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24/04/2008 | FRANCE | N°06/01660

France | France, Cour d'appel de Limoges, 24 avril 2008, 06/01660


RG N : 06 / 01660

AFFAIRE :

Mme Isabelle X...


C /

M. Pierre Jean Marie Florent X..., M. Gérard Florent Georges X..., M. Jacques Florent Arnaud X..., M. Bernard Philippe François X...


Liquidation partage

Grosse délivrée à Me Jupile Boisverd

COUR D'APPEL DE LIMOGES
CHAMBRE CIVILE PREMIÈRE SECTION

ARRET DU 24 AVRIL 2008



A l'audience publique de la CHAMBRE CIVILE PREMIÈRE SECTION DE LA COUR D'APPEL DE LIMOGES, le VINGT QUATRE AVRIL DEUX MILLE HUIT a été rendu l'arrêt dont la teneur suit :

EN

TRE :

Madame Isabelle X...

de nationalité Française
née le 18 Avril 1948 à BRIVE (19100)
Profession : Conservateur de patrimoi...

RG N : 06 / 01660

AFFAIRE :

Mme Isabelle X...

C /

M. Pierre Jean Marie Florent X..., M. Gérard Florent Georges X..., M. Jacques Florent Arnaud X..., M. Bernard Philippe François X...

Liquidation partage

Grosse délivrée à Me Jupile Boisverd

COUR D'APPEL DE LIMOGES
CHAMBRE CIVILE PREMIÈRE SECTION

ARRET DU 24 AVRIL 2008

A l'audience publique de la CHAMBRE CIVILE PREMIÈRE SECTION DE LA COUR D'APPEL DE LIMOGES, le VINGT QUATRE AVRIL DEUX MILLE HUIT a été rendu l'arrêt dont la teneur suit :

ENTRE :

Madame Isabelle X...

de nationalité Française
née le 18 Avril 1948 à BRIVE (19100)
Profession : Conservateur de patrimoine, demeurant ...

représentée par Me Erick JUPILE- BOISVERD, avoué à la Cour
assistée de Me Jacques VAYLEUX, avocat au barreau de BRIVE- LA- GAILLARDE

APPELANTE d'un jugement rendu le 15 SEPTEMBRE 2006 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BRIVE

ET :

Monsieur Pierre Jean Marie Florent X...

de nationalité Française
né le 18 Septembre 1933 à GRENOBLE (38000)
Profession : Retraité, demeurant ...

représenté par la SCP CHABAUD DURAND- MARQUET, avoués à la Cour
assisté de Me Patrick PAGES, avocat au barreau de BRIVE

Monsieur Gérard Florent Georges X...

de nationalité Française
né le 08 Février 1935 à FONTAINE (38)
Profession : Retraité, demeurant ...

représenté par la SCP CHABAUD DURAND- MARQUET, avoués à la Cour
assisté de Me Patrick PAGES, avocat au barreau de BRIVE

Monsieur Jacques Florent Arnaud X...

de nationalité Française

né le 27 Février 1936 à FONTAINE (38)
Profession : Retraité, demeurant ...

représenté par la SCP CHABAUD DURAND- MARQUET, avoués à la Cour
assisté de Me Patrick PAGES, avocat au barreau de BRIVE

Monsieur Bernard Philippe François X...

de nationalité Française
né le 18 Mai 1941 à PONT CHATEAU (44)
Profession : Gérant (e) de Société, demeurant ...

représenté par la SCP CHABAUD DURAND- MARQUET, avoués à la Cour
assisté de Me Patrick PAGES, avocat au barreau de BRIVE

INTIMES

L'affaire a été fixée à l'audience du 28 Février 2008, en application de l'article 910 du Code de procédure civile, la Cour étant composée de Madame Martine JEAN, Président de chambre, de Madame Christine MISSOUX- SARTRAND et de Monsieur Gérard SOURY, Conseillers, assistés de Madame Marie- Christine MANAUD, Greffier. A cette audience, Mme MISSOUX SARTRAND, Conseiller a été entendu en son rapport, Me VAYLEUX et PAGES, avocats, ont été entendus en leur plaidoirie.

