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15/06/2005 | FRANCE | N°664

France | France, Cour d'appel de Limoges, Ct0046, 15 juin 2005, 664


ARRÊT N RG N : 02/01390AFFAIRE :M. Pierre X.../SA LA MONTAGNE, SA LE POPULAIRE DU CENTREBL/RGPaiement de droits d'auteurGrosses délivrées à Me Jupile Boisverd et SCP Chabaud Durand-Marquet

COUR D'APPEL DE LIMOGES

CHAMBRE CIVILE PREMIÈRE SECTION

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ARRÊT DU 15 JUIN 2005

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A l'audience publique de la CHAMBRE CIVILE PREMIÈRE SECTION DE LA COUR D'APPEL DE LIMOGES, le QUINZE JUIN DEUX MILLE CINQ a été rendu l'arrêt dont la teneur suit :ENTRE :

Monsieur Pierre Y... de nationalité Française né le 17 Mars 1949 à BO

RDEAUX (33000)Profession :

Journaliste, demeurant ... - 75009 PARIS représenté par la SCP COUDAMY, avo...

ARRÊT N RG N : 02/01390AFFAIRE :M. Pierre X.../SA LA MONTAGNE, SA LE POPULAIRE DU CENTREBL/RGPaiement de droits d'auteurGrosses délivrées à Me Jupile Boisverd et SCP Chabaud Durand-Marquet

COUR D'APPEL DE LIMOGES

CHAMBRE CIVILE PREMIÈRE SECTION

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ARRÊT DU 15 JUIN 2005

---===oOo===---

A l'audience publique de la CHAMBRE CIVILE PREMIÈRE SECTION DE LA COUR D'APPEL DE LIMOGES, le QUINZE JUIN DEUX MILLE CINQ a été rendu l'arrêt dont la teneur suit :ENTRE :

Monsieur Pierre Y... de nationalité Française né le 17 Mars 1949 à BORDEAUX (33000)Profession :

Journaliste, demeurant ... - 75009 PARIS représenté par la SCP COUDAMY, avoué à la Cour assisté de Me Jean-Charles MAURY, avocat au barreau de LIMOGESR APPELANT d'un jugement rendu le 19 SEPTEMBRE 2002 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE LIMOGES ET :

SA LA MONTAGNE dont le siège est 28, rue Morel Ladeuil - 63000 CLERMONT FERRAND représentée par Me Erick JUPILE-BOISVERD, avoué à la Courassistée de Me Denis REBOUL-SALZE, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

SA LE POPULAIRE DU CENTRERue du Général Catroux - 87000 LIMOGESreprésentée par la SCP CHABAUD DURAND-MARQUET, avoués à la Courassistée de Me Guy HERVY, avocat au barreau de LIMOGES

INTIMÉES

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L'affaire a été communiquée au ministère public le 2 mars 2005 et visa de celui-ci a été donné le 25 mars 2005.

L'affaire a été fixée à l'audience du 18 Mai 2005, après ordonnance de clôture rendue le 21 avril 2005, la Cour étant composée de

Monsieur Bertrand LOUVEL, Premier Président, de Monsieur Pierre-Louis PUGNET et de Madame Martine BARBERON-PASQUET, Conseillers, assistés de Madame Régine GAUCHER, Greffier. Maîtres MAURY et REBOUL-SALZE, avocats, ont été entendus en leurs plaidoiries et Maître HERVY, avocat a déposé son dossier.

Puis Monsieur Bertrand LOUVEL, Premier Président, a renvoyé le prononcé de l'arrêt, pour plus ample délibéré, à l'audience du 15 Juin 2005.

A l'audience ainsi fixée, l'arrêt qui suit a été prononcé, ces mêmes magistrats en ayant délibéré.

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LA COUR

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Au cours de la période 1981-1993, Monsieur Y..., journaliste salarié du journal Le Populaire du Centre a été affecté à Saint-Junien où il tenait la chronique locale.

Les articles et photographies qu'il transmettait à la rédaction étaient reproduits par ailleurs dans le journal La Montagne selon la formule pratiquée entre les deux quotidiens, la SA Le Populaire du Centre étant une filiale de la SA La Montagne.

Quatre ans après son licenciement du Populaire, Monsieur Y... a adressé à La Montagne, le 5 novembre 1997, une mise en demeure de lui payer des droits d'auteur pour la reproduction de ses articles qu'il n'avait pas autorisée.

Il lui était alors répondu qu'un journal est une oeuvre collective dont les droits d'auteur n'appartiennent pas au journalistes mais au propriétaire du titre, et que les journalistes sont rémunérés par les salaires qui leur sont versés, ce qui a été le cas de Monsieur Y..., bien placé pour connaître la forme de collaboration entre les deux quotidiens.

Le 10 juillet 2000, Monsieur Y... saisissait le tribunal de grande instance de LIMOGES d'une demande de 2.400.000 francs de droits d'auteur dirigée à la fois contre Le Populaire et La Montagne et représentant la rémunération d'environ 3.000 articles et 3.000 photographies ainsi reproduits dans La Montagne.

