COUR D'APPEL DE LYON 6ème Chambre ARRET du 27 FEVRIER 2002 Décision déférée : JUGEMENT du TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de BOURG-EN-BRESSE en date du 11 Mai 2000 (RG : 199803307) N° RG Cour : 2000/05010
Nature du recours : DECL. D'APPEL Code affaire : 646 Avoués :
Parties : - ME GUILLAUME MONSIEUR X... Nicolas demeurant : 1 Bis Rue de la Lampe 01810 BELLIGNAT Avocat :
Maître DEBOURG (BOURG-EN-BRESSE)
APPELANT
---------------- - SCP BRONDEL-TUDELA MONSIEUR Y... Virgil demeurant : Tour n° 2 Montferrand 01150 LAGNIEU Avocat : Maître CARLOT (TOQUE 410)
INTIME
---------------- - SCP BRONDEL-TUDELA ASSOCIATION CLUB DE FOOTBALL DE LEYMENT dont le siège social est : 65 Rue Vallière 01150 LEYMENT Représenté par son dirigeant Avocat : Maître CARLOT (TOQUE 410)
INTIMEE
---------------- - CPAM DE L' AIN dont le siège social est : Place de la Grenouillère 01000 BOURG-EN-BRESSE Représenté par son directeur
INTIMEE
---------------- INSTRUCTION CLOTUREE le 25 Septembre 2001 DEBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE du 31 Janvier 2002 LA SIXIEME CHAMBRE DE LA COUR D'APPEL DE LYON, composée lors des débats et du délibéré de : . Monsieur VEBER, Président . Madame DUMAS, Conseiller . Monsieur SORNAY, Conseiller assistés lors des débats tenus en audience publique par Madame Z..., Greffier, a rendu l'ARRET contradictoire suivant prononcé à l'audience publique du 27 FEVRIER 2002, par
Monsieur VEBER, Président, qui a signé la minute avec le Greffier
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Au cours du match de football opposant, le 2 novembre 1997, le Club de MONTREVEL-EN-BRESSE à celui de LEYMENT, Monsieur Nicolas X..., joueur de l'équipe de MONTREVEL, a été blessé par un autre joueur, Monsieur Virgil Y... appartenant à l'équipe adverse.
Suite à la plainte de Monsieur X..., Monsieur Y... a été poursuivi devant le Tribunal Correctionnel de BOURG-EN-BRESSE du chef de violences volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à huit jours et relaxé par jugement du 8 janvier 1999.
Par actes des 1er et 2 décembre 1998, Monsieur X... a également fait assigner Monsieur Y..., l'Association Club de Football de LEYMENT et la CPAM DE L'AIN devant le Tribunal de Grande Instance de BOURG-EN-BRESSE afin d'obtenir la reconnaissance de la responsabilité solidaire du joueur et de son club, l'instauration d'une mesure d'expertise et l'allocation d'une provision.
Par jugement du 11 mai 2000, le Tribunal a débouté Monsieur X... et la CPAM DE L'AIN de leurs demandes au motif que l'attitude déloyale de Monsieur Y... ou l'existence d'un geste d'une brutalité contraire à l'esprit sportif de sa part n'était pas rapportée.
Appelant de cette décision, Monsieur X... soutient que l'attitude de Monsieur Y... au cours du match, révélant un comportement irrespectueux des règles de jeu, déloyal et violent, a été constitutive d'une faute entraînant sa responsabilité et celle de son club. Se fondant sur les procès-verbaux de gendarmerie, il relève que Messieurs A..., B..., C... et D... font état d'un tacle par l'arrière, geste extrêmement dangereux interdit par les règles du jeu et écarte les critiques de Monsieur Y... sur l'appartenance de
ces témoins à son club en soulignant qu'il ne faut pas apporter plus de crédit aux joueurs et dirigeants d'un club qu'aux autres. Il ajoute concernant le jugement de relaxe, que l'absence de faute de faute pénale non intentionnelle ne fait pas obstacle à l'existence d'une faute civile d'imprudence ou de négligence. Monsieur X... conteste l'attestation délivrée par l'arbitre (Monsieur E...) qui est en contradiction avec ses déclarations devant les enquêteurs et illogique avec son attitude puisqu'il a sifflé une faute et donné un carton jaune à Monsieur Y.... Il en déduit qu'il ne peut être opposé les risques normaux du jeu car il s'agit en l'espèce de risques anormaux résultant du non respect des règles de jeu. Il ajoute que la nature de ses blessures (fracture du tiers inférieur du péroné) est caractéristique d'un coup porté et qu'il résulte de la presse de la Ligue de Football que Monsieur Y... a fait l'objet de différentes sanctions permettant de douter de son "fair-play". Il demande donc la réformation du jugement déféré et qu'il soit fait droit à ses demandes initiales.