Puis Madame Martine JEAN, Président de chambre, a renvoyé le prononcé de l'arrêt, pour plus ample délibéré, à l'audience du 27 mars 2008 puis sur prorogation à celles du 3 avril 2008 et 24 Avril 2008.

A l'audience ainsi fixée, l'arrêt qui suit a été prononcé, ces mêmes magistrats en ayant délibéré.

LA COUR

Le 28 novembre 1932, Monsieur Guy Paula André X... , né le 30 novembre 1904, et Mme Eliane C... , née le 20 mars 1904, se sont mariés sous le régime de la communauté de biens meubles et acquêts à défaut de contrat de mariage préalable.

Cinq enfants sont issus de cette union : Pierre, Gérard, Jacques, Bernard et Marie- Jeanne X....

A la suite du décès du dernier de leurs parents le 4 février 2004, Mme Isabelle X... a saisi le Tribunal de grande instance de BRIVE aux fins qu'il soit procédé aux opérations de compte, liquidation et partage des successions de ses père et mère.

Par jugement du 15 septembre 2006, le Tribunal de grande instance de BRIVE a :

" ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la communauté ayant existé entre Guy X... et Eliane C... et de leur succession respective, et commis Me D... , notaire à BRIVE, et Me E... , notaire à Alzonne (11), pour y procéder en se faisant éventuellement assister si besoin était par un commissaire-priseur pour l'inventaire et l'estimation des meubles meublants dépendant de la succession des de cujus et dont les interventions seront prises en frais privilégiés de partage,

- dit et jugé que les notaires liquidateurs devront constituer cinq lots d'égale valeur susceptibles d'être tirés au sort entre les héritiers dans la mesure où les parents qui avaient fait une donation à leurs cinq enfants le 1er mars 1986 leur avaient attribué des lots de valeur inégale,

- débouté Mme Isabelle X... de sa demande de nullité des libéralités consenties par Monsieur Guy X... à Madame Dominique F..., au visa de l'article 909 du Code civil,

- débouté Mme Isabelle X... de sa demande en paiement d'une somme de 200. 000 euros au titre de l'aide et de l'assistance qu'elle a apportées à ses parents au motif qu'elle ne rapportait pas la preuve que cette assistance aurait excédé la piété filiale, et que par ailleurs elle était hébergée à titre gratuit chez ses parents,

- débouté Messieurs Pierre, Gérard, Jacques, et Bernard X... de leurs demandes aux fins de voir condamner leur soeur Isabelle à payer à la succession de leurs auteurs une indemnité d'occupation,

Préalablement au renvoi des parties devant les notaires liquidateurs,

- ordonné une mesure d'expertise confiée à Monsieur Jacques H... aux fins :

* d'évaluer les biens immobiliers, de dire si un partage en nature est possible et de proposer éventuellement des lots, et dans la négative, de proposer des mises à prix en vue de la vente à la barre du Tribunal,
* de rechercher les conditions d'exploitation du brevet donné par Guy X... à son fils Bernard, et en particulier les revenus recueillis et les charges supportées par Bernard, et de proposer une évaluation dudit brevet, et sur ce point l'expert pourra éventuellement se faire assister par un sapiteur,

- condamné Mme Isabelle X... à payer à Mme Dominique F... une somme de 1. 500 euros au visa des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les autres parties de leurs demandes fondées de ce chef, et dit que les dépens seraient pris en frais privilégiés de partage. "

Isabelle X... a régulièrement interjeté appel de cette décision le 19 décembre 2006.

Aux termes de ses conclusions déposées au secrétariat- greffe de la Cour le 11 janvier 2008, auxquelles il est expressément et plus amplement référé pour les moyens de droit et de fait y exposés, Mme Isabelle X... sollicite voir :

- réformer le jugement entrepris, mais seulement en ce qu'il l'a déboutée à l'encontre de ses frères, d'une part, de sa demande de communication de pièces et subsidiairement d'expertise relative aux dons manuels, et d'autre part de ses demandes en paiement d'indemnité pour l'aide et l'assistance apportées à ses parents qui excèdent la simple piété filiale et en dommages et intérêts pour préjudice moral,

