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06/09/2022 | FRANCE | N°21/00115

France | France, Cour d'appel de Limoges, Compétence 1ère présidenc, 06 septembre 2022, 21/00115


ORDONNANCE N°2





dossier N° RG 21/00115 - N° Portalis DBV6-V-B7F-BIJBT





M. [V], [U] [W]

Représentant : Me Ombeline GRIMAUD, avocat au barreau de LIMOGES





C/



MONSIEUR L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

Représentant : Me Mathieu PLAS, avocat au barreau de LIMOGES



En présence de MADAME LE PROCUREUR GENERAL







Indemnisation détention provisoire









LIMOGES, le 06 Septembre 2022,





Nous,Magalie ARQUIÉ, Con

seillère, Secrétaire générale de la première présidence de la cour d'appel de LIMOGES, spécialement déléguée par le Premier Président, assistée de Jeanne Raïssa POUSSIN, greffier, a rendu l'ordonnance suivante, l'affa...

ORDONNANCE N°2

dossier N° RG 21/00115 - N° Portalis DBV6-V-B7F-BIJBT

M. [V], [U] [W]

Représentant : Me Ombeline GRIMAUD, avocat au barreau de LIMOGES

C/

MONSIEUR L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

Représentant : Me Mathieu PLAS, avocat au barreau de LIMOGES

En présence de MADAME LE PROCUREUR GENERAL

Indemnisation détention provisoire

LIMOGES, le 06 Septembre 2022,

Nous,Magalie ARQUIÉ, Conseillère, Secrétaire générale de la première présidence de la cour d'appel de LIMOGES, spécialement déléguée par le Premier Président, assistée de Jeanne Raïssa POUSSIN, greffier, a rendu l'ordonnance suivante, l'affaire ayant été appelée à l'audience du 05 Juillet 2022 à laquelle ont été entendus les conseils des parties, après quoi l'affaire a été mise en délibéré pour être rendue par mise à disposition au greffe le 06 Septembre 2022 :

ENTRE :

Monsieur [V], [U] [W]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté parMe Ombeline GRIMAUD, avocat au barreau de LIMOGES

Demandeur à la requête en indemnisation de détention provisoire déposée le 24 décembre 2021

E T :

MONSIEUR L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

Représenté par Me Mathieu PLAS, avocat au barreau de LIMOGES

EN PRÉSENCE DE :

MADAME LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D'APPEL DE LIMOGES

'

' '

EXPOSE DU LITIGE

M. [V] [W] a été placé en détention provisoire du 6 juin 2017 au 15 février 2019, dans le cadre d'une information judiciaire pour laquelle il avait été mis en examen du chef d'homicide volontaire et modification de l'état des lieux d'un crime avec effacement de traces de sang dans l'appartement de [H] [I].

Par ordonnance du 31 janvier 2020, le juge d'instruction de Limoges a ordonné le non lieu à son égard.

M. [V] [W] a déposé le 24 décembre 2021 une requête devant le premier président de la cour d'appel de LIMOGES pour obtenir réparation de son préjudice sur le fondement des dispositions des articles 149 à 149-3 du code de procédure pénale. Il demande le paiement de la somme de 34.560,51 € de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel, et la somme de 40.000 € en réparation de son préjudice moral, outre une somme de 2.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

A l'audience du 5 juillet 2022, M. [W] a fait développer les conclusions qu'il a régulièrement déposées à la suite de sa requête tendant à la recevabilité comme au bien-fondé de ses demandes, en faisant valoir que :

- travaillant en contrat à durée indéterminée à la date de son placement en détention provisoire, il a subi une perte de salaire d'un montant de 29.400 euros du fait de son incarcération injustifiée; qu'au surplus, il n'a pu résilier son contrat de location dès lors que son logement était placé sous scellés judiciaires et a, de ce fait, été contraint de régler des loyers et charges à fonds perdus à raison de 5.160,51 euros ;

-il a subi une souffrance morale en lien avec le choc carcéral éprouvé au cours des quelque vingt mois de détention provisoire qu'il a purgés, alors qu'il n'avait jamais été condamné auparavant, et qu'il a, de ce fait, été contraint de partir vivre chez ses parents à sa libération,.

