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13/06/2024 | FRANCE | N°22/04169

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch.secu-fiva-cdas, 13 juin 2024, 22/04169


C3



N° RG 22/04169



N° Portalis DBVM-V-B7G-LS3I



N° Minute :





































































Notifié le :



Copie exécutoire délivrée le :









La SCP FROMONT BRIENS





La CPAM DE L'ISERE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D'APPEL DE GRENOBLE



CHAMBRE SOCIALE - PROTECTION SOCIALE

ARRÊT DU JEUDI 13 JUIN 2024





Appel d'une décision (N° RG 18/00599)

rendue par le pôle social du tribunal judiciaire de Grenoble

en date du 13 octobre 2022

suivant déclaration d'appel du 22 novembre 2022





APPELANTE :



Société [13], prise en la personne de son représentant légal en exercice do...

C3

N° RG 22/04169

N° Portalis DBVM-V-B7G-LS3I

N° Minute :

Notifié le :

Copie exécutoire délivrée le :

La SCP FROMONT BRIENS

La CPAM DE L'ISERE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE SOCIALE - PROTECTION SOCIALE

ARRÊT DU JEUDI 13 JUIN 2024

Appel d'une décision (N° RG 18/00599)

rendue par le pôle social du tribunal judiciaire de Grenoble

en date du 13 octobre 2022

suivant déclaration d'appel du 22 novembre 2022

APPELANTE :

Société [13], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Cécile CURT de la SCP FROMONT BRIENS, avocat au barreau de LYON substituée par Me Dorothée MASSON, avocat au barreau de LYON

INTIMEES :

La CPAM DE L'ISERE, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

Service Contentieux Général

[Adresse 1]

[Localité 3]

dispensée de comparution à l'audience

Madame [B] [W]

[Adresse 5]

Chez [D] [N]

[Localité 4]

représentée par Me Laure GERMAIN-PHION de la SCP GERMAIN-PHION JACQUEMET, avocat au barreau de GRENOBLE

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président,

M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,

Mme Elsa WEIL, Conseiller,

Assistés lors des débats de M. Fabien OEUVRAY, Greffier,

DÉBATS :

A l'audience publique du 02 avril 2024,

M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président chargé du rapport, M. Pascal VERGUCHT, Conseiller et Mme Elsa WEIL, Conseiller ont entendu les représentants des parties en leurs conclusions et plaidoiries,

Et l'affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Mme [B] [W] a été embauchée par la SA [14] en qualité d'assistante Emploi-Formation à compter du 1er mars 1999 puis a occupé le poste de chargée RH/Administrative du site de [Localité 6] et il lui a ensuite été proposé le 11 octobre 2013 une modification de son contrat de travail pour un poste de gestionnaire administrative et commerciale dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi.

Le 8 novembre 2013 elle a été placée en arrêt maladie simple jusqu'au 1er décembre 2013.

Le 12 février 2014 elle a transmis à son employeur un nouvel arrêt de droit commun prolongé ensuite par renouvellements successifs jusqu'au 31 août 2015.

Le 27 août 2015, son médecin traitant le docteur [J] a établi un certificat médical initial faisant état de troubles anxio-dépressifs réactionnels à un accident du travail du 8 novembre 2013.

Le 31 août 2015, Mme [W] a établi une déclaration d'accident du travail survenu le 8 novembre 2013 en joignant un courrier d'accompagnement.

Le 2 septembre 2015 elle a saisi le conseil des prud'hommes de Grenoble aux fins notamment d'obtenir la résolution judiciaire de son contrat de travail et des dommages et intérêts pour harcèlement moral.

Suivant notification du 26 octobre 2015, la Caisse Primaire d'Assurance Maladie (CPAM) de l'lsère a reconnu le caractère professionnel de l'accident du 8 novembre 2013.

Cette décision a été déclarée inopposable à l'employeur de Mme [W] pour non-respect du principe du contradictoire, par jugement du 19 janvier 2018, suite au recours de ce dernier porté devant l'ex tribunal des affaires de sécurité sociale de Grenoble.

L'état de santé de Mme [W] a été déclaré consolidé par le médecin conseil à la date du 28 février 2018. Un taux d'Incapacité Permanente Partielle (IPP) de 12 % a été attribué à l'assurée.

