N° 25
DOSSIER: N° RG 24/00051 - N° Portalis DBV6-V-B7I-BISQT
COUR D'APPEL DE LIMOGES
Ordonnance du 27 juin 2024 à 15 heures
[J] [Z]
Madame Valérie CHAUMOND, conseiller à la cour d'appel de Limoges, spécialement déléguée par le premier président de la cour d'appel de Limoges dans l'affaire citée en référence, assistée de Madame Laetitia LUZIO SIMOES, greffier, a rendu l'ordonnance suivante par mise à disposition au greffe,
ENTRE :
M. LE PRÉFET de la Haute-Vienne,
non comparant ni représenté, mais qui a fait parvenir ses observations par écrit le 21 juin 2024,
Appelant d'une ordonnance rendue le 17 juin 2024 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Limoges ;
ET :
M. [J] [Z]
né le 14 octobre 2002 à [Localité 8], de nationalité française,
demeurant : [Adresse 1] - [Localité 5]
non comparant ni représenté,
MADAME LE PROCUREUR GÉNÉRAL, demeurant [Adresse 3] - [Localité 8]
prise en la personne de M. [A] [E], avocat général,
non comparante mais qui a déposé des réquisitions écrites ;
M. LE DIRECTEUR DU CH [6], demeurant [Adresse 2] - [Localité 4]
non comparant ni représenté ;
INTIMÉS
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L'affaire a été appelée à l'audience publique du 27 juin 2024 à 11 heures 30 sous la présidence de Madame Valérie CHAUMOND, conseiller à la cour d'appel de Limoges, assistée de Madame Laetitia LUZIO SIMOES, greffier.
Conformément aux dispositions de l'article R. 3211-21 du code de la santé publique, l'appelant a fait parvenir ses observations par écrit le 21 juin 2024.
Après quoi, Madame Valérie CHAUMOND, conseiller, a mis l'affaire en délibéré, pour être rendue le 27 juin 2024 à 15 heures par mise à disposition au greffe.
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M. [J] [Z] a été admis en soins psychiatriques sans consentement sur décision du représentant de l'Etat en date du 07 juin 2024, signée par Mme [V] [C], à raison de troubles mentaux nécessitant des soins et compromettant la sûreté des personnes ou portant atteinte, de façon grave, à l'ordre public.
Cette décision s'appuyait sur le certificat médical établi le 06 juin 2024 par le docteur [B] [K], lequel décrivait un patient sorti du CH [6] trois jours auparavant avec un traitement médicamenteux qu'il ne prenait pas, présentant, la veille, des hallucinations auditives et qui avait agressé un conducteur de bus et, le jour même, son camarade de cellule au commissariat.
Par arrêté du 09 juin 2024, le représentant de l'Etat a, sur la foi du certificat médical des 72 heures établi le même jour par le docteur [U] [R], maintenu M. [J] [Z] en hospitalisation complète.
Puis, par requête en date du 12 juin 2024, le représentant de l'Etat a saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Limoges aux fins de contrôle à 12 jours de la mesure d'hospitalisation, conformément aux dispositions de l'article L. 3211-12-1 du code de la santé publique.
L'avis médical accompagnant cette requête, établi le 11 juin 2024 par le docteur [G] [N] [O], concluait à la nécessité de poursuivre les soins sous la forme de l'hospitalisation complète.
Par ordonnance du 28 décembre 2023, le juge des libertés et de la détention a ordonné la poursuite de l'hospitalisation complète.
M. le préfet de la Haute-Vienne a interjeté appel de cette décision par courrier reçu le 21 juin 2024.
Le ministère public s'en est rapporté à l'appréciation de la cour.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
- Sur la recevabilité de l'appel :
L'appel, introduit dans les forme et délai légaux, est recevable.
- Sur le fond :
' Sur l'irrecevabilité de la requête au juge des libertés et de la détention :
En première instance, M. [J] [Z] a soutenu, par la voix de son conseil, que la requête saisissant le juge des libertés et de la détention du contrôle de la régularité de la mesure d'hospitalisation sous contrainte était irrecevable à raison l'absence de délégation du signataire de la dite requête, soit Mme [V] [C], d'ester en justice.