L'agent judiciaire de l'Etat a sollicité du premier président de la cour d'appel, au terme de ses conclusions régulièrement signifiées du 24 février 2022 et réitérées à l'audience:

- qu'elle accorde à M. [W] la somme de 37.140 euros en réparation de son préjudice moral,

- qu'elle rejette sa demande d'indemnisation au titre du préjudice économique, en l'absence d'élément probant justifiant de l'existence d'un tel préjudice, faute d'en rapporter suffisamment la preuve ;

- qu'elle statue ce que de droit sur la demande de M. [W] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

A l'appui de ses demandes, il expose que les prétentions formées au titre du préjudice moral sont excessives en ce qu'il ne fournit que peu d'éléments sur le retentissement psychologique spécifique à raison des difficultés rencontrées en détention, ni d'élément de preuve d'un ou plusieurs obstacles à l'organisation de visites avec sa famille; il retient que le préjudice moral est exclusivement constitué par la privation de liberté pendant 619 jours pour un jeune majeur sans antécédent judiciaire. Quant au préjudice matériel, il estime que la demande au titre de la perte de loyers est insuffisamment étayée, que le placement sous scellé de l'appartement de M. [W] ne faisait pas obstacle à une demande de résiliation et qu'en tout état de cause, il est sans lien avec la détention subie.

Madame le procureur général demande à la cour de déclarer la requête recevable.

Sur le préjudice moral, elle demande que soit allouée à M. [V] [W] une somme de 37.200 € au titre du préjudice moral, s'agissant d'une première incarcération d'un homme de 37 ans à l'époque, qui n'avait jamais été condanmé.

Elle propose de faire droit à la demande en paiement au titre de la perte de chance de conserver son emploi pendant la période d'incarcération et de rejeter la demande formée au titre des impayés de loyer, faute de préjudice en lien direct avec la détention provisoire, dès lors que l'impossibilité d'accès au logement résulte du placement sous scellés de l'appartement de M. [W] et non de l'incarcération de ce dernier.

Madame le procureur général s'en remet quant à la demande formée au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'affaire a été mise en délibéré au 6 septembre 2022.

MOTIFS

Sur la recevabilité :

Il est acquis que si Monsieur [W] a déposé une requête aux fins d'indemnisation fondée sur les dispositions de l'article 149 du code de procédure pénale plus de six mois après l'ordonnance de non lieu, cette dernière ne faisait pas mention du droit à indemnisation, de sorte que le délai de six mois imparti pour saisir le premier président de la cour d'appel sur ce fondement n'a pas couru à l'égard du requérant.

En outre, Monsieur [W] justifie du caractère définitif de la décision de non lieu prononcée à son égard par un certificat de non-appel.

Il convient en conséquence, de déclarer recevable la requête présentée par M. [V] [W].

Sur le préjudice moral :

Au titre du préjudice moral, Monsieur [V] [W] fait valoir le choc carcéral lié à la durée de détention injustifiée, alors qu'il a toujours clamé son innocence, son absence d'antécédent judiciaire à la date de son incarcération, et l'anxiété qui en est résulté pour lui, au point qu'à sa libération, il a été contraint de partir vivre chez ses parents. Il demande une indemnisation qui ne saurait être inférieure à la somme de 40.000 €.

Selon une jurisprudence constante, l'indemnisation du préjudice moral doit tenir compte de la durée de détention indemnisable, de la peine encourue pour les faits reprochés, des antécédents judiciaires du requérant, de l'âge du requérant, du choc carcéral ressenti, ainsi que des conditions de détention.

Par ailleurs, doivent être pris en compte, dans le calcul de la durée de la détention provisoire, le jour du placement en détention et le jour de la remise en liberté (CRD, 10 oct. 2011, no 10-CRD.079, Bull. crim. [CNRD] no 6).

Au cas d'espèce, le requérant, âgé de 37 ans lors de son placement en détention, est demeuré détenu provisoirement du 6 juin 2017 au 15 février 2019, soit pendant une durée de 620 jours.