Parallèlement, dans le cadre de l'instance prud'homale, le conseil des prud'hommes par jugement du 19 septembre 2017, confirmé par arrêt de cette cour du 22 octobre 2020 (section B), a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [W] à la date de ce jugement pour harcèlement moral.

Le 1er mars 2018, Mme [W] a saisi la caisse primaire en reconnaissance de la faute inexcusable à l'origine de l'accident du travail du 8 novembre 2013 et a saisi le 11 juin 2018 l'ex-tribunal des affaires de sécurité sociale de Grenoble de cette demande.

Par jugement du 13 octobre 2022, le pôle social du désormais tribunal judiciaire de Grenoble a :

- dit que l'accident du travail dont a été victime Mme [W] est dû à la faute inexcusable de son employeur, la société [14],

- fixé au maximum la majoration de la rente due à Mme [W],

Avant-dire droit sur l'indemnisation du préjudice complémentaire de Mme [W], ordonné une expertise médicale judiciaire avec mission d'évaluer les préjudices consécutifs à cette faute indemnisables en droit de la sécurité sociale,

- dit que la CPAM de l'Isère fera l'avance des frais d'expertise,

- accordé à Mme [W] une provision de 5 000 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice personnel,

- dit que la CPAM fera également l'avance de cette provision,

- condamné la société [14] à rembourser à la CPAM de l'Isère l'ensemble des sommes dont elle aura fait l'avance y compris la majoration de la rente, la provision et les frais d'expertise,

- invité Mme [W] à faire valoir ses demandes indemnitaires devant le tribunal judiciaire de Grenoble après dépôt du rapport d'expertise,

- condamné la société [14] à payer à Mme [W] la somme de 1.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- rappelé que la décision est de droit exécutoire à titre provisoire,

- réservé les dépens.

Le 22 novembre 2022, la société [14] a interjeté appel de cette décision.

Le Docteur [H], psychiatre, a transmis son rapport d'expertise de Mme [W] le 27 mars 2023.

Les débats ont eu lieu à l'audience du 2 avril 2024 et les parties avisées de la mise à disposition au greffe de la présente décision le 13 juin 2024.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La SA [14] au terme de ses conclusions complémentaires et récapitulatives n°2 notifiées par RPVA le 9 février 2024 reprises à l'audience demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Grenoble le 13 octobre 2022 en ce qu'il a :

- dit que l'accident du travail dont a été victime Mme [W] est dû à la faute inexcusable de son employeur, la société [14],

- fixé au maximum la majoration de la rente due à Mme [W],

Avant-dire droit sur l'indemnisation du préjudice complémentaire de Mme [W], ordonné une expertise médicale judiciaire,

- dit que la CPAM de l'Isère fera l'avance des frais d'expertise,

- accordé à Mme [W] une provision de 5 000 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice personnel,

- dit que la CPAM fera également l'avance de cette provision,

- condamné la société [14] à rembourser à la CPAM de l'Isère l'ensemble des sommes dont elle aura fait l'avance y compris la majoration de la rente, la provision et les frais d'expertise,

- invité Mme [W] à faire valoir ses demandes indemnitaires devant le tribunal judiciaire de Grenoble après dépôt du rapport d'expertise,

- condamné la société [14] à payer à Mme [W] la somme de 1.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau,

A titre principal, sur l'irrecevabilité de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur en raison de l'absence d'accident du travail ou de maladie professionnelle :

- juger l'absence de caractère professionnel de l'accident survenu le 8 novembre 2013,

- juger inopposable à son encontre la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle de l'accident du travail déclaré par Mme [W] le 8 novembre 2018,

- juger que la CPAM de l'Isère a refusé de prendre en charge la maladie déclarée par Mme [W] au titre de la législation sur les risques professionnels,

En conséquence, déclarer l'action de Mme [W] en reconnaissance de faute inexcusable irrecevable,

À titre subsidiaire, sur l'absence de faute inexcusable imputable à l'employeur :

- juger que Mme [W] ne peut pas bénéficier de la présomption de la faute inexcusable prévue par l'article L. 4131-4 du code du travail,

- juger qu'elle n'avait ou ne pouvait pas avoir conscience du prétendu danger auquel Mme [W] aurait été exposée,

- juger qu'elle a tout mis en 'uvre afin de protéger Mme [W] d'un quelconque danger,

En conséquence, déclarer l'action de Mme [W] en faute inexcusable irrecevable,

A titre infiniment subsidiaire, sur l'inopposabilité des conséquences de la faute inexcusable à son égard :

- juger l'impossibilité pour la Caisse d'exercer son action récursoire en l'absence de caractère professionnel de tout accident ou maladie déclarés par Mme [W],

- juger que les éventuelles condamnations prononcées resteront à la charge de la CPAM,

En tout état de cause,

- condamner Mme [W] à lui verser la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la même aux entiers dépens et frais de l'instance.