Le juge des libertés et de la détention a rappelé que, si sa saisine peut être effectuée par le préfet ou toute autre personne ayant reçu de ce dernier délégation de signature, le mandat qui donne délégation, aux termes de l'article 1988 du code civil, doit être spécial.
Il a ajouté qu'un mandat de représentation trop général ne comprend celui, particulier, d'agir en justice, dès lors que cela ne constitue pas un acte d'administration.
Il a constaté que la délégation de signature donnée à Mme [V] [C] indiquait en son article 3 qu'elle recevait délégation pour 'les décisions en matière de soins psychiatriques sur décision du représentant de l'Etat, prises en application du code de la santé publique'.
Il a ainsi constaté que Mme [V] [C] n'avait pas expressément reçu délégation à fin de signer les actes de saisine du juge des libertés et de la détention pour les mesures de soins psychiatriques sous contrainte, contrairement à l'article 4 de la même délégation qui la prévoit pour ce qui relève de l'application du code de l'entrée et du séjour des étrangers.
Dans sa requête en appel, à laquelle n'est pas jointe la délégation de signature litigieuse, M. [W] [F], sous-préfet et secrétaire général - dont il n'est, au demeurant, pas davantage établi qu'il a lui-même reçu délégation de signature du préfet pour ester en justice - fait valoir que l'article premier de l'arrêté du 15 mai 2024 prévoit que Mme [V] [C] a reçu délégation 'à l'effet de signer dans le cadre de ses attributions toutes décisions, pièces de procédure, courriers ou documents nécessaires à l'activité du cabinet et des services qui y sont rattachés'.
Il fait encore valoir que, par l'article 3 du même arrêté du 15 mai 2024, 'délégation de signature est également donnée à Mme [V] [C], sous-préfète, directrice de cabinet, à l'effet de signer toute mesure de police administrative visant à maintenir l'ordre public et notamment:
' les décisions en matières de soins psychiatriques sur décision du représentant de l'Etat, prises en application du code de la santé publique'.
L'appelant soutient alors que la demande de prolongation de l'hospitalisation complète de M. [J] [Z] relève de cette catégorie compte tenu du fait qu'il troublerait régulièrement l'ordre public.
Toutefois, il est tout d'abord patent que l'article premier de l'arrêté du 15 mai 2024 constitue, par le caractère très large des actes qu'il énumère, un mandat général au sens de l'article 1988 du code civil, lequel dispose, dans son premier alinéa que 'le mandat conçu en termes généraux n'embrasse que les actes d'administration'. Or, la saisine d'une juridiction relative au contrôle de la régularité d'une hospitalisation sous contrainte, en ce qu'elle entrave la liberté d'aller et de venir d'un individu, ne constitue pas un simple acte d'administration.
L'article 3 du même arrêté délègue signature à Mme [V] [C] plus particulièrement pour 'toute mesure de police administrative visant à maintenir l'ordre public'. Cependant, il est constant que la contestation des mesures de police administrative relève de la compétence des juridictions de l'ordre administratif et non de l'ordre judiciaire : or, le magistrat en charge du contrôle de la régularité d'une mesure de placement en hospitalisation sous contrainte est un magistrat de l'ordre judiciaire ; au surplus, l'existence d'un trouble à l'ordre public n'est que l'un des critères de régularité de ladite hospitalisation.
En outre, l'article 3 précité que la délégation de signature est notamment donnée pour les décisions en matières de soins psychiatriques : or, constituent des décisions les différents arrêtés que le représentant de l'Etat est amené à prendre : arrêté portant admission en soins psychiatriques et arrêté décidant de la forme de prise en charge de la personne faisant l'objet de soins psychiatriques, en l'espèce.
La saisine d'une juridiction de l'ordre judiciaire ne constitue pas une 'décision' au sens légal du terme mais un acte de procédure par lequel on sollicite précisément une décision d'un magistrat.
Dès lors, il apparaît que la délégation de signature de Mme [V] [C] ne lui permettait de signer, au nom du représentant de l'Etat une requête au juge des libertés et de la détention.
La décision entreprise sera en conséquence confirmée en toutes ses dispositions.
