La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/06/2024 | FRANCE | N°22/04436

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch.secu-fiva-cdas, 27 juin 2024, 22/04436


C6



N° RG 22/04436



N° Portalis DBVM-V-B7G-LTWU



N° Minute :





































































Notifié le :



Copie exécutoire délivrée le :









La SCP GIRARD-MADOUX ET ASSOCIES





AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL D

E GRENOBLE



CHAMBRE SOCIALE - PROTECTION SOCIALE

ARRÊT DU JEUDI 27 JUIN 2024





Appel d'une décision (N° RG 18/00435)

rendue par le pôle social du tribunal judiciaire de Chambéry

en date du 21 novembre 2022

suivant déclaration d'appel du 12 décembre 2022





APPELANTE :



EURL SOCIÉTÉ [7], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en ...

C6

N° RG 22/04436

N° Portalis DBVM-V-B7G-LTWU

N° Minute :

Notifié le :

Copie exécutoire délivrée le :

La SCP GIRARD-MADOUX ET ASSOCIES

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE SOCIALE - PROTECTION SOCIALE

ARRÊT DU JEUDI 27 JUIN 2024

Appel d'une décision (N° RG 18/00435)

rendue par le pôle social du tribunal judiciaire de Chambéry

en date du 21 novembre 2022

suivant déclaration d'appel du 12 décembre 2022

APPELANTE :

EURL SOCIÉTÉ [7], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Fabrice ROLAND de la SELARL FABRICE ROLAND AVOCATS, avocat au barreau de JURA

INTIMEE :

L'URSSAF RHONE ALPES, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par Me Marie GIRARD-MADOUX de la SCP GIRARD-MADOUX ET ASSOCIES, avocat au barreau de CHAMBERY substituée par Me Gaëlle ACHAINTRE, avocat au barreau de CHAMBERY

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président,

M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,

Mme Elsa WEIL, Conseiller,

Assistés lors des débats de M. Fabien OEUVRAY, Greffier,

DÉBATS :

A l'audience publique du 09 avril 2024,

Mme Elsa WEIL, Conseiller chargée du rapport, M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président et M. Pascal VERGUCHT, Conseiller ont entendu les représentants des parties en leurs conclusions et plaidoirie,

Et l'affaire a été mise en délibéré au 18 juin 2024 prorogé à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Au cours d'un contrôle, courant 2016, concernant la société [9], il est apparu que celle-ci était à l'origine d'une infraction de travail dissimulé pour 132 salariés entre le 1er janvier 2015 et le 30 septembre 2016, justifiant un rappel de cotisations et contributions de sécurité sociale à hauteur de 607 727 € ainsi qu'une majoration complémentaire pour infraction de travail dissimulé d'un montant de 243 091 €.

Au cours du contrôle, il est également apparu que la société [7] avait eu recours aux services de la société [9] en 2016 pour des prestations de nettoyage.

Le 22 mai 2017, la société [7] a été destinataire d'une lettre d'observation l'informant de la mise en 'uvre de la solidarité financière au visa des articles L 8221-2 et suivants du code du travail, au titre de l'infraction de travail dissimulé commise par le gérant de la société [9], pour un montant, calculé au prorata des services fournis, de 260 891 €.

Après échange de courriers entre la société [7] et l'URSSAF Rhône Alpes courant juin 2017, cette dernière a confirmé le redressement dans sa globalité.

Le 19 mars 2018, l'URSSAF notifiait à la société [7] une mise en demeure de payer la somme de 273 935, 61 €.

Le 23 mai 2018, afin de solliciter l'annulation de la mise en 'uvre de la solidarité financière, la société [7] a saisi la commission de recours amiable qui, par décision du 19 décembre 2018, confirmait le redressement notifié.

Suite à cette décision de rejet, la société [7] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Chambéry.

Par jugement en date du 21 novembre 2022, le pôle social du tribunal judiciaire de Chambéry a :

- débouté la société [7] de son recours,

- condamné la société [7] à payer le montant de la somme de 273 935, 61 € figurant dans la mise en demeure du 19 mars 2018,

- condamné la société [7] à payer à l'URSSAF la somme de 700 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 12 décembre 2022, la société [7] a interjeté appel de cette décision.