Monsieur X... soutient, par ailleurs, que la responsabilité du Club de football de LEYMENT se trouve engagée à un double titre. D'une part, en raison de sa propre faute car Monsieur Y..., faisant l'objet d'une suspension disciplinaire, sanction publiée le 25 octobre 1997 soit huit jours avant la rencontre, ne pouvait participer au match, d'autre part, en raison de la responsabilité des associations sportives qui sont responsables des dommages que leurs membres peuvent causer à l'occasion des compétitions sportives.
Monsieur X... qui fait état d'une incapacité de 90 jours demande la réparation intégrale de son préjudice et sollicite l'instauration d'une expertise, le versement d'une indemnité provisionnelle de 20.000 F outre une somme de 20.000 F en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Monsieur Y... et l'Association Club de Football de LEYMENT répliquent que le geste reproché ne constitue pas une faute excédant les dangers inhérents à la pratique du football, le tacle exécuté dans le feu de l'action pour reprendre le ballon n'étant pas inhabituel. Ils estiment que le geste de Monsieur Y... s'il a pu se révéler maladroit n'a pas été volontaire, ce qui a été retenu par le Tribunal Correctionnel et opposent les déclarations des membres de l'équipe de Monsieur X... à celles des arbitres de la rencontre, Messieurs F... et E..., comme de l'entraîneur de l'équipe de LEYMENT, Monsieur G.... Ils invoquent également la feuille de match justifiant le carton jaune donné au joueur Y... par une "conduite inconvenante" ce qui démontre qu'aucune faute caractérisée excédant les risques normaux de la compétition ne peut être établie. Concernant la faute de l'Association, ils soutiennent que la mesure de suspension d'un match frappant Monsieur Y... n'était pas encore connue du club faute de publication en temps utile et ne présente aucun lien de causalité avec les blessures subies. Ils ajoutent que l'Association n'est pas civilement responsable de son joueur, la jurisprudence invoquée ne concernant que des hypothèses de compétitions de rugby en cas de violences perpétrées sur le terrain où il avait été retenu un jeu anormalement dur ou dangereux. Ils précisent qu'une telle jurisprudence n'a jamais été généralisée car elle aurait pour effet de décharger la Sécurité sociale d'une partie de sa mission en lui ouvrant droit à des recours systématiques. Ils contestent enfin le fait qu'un club de football amateur exerce un pouvoir de direction et de contrôle sur ses joueurs au cours de l'exercice normal du jeu. Ils sollicitent la confirmation du jugement déféré et une somme de 20.000 F en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
MOTIFS
Attendu que chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait mais encore par sa négligence ou son imprudence ; que, toutefois, celui qui participe à un jeu collectif est réputé accepter les risques normaux inhérents à la compétition ; Attendu, en l'espèce, qu'au cours d'un match de football opposant le 2 novembre 1997 l'équipe de MONTREVEL-EN-BRESSE à celle de LEYMENT, Monsieur X..., joueur de la première équipe, a été blessé par un joueur de l'équipe adverse, Monsieur Y... et a dû quitter le terrain à la suite d'une fracture du péroné ;
Que les circonstances de l'accident sont connues grâce à un procès-verbal établi par la Brigade de Gendarmerie de MONTREVEL ; qu'il en résulte que vers la fin du match, alors que l'équipe de MONTREVEL menait par 5 buts contre 2, Monsieur X... s'est dirigé seul vers le but de l'équipe de LEYMENT après avoir passé la défense de cette dernière quand il a été taclé par derrière par Monsieur Y... ; que cette version des faits est celle du président du Club de MONTREVEL (Monsieur A...), de l'entraîneur (Monsieur B...), de son capitaine (Monsieur C...) et de Monsieur D..., arbitre adjoint et secrétaire du Club de MONTREVEL ; que tous précisent que le tacle tel qu'effectué soit était dangereux soit ne pouvait que blesser sans qu'il puisse permettre à son auteur de récupérer le ballon ;
Que, pour sa part, le capitaine de l'équipe de LEYMENT, Monsieur H..., a rapporté les faits de la façon suivante : "au cours d'une
action de jeu, Y... Virgil a été amené à aller à l'encontre du ballon se trouvant dans les jambes d'un avant de l'équipe adverse. Au cours de cette intervention, le joueur de MONTREVEL a été blessé. L'arbitre du match a sifflé la faute et sanctionné Y... Virgil d'un carton jaune" ;
