ARRÊT N.
RG N : 10/ 00980
AFFAIRE :
Jacob, Kinsky C...
C/
S. A. ADIA,
SOCIETE MIZZARO,
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA HAUTE VIENNE
DIRECTION REGIONALE DE LA JEUNESSE DES SPORTS & DE LA COHESION SOCIALE
YD/ MLM
Demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur ou d'une personne substituée dans la direction, ou en réparation complémentaire pour faute inexcusable
COUR D'APPEL DE LIMOGES
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 24 JANVIER 2011
Le vingt quatre Janvier deux mille onze, la Chambre Sociale de la Cour d'Appel de LIMOGES a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à la disposition du public au greffe :
ENTRE :
Jacob, Kinsky C..., demeurant...
représenté par Me Isabelle RYCHNER, avocat au barreau de PARIS
APPELANT d'un jugement rendu le 29 Avril 2010 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de HAUTE-VIENNE
ET :
1.- S. A. ADIA, dont le siège social est 25 Avenue du président Roosevelt-19100 BRIVE-LA-GAILLARDE
Représentée par Maître Anne LAMBERT, avocat substituant Maître Benjamin GEVAERT, avocat au barreau de PARIS
2.- SOCIETE MIZZARO, dont le siège social est ZI de CANA-Rue François Labrousse-19100 BRIVE-LA-GAILLARDE
Représentée par Me Hervé SOL, avocat au barreau de BRIVE-LA-GAILLARDE
3.- CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA HAUTE VIENNE, Département des affaires juridiques-dont le siège social est 22, avenue Jean Gagnant-87037 LIMOGES CEDEX
Représentée par Madame Claudine X..., responsable des affaires juridiques, munie d'un pouvoir en date du 07 décembre 2010
INTIMEES
EN PRESENCE DE
DIRECTION REGIONALE DE LA JEUNESSE DES SPORTS & DE LA COHESION SOCIALE, demeurant Site Donzelot-24 rue Donzelot-87037 LIMOGES CEDEX
Non comparante, ni représentée bien que régulièrement convoquée par lettre recommandée avec accusé de réception signé le 09 octobre 2010
PARTIE INTERVENANTE
--- = = oO § Oo = =---
A l'audience publique du 13 Décembre 2010, la Cour étant composée de Monsieur Yves DUBOIS, Président de Chambre, de Monsieur Philippe NERVE et de Madame Anne-Marie DUBILLOT-BAILLY, Conseillers, assistés de Madame Geneviève BOYER, Greffier, Monsieur Yves DUBOIS, Président de Chambre a été entendu en son rapport oral, Maître Isabelle RYCHNER, Maître Anne LAMBERT Maître Hervé SOL, avocats ont été entendus en leur plaidoirie, et Madame Claudine X... en ses observations.
Puis, Monsieur Yves DUBOIS, Président de Chambre a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 24 Janvier 2011, par mise à disposition au greffe de la Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
.
LA COUR
Monsieur C..., salarié de la Société ADIA, a été victime le 13 Octobre 2003 d'un accident du travail alors qu'il était en mission à la Société Mizzaro. Il a fait une chute du 3ème étage lors de l'installation d'un treuil de chantier. Il a subi de multiples et graves fractures et traumatismes. Son état a été déclaré consolidé le 20 Juin 2005 avec une IPP de 40 % (portée à 45 % par le TCI).
Par jugement du 29 Janvier 2009, le tribunal des affaires de Sécurité Sociale de la Haute-Vienne a dit que l'accident était dû à la faute inexcusable de l'employeur et que la Société Mizzaro devrait garantir la Société ADIA des sommes mises à sa charge. Il a fixé au maximum la majoration de la rente, débouté Monsieur C... de sa demande en réparation du préjudice professionnel et ordonné une mesure d'expertise sur les préjudices personnels. Par Arrêt partiellement infirmatif du 19 Octobre 2009, la Cour a dit que l'intégralité de la rente accident du travail serait supportée par la Société Mizzaro.
Par un nouveau jugement rendu le 29 Avril 2010 au vu du rapport d'expertise, le tribunal a condamné la Société ADIA, avec la garantie de la Société Mizzaro, à payer à Monsieur C... la somme de 33. 500 € se décomposant comme suit :
- souffrances endurées : 25. 000 €
- préjudice esthétique temporaire : 6. 000 €
- préjudice esthétique permanent : 1. 500 €
- préjudice d'agrément : 1. 000 €
Le tribunal a débouté Monsieur C... de ses autres demandes.