Les débats ont eu lieu à l'audience du 9 avril 2024 et les parties avisées de la mise à disposition au greffe de la présente décision le 18 juin 2024.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La société [7], selon ses conclusions d'appel responsives et récapitulatives notifiées par RPVA le 20 mars 2024, déposées le 25 mars 2024, et reprises à l'audience, demande à la cour de :

A titre principal :

- Infirmer le jugement rendu dans toutes ses dispositions,

- Annuler la décision de la Commission de Recours Amiable de l'URSSAF Rhône Alpes - Site de Savoie ainsi que la mise en demeure subséquente d'avoir à régler la somme de 260.891,00 €,

- Condamner l'URSSAF Rhône Alpes à payer à la Société [7] la somme de 3.000,00 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

- Condamner l'URSSAF Rhône Alpes en tous les dépens.

A titre subsidiaire, avant dire droit sur le montant du redressement :

- Infirmer le jugement rendu dans toutes ses dispositions,

- Ordonner une mesure de consultation comptable au visa de l'article 142-22 du Code de Sécurité Sociale et désigner tel expert-comptable inscrit sur la liste des experts judiciaires qu'il plaira aux fins d'y procéder en fixant la mission comme suit :

- Convoquer les parties après s'en être fait remettre tout document utile à la mission,

- Rechercher, pour l'exercice 2016, l'identité des salariés de la Société [9] ayant effectué des prestations de ménage pour le compte de la Société [7],

- Reconstituer le nombre d'heures accomplies pas ces salariés sur la base des factures de prestations réglées par la Société [7],

- Chiffrer, en tenant compte des dispositions conventionnelles applicables et de tout élément à disposition, le taux salarial horaire applicable à ces salariés et reconstituer la masse salariale brute correspondant aux prestations fournies par la Société [7],

- Chiffrer, en tenant compte des dispositions légales et réglementaires et conventionnelles applicables à la date des prestations, le montant des cotisations qui aurait dû être versé à l'URSSAF par la Société [9],

- Dire qu'à l'issue de la première réunion, et en concertation avec les parties, le consultant devra définir un calendrier prévisionnel des opérations et l'actualiser au besoin dans les meilleurs délais en fixant les dates procédurales essentielles :

- date de dépôt du pré-rapport ou document de synthèse,

- date de recevabilité des dires,

- date de dépôt du rapport définitif.

- Dire qu'à même date, le consultant devant fixer un budget prévisionnel de ses honoraires et des frais d'expertise et en informant les parties de l'évolution de cette estimation et de la saisine du juge du contrôle des demandes de consignation complémentaire qui s'en déduisent,

- Ordonner au consultant de transmettre au magistrat chargé du suivi des opérations d'expertise une copie du calendrier prévisionnel des opérations, toute demande de prolongation de la date de dépôt de rapport ne pouvant être examiné sans ce document,

- Dire et Juger que la Société [7] supportera l'avance des frais de la mesure de consultation.

Très subsidiairement :

- Fixer à la somme de 15.580,00 € le montant dû à l'URSSAF au titre de la solidarité financière prévue à l'article L. 8222-1 du code du travail,

- Décharger la Société [7] de toutes pénalités, majorations et intérêts de retard,

- Statuer ce que de droit sur les dépens.

La société [7] soutient que la lettre d'observation faisant mention d'un travail dissimulé et de la solidarité financière qui est intrinsèquement liée à celui-ci, elle aurait dû être signée par le directeur de l'organisme de recouvrement, ce qui n'a pas été le cas. De plus, elle estime que le principe du contradictoire n'a pas été respecté car suite à la demande de son gérant de pouvoir bénéficier d'un entretien avec les services de l'URSSAF, ces derniers lui ont indiqué que la mise en demeure ne partirait pas avant cette prise de contact. Or, elle relève que celle-ci a été notifiée avant tout rendez-vous et que son gérant n'a donc pas pu s'expliquer sur le redressement envisagé.