Il convient en outre, pour apprécier le préjudice moral résultant de l'incarcération, de prendre en considération l'absence d'antécédent judiciaire de M. [W] à la date de son incarcération, et la peine importante encourue pour les faits reprochés.

En l'état de ces éléments et en l'absence de pièce susceptible d'attester de répercussions du choc carcéral sur sa vie quotidienne ou son état de santé après sa libération, il paraît justifié d'allouer à Monsieur [V] [W] la somme de 37.200 euros en réparation de son préjudice moral.

Sur le préjudice matériel :

Il ressort précisément des pièces produites que Monsieur [W] travaillait en contrat à durée indéterminée à l'abattoir de [Localité 3] moyennant un salaire mensuel moyen de 1.445 euros nets à la date de son incarcération, à la lecture des trois bulletins de paie de mars à mai 2017, que son contrat a été suspendu pendant la durée de la détention provisoire subie et qu'il a pu reprendre son cours à compter de la libération de Monsieur [W].

Il est incontestable que la détention provisoire est la cause exclusive et directe de la perte de ses revenus salariés par le requérant, dont le contrat de travail a dû être suspendu pendant son incarcération ; la réparation du préjudice matériel doit en conséquence prendre en compte les pertes de salaire subies pendant la durée d'emprisonnement.

L'ancienneté de Monsieur [W] à la date de son incarcération n'établit par elle-même pas la preuve de l'existence d'un aléa affectant la relation de travail de celui-ci avec son employeur, et ce d'autant plus qu'une telle ancienneté pourrait tout aussi bien fonder au contraire une stabilité de la relation de travail et une absence d'aléa.

Il convient par suite d'allouer à Monsieur [W] une somme totale de 30.345 euros, soit 21 mensualités de son salaire mensuel moyen net de 1.445 euros.

Quant à la demande en paiement d'une somme de 5.160,51 euros au titre du paiement de loyers auxquels il a été contraint de procéder, force est de constater que le placement sous scellé de l'appartement de Monsieur [W] n'est pas en relation directe et certaine avec son placement en détention provisoire mais avec l'existence d'une scène de crime. En conséquence, Monsieur [W] est infondé à solliciter l'indemnisation des mensualités de loyer qu'il a dû régler pendant une période pendant laquelle il ne pouvait en avoir la jouissance, et sa demande tendant à cette fin sera rejetée.

Sur les demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile :

Il est conforme d'accorder à M. [W] la somme de 1.200 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile afin qu'il ne conserve pas à sa charge les frais non compris dans les dépens et nécessairement exposés au cours de l'instance. Ces frais seront supportés par le Trésor Public.

PAR CES MOTIFS:

Nous, Magalie ARQUIÉ, délégué du Premier Président, statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,

DECLARONS la requête recevable ;

ALLOUONS à Monsieur [V] [W] la somme de TRENTE-SEPT MILLE DEUX CENTS EUROS (37.200 euros) en réparation de son préjudice moral ;

ALLOUONS à Monsieur [V] [W] la somme de TRENTE MILLE TROIS CENT QUARANTE-CINQ EUROS (30.345 €) en réparation de son préjudice matériel au titre de la perte de revenus pendant la durée de la détention provisoire injustifiée ;

DEBOUTONS Monsieur [V] [W] de sa demande en réparation d'un préjudice matériel constitué par le montant des loyers payés pendant sa détention provisoire injustifiée;

ALLOUONS à Monsieur [V] [W] la somme de MILLE DEUX CENTS EUROS (1.200 euros) en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

REJETONS comme non fondées toutes autres conclusions contraires ou plus amples ;

LAISSONS les dépens à la charge du Trésor Public.

LE GREFFIER,P/ LE PREMIER PRÉSIDENT

La Secrétaire Générale, déléguée à cette fin,

Jeanne Raïssa POUSSINMagalie ARQUIE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Limoges
Formation : Compétence 1ère présidenc
Numéro d'arrêt : 21/00115
Date de la décision : 06/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-06;21.00115 ?
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