Monsieur C... a régulièrement interjeté appel de cette décision. Il entend voir porter à 20. 000 € le montant de la somme allouée en réparation de son préjudice esthétique temporaire et à 4. 000 € celle allouée au titre de son préjudice esthétique permanent. Il réclame en outre les sommes suivantes :
-32. 000 € au titre du préjudice d'agrément,
-32. 000 € au titre du préjudice sexuel,
-12. 668 € au titre du déficit fonctionnel temporaire,
-80. 000 € au titre du déficit fonctionnel permanent,
-123. 796, 80 € au titre du manque à gagner professionnel,
-123. 796, 80 € au titre de l'incidence professionnelle sur le calcul de ses pensions de retraite,
-19. 394 € en remboursement des soins dentaires,
-28. 000 € au titre du préjudice auditif,
-10. 000 € au titre des frais irrépétibles de 1ère instance,
-10. 000 € au titre des frais irrépétibles d'appel.
À titre subsidiaire il sollicite un complément d'expertise.
La Société Mizzaro entend voir réduire les sommes allouées par le premier juge, sauf l'indemnité pour préjudice d'agrément. Elle considère que ne sont pas justifiées les demandes relatives aux préjudices sexuel, dentaire, auditif. Elle offre une indemnité 6. 174, 99 € au titre du déficit fonctionnel temporaire et entend voir rejeter les autres demandes.
La Société ADIA conclut à la réduction du montant des indemnités allouées en première instance, à l'irrecevabilité des demandes relatives au déficit fonctionnel temporaire, au préjudice sexuel, au préjudice d'incidence professionnelle et au déficit fonctionnel permanent, et au rejet des demandes relatives aux préjudices auditif et dentaire. Elle soutient que, le cas échéant, la Caisse Primaire d'Assurance Maladie devra faire l'avance de l'ensemble des indemnités allouées à Monsieur C....
La Caisse Primaire d'Assurance Maladie s'en rapporte à justice sur les demandes de Monsieur C... mais considère qu'elle ne peut être tenue de faire l'avance que des sommes indemnisant les préjudices visés à l'article L 452-3 du code de la Sécurité Sociale.
MOTIFS
Vu, développées oralement à l'audience, les conclusions reçues au Greffe les 12 Août et 2 Décembre 2010 pour l'appelant, le 13 Décembre pour la Société ADIA, les 25 Octobre et 10 Décembre pour la Société Mizzaro et le 9 Décembre pour la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Haute-Vienne.
L'appelant estime que les indemnités allouées par le premier juge en application de l'article L 452-3 du Code de la Sécurité Sociale ont été sous-évaluées, et il soutient qu'à la suite de la décision du conseil constitutionnel du 18 Juin 2010 il est en droit d'obtenir la réparation intégrale de son préjudice.
Sur les chefs de préjudice visés
par l'article L 452-3 du code de la Sécurité Sociale
Souffrances physiques et morales
L'expert a relevé Monsieur C... était âgé de 55 ans au moment de l'accident et que ses blessures multiples et souvent avaient nécessité des hospitalisations (services de Réanimation, Chirurgie orthopédique et Rééducation fonctionnelle), des examens complémentaires (radiographies), 4 interventions chirurgicales sous anesthésie générale, un drainage thoracique, une immobilisation par alitement et par plâtre du membre supérieur gauche, des séances de rééducation, un traitement antalgique, anti-inflammatoire, myorelaxant, anticoagulant, antivertigineux, et des injections intra-caverneuses.
Au vu de ces éléments, le premier juge a exactement évalué l'indemnisation des souffrances endurées.
Préjudices esthétiques
Les indemnités allouées en réparation des préjudices esthétiques temporaire et permanent seront également confirmées, compte tenu des constatations et évaluations de l'expert non contestées en elles-mêmes.
Préjudice d'agrément
Une indemnisation à ce titre suppose que soit établie l'impossibilité ou la plus grande difficulté pour la victime, en raison des séquelles de l'accident, de se livrer à des activités sportives, ludiques ou culturelles qu'elle pratiquait précédemment.
En l'espèce, le tribunal a exactement constaté que seule était rapportée la preuve d'une activité antérieure de cyclisme pour l'exercice laquelle l'expert a estimé que Monsieur C... était maintenant très gêné.
L'indemnité allouée apparaît suffisante au regard de ces éléments.
Sur les autres demandes
Elles doivent être examinées au vu de la décision du 18 juin 2010 dans laquelle le conseil constitutionnel a jugé :
- qu'en cas de faute inexcusable de l'employeur, le plafonnement de la majoration de la rente prévue par l'article L 452-2 du code de la Sécurité Sociale et destinée à compenser la perte de salaire résultant de l'incapacité, n'instituait pas une restriction disproportionnée aux droits des victimes d'accident du travail ou de maladie professionnelle (17) ;
- que les dispositions de l'article L 452-3 du Code de la Sécurité Sociale permettant la réparation de certains chefs de préjudice ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée au droit des victimes d'actes fautifs, faire obstacle à ce que ces mêmes personnes, devant les mêmes juridictions, puissent demander à l'employeur, réparation de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du Code de la Sécurité Sociale (18).
Préjudice sexuel
La demande de ce chef est recevable dès lors qu'elle ne tend pas à l'indemnisation d'une perte de salaire résultant de l'incapacité et que le dommage invoqué n'est pas couvert par le livre IV du code de la Sécurité Sociale.