Sur le redressement, la société [7] expose qu'elle n'a jamais entretenu de relations contractuelles avec le gérant de la société [9], monsieur [G], le contrat initial ayant été passé avec la société [5] représentée par son gérant monsieur [F]. Elle explique avoir reçu en décembre 2015 un avenant libellé au nom de la société [9], représentée par monsieur [F], puis un courrier de ce dernier lui expliquant que [8] avait changé de dénomination et de siège social pour devenir [9].

Par ailleurs, elle indique qu'en ce qui concerne le montant des prestations fournies par la société faisant l'objet de la procédure de travail dissimulé, l'URSSAF ne peut retenir un montant global et qu'il convient de s'intéresser au montant des prestations contrat par contrat. A ce titre, elle souligne qu'aucun des contrats passés avec la société [9] n'a dépassé le seuil des 5000 €, ce qui ne permet donc pas à l'URSSAF de mettre en 'uvre la procédure directe.

En outre, elle précise que dans sa relation avec monsieur [G], elle s'est retrouvée dans une situation de sous-traitance. Or, elle estime qu'elle n'avait d'obligations qu'à l'égard de son co-contractant direct, à savoir monsieur [F] et non monsieur [G], raison pour laquelle la procédure directe ne peut aboutir à la mise en jeu de sa solidarité financière à l'égard de ce dernier.

En ce qui concerne le quantum de la condamnation, elle considère que l'URSSAF ne transmet pas les éléments lui ayant permis de calculer sa base de redressement, ce qui ne lui permet pas de vérifier celui-ci. A ce titre, elle indique que le procès-verbal de gendarmerie permet de comprendre que la base de calcul retenue est erronée, dans la mesure où les factures et les devis n'ont jamais été demandés à monsieur [G] et que l'URSSAF a reconstitué le chiffre d'affaires à partir des comptes bancaires et non des documents visés par l'article 5.1 de la circulaire. De même, elle relève que l'URSSAF lui a imputé l'intégralité du chiffre d'affaires alors qu'elle aurait dû le répartir entre les différents donneurs d'ordre qui apparaissent. De plus, elle souligne que le chiffre d'affaires retenu correspond à celui réalisé en 2016 et en 2015, alors que seul celui de 2016 aurait dû servir de base de calcul. A ce titre, elle précise que le redressement dépasse 2, 5 fois le chiffre d'affaires de la société [9] pour le compte de la société [7], ce qui montre bien que la somme réclamée est totalement disproportionnée, le paiement d'une telle somme risquant, par ailleurs, d'entraîner son redressement judiciaire ou sa liquidation.

L'URSSAF RHONE ALPES, par ses conclusions d'intimée notifiées par RPVA le 3 avril 2024, déposées le 5 avril 2024 et reprises à l'audience, demande à la cour de :

- confirmer le jugement en date du 21 novembre 2021 rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Chambéry,

Y ajoutant,

- débouter la société [7] de l'intégralité de ses demandes,

- condamner la société [7] à lui verser la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société [7] aux entiers dépens.

L'URSSAF RHONE ALPES expose que la lettre d'observation du 16 mai 2017 s'inscrit dans le cadre du dispositif de l'article R 243-59 du code de la sécurité sociale et de la mise en 'uvre de la solidarité financière, la société [7] n'étant pas la société faisant l'objet du procès-verbal de travail dissimulé. Dès lors, elle explique que la lettre d'observation n'avait pas à être signée par le directeur de l'organisme de recouvrement et que l'inspecteur, qui bénéficiait d'une délégation à cette fin, était parfaitement habilité à le faire.

Par ailleurs, l'URSSAF relève que la lettre d'observation mentionnait la période contradictoire, soit un délai de 30 jours à compter de la réception de celle-ci, au cours duquel l'employeur doit faire connaître ses observations, l'agent de contrôle devant y répondre, sans qu'aucune forme particulière ne lui soit imposé, avant tout envoi d'une mise en demeure. Elle estime qu'elle n'a pas à répondre à tous les courriers d'observation et que la réponse de l'agent marque la fin de la période contradictoire. A ce titre, elle souligne que l'agent a, par courrier du 29 juin 2017, confirmé maintenir le redressement dans son intégralité, ce qui a mis fin à la période contradictoire.

