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13/09/2022 | FRANCE | N°21/00108

France | France, Cour d'appel de Limoges, Compétence 1ère présidenc, 13 septembre 2022, 21/00108


ORDONNANCE N°3





dossier N° RG 21/00108 - N° Portalis DBV6-V-B7F-BIIYD





M. [B] [P] [D]

Représentant : Me Younes FAHER, avocat au barreau de PARIS





C/



AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

Représentant : Me Mathieu PLAS, avocat au barreau de LIMOGES



En présence de MADAME LE PROCUREUR GENERAL

































Indemnisation détention provisoire







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LIMOGES, le 13 Septembre 2022,



Nous,Magalie ARQUIÉ, Conseillère, Secrétaire générale de la première présidence de la cour d'appel de LIMOGES, spécialement déléguée par le Premier Président, assistée de Jeanne Raïssa POUSSIN, greffier, a rendu l'ordonnance suivante, ...

ORDONNANCE N°3

dossier N° RG 21/00108 - N° Portalis DBV6-V-B7F-BIIYD

M. [B] [P] [D]

Représentant : Me Younes FAHER, avocat au barreau de PARIS

C/

AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

Représentant : Me Mathieu PLAS, avocat au barreau de LIMOGES

En présence de MADAME LE PROCUREUR GENERAL

Indemnisation détention provisoire

LIMOGES, le 13 Septembre 2022,

Nous,Magalie ARQUIÉ, Conseillère, Secrétaire générale de la première présidence de la cour d'appel de LIMOGES, spécialement déléguée par le Premier Président, assistée de Jeanne Raïssa POUSSIN, greffier, a rendu l'ordonnance suivante, l'affaire ayant été appelée à l'audience du 05 Juillet 2022 à laquelle ont été entendus les conseils des parties, après quoi l'affaire a été mise en délibéré pour être rendue par mise à disposition au greffe le 06 septembre 2022, délibéré prorogé ce jour :

ENTRE :

Monsieur [B] [P] [D]

né le [Date naissance 3] 1933 au [Localité 8] (Martinique)

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représenté par Me Younes FAHER, avocat au barreau de PARIS

Demandeur à la requête en indemnisation de détention provisoire déposée le 29 novembre 2021

E T :

MONSIEUR L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 6]

Représenté par Me Mathieu PLAS, avocat au barreau de LIMOGES

E N PRESENCE DE :

MADAME LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D'APPEL DE LIMOGES

[Adresse 1]

[Localité 7]

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EXPOSE DU LITIGE

M. [B] [P] [D] a été placé en détention provisoire du 21 juin 2020 au 20 février 2021, dans le cadre d'une information judiciaire pour laquelle il avait été mis en examen du chef de vol avec violences ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de huit jours, en l'espèce 10 jours, sur la personne de M. [M] [J].

Renvoyé devant le tribunal correctionnel de Tulle par ordonnance du juge d'instruction en date du 28 mai 2021, Monsieur [B] [P] [D] a été relaxé par jugement du tribunal judiciaire de Tulle du 29 juin 2021.

M. [B] [P] [D] a déposé le 29 novembre 2021 une requête devant le premier président de la cour d'appel de LIMOGES pour obtenir réparation de son préjudice sur le fondement des dispositions des articles 149 à 149-3 du code de procédure pénale. Il demande le paiement de la somme de 2.000 € au titre des dépenses occasionnées par des prestations d'avocat directement liées à la privation de liberté, la somme de 24.000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral provoqué par la détention provisoire, la somme de 14.131,44 euros au titre de la perte de revenus provoquée par la détention provisoire, ainsi que la somme de 2.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

A l'audience du 5 juillet 2022, M. [D] a fait développer les conclusions qu'il a régulièrement déposées à la suite de sa requête tendant à la recevabilité comme au bien-fondé de ses demandes, en faisant valoir que :

- à la date de son placement en détention provisoire, il exerçait en qualité de préparateur automobile dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée conclu le 2 décembre 2019 et poursuivi par avenant du 31 mai 2019 ; ce contrat a été suspendu en raison de son incarcération;

- Monsieur [D] justifie n'avoir perçu aucune rémunération de son employeur pendant la période courant du 21 juin 2020 au 21 février 2021, période de son placement en détention provisoire;

- la détention provisoire a provoqué un choc psychologique, s'agissant au surplus d'une première incarcération, et a gravement affecté sa vie familiale, Monsieur [D] étant privé de tout contact avec ses deux jeunes enfants et laissant de fait sa compagne et mère des enfants en difficulté pour faire face à leurs besoins;

- il a engagé des frais pour assurer sa défense et obtenir sa remise en liberté.