- étendre la mesure d'expertise à la recherche des dons manuels reçus par chacun des frères X... provenant de leurs parents, et à leur estimation,

- dire et juger qu'elle est créancière de la somme de 200. 000 euros, sauf à parfaire sur la succession de ses parents,

- condamner in solidum ses frères à lui payer la somme de 20. 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- débouter ses frères de leurs demandes reconventionnelles comme étant irrecevables et en tout cas mal fondées,

- condamner chacun des défendeurs à lui verser la somme de 3. 000 euros en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile. "

A l'appui de son appel portant sur sa demande tendant à voir étendre les opérations d'expertise à la recherche des dons manuels reçus par ses frères, Mme Isabelle X... soutient que ces derniers auraient reçu bien davantage qu'elle, et que c'est attesté par les nombreux chèques émis au profit de leurs frères qu'elle a découverts dans les papiers de sa mère que son père lui avait laissés après le décès de celle- ci, et elle estime, contrairement à ce que les premiers juges ont considéré, qu'en raison de leur nombre et de leur montant il ne s'agit pas de simples présents d'usage, étant précisé qu'elle n'a pu avoir accès qu'aux seuls comptes de sa mère puisque ses frères refusent de lui communiquer ceux de leur père qui établiraient sans nul doute qu'ils en ont reçu bien d'autres. Et à cet égard, leur père le laisse entendre dans un écrit daté du 21 août 2000, dans lequel celui- ci sermonne son fils aîné en lui rappelant qu'il entendait faire pour Isabelle ce qu'ils avaient fait avec son épouse pour eux, en les aidant à chaque fois qu'ils étaient en difficulté.

Elle estime en conséquence que l'expertise doit être étendue à cette recherche de dons manuels et à l'obtention des comptes des co- héritiers depuis le 1er mars 1986 afin de déterminer les dons postérieurs à la donation de 1986, de façon à savoir si ces dons n'excèdent pas la quotité disponible prévue par l'article 920 du Code civil, et elle demande à la Cour de réformer le jugement entrepris sur ce point.

Par ailleurs, elle réitère devant la Cour sa demande fondée sur l'article 1371 du Code civil aux fins de l'indemniser de l'aide et assistance apportées à ses parents qui a excédé la simple piété filiale, car si les premiers juges en ont bien admis le principe, ils ont néanmoins considéré, sans s'en expliquer davantage, que cette indemnité à laquelle elle pouvait prétendre se compensait avec l'avantage résultant de l'occupation gratuite de son logement, et elle leur reproche d'avoir statué ainsi sans chiffrer précisément l'une et l'autre afin de pouvoir comparer loyalement, d'une part, l'économie procurée par l'occupation gratuite du logement et, d'autre part, le coût qu'aurait représenté le recours à une assistance permanente jour et nuit pour des personnes en fin de vie.

Et à cet égard, les premiers juges n'ont pas pris en compte les écrits du père qui, admettant le principe, avait approuvé la dépense salariale de 4. 140. 000 francs (631. 000 euros) représentant 23 ans d'emploi d'une personne pour ce faire, laquelle ne pouvait être compensée par le logement gratuit tel que cela résulte également des écrits du père qui, souhaitant revenir sur la donation partage, disait que le lot dévolu à Isabelle était " de moindre valeur, inconfortable et mal commode ".

Par ailleurs, ses frères ne sauraient non plus lui dénier le droit à une indemnité à ce titre puisque eux- mêmes ne s'étaient pas joints à elle en première instance pour solliciter une enquête sur la femme de service qui, outre sa rémunération mensuelle, avait perçu des gratifications à hauteur de 207. 374 F, soit 31. 614 euros, et ce pour trois années seulement de travail à temps partiel, chiffrant par la même une telle aide.

Et il résulte des nombreux courriers que ces derniers lui ont adressés, qu'ils reconnaissaient que son assistance allait bien au-delà de la piété filiale.