En ce qui concerne la mise en 'uvre de la solidarité financière de la société [7], l'URSSAF relève cette dernière communique un contrat de nettoyage en date du 15 décembre 2015 sur lequel apparaît en lettres capitales la mention " [9] ", le numéro de SIRET et le siège social apparaissant différents de ceux de la société [8], et que dès lors, elle ne peut pas soutenir ne pas avoir entretenu de relations contractuelles avec celle-ci. Elle souligne que la société [7] a été négligente en ne demandant pas l'attestation de fourniture de déclarations sociales et de paiement des cotisations prévues à l'article L. 243-15 du code de la sécurité sociale et que c'est bien ce qui lui est reproché par la mise en 'uvre de sa solidarité financière pour défaut de vigilance.

Par ailleurs, l'URSSAF précise que le seuil de 5000 € déclenchant l'obligation de vigilance doit être apprécié en tenant compte du montant global de l'opération, même si celle-ci a fait l'objet de plusieurs paiements et facturations et du prix réellement acquitté ou convenu de la prestation. Elle relève que la relation contractuelle entre les deux sociétés était continue, répétée et successive sur la saison d'hiver 2016, raison pour laquelle il est nécessaire de prendre en compte l'intégralité des sommes pour apprécier le seuil de 5000 €. Au regard du montant versé par la société [7] à la société [9], soit 118 336, 98 €, le seuil de 5 000 € était donc à ses yeux largement atteint.

En outre, sur la relation de sous-traitance invoquée par la société [7], l'URSSAF souligne que cette dernière a contracté directement avec la société [9] et qu'elle n'a pas identifié monsieur [G] comme étant le gérant de celle-ci car elle s'est abstenue de s'acquitter de son obligation de vigilance, ce qui lui aurait permis de se faire remettre la carte d'identification justifiant de l'inscription au répertoire des métiers du gérant de la société [9].

Sur le quantum de la condamnation, l'URSSAF rappelle les principes applicables en la matière, le montant du redressement étant déterminé au prorata de la valeur des travaux réalisés, des services fournis, du bien vendu et de la rémunération en vigueur dans la profession, étant précisé que ces éléments ont été évoqués dans la lettre d'observation. De plus, elle rappelle que par application de l'article L8222-2 du code du travail, elle a choisi de prendre en considération l'intégralité des rémunérations dissimulées pour l'ensemble des salariés employés par le débiteur principal et pas simplement par la société [7]. Elle souligne, enfin, que la société appelante disposait de toutes les informations nécessaires pour comprendre la méthode de calcul appliquée.

A titre subsidiaire, elle rappelle que par application de l'article R. 142-22 du Code de la sécurité sociale, le tribunal ne peut ordonner une expertise que dans les cas spécifiquement susvisés, qui ne comprennent pas l'expertise de nature comptable.

Pour le surplus de l'exposé des moyens des parties au soutien de leurs prétentions il est renvoyé à leurs conclusions visées ci-dessus par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur la forme du rappel de cotisations sociales

Sur la signature de la lettre d'observation

1. L'article L. 243-7 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable au présent litige prévoit notamment que " le contrôle de l'application des dispositions du présent code par les employeurs, personnes privées ou publiques y compris les services de l'Etat autres que ceux mentionnés au quatrième alinéa et, dans le respect des dispositions prévues à l'article L. 133-1-3, par les travailleurs indépendants ainsi que par toute personne qui verse des cotisations ou contributions auprès des organismes chargés du recouvrement des cotisations du régime général est confié à ces organismes. Le contrôle peut également être diligenté chez toute personne morale non inscrite à l'organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale en qualité d'employeur lorsque les inspecteurs peuvent faire état d'éléments motivés permettant de présumer, du fait d'un contrôle en cours, que cette dernière verse à des salariés de l'employeur contrôlé initialement une rémunération, au sens de l'article L. 242-1. Les agents chargés du contrôle sont assermentés et agréés dans des conditions définies par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale. Ces agents ont qualité pour dresser en cas d'infraction auxdites dispositions des procès-verbaux faisant foi jusqu'à preuve du contraire. Les unions de recouvrement les transmettent, aux fins de poursuites, au procureur de la République s'il s'agit d'infractions pénalement sanctionnées. "

L'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable au présent litige dispose notamment que " I.-Tout contrôle effectué en application de l'article L. 243-7 est précédé, au moins quinze jours avant la date de la première visite de l'agent chargé du contrôle, de l'envoi par l'organisme effectuant le contrôle des cotisations et contributions de sécurité sociale d'un avis de contrôle.