La SA [14] soutient tout d'abord qu'aucun caractère professionnel ne peut être retenu s'agissant de l'accident survenu le 8 novembre 2013 de sorte que la présomption d'imputabilité ne peut trouver à s'appliquer. Elle prétend en outre rapporter la preuve de l'existence d'un état pathologique préexistant lié à un deuil familial antérieur permettant d'écarter cette présomption.

Sur l'absence de caractère professionnel elle relève le caractère tardif de la déclaration d'accident du travail de l'accident, effectuée le 31 août 2015 soit 22 mois après son premier arrêt de travail, pour des faits déclarés survenus le 8 novembre 2013 avec aggravation de son état de santé le 12 janvier 2014 lors d'un appel téléphonique avec M. [A], son supérieur hiérarchique.

Elle considère en outre qu'il ne peut être déduit du comportement de M. [A], qui a eu une « altercation » avec Mme [W] et de l'avertissement en résultant notifié le 21 novembre 2013, seule sanction adaptée au vu des faits, un quelconque fait accidentel précis et soudain et encore moins de harcèlement moral.

Elle estime que la preuve de la matérialité des faits du 8 novembre 2013, d'une lésion constatée médicalement le jour même ou du 12 février 2014 n'est pas rapportée, ni celle d'un lien de causalité entre la survenance de l'état dépressif de Mme [W] et ses conditions de travail.

Concernant la faute inexcusable, elle affirme que Mme [W] ne l'avait jamais alertée d'une quelconque difficulté avec M. [A] avant les faits du 8 novembre 2013 et qu'il ne peut lui être reproché de l'avoir laissée sous la responsabilité de celui-ci à son retour d'arrêt maladie, en l'absence de demande de la salariée en ce sens notamment. Elle soutient qu'il ne peut également être déduit de l'exercice du droit d'alerte par le CHSCT, dont l'employeur a été avisé par mail du 19 février 2014, l'existence d'une ambiance de travail délétère au sein de l'agence de [Localité 6], ni l'existence d'une faute inexcusable.

Elle écarte au vu de ces éléments toute notion de « conscience du risque » et expose en outre avoir tout mis en 'uvre pour protéger Mme [W] d'un quelconque danger, l'ayant d'ailleurs toujours accompagnée pendant toute la relation contractuelle, ayant sanctionné par un avertissement M. [A], organisé une enquête contradictoire en présence des membres du CHSCT le 21 février 2014, une réunion extraordinaire du CHSCT le 25 février 2014, proposé un plan d'actions afin d'améliorer le dialogue social au sein du centre de [Localité 6] et enfin organisé des formations sur le thème « management et conduite du changement ».

Mme [B] [W] selon ses conclusions d'intimée n°2 notifiées par RPVA le 8 février 2024 reprises à l'audience demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- débouter la société [14] de l'intégralité de ses demandes,

- condamner la Société [14] à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient qu'elle doit bénéficier de la présomption d'imputabilité puisqu'elle établit la preuve de la survenance d'un fait accidentel dont elle a victime le 8 novembre 2013 au temps et au lieu du travail et dont il est résulté une lésion à savoir, un état anxio-dépressif, lésion établie par l'employeur lui-même dans le courrier de sanction adressé à M. [A].

Elle estime que de son côté, la société [14] échoue à démontrer que la lésion aurait une cause totalement étrangère au travail, se contentant de faire état de prétendus problèmes familiaux, sans plus de précisions, sans en établir la réalité ni que cet état serait la cause unique et exclusive de l'accident litigieux de sorte que l'employeur ne renverse pas la présomption d'imputabilité.

Sur la faute inexcusable, elle se prévaut, à titre principal, de la présomption de faute inexcusable au motif qu'elle affirme avoir alerté et informé son employeur des relations de travail particulièrement dégradées entre elle et M. [A] engendrées par la réorganisation mise en oeuvre.

