N°24
DOSSIER: N° RG 23/00062 - N° Portalis DBV6-V-B7H-BIOVA
COUR D'APPEL DE LIMOGES
Ordonnance du 20 juin 2023 à 14 heures 30
[O] [I]
LIMOGES, le 20 juin 2023 à 14 heures 30
Monsieur Jean-Pierre COLOMER, Conseiller à la cour d'appel de Limoges, spécialement délégué par le Premier Président de la Cour d'Appel de LIMOGES dans l'affaire citée en référence, assisté de Madame Jeanne Raïssa POUSSIN greffier, a rendu l'ordonnance suivante par mise à disposition au greffe,
ENTRE :
Madame [O] [I]
née le 24 Juin 1948 à [Localité 6], de nationalité Française,
demeurant [Adresse 3]
Représentée par Me Eric BRECY-TEYSSANDIER, avocat au barreau de LIMOGES
Appelant d'une ordonnance rendue le 02 Juin 2023 par le de LIMOGES
ET :
- MADAME LE PROCUREUR GENERAL, demeurant [Adresse 2],
pris en la personne de Madame Fabienne ROZE, avocat général,
non comparant mais a déposé des réquisitions écrites
- MONSIEUR LE DIRECTEUR DU CHS [4], demeurant [Adresse 1]
non comparant
INTIMES
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L'affaire a été appelée à l'audience publique du 19 Juin 2023 à 15 heures sous la présidence de Monsieur Jean-Pierre COLOMER, Conseiller à la cour d'appel de LIMOGES, assisté de Madame Jeanne Raïssa POUSSIN, greffier.
Le conseil de Mme [I] ont été entendus en leurs observations,
Après quoi, Monsieur Jean-Pierre COLOMER, Conseiller a mis l'affaire en délibéré, pour être rendue par mise à disposition au greffe le mardi 20 juin 2023 à 14 heures 30 ;
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Le 24 mai 2023 à 8h30, Mme [O] [I] a été admise en soins psychiatriques, sous la forme initiale d'une hospitalisation complète sans consentement au Centre Hospitalier [4] de [Localité 5] (87) sur décision du directeur de l'établissement.
Cette admission a été réalisée dans le cadre des dispositions du 2° du II de l'article L.3212-1 du code de la santé publique relatif à l'admission en cas de péril imminent pour la santé de la personne, au vu d'un certificat médical établi le 23 mai 2023 à 23h31 par le docteur [C], médecin n'exerçant pas dans l'établissement d'accueil.
La mesure de soins sous contrainte a été mise en oeuvre dès le 23 mai 2023 et la décision d'admission a été prise le lendemain.
Les deux certificats médicaux prévus aux 2ème et 3ème alinéas de l'article L.3211-2-2 du Code de la santé publique ont été régulièrement établis dans les 24h puis les 72 h de l'admission, les deux médecins n'étant ni l'un, ni l'autre auteur du certificat sur la base duquel la décision admission a été prise.
Le 26 mai 2023, le directeur de l'établissement a maintenu la mesure sous la forme d'une hospitalisation complète pour une durée d'un mois.
Par requête en date du 30 mai 2023, le directeur de l'établissement a saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Limoges aux fins de contrôle de la mesure d'hospitalisation conformément aux dispositions de l'article L 3211-12-1 du Code de la santé publique.
L'avis médical accompagnant cette requête a été établi le 30 mai 2023. Il mentionne la persistance des troubles psychiatriques et la nécessité de poursuivre les soins sous la forme d'une hospitalisation complète.
Par ordonnance du 02 juin 2023, le juge des libertés et de la détention a autorisé la poursuite de l'hospitalisation complète.
Mme [I] a interjeté appel de cette décision par courrier expédié le 08 juin 2023 et reçu le 08 juin 2023 à 15h03 au greffe de la cour d'appel.
La mesure a été levée le 09 juin 2023.
A l'audience, elle demande l'infirmation de la décision du juge des libertés et de la détention et la mainlevée de la mesure.
A l'appui de son recours, elle soulève les moyens suivants :
- la tardiveté de la décision d'admission ;
- l'incompétence de l'auteur des décisions d'admission et de renouvellement ;
- l'absence d'examen somatique dans les 24 heures de 1'admission ;
- le défaut d'information au représentant de l'Etat et à la commission départementale des soins psychiatriques ;
- le défaut de qualité de l'auteur du certificat médical établi dans les 72 heures ;
- le défaut d'information de ses droits ;
- le non-respect de l'obligation d'information de la famille ;
- 1'absence de motivation suffisante.
Le ministère public a requis par écrit la confirmation de la décision entreprise. L'appelante et son conseil ont eu connaissance de ces réquisitions.
