérations qu'ils auront à traiter ensemble.

Le présent acte a pour objet de constituer des sûretés qui garantissent toute créance de la BANQUE et notamment le solde débiteur éventuel du compte courant tel qu'il sera déterminé à la clôture..."

Attendu que l'article 2 précise : "la BANQUE est convenu, dès avant ce jour, avec le CLIENT de faire entrer dans un compte courant ou plusieurs comptes les opérations qu'ils pourraient avoir à traiter ensemble comme indiqué à l'article 1".

Attendu que la lecture de ces mentions laisse entendre que le compte courant de la Société MULTICOM venait d'être ouvert et que Madame Y... s'engageait à cautionner un découvert éventuel ;

Or attendu qu'il apparaît qu'à la date du 17 janvier 1995 le compte

courant de la Société MULTICOM présentait un solde débiteur de 424.946,45 francs et à la date du 3 février 1995 un solde débiteur de 484 406,29 francs ; que ce découvert n'a cessé de s'accroître pour atteindre 566.029,58 francs au 12 juin 1995 ;

Attendu que l'objet de l'acte authentique du 25 janvier 1995 n'était donc pas d'apporter une caution à des dettes futures mais de fournir une garantie hypothécaire à la Banque comme sûreté de dettes déjà existantes ;

Attendu que Maître Z... et la SCP Patrice PEYRIEUX Jean Z... n'apportent pas la preuve qui leur incombe qu'ils aient informé Madame Jeanne Noella Y... de la situation réelle de la Société MULTICOM dans laquelle elle n'avait qu'une participation symbolique;

Attendu que la clause de style figurant dans l'acte du 25 janvier 1995 et selon laquelle "la CAUTION reconnaît contracter son engagement en pleine connaissance de la situation financière et juridique présente du débiteur principal dont il lui appartiendra - dans son intérêt - de suivre personnellement l'évolution..." ne suffit pas à établir que le notaire ait vérifié si la caution était en mesure d'apprécier l'exacte portée de son engagement et si elle disposait des informations utiles émanant de l'emprunteur ou de la banque, alors que l'acte ne fait nulle part état du fait que le compte courant de la Société MULTICOM présentait alors un découvert de 464.873,91 francs ;

Attendu qu'il résulte de ces éléments que Maître Z... a commis un manquement à son devoir d'information et de conseil envers Madame Jeanne Noella Y... dont il lui doit réparation sur le fondement de

l'article 1382 du Code Civil ;

Attendu qu'en raison de son engagement de caution hypothécaire Madame Jeanne Noella Y... a été amenée à verser à la BANQUE POPULAIRE DE LA LOIRE la somme de 626.000 francs; qu'elle a par ailleurs subi une perte de revenus par suite de la vente de biens immobiliers ; qu'elle a dû avoir recours à un emprunt générant des intérêts et des frais ; que son recours contre le débiteur principal et les cofidejusseurs est illusoire ; que son préjudice global résultant de la faute de Maître Z... peut être fixé à 650.000 francs, englobant les frais de mainlevée d'hypothèque ;

Attendu que l'équité commande par ailleurs de lui allouer la somme de 20.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Réforme le jugement déféré,

Condamne in solidum Maître Jean Z... notaire et la Société Civile Professionnelle Patrice PEYRIEUX et Jean Z... à payer à Madame Jeanne Noella Y... née X... l'équivalent en euros des sommes suivantes : - SIX CENT CINQUANTE MILLE FRANCS (650.000 F) à titre de dommages et intérêts, toutes causes de préjudice confondues, - VINGT MILLE FRANCS (20.000 F) au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile,

Condamne les mêmes aux dépens de première instance et d'appel, avec pour ces derniers droit de recouvrement direct au profit de Maître DE FOURCROY, avoué. LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Numéro d'arrêt : 2001/03545
Date de la décision : 27/02/2003

Analyses

OFFICIERS PUBLICS OU MINISTERIELS - Notaire - Responsabilité - Obligation d'éclairer les parties - Cautionnement

La clause de style qui figure dans les actes d'un notaire selon laquelle "la caution reconnaît contracter son engagement en pleine connaissance de la situation financière et juridique présente du débiteur principal dont il lui appartiendra - dans son intérêt - de suivre personnellement l'évolution..." ne suffit pas à établir que le notaire a vérifié si la caution était en mesure d'apprécier l'exacte portée de son engagement et si elle disposait des informations utiles émanant de l'emprunteur ou de la banque, alors que l'acte ne fait nulle part état du fait que le compte courant du débiteur principal présentait alors un découvert conséquent. Il en résulte que le notaire a commis un manquement à son devoir d'information et de conseil envers la caution dont il lui doit réparation sur le fondement de l'article 1382 du Code civil


Références :

Code civil, article 1382

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.lyon;arret;2003-02-27;2001.03545 ?
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