Elle précise que la société [14] en a été informée lors du premier accident intervenu le 8 novembre 2013 à l'occasion duquel M. [P] a alerté le jour-même M. [X], directeur, lors d'une réunion, des agressions et pressions subies de la part de son supérieur hiérarchique, M. [A].

Elle rappelle également le droit d'alerte exercé par le CHSCT.

En tout état de cause, elle expose que la faute inexcusable de la société [14] est caractérisée dès lors que cette dernière ne justifie pas avoir évalué les risques au sein de l'entreprise notamment en matière de risques psycho-sociaux et s'interrogeant sur l'authenticité du DUERP produit en appel. Elle soutient que son employeur n'a mis en place aucune politique de prévention des risques et aucune mesure afin de la préserver.

La Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'Isère dispensée de comparaître n'a pas conclu est donc réputée s'approprier les motifs du jugement (article 954 du code de procédure civile).

Pour le surplus de l'exposé des moyens des parties au soutien de leurs prétentions il est renvoyé à leurs conclusions visées ci-dessus par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Mme [W] a déclaré le 31 août 2015 à la caisse primaire d'assurance maladie un accident du travail survenu le 8 novembre 2013 à 9 heures en joignant un courrier décrivant les circonstances de cet accident selon lequel elle a été victime le 8 novembre 2013 d'un accident du travail avec arrêt de travail immédiat, puis que le 12 février 2014 un nouvel événement a provoqué une aggravation de son état de santé.

Dans ses rapports avec la caisse, l'accident du 8 novembre 2013 a fait l'objet d'une décision de prise en charge le 26 octobre 2015.

Le 1er mars 2018 elle a saisi la caisse primaire d'assurance maladie d'une demande de reconnaissance de faute inexcusable de l'employeur comme étant à l'origine de l'accident du travail du 8 novembre 2023.

En l'absence de réponse, Mme [W] a saisi l'ex tribunal des affaires de sécurité sociale de Grenoble le 11 juin 2018 d'un recours aux fins de voir juger que l'accident du travail dont elle a été victime le 8 novembre 2013 est dû à la faute inexcusable de son employeur (pièce n° 94). Un procès verbal de carence a ensuite été dressé par la caisse le 4 juillet 2018.

Le jugement déféré en son dispositif ayant seul autorité de chose jugée a dit que l'accident du travail dont a été victime Mme [W] est dû à la faute inexcusable de son employeur, la société [14], sans autre précision.

Au dispositif de ses conclusions saisissant la cour de ses prétentions selon les dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, Mme [W] a seulement demandé la confirmation de ce jugement en toutes ses dispositions.

L'article 4 du code de procédure civile dispose que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties telles qu'elles sont fixées par l'acte introductif d'instance et par leurs conclusions.

La juridiction de première instance et partant la présente cour, par voie de l'effet dévolutif de l'appel, ne sont donc saisies que d'une demande de reconnaissance de faute inexcusable comme étant à l'origine de l'accident du travail déclaré à la caisse du 8 novembre 2023 et non d'un accident qui serait survenu le 12 février 2014 qui n'a fait l'objet d'aucune décision de prise en charge à titre professionnel.

- Sur la matérialité de l'accident du travail du 8 novembre 2013.

Mme [W] soutient avoir été apostrophée le 8 novembre 2013 par son supérieur hiérarchique immédiat, M. [A], ce qui lui a causé un choc psychologique ayant nécessité qu'elle consulte son médecin puis soit arrêtée.

En défense à l'action en reconnaissance de faute inexcusable, l'employeur peut contester le caractère professionnel ou de la maladie.

Aux termes de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.

Il en découle une présomption d'imputabilité des lésions au travail.

Il incombe seulement au salarié ou à la caisse de rapporter la preuve de la matérialité de cet accident.

Il appartient ensuite à l'employeur de renverser cette présomption d'imputabilité en rapportant la preuve que la lésion a une cause totalement étrangère au travail.

Au cas présent, le certificat médical initial descriptif des lésions (troubles anxio-dépressifs réactionnels) portant une date de première constatation de l'accident le 8 novembre 2013 n'a été établi par le médecin traitant de l'intimée (Dr [F] [J]) que le 27 août 2015, plus d'un an et demi après.