Par ailleurs et pour faire échec à sa demande, ses frères ne sauraient non plus se fonder sur la prestation compensatoire qu'elle a obtenue dans le cadre de son divorce avec Monsieur I... au motif qu'elle aurait seulement sacrifié sa carrière au profit de son époux et qu'ainsi, elle aurait été finalement et en même temps indemnisée pour le temps consacré à ses parents, car elle estime que ce sont deux choses différentes tant par leur nature juridique que par leur objet, la prestation compensatoire désamorçant une disparité future en compensant pour l'avenir la disparité des ressources provoquée par le divorce et ce dans les rapports entre deux époux, alors que l'indemnité d'enrichissement sans cause rembourse au contraire l'appauvrissement passé du patrimoine de celui qui s'est appauvri au-delà de la piété filiale, de sorte que l'une n'exclut pas l'autre.

Outre la famille qui a reconnu son aide allant au- delà de la piété filiale, de très nombreux témoins ont attesté également en ce sens.

Par conclusions en réponse déposées au secrétariat greffe de la Cour le 20 novembre 2007, les consorts X... sollicitent voir confirmer le jugement attaqué et, subsidiairement, voir ordonner une mesure d'expertise ayant pour objet de fixer le montant de l'indemnité d'occupation due par Mme Isabelle X... à la succession, et la condamner en tout état de cause à leur payer une indemnité de 3. 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les dépens d'appel en accordant à la SCP Chabaud Durand- Marquet, avoué, le bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.

Concernant la créance sollicitée par leur soeur Isabelle à l'égard de la succession, ils estiment que le raisonnement de leur soeur, qui repose sur une vie personnelle et professionnelle sacrifiée depuis l'âge de 18 ans au service de ses parents, n'est ni crédible ni démontré, et qu'elle ne fait pas non plus la démonstration dans son principe d'un appauvrissement et d'un enrichissement corrélatifs.

Ils font tout d'abord observer que le curriculum vitae d'Isabelle témoigne d'un parcours scolaire et universitaire qui ne reflète pas l'image d'un cursus prématurément interrompu par des contingences familiales ou matérielles, et le fait qu'elle ait été reçue major de l'école du Louvre à l'issue de la soutenance ultérieure d'une thèse en 1979 atteste à l'inverse d'une totale disponibilité.

Ensuite elle ne démontre pas davantage en quoi, promise à un brillant avenir professionnel, il n'en aurait été autrement que par l'effet de l'obligation dans laquelle elle se serait trouvée de devoir porter à ses parents une assistance dont la nécessité n'est au demeurant pas établie et qu'elle n'aurait pas à l'inverse choisi de vivre à Puymaret dans une recherche de confort et de commodité.

Enfin ils souhaitent préciser que leurs parents ont toujours été entourés d'un personnel de maison ou de service régulièrement rémunéré chargé de l'accomplissement des tâches matérielles dont notamment Mme F..., puis ensuite Gilles J... et Jacques K....

En outre, ils soulignent qu'à l'occasion de sa procédure de divorce, leur soeur a fait valoir à l'appui de sa demande de prestation compensatoire qu'elle avait cessé d'exercer sa profession pour se consacrer exclusivement à compter de l'année 1987 date de naissance de son premier enfant, à son mariage et à ses deux enfants, ce qui lui a permis d'obtenir une prestation compensatoire de 96. 000 euros de sorte qu'elle ne peut sérieusement soutenir s'être, au cours de cette même période, consacrée à plein temps au service de ses parents.

Enfin, elle ne démontre pas en quoi ses agissements auraient procuré à la succession un enrichissement dont cette dernière serait comptable, ni en quoi le mode de vie dont elle aurait fait choix l'aurait appauvrie. La situation étant tout autre, puisqu'en réalité Isabelle X... et sa famille ont tiré profit et avantage de l'hébergement gratuit à Puymaret en occupant la partie du château dénommé le Chatellier dont la nue-propriété lui avait été attribuée par l'acte de donation-partage en date du 1er mars 1986 et ce, sans aucune contrepartie financière, et alors même que l'essentiel des dépenses courantes et d'entretien des lieux étaient pris en charge en leur qualité d'usufruitier par ses parents qui ont également intégralement financé la réalisation des travaux d'aménagement et de remise en état (voir pièce 25 d'Isabelle X... page 3 et 4).