L'agent judiciaire de l'Etat a sollicité du premier président de la cour d'appel, au terme de ses conclusions régulièrement signifiées du 24 février 2022 et réitérées à l'audience:

- qu'il accorde à M. [D] la somme de 17.000 euros en réparation de son préjudice moral;

- qu'il rejette à titre principal sa demande d'indemnisation au titre du préjudice économique, en l'absence de toute précision sur la fin de son contrat et sur les sommes qu'il a pu percevoir entre le 1er juin 2020 et son incarcération; subsidiairement, qu'il limite la demande présentée à la somme de 3.612 euros tenant compte d'un salaire moyen de 1.290 euros par mois et de l'application d'un coefficient de perte de chance à raison de la proximité existant entre la date de signature du CDI et la date de la détention provisoire;

- qu'il réduise à 624 euros le montant de l'indemnité due au titre des frais d'avocat exposés par Monsieur [D];

- qu'il statue ce que de droit sur la demande de M. [D] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

A l'appui de ses demandes, il expose que les prétentions formées au titre du préjudice moral sont excessives en ce qu'il ne fournit que peu d'éléments sur le retentissement psychologique spécifique à raison des difficultés rencontrées en détention, de la mise en oeuvre du protocole sanitaire de la maison d'arrêt pendant la crise sanitaire; il retient que le préjudice moral est exclusivement constitué par la privation de liberté pendant 244 jours pour un jeune majeur sans antécédent judiciaire.

Quant au préjudice matériel, il estime que la demande est insuffisamment justifiée et en tout état de cause excessive, en s'interrogeant sur l'impact de l'incarcération sur son contrat de travail, et retient qu'il convient d'appliquer un coefficient de perte de chance de 60%, la signature d'un contrat à durée indéterminée quelques semaines avant son incarcération faisant naître un aléa quant à la poursuite de ce contrat.

Quant à la demande d'indemnisation au titre des frais d'avocat, il demande qu'elle soit limitée à la somme justifiée de 624 euros TTC.

Madame le procureur général demande de déclarer la requête recevable.

Sur le préjudice moral, elle demande que soit allouée à M. [D] une somme de 22.000 € au titre du préjudice moral, s'agissant d'une première incarcération d'un homme de 27 ans à l'époque, qui n'avait jamais été condamné, en estimant que le requérant ne produit pas d'élément concret établissant les souffrances et difficultés qu'il allègue.

Elle propose de rejeter totalement la demande en paiement de dommages et intérêts en réparation d'un préjudice économique, faute de précisions suffisantes du requérant.

Elle sollicite ensuite de limiter à 444 euros le montant de l'indemnité pour frais d'avocat exposés à l'audience.

L'affaire a été mise en délibéré au 6 septembre 2022, délibéré prorogé au 12 septembre 2022.

MOTIFS

Sur la recevabilité

Monsieur [B] [P] [D] ayant été incarcéré du 21 juin 2020 au 21 février 2021, au cours d'une procédure qui s'est terminée à son égard par une décision de relaxe, devenue définitive, il est recevable à solliciter, sur le fondement des articles 149 et suivants du code de procédure pénale, la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention, sa requête ayant été présentée le 24 novembre 2021, soit dans le délai légal de six mois à compter de la décision de relaxe.

Sur le préjudice moral

Au titre du préjudice moral, Monsieur [D] souligne la durée de la détention injustifiée, pendant la période de l'épidémie, le choc carcéral ressenti par une personne brutalement et injustement privée de liberté, la privation de liens familiaux en particulier l'impossibilité de s'occuper de ses enfants en bas âge, les difficultés de sa compagne alors qu'il subvenait seul aux besoins de sa famille et de la distance du lieu de détention par rapport à la résidence familiale. Il demande une indemnisation qui ne saurait être inférieure à la somme de 24.000 €.