Que selon l'arbitre de touche pour le Club de LEYMENT, Monsieur F..., "au cours de la seconde partie de jeu, il y eu un incident. En effet, Y... Virgil... st allé à l'encontre d'un avant de l'équipe adverse qui avançait balle au pied en direction du but de LEYMENT. Au cours de l'interception, le joueur de MONTREVEL a été blessé... en ce qui me concerne, il n'y avait pas faute car il s'agissait d'une action de jeu et non d'un acte volontaire de la part de Y... L'arbitre du match a, lui, sifflé une faute. Voyant que le joueur de MONTREVEL restait au sol, l'arbitre est allé le voir et ayant constaté qu'il était blessé, il a dressé un carton jaune à l'encontre de Y... " ;
Que l'entraîneur de l'équipe de LEYMENT, Monsieur G... rapporte que "le joueur adverse avançait balle au pied vers le but de notre équipe. Y... Virgil étant chargé de défendre l'accès au but est allé à l'encontre du joueur de MONTREVEL au fin de lui prendre le ballon. Au cours de cette action, le joueur de MONTREVEL a été blessé" ;
Qu'enfin l'arbitre du match, Monsieur E..., a expliqué qu'il a été amené à avertir d'un carton jaune pour conduite inconvenante un joueur de LEYMENT suite à un tacle latéral sur un joueur de MONTREVEL et précisé qu'il s'agissait d'un geste défensif et pas violent ;
Attendu que le fait que Monsieur Y... ait effectué un tacle sur son adversaire ne peut être sérieusement contesté, le capitaine de son équipe comme son entraîneur ne précisant pas la façon dont il est intervenu alors que l'arbitre a bien relevé un tel geste ;
Que toutefois si, comme le soutient l'arbitre, ce geste n'était ni volontaire ni violent, il apparaît contradictoire de l'avoir sanctionné par un carton jaune ; que cette sanction, justifiée par la sortie du joueur adverse en raison de sa blessure, suppose nécessairement qu'en réalité le geste à l'origine de cette blessure est hors des normes admises pour le jeu ; que la qualification de "conduite inconvenante" mentionnée par l'arbitre sur la feuille de match démontre bien que le comportement de Monsieur Y... a dépassé les règles du jeu ;
Qu'il en résulte que le tacle effectué sur la personne de Monsieur X... a constitué une manoeuvre dangereuse excédant les risques normaux qu'un joueur de football accepte au cours d'une compétition ; que les blessures subies par Monsieur X..., une fracture spiro'de courte fermée du péroné associée à un arrachement complet du ligament latéral interne déterminant une incapacité initiale de 90 jours, sont directement liées à ce geste ; que ce comportement imprudent détermine ainsi la responsabilité de Monsieur Y... ;
Attendu que Monsieur X... verse aux débats plusieurs journaux de la Ligue de Football, district de l'AIN, publiant les sanctions prises par la commission de discipline où il apparaît que Monsieur Y... a été régulièrement sanctionné depuis le mois d'octobre 1997 :
- journal du 11 octobre 1997 : un avertissement
- journal du 18 octobre 1997 : un match de suspension avec sursis - amende de 110 F
- journal du 25 octobre 1997 : un match de suspension ferme - amende de 280 F
- journal du 15 novembre 1997 : 2 matchs de suspension ferme - amende de 280 F ;
Qu'il résulte de la publication du 22 novembre 1997 que le club de MONTREVEL a formé une réclamation sur la participation du joueur Y... Virgil, suspendu pour la journée du 2 novembre 1997 et qu'après vérifications, "le joueur était suspendu lors de cette journée. En conséquence, MONTREVEL bat LEYMENT par pénalité" ;
Que c'est donc à juste titre que Monsieur X... soutient que l'Association Club de Football de LEYMENT a commis une faute en faisant participer Monsieur Y... à la rencontre du 2 novembre 1997 alors qu'il faisait l'objet d'une mesure de suspension publiée dans le journal de la Ligue dès le 25 octobre 1997 avec la mention "prise d'effet : 27 octobre 1997" et que cette participation est en relation directe avec le dommage qu'il a subi ;
Qu'en outre, les associations sportives, ayant pour mission d'organiser, de diriger et de contrôler l'activité de leurs membres au cours des compétitions sportives auxquelles ils participent, sont responsables des dommages qu'ils causent à cette occasion ;
Que l'Association Club de football de LEYMENT doit ainsi être condamnée avec Monsieur Y... à réparer le préjudice subi par Monsieur X... lors du match du 2 novembre 1997 ;