La date du 8 novembre 2013 correspond à celle de début d'un arrêt maladie simple prescrit par le même médecin qui n'a pas été produit par Mme [W] mais par la SA [14] (sa pièce 10), dans son exemplaire destiné à l'employeur expurgé du motif médical de cette prescription d'arrêt maladie.

Pour autant, des éléments suffisants ont été apportés par l'assurée permettant de retenir la réalité d'une lésion survenue au temps et lieu du travail et donc susceptible de bénéficier de la présomption d'imputabilité prévue à l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale précité :

- l'attestation du 6 novembre 2015 conforme aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile de M. [C] [P], collègue de travail de Mme [W] (pièce [W] n° 19), qui atteste l'avoir eue au téléphone le 8 novembre 2013 au sujet d'une altercation avec M. [A], chef de centre à [Localité 6], qu'au vu de sa détresse il a alors demandé une interruption de séance durant les négociations salariales annuelles obligatoires pour pouvoir en parler avec le directeur, M. [X], que Mme [W] était en pleurs, choquée par les propos tenus par son chef de centre, que ce dernier a eu des propos déplacés et grossiers à son endroit, qu'il a demandé que le CHSCT soit saisi de ce problème et au directeur d'étudier cette problématique lors de la réunion en cours ;

- l'avertissement adressé le 21 novembre 2013 par la SA [14] à M. [A] (pièce [W] n° 20) rédigé en ces termes '(...) En effet le vendredi 8 novembre 2013 vous avez eu une altercation avec madame [B] [W] et cette dernière a quitté le travail pour aller voir le médecin. Quels que soient les éléments successifs qui peuvent engendrer une insatisfaction ou une incompréhension du salarié, le statut de chef de centre implique un comportement irréprochable et mesuré. Dans ces conditions aucune tolérance n'est laissée quant au fait que l'on me rapporte des propos liés à des mots crus et irrespectueux envers les personnes. J'ose espérer que cela n'est lié qu'à des faits conjoncturels et non structurels. Compte-tenu de la gravité des faits et de leurs conséquences, je suis contraint de vous notifier un avertissement. Par ailleurs je vous demande d'être attentif au comportement de votre collaboratrice, Mme [B] [W], à son retour de maladie'.

Il en ressort que la SA [14] pour infliger à son chef de centre un avertissement, après entretien le 19 novembre avec lui, ne conteste donc ni l'accident (l'altercation), ni la lésion (le départ immédiat de Mme [W] pour se rendre chez son médecin et son placement en arrêt maladie) et qu'elle ne peut soutenir aujourd'hui qu'elle aurait sanctionné par erreur M. [A] sur la seule foi des déclarations de Mme [W], qu'elle conteste désormais.

Il ne peut donc être retenue l'absence de caractère professionnel de l'accident survenu le 8 novembre 2023 et la présomption d'imputabilité des lésions au travail ne peut être renversée par la seule allégation par la SA [14] du décès d'un membre de la famille de Mme [W], plus de dix ans auparavant, qui l'aurait profondément et durablement affectée pour être à l'origine exclusive de son état psychologique constaté le 8 novembre 2013 et ayant motivé un arrêt de travail immédiat.

Il n'y a lieu comme requis par la SA [14] de 'juger que la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle de l'accident du travail déclaré par Mme [B] [W] le 8 novembre 2018 est inopposable à la société [14]' puisqu'il a déjà été statué sur cette demande par jugement de l'ex tribunal des affaires de sécurité sociale du 19 janvier 2018 (pièce [14] n° 22).

De même, la demande de 'juger que la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère a refusé de prendre en charge la maladie déclarée par Mme [B] [W] au titre de la législation sur les risques professionnels' est sans objet puisque d'une part il ne s'agit que d'une demande de constat et que, d'autre part, le tribunal et la cour ne sont saisis que d'une action en reconnaissance de faute inexcusable en lien avec un accident du travail, non avec une maladie professionnelle, hors débats.

- Sur la faute inexcusable à l'origine de l'accident du travail du 8 novembre 2013.

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité et de protection de la santé, notamment en ce qui concerne les accidents du travail et maladies professionnelles.

Il résulte des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale et L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail que le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur à le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié mais il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.

La conscience du danger doit s'apprécier compte-tenu de l'importance de l'entreprise considérée, de son organisation, de la nature de son activité et des travaux auxquels était affecté son salarié.