' Sur l'insuffisance du certificat médical initial :
Aux termes de l'article L. 3213-2 du code de la santé publique, 'En cas de danger imminent pour la sûreté des personnes, attesté par un avis médical ou, à défaut, par la notoriété publique, le maire et, à [Localité 9], les commissaires de police arrêtent, à l'égard des personnes dont le comportement révèle des troubles mentaux manifestes, toutes les mesures provisoires nécessaires, à charge d'en référer dans les vingt-quatre heures au représentant de l'Etat dans le département qui statue sans délai et prononce, s'il y a lieu, un arrêté d'admission en soins psychiatriques dans les formes prévues à l'article L. 3213-1. Faute de décision du représentant de l'Etat, ces mesures provisoires sont caduques au terme d'une durée de quarante-huit heures'.
L'article L. 3213-1, I du code de la santé publique ajoute que 'le représentant de l'Etat dans le département prononce par arrêté, au vu d'un certificat médical circonstancié ne pouvant émaner d'un psychiatre exerçant dans l'établissement d'accueil, l'admission en soins psychiatriques des personnes dont les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l'ordre public. Les arrêtés préfectoraux sont motivés et énoncent avec précision les circonstances qui ont rendu l'admission en soins nécessaire. Ils désignent l'établissement mentionné à l'article L. 3222-1 qui assure la prise en charge de la personne malade'.
Au cas d'espèce, les arrêtés du maire de [Localité 7] en date des 06 et 07 juin 2024 se fondent sur le certificat médical établi par le docteur [B] [K] en date du 06 juin 2024.
Le maire motive son arrêté, reprenant les éléments factuels contenus dans le certificat médical initial, en précisant que, M. [J] [Z] 'présente des troubles mentaux manifestes qui constituent un danger imminent pour la sécurité des personnes'.
Or, il est constant que le certificat médical établi par le docteur [B] [K], s'il mentionne des hallucinations auditives, qui se seraient manifestées la veille de son examen, et une sortie de CH [6] trois jours auparavant, ne fait en revanche état d'aucun comportement assimilable à une pathologie mentale ni d'aucune nécessité de soins ni d'aucun refus desdits soins au moment de l'examen. Le praticien n'évoque que des circonstances passées et non actualisées, dont il n'est pas établi qu'elles vont persister. Enfin, la réponse de M. [J] [Z] à la question de savoir s'il accepte de recevoir des soins n'est pas mentionnée au certificat ni aucun constat relatif à un éventuel refus des soins : l'imminence du danger n'est donc pas caractérisée.
Par ailleurs, il convient de rappeler que la commission de faits constitutifs d'une infraction n'est pas assimilable à une pathologie psychiatrique.
Ainsi, l'arrêté pris par le maire puis celui pris par le préfet se fondent tous deux sur un certificat qui ne remplit pas les conditions posées par l'article L. 3213-1, I du code de la santé publique, savoir un certificat médical circonstancié établissant que l'intéressé présente des troubles mentaux nécessitant des soins et compromettant la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l'ordre public.
Il est également constaté que l'arrêté du maire de [Localité 7] en date du 06 juin 2024, à la différence de celui du 07 juin suivant, ne mentionne pas que M. [P] [I] a régulièrement reçu délégation de signature ; dès lors, il n'est pas acquis que délégation avait effectivement été donnée puisqu'il n'en est pas justifié. Or, c'est précisément à l'arrêté du maire en date du 06 juin 2024 que se réfère l'arrêté préfectoral du 07 juin 2024, portant admission de M. [J] [Z] en soins psychiatriques.
En conséquence, il apparaît que l'admission en soins psychiatriques sans consentement de M. [J] [Z] est irrégulière.
La décision du juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Limoges, quoique prise sur un fondement différent, sera donc confirmée.
Les dépens de l'instance resteront à la charge du Trésor Public.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par ordonnance réputée contradictoire et en dernier ressort,
DÉCLARONS recevable le recours introduit par M. le préfet de la Haute-Vienne ;
CONFIRMONS l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de LIMOGES en date du 17 juin 2024 ;
LAISSONS les dépens à la charge du Trésor Public ;
DISONS que la présente ordonnance sera notifiée à :
- M. le préfet de la Haute-Vienne,
- M. [J] [Z],
- Me [N] [X],
- Mme le Procureur Général,
- M. le directeur du centre hospitalier [6] de [Localité 7].
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Laetitia LUZIO SIMOES Valérie CHAUMOND