L'existence d'un tel préjudice est établie par le rapport d'expertise, même si l'expert ne l'a pas expressément relevé, n'ayant pas mission de le faire. Outre la gravité et l'étendue des lésions de la région du bassin, l'expert a en effet rappelé les termes d'un certificat médical du 10 Juin 2006 attestant d'une paralysie fonctionnelle du pénis.
Compte tenu de l'importance de ce préjudice et de son retentissement, il sera alloué de ce chef une indemnité de 25. 000 €.
Préjudices dentaire et auditif
Pour les motifs ci-dessus exposés, ces demandes sont recevables.
Toutefois, les certificats médicaux produits par l'appelant, établis en 2010, sont très tardifs, et il n'existe aucun élément permettant de rattacher de tels préjudices à l'accident du travail, ni dans le rapport de l'expert judiciaire pourtant très documenté et complet, ni dans des documents permettant de supposer une prise en charge au titre de la législation professionnelle par la Sécurité Sociale, à une époque contemporaine ou tout au moins proche de l'accident, des affections alléguées.
Monsieur C... sera donc débouté de ses demandes de ces chefs sans qu'il soit justifié d'ordonner une mesure d'expertise.
Déficit fonctionnel temporaire
Cela correspond non pas à une perte de revenu mais au préjudice résultant de la gêne dans les actes de la vie courante que rencontre la victime pendant la maladie traumatique, notamment la séparation familiale pendant l'hospitalisation et la privation temporaire de qualité de vie. La demande est donc recevable pour les motifs énoncés plus haut.
Au vu du rapport d'expertise, Monsieur C... a subi une incapacité temporaire totale pendant 4 mois et 16 jours et une incapacité temporaire partielle pendant 15 mois et 19 jours, ce qui n'est pas discuté par la Société Mizzaro. Le préjudice de ce chef justifie une indemnité de 8. 031 €.
Déficit fonctionnel permanent
Il s'agit du préjudice non économique résultant de la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel, ou intellectuel consécutive à l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique médicalement constatée, à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, normalement liées à l'atteinte séquellaire décrite ainsi que les conséquences habituellement et objectivement liées à cette atteinte à la vie de tous les jours. La demande est également recevable pour les motifs déjà énoncés.
L'expert, dont les constatations sont corroborées par les éléments produits par l'appelant, a suffisamment caractérisé la diminution de capacité et les séquelles subsistant après consolidation tant sur le plan physique que psychologique pour que la Cour considère justifiée la demande de Monsieur C..., qui reste atteint d'une IPP au taux de 45 % et était âgé de 57 ans à la date de la consolidation.
Préjudice d'incidence professionnelle
La demande à ce titre, que l'appelant fonde sur l'existence d'un préjudice résultant du manque à gagner dû à l'impossibilité dans laquelle il a été de travailler jusqu'à l'âge de la retraite et à la perte subie en conséquence sur sa pension de retraite, ne peut être admise dès lors qu'aux termes de la décision susvisée du conseil constitutionnel (Considérant 17) les pertes de salaire résultant de l'incapacité sont compensées par la rente majorée servie en application de l'article L 452-2 du code de la Sécurité Sociale.
En vertu des dispositions de l'article L 452-3 al. 3 du code de la Sécurité Sociale, interprétées à la lumière de la décision du conseil constitutionnel du 18 Juin 2010, la réparation de l'ensemble des préjudices ci-dessus sera versée directement à Monsieur C... par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Haute-Vienne, qui en récupérera le montant auprès de la Société ADIA. En décider autrement conduirait à exposer le salarié à être privé d'une partie des indemnités auxquelles il peut prétendre, notamment en cas d'inopposabilité de la prise en charge de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle à l'employeur auteur de la faute inexcusable.
La Société Mizzaro devra garantir la Société ADIA de l'ensemble des sommes mises à sa charge.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Monsieur C... de sa demande au titre des frais irrépétibles, puisqu'il bénéficiait de l'aide juridictionnelle totale
En revanche, en cause d'appel il sera fait application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile dans les conditions précisées au dispositif.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant par arrêt réputé contradictoire, en dernier ressort, par mise à disposition au greffe, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Réformant pour partie le jugement entrepris,
Complète ainsi qu'il suit l'indemnisation du préjudice de Monsieur C... :
- préjudice sexuel : 25. 000 €
- déficit fonctionnel temporaire : 8. 031 €
- déficit fonctionnel permanent : 80. 000 €
Confirme le jugement en ses autres dispositions, sauf à dire que l'ensemble des indemnités allouées seront versées directement à Monsieur C... par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Haute-Vienne, qui en récupérera le montant auprès de la Société ADIA.
Condamne la Société Mizzaro à garantir la Société ADIA de l'intégralité des sommes mises à sa charge.
Condamne la Société Mizzaro à payer à Monsieur C... la somme de 2. 500 € au titre des frais irrépétibles d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Geneviève BOYER. Yves DUBOIS