Pour déterminer si l'employeur a commis une faute inexcusable, seule l'attitude de l'employeur préalable à l'accident du travail doit être examinée, peu important son attitude ultérieure, tout manquement postérieur à la survenue de cet accident ou de cette maladie ne pouvant être sanctionné que sur le fondement du droit commun prud'homal du manquement à l'obligation de sécurité au travail.

Il appartient enfin au salarié, demandeur à l'instance en reconnaissance de faute inexcusable, de rapporter la preuve que son employeur avait conscience du danger auquel il était exposé et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Au cas d'espèce, seule l'attitude de la SA [14] antérieure au 8 novembre 2013 doit être prise en compte pour apprécier l'existence d'une faute inexcusable en relation de causalité avec l'accident du travail survenu ce jour.

Le comportement postérieur de l'appelante a été pris en compte par la juridiction prud'homale, puis la présente cour dans son arrêt du 22 octobre 2020 (pièce Mme [W] n° 60), pour retenir l'existence d'un harcèlement moral au soutien de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur, produisant les effets d'un licenciement nul en violation du statut protecteur de déléguée du personnel et lui accorder les dommages et intérêts afférents.

* En premier lieu Mme [W] soutient que la SA [14] avait été avertie du comportement de M. [A] avant l'accident du travail pour se prévaloir de la présomption de faute inexcusable de l'article L. 4131-4 du code du travail.

Mme [W] cite le témoignage de M. [M] [U] (sa pièce n° 52), conducteur et ancien secrétaire du CHSCT, qui soutient que cette instance a signalé et dénoncé à plusieurs reprises le comportement et les propos déplacés de M. [A] à l'égard de ses subalternes mais sans indiquer de date, ni sans que Mme [W] produise les comptes rendus correspondants des réunions qui auraient consigné ces doléances par écrit de sorte que cette attestation n'est absolument pas probante.

L'autre attestation de M. [C] [P] du 3 janvier 2021 également produite par l'intimée (pièce n° 64) indiquant que, membre du CHSCT de 2013 à 2017, il a alerté le directeur, M. [S] [X], lors d'une réunion sur le cas de Mme [W] victime d'agression verbale et de pressions de la part de son supérieur hiérarchique M. [A], n'est pas plus précise quant à la date de cet avertissement ni corroborée par un écrit et correspond donc, faute d'autres précisions, à sa précédente attestation (pièce Mme [W] n° 19 précitée), soit à la réunion du 8 novembre 2013, jour de l'accident.

Pour sa part, la SA [14] a versé aux débats les comptes-rendus des réunions extraordinaires et trimestrielles du CHSCT tenues entre le 10 janvier 2013 et le 8 juillet 2013 avant l'accident du travail (pièces 34-1 à 34-5) dont aucun ne mentionne de doléances à l'endroit du chef de centre de [Localité 6] avant l'accident du 8 novembre 2013 ou de problèmes particuliers concernant ce site, étant observé qu'il existe des bandes sons enregistrées en vue de l'établissement des procès verbaux (cf pièce [14] n°s 48-49).

Elle a également produit les fiches de visite de Mme [W] par la médecine du travail jusqu'à celle du 29 août 2013 l'ayant toutes déclarée apte sans réserves à son poste de travail (pièces [14] 35 à 42).

Les autres pièces utiles dont se prévaut l'intimée sont toutes postérieures à la survenance de l'accident du travail :

- pièce n° 9 : courrier commun avec Mme [Y] du 15 février 2014 ;

- pièce n° 20 : avertissement à M. [A] du 21 novembre 2013 ;

- pièce n° 22 : exercice du droit d'alerte du CHSCT du 19 février 2014 pour l'ensemble des salariés amenés à travailler sur le dépôt de [Localité 6] sous l'autorité de M. [A] ;

- pièce n° 52 : courrier co-signé par 4 salariés du centre de [Localité 6] au CHSCT du 20 février 2024 pour se plaindre de M. [A] ;

- pièce n° 45 adverse ([14]) : compte-rendu du CHSCT extraordinaire du 25 février 2014 après enquête faisant suite au droit d'alerte.

En conséquence, Mme [W] échoue à démontrer que la SA [14] aurait eu conscience d'un risque particulier concernant le site de [Localité 6] et/ou son chef de centre avant l'accident survenu le 8 novembre 2013 et partant aucune présomption de faute inexcusable à l'origine de cet accident ne peut être retenue.