Il ne peut donc être contesté que Mme X... est en conséquence redevable depuis l'année 1973 (date de la fin de ses études), à tout le moins depuis le 1er mars 1986, d'une indemnité d'occupation qu'il y aura lieu au besoin d'évaluer et qui constitue en tout état de cause un avantage excluant toute prétention à l'existence d'un enrichissement sans cause.

En conséquence, ils sollicitent que Mademoiselle Isabelle X... soit déboutée du chef de ses demandes.

SUR QUOI, LA COUR

Sur l'incident élevé devant la Cour par Isabelle X...

Attendu que par conclusions déposées au secrétariat greffe de la Cour le 28 / 02 / 2008, Madame Isabelle X... sollicite voir écarter les vingt dernières pièces communiquées le matin même de l'audience par ses frères.

Attendu que l'affaire ayant été fixée selon la procédure de l'A. 910 du CPC, la clôture des débats se fait à l'audience ;

Que pour autant, les parties ne sont pas dispensées du respect du contradictoire édicté notamment par l'article 15 du CPC, qui stipule que :

" Les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leur prétention, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense ".

Attendu que manifestement, en communiquant 20 pièces le matin même de l'audience qui était fixée à 14 heures, les frères X... n'ont pas mis matériellement en mesure leur soeur d'en prendre connaissance et éventuellement d'y répondre, alors que rien ne justifiait cette communication de dernière heure, puisque ces 20 pièces non numérotées figurant en fin de bordereau ainsi communiqué sont très anciennes pour la majorité d'entre elles, pour remonter aux années 1978, 1981, 1982, 1998, et... et pour la plus récente en 2003 ; qu'elles seront déclarées irrecevables.

Sur la demande d'extension de l'expertise aux comptes du père sollicitée par Isabelle X...

Attendu que Isabelle X... sollicite que la mesure d'instruction ordonnée par le premier juge soit étendue à la recherche des dons manuels qu'auraient reçus ses frères depuis 1986 car elle démontre à partir des seuls comptes de sa mère, qu'ils ont été nombreux et de valeur, et sur ce point elle sollicite la réformation du jugement qui a considéré qu'il s'agissait de simples présents d'usage.

Attendu qu'il résulte des pièces versées aux débats que les frères d'Isabelle X... ont tous reçu des dons manuels, outre Bernard qui a reçu le droit d'exploiter un brevet sur lequel les premiers juges ont fait porter la mesure d'instruction ordonnée ;

Que c'est ainsi que Pierre a bénéficié de la somme de 200. 000 francs autour de la période de la donation-partage en 1986 pour résoudre ses problèmes financiers, puis celle de 20. 000 francs, Gérard a reçu la somme de 6. 000 francs le 29 novembre 1988, puis encore celle de 6. 000 francs le 6 décembre 1992, Jacques a reçu la somme de 4. 500 francs le 2 juillet 1989, 2. 500 francs le 9 octobre 1989, 5. 000 francs le 7 mars 1990, 500 francs encore, puis 16. 000 francs et enfin 11. 000 francs ;

Que ces sommes données aux frères qui sont régulières et pour certaines d'entre elles importantes ne résultent que des seuls comptes de la mère et n'excluent donc pas qu'ils en aient reçu d'autres de la part du père, tel que ce dernier le laissait entendre dans son écrit signé du 21 août 2000 où le père reprochait à ses fils le détail de l'action qu'ils avaient menée contre leur soeur, leur rappelant qu'à chaque fois qu'ils étaient en difficulté et avaient eu besoin de l'aide de leurs parents, ceux- ci l'avaient fait spontanément, ce qui exclut en outre la qualification de cadeaux d'usage retenus par les premiers juges ;

Qu'il convient à cet égard de relever que les frères ne soutiennent pas qu'ils n'en auraient pas reçu d'autres, mais se limitent à indiquer que ce sont les seuls dont leur soeur peut rapporter la preuve et qu'eu égard à la valeur de l'actif successoral, ces dons manuels ne porteraient pas atteinte à l'équilibre du partage, et ne seraient donc pas pertinents pour justifier une expertise ;

Que toutefois, si Isabelle X... n'a pu vérifier que les comptes de sa mère, c'est parce que ses frères ont toujours refusé de lui communiquer les comptes et papiers personnels du père, la mettant ainsi dans l'impossibilité de vérifier qu'ils en auraient reçu d'autres ;

Qu'il y a donc lieu de faire droit à la demande d'Isabelle X... et d'infirmer le jugement sur ce point.