Selon une jurisprudence constante, l'indemnisation du préjudice moral doit tenir compte de la durée de détention indemnisable, de la peine encourue pour les faits reprochés, des antécédents judiciaires du requérant, de l'âge du requérant, du choc carcéral ressenti, ainsi que des conditions de détention.

Par ailleurs, doivent être pris en compte, dans le calcul de la durée de la détention provisoire, le jour du placement en détention et le jour de la remise en liberté (CRD, 10 oct. 2011, no 10-CRD.079, Bull. crim. [CNRD] no 6).

Au cas d'espèce, le requérant, âgé de 27 ans lors de son placement en détention, est demeuré détenu provisoirement du 21 juin 2020 au 20 février 2021, soit pendant une durée de 245 jours.

Au titre des facteurs d'aggravation de son préjudice, seront retenus l'absence de passé pénitentiaire de Monsieur [D] ainsi que le retentissement nécessairement défavorable sur les conditions de détention de la mise en oeuvre du protocole sanitaire relatif au Covid-19, étant précisé qu'il ne fait état d'aucun document démontrant l'existence de difficultés à entretenir des contacts avec sa famille, ni ne produit de justificatif de difficulté de santé ou de traitement médicamenteux pendant la détention.

En conséquence, il sera alloué à M. [D] une somme de 18.000 euros en réparation du préjudice moral résulté de sa détention provisoire.

Sur le préjudice matériel

Il est justifié de ce que Monsieur [D] a obtenu la modification de son contrat de travail et conclu un contrat à durée indéterminée le 31 mai 2020, lequel a été suspendu pendant la durée de son incarcération et s'il est plaidé l'existence d'un aléa lié à la signature d'un tel contrat de travail 20 jours avant son incarcération, aucun élément objectif ne vient étayer cette thèse.

Étant directement privé d'exécuter son contrat de travail, il convient d'allouer à Monsieur [D] une somme de 10.420 euros, correspondant à huit mois de salaire net justifié, en réparation de son préjudice matériel.

Sur les frais d'avocat

Les frais d'avocat directement liés à la privation de liberté et aux procédures engagées pour y mettre fin doivent faire l'objet d'une indemnisation sur le fondement de l'article 149 du code de procédure pénale.

S'il réclame le paiement d'une somme de 2.000 euros à ce titre, les justificatifs qu'il produit correspondent à quatre factures d'un montant respectif de 144 euros TTC, 120 euros TTC, 180 euros TTC et 180 euros TTC, soit une somme totale de 624 euros. Il convient d'allouer cette somme à Monsieur [D] au titre des frais exposés pour la défense de ses intérêts dans le cadre de la détention provisoire.

Il n'est pas équitable de laisser à Monsieur [D] la charge de l'intégralité des frais et répétitifs exposés par lui dans le cadre de la présente instance. Il lui sera alloué une indemnité de montant de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, l'Etat étant condamné à supporter les dépens.

PAR CES MOTIFS,

Nous, Magalie ARQUIÉ, déléguée du premier président, statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,

DECLARONS la requête recevable ;

ALLOUONS à Monsieur [B] [P] [D] la somme de DIX-HUIT MILLE EUROS (18.000 euros) en réparation de son préjudice moral ;

ALLOUONS à Monsieur [B] [P] [D] la somme de DIX-MILLE QUATRE CENT EUROS (10.400 euros) en réparation de son préjudice matériel;

ALLOUONS à Monsieur [B] [P] [D] la somme de SIX CENT VINGT-QUATRE EUROS (624 euros) au titre des frais d'avocat en relation avec la détention provisoire injustifiée;

ALLOUONS à Monsieur [B] [P] [D] la somme de MILLE CINT CENTS EUROS (1.500 euros) en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

REJETONS comme non fondées toutes autres conclusions contraires ou plus amples ;

LAISSONS les dépens à la charge du Trésor Public.

LE GREFFIER P/ LE PREMIER PRÉSIDENT

La Secrétaire Générale, déléguée

à cette fin

Raïssa POUSSIN Magalie ARQUIE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Limoges
Formation : Compétence 1ère présidenc
Numéro d'arrêt : 21/00108
Date de la décision : 13/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-13;21.00108 ?
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