* En second lieu Mme [W] invoque l'absence de prise en compte par la SA [14] des risques psycho-sociaux professionnels en général dans un document unique d'évaluation des risques professionnels et de mesures prises.

D'une part l'absence d'existence d'un document unique d'évaluation des risques professionnels dans l'entreprise n'implique pas à elle seule présomption de faute inexcusable.

Au cas d'espèce ce document dans sa version 2012 applicable au litige a fini par être versé aux débats et le fait que la SA [14] ait tardé à le faire ne suffit pas à la suspecter d'avoir confectionné un faux pour les besoins de la cause, dès lors que ce document doit être actualisé chaque année et qu'il n'y avait jusqu'en 2022 aucune obligation réglementaire de forme ou d'archivage des versions des années successives.

Ce document identifie bien les risques psycho-sociaux provenant de problèmes relationnels et/ou conflictuels, de surcharge de travail et défaut d'organisation du travail avec comme actions déjà mises en oeuvre le suivi de formations manager par la ligne hiérarchique (pièce [14] n° 64 - page 6).

À ce titre la SA [14] a justifié avoir eu recours au cabinet [8] qui lui a facturé (cf pièces [14] n°s 51) 11 journées de formation en août 2013 (9 032 euros), 8 journées en septembre 2013 (9 038 euros) et 13 journées en octobre 2013 (11 618 euros) à destination de ses cadres auxquelles M. [A] a participé les 18 et 25 septembre 2013 (pièce [14] n°52).

Les comptes-rendus du comité d'hygiène et de sécurité au travail antérieurs au 8 novembre 2013 (pièces [14] n°s 34-1 à 34-5) attestent par ailleurs d'actions menées au sein de l'entreprise sur les conditions de travail et la prévention des risques professionnels des salariés affectés au secteur ROM (ndr : [Localité 11]-[Localité 10]-[Localité 9]), voisin du secteur du [Localité 7] dont dépendait le centre d'exploitation de [Localité 6], ayant consisté en une expertise confiée à un cabinet extérieur ([12]) ayant porté notamment sur les troubles psycho-sociaux et l'organisation du travail (cf compte rendu CHSCT du 24 janvier 2013 - page 3).

Il ne peut donc être soutenu que la SA [14] n'avait pas conscience de la survenance de risques psycho-sociaux en son sein et n'aurait pris aucune mesure pour les prévenir.

Enfin, l'absence de mesures antérieures prises doit aussi être en relation de causalité avec l'accident pour retenir l'existence d'une faute inexcusable et la multiplication de formations au management ou à la conduite d'entretiens n'est pas de nature à garantir tout risque de survenance d'une altercation ponctuelle, non prévisible sans signes d'alerte antérieurs, entre un responsable hiérarchique et un subordonné.

En conséquence, il n'est pas rapporté la preuve par les éléments versés aux débats que la SA [14] aurait eu conscience d'un risque particulier concernant le site de [Localité 6] et/ou son chef de centre et n'aurait pas pris les mesures nécessaires pour en prévenir ses salariés et Mme [W] en particulier.

Une faute inexcusable de la SA [14] en relation avec l'accident du travail survenu à Mme [W] le 8 novembre 2013 ne peut donc être retenue et le jugement sera par conséquent infirmé et l'intimée déboutée de l'ensemble de ses demandes.

L'arrêt infirmatif emporte de plein droit restitution des sommes versées en vertu du jugement de première instance outre intérêts à compter de sa notification et vaut titre exécutoire.

Succombant Mme [W] supportera les dépens de première instance et d'appel.

Il ne parait cependant pas inéquitable de laisser à l'appelante la charge de ses frais irrépétibles d'instance.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement RG n° 18/00599 rendu le 13 octobre 2022 par le pôle social du tribunal judiciaire de Grenoble en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau,

Déboute Mme [B] [W] de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la SA [14] à l'origine de son accident du travail du 8 novembre 2013 et de ses demandes subséquentes.

Condamne Mme [B] [W] aux dépens de première instance et d'appel.

Déboute la SA [14] de ses demandes y compris par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par M. Jean-Pierre Delavenay, président et par Mme Chrystel Rohrer, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch.secu-fiva-cdas
Numéro d'arrêt : 22/04169
Date de la décision : 13/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-13;22.04169 ?
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