Par un jugement du 19 septembre 2002, le tribunal de grande instance, après avoir retenu sa compétence qui n'est plus discutée devant la cour, constatait que Monsieur Y... ne fournissait aucun justificatif des documents litigieux ni de leur reproduction dans La Montagne, de sorte que le tribunal n'était pas mis en mesure de vérifier qu'il s'agissait bien d'oeuvres de l'esprit, seules susceptibles de conférer un droit d'auteur, et il rejetait la demande d'expertise de Monsieur Y... qui ne produisait aucun commencement de preuve. Monsieur Y... était donc débouté.

Il a relevé appel de ce jugement et il produit devant la cour sept mois de publication des deux journaux en 1981 à l'appui de ses prétentions.

Monsieur Y... fonde sa demande essentiellement sur deux textes :- l'article L 111-1 du Code de la propriété intellectuelle qui pose le principe de la protection des oeuvres de l'esprit à laquelle ne porte pas atteinte l'existence d'un contrat de travail,- l'article L 761-9 du Code du travail selon lequel le droit de faire paraître dans plus d'un journal les articles ou autres oeuvres littéraires ou artistiques dont les journalistes sont les auteurs est subordonné à une convention expresse qui n'a pas été conclue en l'espèce.

Toutefois, en cause d'appel, Monsieur Y... ne dirige plus sa demande de 365.877 euros de droits d'auteur que contre La Montagne, Le Populaire n'étant plus appelé dans la cause que comme intervenant afin de lui rendre l'arrêt commun.

La Montagne s'oppose à la demande en faisant valoir que la protection

du droit d'auteur ne serait pas applicable en l'espèce car on ne serait pas en présence d'oeuvres de l'esprit, c'est à dire de créations intellectuelles originales traduisant la personnalité de leur auteur. Les articles de Monsieur Y... seraient de simples comptes-rendus d'événements et de faits divers de la vie locale ne se prêtant pas à une création originale personnelle du journaliste.

C'est pourquoi, Monsieur Y... a reçu sous forme de salaires la rémunération à laquelle il pouvait prétendre pour son travail, étant précisé que, de toute manière, à supposer même qu'il s'agisse d'oeuvres de l'esprit, celles-ci peuvent donner lieu à rémunération forfaitaire dans le cadre d'un contrat de travail de journaliste ainsi que le prévoit spécialement l'article L 132-6 du Code de la propriété intellectuelle, formule qui emporte transfert à l'employeur du droit d'exploitation.

Par ailleurs, il est admis qu'un journal est une oeuvre collective dans laquelle se fondent les articles des journalistes et qui ne peut donc pas donner lieu à des droits d'auteur individualisés en leur faveur mais seulement à un droit d'auteur global en faveur de la publication elle-même.

La Montagne précise encore qu'elle ne développe ces moyens que sous la réserve que Monsieur Y... rapporte la preuve de l'existence de l'ensemble des articles sur lesquels il prétend avoir des droits, ce qu'il ne fait pas, se contentant de verser aux débats sept mois d'articles non signés et ne révélant pas d'auteur sur l'année 1981, de sorte que la prescription décennale applicable était acquise lors de l'introduction de l'action en 2000.

Enfin, La Montagne fait valoir l'accord-cadre du 8 novembre 1999 conclu entre le syndicat de la presse quotidienne régionale et les syndicats de journalistes, lequel a validé les publications multiples au sein du périmètre d'une même entreprise de presse, ce qui est le

cas du groupe La Montagne, en prohibant toute réclamation pour le passé à cet égard. La Montagne ajoute que l'article L 761-9 du Code du travail prévoyant une convention expresse pour autoriser les publications multiples n'est de toute façon applicable que dans les rapports salarié-employeur, et ne concerne donc que les rapports de Monsieur Y... et du Populaire.

La Montagne réclame 1.500 euros en application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Monsieur Y... réplique que la notion d'oeuvre collective n'est pas applicable en l'occurrence car les articles qu'il a produits demeurent identifiables dans les journaux publiés. Il observe que d'ailleurs dans la réponse faite à sa mise en demeure de 1997, il n'a pas été discuté qu'il était l'auteur des articles qu'il revendiquait ni que ceux-ci avaient fait l'objet d'une double publication, de sorte que La Montagne serait mal venue à lui reprocher aujourd'hui une carence dans l'administration de la preuve qui lui incombe. Subsidiairement, d'ailleurs, il réclame à nouveau une expertise au bénéfice du commencement de preuve qu'il fournit avec l'allocation dans ce cas d'une provision de 200.000 euros.

Monsieur Y... précise encore que l'accord-cadre du 8 novembre 1999 a été dénoncé par le syndicat national des journalistes comme prévoyant des dispositions moins favorables aux salariés que celles résultant de la loi.

Enfin, il fait valoir la "jurisprudence Z...", salarié de La Montagne dont les articles étaient également publiés dans le Berry Républicain, qui est aussi un journal du groupe La Montagne, dans un cas de figure similaire au sien.