Toutefois, l'organisme n'est pas tenu à cet envoi dans le cas où le contrôle est effectué pour rechercher des infractions aux interdictions mentionnées à l'article L. 8221-1 du code du travail. Dans ce dernier cas, si cette recherche n'a pas permis de constater de telles infractions et que l'organisme effectuant le contrôle entend poursuivre le contrôle sur d'autres points de la réglementation, un avis de contrôle est envoyé selon les modalités définies au premier alinéa. "

Par ailleurs, l'article R. 133-8 du code de la sécurité sociale précise que " lorsqu'il ne résulte pas d'un contrôle effectué en application de l'article L. 243-7 du présent code ou de l'article L. 724-7 du code rural et de la pêche maritime, tout redressement consécutif au constat d'un délit de travail dissimulé est porté à la connaissance de l'employeur ou du travailleur indépendant par un document daté et signé par le directeur de l'organisme de recouvrement, transmis par tout moyen permettant de rapporter la preuve de sa date de réception.

Ce document rappelle les références du procès-verbal pour travail dissimulé établi par un des agents mentionnés à l'article L. 8271-7 du code du travail et précise la nature, le mode de calcul et le montant des redressements envisagés. Il informe l'employeur ou le travailleur indépendant qu'il a la faculté de présenter ses observations dans un délai de trente jours et de se faire assister par une personne ou un conseil de son choix.

A l'expiration de ce délai et, en cas d'observations de l'employeur ou du travailleur indépendant, après lui avoir confirmé le montant des sommes à recouvrer, le directeur de l'organisme de recouvrement met en recouvrement les sommes dues selon les règles et sous les garanties et sanctions applicables au recouvrement des cotisations de sécurité sociale. "

2. En l'espèce, l'URSSAF a diligenté un contrôle de la société [9] sur la base des articles L8222-1 et 2 du code du travail qui s'inscrivent dans le cadre des pouvoirs qui lui sont conférés par l'article L243-7 du code de la sécurité sociale. Il s'agissait donc d'un contrôle inopiné réalisé par les services de l'URSSAF afin de recouvrir des cotisations sociales dans le cadre d'un travail dissimulé.

L'URSSAF a souhaité engager la solidarité financière de l'EURL [7] qui est apparue au cours de ce contrôle comme un donneur d'ordre n'ayant pas respecté son obligation de vigilance. A ce titre, elle a adressé à celle-ci une lettre d'observation le 16 mai 2017 signée par l'inspecteur du recouvrement (pièce 1 de l'URSSAF) dans laquelle il apparaît que le procès-verbal de travail dissimulé a été établi par l'URSSAF et que la solidarité financière de l'établissement est engagée par application des articles L8222-1 du code du travail et R 243-59 du code de la sécurité sociale.

3. L'EURL [7] conteste la régularité de la lettre d'observation au motif que le contrôle s'inscrivant dans le cadre de la lutte contre le travail dissimulé, celle-ci aurait dû être signée par le directeur de l'URSSAF.

4. Toutefois, il résulte de l'articulation entre les articles R243-59 et R133-8 du code de la sécurité sociale que lorsque les services de l'URSSAF engagent un contrôle sur le fondement du travail dissimulé, ils inscrivent leur action dans le cadre de l'article L243-7 du code de la sécurité sociale mais ils n'ont pas besoin de prévenir le cotisant contrôlé, ce qui était exactement le cas du contrôle réalisé sur la société [9]. Le contrôle ayant été exercé par l'URSSAF et non par une autre administration de l'Etat (inspection du travail, gendarmerie'), la signature du directeur de l'URSSAF est donc écartée par l'article R 133-8 du code de la sécurité sociale qui prévoit spécifiquement que la signature du directeur du recouvrement est exigée uniquement lorsque le contrôle n'est pas effectué par application de L243-7 du code de la sécurité sociale.