Attendu qu'il y a lieu, avant dire droit sur l'indemnisation, d'ordonner une expertise médicale de Monsieur X... et de lui allouer une provision de 1.500 Euros ;
Attendu que l'équité commande que les intimés participent à hauteur de 1.000 Euros aux frais non compris dans les dépens exposés par Monsieur X... dans cette procédure ;
Attendu qu'il y a lieu de déclarer le présent arrêt commun et opposable à la CPAM DE l'AIN assignée devant le Cour, et qui n'a pas
constitué avoué ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Infirme le jugement déféré et statuant à nouveau,
Dit que Monsieur Y... et l'Association Club de Football de LEYMENT doivent indemniser Monsieur X... du préjudice subi à la suite de l'accident survenu au cours du match du 2 novembre 1997 à MONTREVEL-EN-BRESSE,
Avant dire droit sur le préjudice corporel de Monsieur X..., ordonne une expertise médicale,
Commet pour y procéder : Madame le Docteur Marie-Dominique I... 138, Boulevard de Brou 01000 BOURG-EN-BRESSE Téléphone : 04.74.45.20.20 en qualité d'expert avec faculté de s'adjoindre en cas de nécessité tous spécialistes de son choix, avec mission de :
- examiner la victime, Monsieur Nicolas X..., demeurant 1, bis rue de la Lampe - 01810 BELIGNAT,
- décrire les lésions qu'elle impute à l'accident survenu le 2 novembre 1997 à MONTREVEL-EN-BRESSE, en indiquant, après s'être fait communiquer tous documents relatifs aux examens, soins et interventions dont elle a été l'objet, si ces lésions sont en relation directe et certaine avec l'accident,
- déterminer la durée de l'incapacité temporaire totale de travail en indiquant les reprises partielles intervenues avec leur durée et fixer la date de consolidation des blessures,
- dégager les éléments justifiant une indemnisation au titre du prix de la douleur et éventuellement des préjudices esthétique et
d'agrément en qualifiant chacun d'eux de très léger, léger, modéré, moyen, assez important, important ou très important,
- rechercher s'il persiste une incapacité permanente partielle imputable à l'accident et en estimer le degré sur les activités physiques, intellectuelles ou artistiques pratiquées par la victime dans l'exercice de sa profession ou l'incidence sur le cours des études ou le choix d'une profession,
- dire si l'état de la victime est susceptible d'aggravation ou d'amélioration, en fournissant toutes précisions utiles sur cette évolution et éventuellement préciser dans quel délai un nouvel examen lui apparaîtrait nécessaire avant de fixer la consolidation, le prix de la douleur, les préjudices esthétiques et d'agrément ou l'incapacité permanente partielle,
Fixe au 30 mai 2002 la date de dépôt du rapport au Secrétariat Greffe de la Cour d'Appel, sauf prorogation accordée sur éléments motivés de l'expert par le conseiller chargé de con contrôle,
Dit que l'expert fera connaître son acceptation ou son refus d'exécuter l'expertise dans un délai de huit jours après avoir pris connaissance de la décision le désignant, qu'en cas de refus ou d'empêchement légitime, il sera pourvu aussitôt à son remplacement,
Dit que l'expert procédera à l'accomplissement de sa mission les parties dûment convoquées, les entendra en leurs observations, y répondra et déposera son rapport au Secrétariat Greffe,
Condamne in solidum Monsieur Y... et l'Association Club de Football de LEYMENT à payer à Monsieur X... une indemnité provisionnelle de 1.500 Euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice corporel et la somme de 1.000 Euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
Dit que Monsieur X..., à qui incombe l'avance des frais d'expertise, devra verser avant le 30 mars 2002 au Greffe de la Cour d'Appel une provision de 350 Euros à valoir sur les honoraires de l'expert,
Dit qu'à défaut de consignation dans le délai imparti, la désignation de l'expert sera caduque et privée de tout effet,
Dit qu'après dépôt du rapport, le dossier de l'affaire sera transmis au Tribunal de Grande Instance de BOURG-EN-BRESSE pour qu'il puisse être statué sur le préjudice,
Déclare le présent arrêt commun et opposable à la CPAM DE L'AIN,
Condamne in solidum Monsieur Y... et l'Association Club de Football de LEYMENT aux dépens de première instance et d'appel et autorise Maître GUILLAUME, Avoué, à recouvrer ceux d'appel dans les formes et conditions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile. LE GREFFIER
LE PRESIDENT