Le directeur du Centre hospitalier a fait valoir par écrit que la mesure ayant été levée, l'appel était devenu sans objet puisque l'objet de la demande est la mainlevée de la mesure.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la recevabilité de l'appel :
Même si la mesure de soins psychiatriques sans consentement a été levée avant l'audience d'appel, Mme [I] justifie d'un intérêt à agir en cause d'appel dès lors que, souhaitant mettre en cause la responsabilité de l'établissement, elle dispose d'un intérêt légitime à solliciter le réexamen de sa situation en vue d'obtenir l'infirmation de la décision du premier juge et de faire reconnaître l'irrégularité de la procédure justifiant la mainlevée pour un vice de forme afin que ne puisse lui être opposée l'autorité de la chose jugée.
Par ailleurs, l'appel est régulier et recevable pour avoir été formé dans les forme et délai légaux.
Sur la régularité de la procédure :
Dans son avis du 11 juillet 2016, n° 16-70.006, la Cour de cassation a indiqué que les dispositions des articles L. 3211-3, a, et L. 3213-1 du code de la santé publique ne permettent pas au préfet de différer la décision administrative imposant des soins psychiatriques sans consentement au-delà du temps strictement nécessaire à l'élaboration de l'acte.
Elle a justifié cet avis en indiquant qu'il se déduit de ces articles que la décision du préfet devrait précéder tant l'admission effective du patient que la modification de la « forme de la prise en charge » et ne peut donc pas avoir d'effet rétroactif mais que toutefois, un délai étant susceptible de s'écouler entre l'admission et la décision du préfet, celle-ci peut être retardée le temps strictement nécessaire à l'élaboration de l'acte, qui ne saurait excéder quelques heures. Au-delà de ce bref délai, la décision est irrégulière.
L'article L. 3212-1 du code de la santé publique applicable aux admissions en soins psychiatriques à la demande d'un tiers ou en cas de péril imminent prévoit que le directeur de l'établissement prononce la décision d'admission lorsqu'il est saisi soit d'une demande présentée par un tiers, soit lorsqu'il s'avère impossible d'obtenir une telle demande et qu'il existe, à la date d'admission, un péril imminent pour la santé de la personne, dûment constaté par un certificat médical.
L'article L. 3212-1 applicable aux décisions du directeur de l'établissement, pas plus que L. 3213-1 applicable aux décisions prises par le représentant de l'Etat dans le département, ne permet de conférer à la décision d'admission un caractère rétroactif.
Par ailleurs, selon l'article L. 3211-3 du même code, le patient est informé du projet de décision puis, le plus rapidement possible, d'une manière appropriée à son état, de la décision d'admission et de chacune des décisions de maintien des soins, ainsi que des raisons qui les motivent.
En l'espèce, le certificat médical initial a été établi le 23 mai 2023 à 23h31 par un psychiatre du service des urgences psychiatriques du CHU de [Localité 5]. Mme [I] a ensuite été transféré au Centre hospitalier [4] de [Localité 5] le même jour puisqu'il est mentionné dans l'acte de saisine du juge des libertés et de la détention que son entrée en soins psychiatriques a eu lieu le 23 mai 2023.
La décision d'admission psychiatrique est intervenue le 24 mai 2023 à 8h30. Même si l'heure d'entrée dans l'établissement de soins psychiatriques demeure inconnue, il apparaît qu'il s'est écoulé au minimum un délai de 8h30 entre la mise en 'uvre de la mesure et la décision d'admission.
La décision donc intervenue tardivement ce qui a causé un grief à la patiente dès lors que, d'une part, ce délai a pour effet de retarder d'autant l'information qui lui a été délivrée par la remise d'une plaquette d'information lors de la notification de la décision d'admission même si elle a refusé de signer cette notification et que, d'autre part, la computation des délais de l'article L. 3211-12-1 se fait à compter de l'admission.
L'admission de Mme [I] étant irrégulière et lui ayant causé grief, il y a lieu d'infirmer la décision du premier juge. Les soins ayant été levés, il n'y a pas lieu d'ordonner leur mainlevée.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, et par ordonnance réputée contradictoire et en dernier ressort,
DÉCLARONS l'appel recevable ;
INFIRMONS l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Limoges en date du 02 juin 2023 en ce qu'il a autorisé la poursuite de l'hospitalisation complète ;
Statuant à nouveau,
JUGEONS que la décision d'admission en soins psychiatriques prise à l'encontre de Mme [O] [I] est irrégulière et lui cause grief ;
CONSTATONS la levée de la mesure de soins ;
LAISSONS les dépens à la charge du Trésor Public ;
DISONS que la présente ordonnance sera notifiée à :
- Madame [O] [I],
- Madame le Procureur Général,
- Monsieur le Directeur du Centre hospitalier
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Jeanne Raïssa POUSSIN Jean-Pierre COLOMER