Sur l'enrichissement sans cause invoqué par Isabelle X...

Attendu qu'il est établi par les pièces versées aux débats qu'en réalité tout le monde se reposait sur Isabelle et qu'elle jouait un rôle important dans l'intendance du château, s'occupant de tout, ainsi qu'auprès de ses père et mère par l'attention et les soins qu'elle leur apportait, et notamment lorsque leur santé s'est faite déclinante, et c'est ainsi qu'Isabelle a entouré et porté sa mère durant sa maladie de 1992 jusqu'à son décès en 1998, puis son père pour les soins duquel n'a été employée une auxiliaire de vie que dans les trois dernières années de sa vie ;

Que cela résulte des nombreux écrits du père, tels par exemple :

* son courrier du 19 février 2000 :

" Heureusement, Isabelle est là pour s'occuper de tout. Ses frères viennent aussi souvent qu'ils le peuvent mais ils sont loin... Isabelle est là... grâce à Isabelle, sa maman a pu rester jusqu'à la fin dans sa maison ", de même il écrivait durant l'été 2000 en post scriptum : " Je te serai toujours redevable des bons soins et de l'affection dont tu nous as entourés maman et moi et qui nous a permis d'avoir une vieillesse heureuse à Puymaret ".

* son courrier du 29 avril 2001 adressé à son fils Gérard, en vue notamment d'une modification de la donation-partage :

" Isabelle reste pour nous soigner ", " remerciements envers Isabelle qui depuis bien des années s'est occupée d'Eliane (son épouse), je demande donc à Bernard sans avoir besoin d'insister j'en suis sûr, d'accepter que cette pièce intermédiaire soit rattachée au lot du Chatelier, de même que la cave dite nouvelle. En effet ce lot qui se réduit à une annexe du château est de moindre valeur, inconfortable et mal commode ",

* son courrier 18 juin 2001 où le père écrivait encore à son fils :

" Je n'ai pas reçu de réponse.... je ne pensais pas que cette lettre pouvait autant susciter d'hésitations de votre part, s'agissant d'une disposition de mon bien que j'ai prise en faveur d'Isabelle pour la remercier du temps qu'elle a passé à nous soigner maman et moi pendant de longues années ".

Attendu que les courriers adressés à Isabelle par ses frères attestent également en ce sens ;

Que c'est ainsi que le 3 octobre 1993 son frère Gérard lui écrivait : " Merci de continuer à t'occuper de toutes les matérialités de Puymaret ", tout en la remerciant pour son dévouement.

A plusieurs reprises son frère Jacques l'a sollicitée et remerciée de ses sacrifices à l'occasion de courriers qu'il lui adressait :

"... Puymaret t'attend... tu te dois de continuer " (période où elle poursuivait ses études à Paris),
"... A Puymaret... l'ensemble a été réalisé par maman et toi... ",
".. Tu es le lien nécessaire. Puisse le ciel qu'il en soit ainsi longtemps et toujours et entre nous tous ! Tâche de ne pas trop te fatiguer ".
De même en 1984, après l'incendie et lors de la reconstruction du château : " Heureusement que tu es là et merci ". Puis il poursuivait : "... En te levant à des heures où tout le monde en est au milieu de la nuit... " ;

Que les témoignages produits démontrent également le dévouement d'Isabelle, et c'est ainsi que le père P..., Monsieur M..., Mme Rose N..., Hervé Q..., Mme O... attestent chacun qu'Isabelle était toute dévouée à ses parents, leur donnait beaucoup d'amour, les assistait, réconfortait son père qui se reposait sur elle aussi bien matériellement que moralement avec une fierté paisible, qu'elle veillait à tout, aux courses, à l'approvisionnement et l'équipement du château, à son entretien et assumait les tâches administratives et qu'elle s'épuisait (Mme O...).