Monsieur Z... s'est vu reconnaître 420.000 francs de droits d'auteur par la cour de BOURGES le 6 mai 1998 et le pourvoi du Berry Républicain a été rejeté par un arrêt de la première chambre civile

de la Cour de cassation du 23 janvier 2001, rendu au visa des articles L 111-1 du Code de la propriété intellectuelle et L 761-9 du Code du travail, qui a rappelé que le journaliste salarié a droit à la protection du droit d'auteur et que ses articles ne peuvent être reproduits dans un autre journal que celui dont il est le salarié qu'en vertu d'une convention expresse.

Monsieur Y... réclame 3.000 euros en application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Le Populaire du Centre observe qu'aucune demande n'est formée contre lui. Il estime que son intervention aux fins d'arrêt commun est irrecevable en appel en application de l'article 564 du Nouveau Code de procédure civile comme étant nouvelle, et il demande sa mise hors de cause.

Il réclame 3.000 euros en application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.SUR CE :

Attendu que l'évolution du litige autorise la mise en cause aux fins de déclaration d'arrêt commun du Populaire en application de l'article 555 du Nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que l'action de Monsieur Y... est fondée sur l'article L 111-1 du Code de la propriété intellectuelle qui, s'il affirme la compatibilité du contrat de travail avec le droit d'auteur, réserve néanmoins la protection attachée à ce droit aux oeuvres de l'esprit ;

Qu'une oeuvre de l'esprit, c'est à dire une création de l'esprit, implique un travail intellectuel original révélateur de la réflexion et des talents personnels de l'auteur ;

Que cette qualification ne s'attache pas à de simples comptes-rendus de faits ou reproductions d'informations sans enrichissement apporté par la personnalité de l'auteur, et ne s'attache pas non plus à des photographies ordinaires consistant seulement à fixer un objectif

sans recherche de création originale ;

Qu'en l'occurrence, les articles et photographies produits en cause d'appel par Monsieur Y... ne traduisent pas de créations intellectuelles au sens ci-dessus précisé, les articles se ramenant à rapporter des faits ou des informations ne donnant lieu ni à recherche dans la présentation ni à l'expression d'opinions ou de réactions personnalisées, et les photographies se bornant à montrer des scènes banales sans manifester davantage de recherche ou d'expression personnalisée ;

Qu'en conséquence, Monsieur Y..., qui a été rémunéré par son employeur Le Populaire du Centre pour ce travail simple, exempt de création originale, ne peut prétendre auprès de La Montagne à une rémunération spécifique complémentaire, son employeur ayant disposé comme il l'entendait du produit de la prestation d'information ainsi réalisée en exécution de ses instructions dans le cadre d'une relation de travail ordinaire ;

Que, de la même manière, l'article L 761-9 du Code du travail, qui suppose aussi l'existence d'une oeuvre de l'esprit, puisqu'il vise expressément les "articles ou autres oeuvres littéraires ou artistiques", ce qui implique que les articles concernés soient des oeuvres littéraires ou artistiques, n'est pas applicable en l'espèce ;

Qu'en conséquence, le jugement sera confirmé ;

Qu'il sera alloué 1.500 euros à La Montagne et 500 euros au Populaire en application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile ;---==oOOEOo==---PAR CES MOTIFS---==oOOEOo==---LA COUR

Statuant en audience publique et par arrêt contradictoire ;

Confirme le jugement du tribunal de grande instance de LIMOGES du 19 septembre 2002,

Condamne Monsieur Y... aux dépens de l'appel, distraits en faveur

des avoués des autres parties, et à payer 1.500 euros à la SA La Montagne et 500 euros à la SA Le Populaire du Centre pour les autres frais.

CET ARRÊT A ETE PRONONCE A L'AUDIENCE PUBLIQUE DE LA CHAMBRE CIVILE PREMIÈRE SECTION DE LA COUR D'APPEL DE LIMOGES EN DATE DU QUINZE JUIN DEUX MILLE CINQ PAR MONSIEUR LOUVEL, PREMIER PRÉSIDENT.LE GREFFIER,

LE PREMIER PRÉSIDENT,Régine A...

Bertrand LOUVEL.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Limoges
Formation : Ct0046
Numéro d'arrêt : 664
Date de la décision : 15/06/2005

Analyses

PROPRIETE LITTERAIRE ET ARTISTIQUE - Droit d'auteur - Objet - Oeuvre protégée

La tenue d'une rubrique de faits divers locaux dans un journal régional ne constitue pas une oeuvre de l'esprit protégée par le droit d'auteur au sens de l'article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle, c'est à dire une création de l'esprit impliquant un travail intellectuel original, relevant de la réflexion et des atouts personnels de l'auteur. Par conséquent, un ancien salarié ne peut prétendre au paiement de droits d'auteur pour la reproduction de ses articles qu'il n'avait pas autorisée


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Composition du Tribunal
Président : M. Louvel, président

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.limoges;arret;2005-06-15;664 ?
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