Dès lors, la lettre d'observation pouvait parfaitement être signée par un inspecteur du recouvrement et le moyen de l'EURL [7] sera écarté.

Sur le respect du contradictoire

5. L'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale prévoit également que " La lettre d'observations indique également à la personne contrôlée qu'elle dispose d'un délai de trente jours pour répondre à ces observations et qu'elle a, pour ce faire, la faculté de se faire assister d'un conseil de son choix.

Dans sa réponse, la personne contrôlée peut indiquer toute précision ou tout complément qu'elle juge nécessaire notamment en proposant des ajouts à la liste des documents consultés.

Lorsque la personne contrôlée répond avant la fin du délai imparti, l'agent chargé du contrôle est tenu de répondre. Chaque observation exprimée de manière circonstanciée par la personne contrôlée fait l'objet d'une réponse motivée. Cette réponse détaille, par motif de redressement, les montants qui, le cas échéant, ne sont pas retenus et les redressements qui demeurent envisagés. "

6. En l'espèce, l'EURL [7] estime que l'URSSAF n'a pas respecté la période contradictoire en ne répondant pas à son courrier alors même qu'elle avait transmis celui-ci dans le délai de 30 jours.

7. Toutefois, si l'EURL [7] a transmis à l'URSSAF des observations par courrier en date du 19 juin 2017 (pièce 2 de l'URSSAF), dans le délai de 30 jours imparti, l'inspecteur du recouvrement a bien répondu à celles-ci par courrier en date du 29 juin 2017 et a choisi de maintenir l'intégralité du redressement, mettant ainsi fin à la période contradictoire (pièce 3 de l'URSSAF). Ce n'est qu'après ce courrier que le cotisant a adressé un nouveau courriel le 18 juillet 2017 dans lequel il sollicitait notamment un rendez-vous (pièce 4 de l'appelant). Pour autant, il ne résulte pas de l'article précité, ni de la jurisprudence de la Cour de cassation, que l'URSSAF est tenue de répondre à tous les courriers d'observations qui lui sont adressés. Cette dernière a l'obligation d'apporter une réponse et celle-ci marque la fin de la période contradictoire. L'URSSAF n'avait donc pas d'obligation d'apporter une nouvelle réponse au cotisant, ni d'attendre l'organisation d'un rendez-vous avec l'EURL [7] pour envoyer la mise en demeure, quand bien même un entretien entre les parties avait pu être évoqué. La cour ne relève donc aucun manquement au respect du contradictoire par l'URSSAF et ce moyen sera également écarté.

Sur le rappel de cotisations sociales

Sur la mise en 'uvre de la solidarité financière

8. Il résulte de l'article L. 8222-1 du code du travail que " Toute personne vérifie lors de la conclusion d'un contrat dont l'objet porte sur une obligation d'un montant minimum en vue de l'exécution d'un travail, de la fourniture d'une prestation de services ou de l'accomplissement d'un acte de commerce, et périodiquement jusqu'à la fin de l'exécution du contrat, que son cocontractant s'acquitte :

1° des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 ;

2° de l'une seulement des formalités mentionnées au 1°, dans le cas d'un contrat conclu par un particulier pour son usage personnel, celui de son conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité, concubin, de ses ascendants ou descendants. "

Par ailleurs, l'article L8222-2 dispose que Toute personne qui méconnaît les dispositions de l'article L. 8222-1, ainsi que toute personne condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée aux services de celui qui exerce un travail dissimulé, est tenue solidairement avec celui qui a fait l'objet d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé :

1° Au paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations dus par celui-ci au Trésor ou aux organismes de protection sociale ;

2° Le cas échéant, au remboursement des sommes correspondant au montant des aides publiques dont il a bénéficié ;

3° Au paiement des rémunérations, indemnités et charges dues par lui à raison de l'emploi de salariés n'ayant pas fait l'objet de l'une des formalités prévues aux articles L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche et L. 3243-2, relatif à la délivrance du bulletin de paie.