Attendu qu'il en résulte que l'assistance d'Isabelle X... pour ses parents, qui avaient besoin de sa présence et de ses bons soins sur le plan personnel ainsi que de son aide pour gérer les problèmes d'intendance du château qu'un personnel de service n'aurait pu ou su régler, et plus particulièrement celle qu'elle a apportée à compter de 1992, date à laquelle la mère est tombée gravement malade et où Isabelle X... l'a accompagnée avec une attention de tout instant jusqu'à sa mort en 1998, a manifestement excédé l'exécution morale de son devoir filial, ainsi que la valeur de l'indemnité d'occupation gratuite dans le délai de prescription de 5 années de l'annexe du château dont elle pourrait être redevable, et que le père décrivait comme étant " inconfortable et mal commode ".

Attendu que ce faisant, cette assistance durant des années l'a incontestablement appauvrie tant au niveau des perspectives de carrière auxquelles elle aurait pu prétendre en sortant major de l'Ecole du Louvre avec mention Très bien, que de ses revenus et pour l'avenir, de ses droits à la retraite, sans que par ailleurs il ne soit sérieusement soutenu qu'elle aurait reçu des dons manuels de la part de ses parents ;

Qu'en revanche et en contrepartie, elle a permis d'enrichir la succession qui a ainsi pu faire l'économie d'une professionnelle au service de ses parents malades pendant de longues années et en tout cas depuis 1992, date où la mère est tombée gravement malade, à l'exception des trois dernières années de la vie du père où une auxiliaire de vie a été employée à son service jusqu'à sa mort en 2004, démontrant si besoin était l'utilité de la soeur les années passées ;

Qu'Isabelle X... est donc fondée à ce titre à avoir un recours à l'encontre de ses frères et à obtenir un dédommagement pour lequel la Cour dispose des éléments d'appréciation pour la fixer à la somme de 60 000 € ; que le jugement sera infirmé.

Attendu en revanche, et pour autant qu'elle soit déçue ou blessée par le comportement de ses frères qui lui ont interdit d'accéder aux archives et biens personnels de leurs parents depuis leur mort, Isabelle X... ne justifie pas d'un préjudice en lien avec la présente procédure qui vise à régler la succession de ses parents ; qu'elle sera déboutée de ce chef.

Attendu, par ailleurs, qu'il paraît équitable de laisser à la charge des intimés les frais irrépétibles qu'ils ont pu exposer à l'occasion de cette instance et de les condamner au titre de ces mêmes frais à payer à Isabelle X... la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du CPC.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant en audience publique et par arrêt contradictoire ;

INFIRME le jugement entrepris mais seulement en ce qu'il a débouté Isabelle X... de sa demande de recherche des dons manuels consentis à ses frères, ainsi que de celle tendant à obtenir un dédommagement en contrepartie de l'aide et assistance à ses parents sur le fondement de l'enrichissement sans cause,

Et STATUANT à nouveau,

DIT qu'il convient d'étendre la mission de M. Jacques H..., expert désigné dans le cadre de la mesure d'instruction ordonnée par les premiers juges, en l'invitant à rechercher depuis 1986 les dons manuels reçus par chacun des cinq enfants de leurs parents et, pour ce faire, après s'être fait remettre tous les documents qu'il jugera utiles,

DIT que considération prise de la jouissance gratuite de l'annexe du château, Isabelle X... peut prétendre à une indemnité fondée sur l'enrichissement sans cause, et FIXE sa créance à ce titre sur la succession à la somme de 60 000 €,

CONDAMNE in solidum Pierre, Gérard, Jacques et Bernard X... à payer à Isabelle X... la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du CPC,

Dit que les dépens d'appel seront pris en frais privilégiés de compte, liquidation et partage.

CET ARRET A ETE PRONONCE A L'AUDIENCE PUBLIQUE DE LA CHAMBRE CIVILE PREMIÈRE SECTION DE LA COUR D'APPEL DE LIMOGES EN DATE DU VINGT QUATRE AVRIL DEUX MILLE HUIT PAR MADAME JEAN, PRÉSIDENT.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Limoges
Numéro d'arrêt : 06/01660
Date de la décision : 24/04/2008
Sens de l'arrêt : Autre

Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Brive-la-Gaillarde


Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2008-04-24;06.01660 ?
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