9. En l'espèce, l'EURL [7] indique avoir contracté avec la société [5] représentée par monsieur [F] et avoir simplement reçu un avenant en janvier 2016 de ce dernier lui indiquant le changement de dénomination et de siège social sans qu'à aucun moment le nom de monsieur [G] ne soit évoqué. Elle estime donc ne pas avoir eu de relations contractuelles avec ce dernier.

Il n'est pas contesté par les parties que jusqu'au 30 décembre 2015, l'EURL [7]" avait contracté avec la société [5] représentée par monsieur [F]. Toutefois, il apparaît qu'à compter du 1er janvier 2016, l'EURL [7] va contracter avec la société [9] pour une nouvelle période. Or, le tampon de cette nouvelle société figurant sur le contrat signé en décembre 2015 mentionne un autre numéro de SIRET que celui de la société [5] (pièce 13 de l'appelant). De plus, ce numéro figure tant sur le contrat lui-même que sur la lettre adressée par monsieur [F] le 4 janvier 2016 à l'EURL [7] dans laquelle celui-ci l'informait également du changement de siège social (pièce 14 de l'appelant). Dès lors, à compter du 15 décembre 2015, l'EURL [7] avait nécessairement conscience de contracter avec une autre société que la société [5], quelle que soit la personne de son gérant. Il lui appartenait alors, conformément à son obligation de diligence, de demander à cette nouvelle société l'attestation de fourniture de déclarations sociales et de paiement des cotisations prévues à l'article L243-15 du code de la sécurité sociale, ce qui lui aurait d'ailleurs permis de prendre connaissance de l'identité du gérant de cette nouvelle société. Le moyen de l'EURL [7] sera donc écarté.

10. L'EURL [7] prétend ensuite que les relations contractuelles avec la société [9] n'ont jamais dépassé le seuil de 5 000 € par contrat, fixé par l'article 4.1 de la circulaire interministérielle [6] du 31 décembre 2015.

En l'espèce, un unique contrat de nettoyage a été signé entre de l'EURL [7] et la société [9] le 15 décembre 2015, une facturation par semaine étant prévue. S'il résulte de la lettre d'observation que pas moins de 23 factures ont été éditées entre l'EURL [7] et la société [9] en 2016 pour des montants compris entre 1497 € et 6474 €, ces dernières ne constituent pas autant de contrats autonomes les uns des autres. Au surplus, au-delà du fait que de nombreuses factures dépassent le seuil des 5000€ visés tant par la circulaire que par l'article R8222-1 du code du travail, ces dernières, qui s'inscrivent dans le cadre d'une relation continue, répétée et successive entre les parties, ne peuvent s'apprécier que de manière globale suite au contrat signé entre les parties le 15 décembre 2015. La somme globalement versée à la société [9] par de l'EURL [7] au titre des prestations de ménage réalisées par cette dernière s'élevant à 118 336, 98 €, l'EURL [7] était bien tenue à une obligation de vigilance vis-à-vis de son cocontractant et le moyen sera à nouveau écarté.

11. Enfin, l'EURL [7] estime qu'elle se trouvait en réalité dans une situation de sous-traitance vis-à-vis de monsieur [G], gérant de la société [9].

Toutefois, comme il a été précédemment démontré, l'EURL [7] a contracté directement avec la société [9] à compter du 15 décembre 2015 (pièce 13 de l'appelant) et elle ne peut donc indiquer qu'elle avait en fait poursuivi une relation contractuelle avec la société [5] qui aurait fait écran entre elle et la société [9]. A l'inverse, il lui appartenait bien de mettre en 'uvre son obligation de vigilance vis-à-vis de la société [9] avec qui elle avait contracté. Ce moyen sera également écarté.

12. Par ailleurs, en ce qui concerne le calcul de la solidarité financière, il convient de rappeler qu'en la matière, les cotisations appelées ne sont pas calculées en fonction d'une assiette et d'un taux de cotisation mais, comme l'indique l'article L8222-3 du code du travail, au prorata du chiffre d'affaires réalisé par le cocontractant, à savoir la société [9], avec le donneur d'ordre, soit l'EURL [7]. La demande d'expertise de cette dernière n'apparaît donc pas pertinente au regard des principes posés par l'article L8222-3 du code du travail qui ne recherchent pas à déterminer la masse salariale réelle ayant effectivement travaillé pour le compte du donneur d'ordre.

En ce qui concerne le calcul opéré par l'URSSAF, la lettre d'observation du 16 mai 2017 fait apparaître un chiffre d'affaires total de la société [9] pour l'année 2016, soit 385 917 €, ainsi que le chiffre d'affaires réalisé par cette dernière en provenance de l'EURL [7], soit 118 336 €. Le lettre d'observation précise également le pourcentage correspondant à ce chiffre d'affaires et le calcul de celui-ci appliqué au montant des cotisations sociales dues par la société [9] correspondant au montant de la solidarité financière réclamée par l'URSSAF.

Toutefois, il résulte du procès-verbal de travail dissimulé, établi par l'URSSAF elle-même le 5 janvier 2017 (pièce 7 de l'URSSAF), que la somme de 385 917 € correspond au chiffre d'affaires de la société [9] pour les années 2015 et 2016, soit 179 868 € en 2015 et 206 049 € en 2016. Or, aucune relation contractuelle n'existait entre la société [9] et l'EURL [7] avant le 1er janvier 2016. De plus, le contrôle concernant la solidarité financière de cette dernière ne porte que sur la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2016. Dès lors, le calcul réalisé au titre de la solidarité financière dans la lettre d'observation apparaît erroné en ce qu'il a intégré au chiffre d'affaires de l'année 2016, le chiffre d'affaires de la société [9] pour l'année 2015 et qu'il a retenu un nombre de salariés n'ayant pas fait de déclarations sociales également sur les deux années litigieuses. Le procès-verbal de travail dissimulé indiquant que 71 salariés ont fait l'objet d'une DPAE, mais que seuls 9 ont fait l'objet de déclarations sociales, le nombre de salariés concernés par le redressement en 2016 est donc de 62. Le montant du redressement à retenir pour la société [9] pour l'année 2016 aurait dû donc s'élever à la somme de 850 818 x (62/132) = 399 626 €.

Par conséquent, et par application de la formule détaillée dans la lettre d'observation, le montant de la solidarité financière due par l'EURL [7] aurait dû s'élever à la somme de :

(montant du redressement pour 2016 de la société [9] x le CA TTC réalisé pour l'EURL) ÷ CA TTC de [9] global pour l'année 2016

Soit (399 626 x 118 336) ÷ 206 049 = 229 509, 57 €.

Le jugement sera donc intégralement confirmé, sauf en ce qui concerne le montant de la solidarité financière qui sera fixé à la somme de 229 509, 57 €, à laquelle devra s'ajouter les majorations de retard qu'il appartiendra à l'URSSAF de calculer.

13. L'EURL [7] succombant à l'instance, elle sera condamnée aux entiers dépens. En revanche, en équité, l'URSSAF RHONE ALPES sera déboutée de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement RG n°18/00435 rendu le 21 novembre 2022 par le pôle social du tribunal judiciaire de Chambéry, sauf en ce qu'il a condamné l'EURL SOCIÉTÉ [7] à verser à l'URSSAF RHONE ALPES la somme de 260 891, 32 € augmentée des majorations de retard d'un montant de 13 044, 29 €.

Statuant à nouveau,

Condamne l'EURL SOCIÉTÉ [7] à verser à l'URSSAF RHONE ALPES la somme de 229 509, 57 €, augmentée des majorations de retard.

Déboute l'URSSAF RHONE ALPES de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne l'EURL SOCIÉTÉ [7] aux dépens de l'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par monsieur Jean-Pierre Delavenay, président et par madame Chrystel Rohrer, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch.secu-fiva-cdas
Numéro d'arrêt : 22/04436
Date de la décision : 27/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-27;22.04436 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award