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06/06/2024 | FRANCE | N°22/02275

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section b, 06 juin 2024, 22/02275


C 9



N° RG 22/02275



N° Portalis DBVM-V-B7G-LM56



N° Minute :























































































Copie exécutoire délivrée le :





la SARL ANAÉ AVOCATS



Me Manon ALLOIX

AU NOM DU PEUPLE FRANÇA

IS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 06 JUIN 2024





Appel d'une décision (N° RG 20/00987)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 24 mai 2022

suivant déclaration d'appel du 10 juin 2022





APPELANTE :



Madame [N] [J]

née le 23 Juillet 1974 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Locali...

C 9

N° RG 22/02275

N° Portalis DBVM-V-B7G-LM56

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

la SARL ANAÉ AVOCATS

Me Manon ALLOIX

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 06 JUIN 2024

Appel d'une décision (N° RG 20/00987)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 24 mai 2022

suivant déclaration d'appel du 10 juin 2022

APPELANTE :

Madame [N] [J]

née le 23 Juillet 1974 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Typhaine ROUSSELLET de la SARL ANAÉ AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMEE :

S.N.C. LIDL prise en la personne de ses représentants légaux en exercice, domiciliés es qualité audit siège,

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par Me Manon ALLOIX, avocat postulant au barreau de GRENOBLE

et par Me Cécile FLANDROIS de la SELARL SVMH AVOCATS LYON, avocat plaidant au barreau de LYON,

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président,

M. Jean-Yves POURRET, Conseiller,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,

DÉBATS :

A l'audience publique du 03 avril 2024,

Frédéric BLANC, conseiller faisant fonction de président chargé du rapport et Jean-Yves POURRET, conseiller, ont entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, assistés de Mme Carole COLAS, Greffière, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 06 juin 2024, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L'arrêt a été rendu le 06 juin 2024.

EXPOSE DU LITIGE':

Mme [N] [J] a été embauchée par contrat à durée déterminée par la société en nom collectif Lidl en qualité de caissière employée libre-service le 9 septembre 2013.

Selon avenant du 1er septembre 2014, les parties ont convenu de la poursuite du contrat de travail à durée indéterminée à hauteur de 121,35 heures mensuelles.

Par lettre du 6 octobre 2020, la société Lidl a convoqué Mme [J] à un entretien préalable à un licenciement fixé au 16 octobre.

Par courrier du 02 novembre 2020, la société Lidl a notifié à Mme [J] son licenciement pour faute grave en lui reprochant d'avoir sorti des marchandises du magasin sans les payer, des faits d'insubordination le 30 septembre 2020 en refusant d'effectuer le travail demandé par une supérieure et d'avoir tenu des propos déplacés lors de l'entretien et sur le parking ensuite devant des clients.

Par requête en date du 27 novembre 2020, Mme [J] a saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble pour contester son licenciement ainsi que les circonstances entourant la rupture du contrat de travail et à raison de l'exécution fautive du contrat de travail.

La société Lidl a conclu au débouté des prétentions adverses.

Par jugement en date du 24 mai 2022, le conseil de prud'hommes de Grenoble a':

- constaté que la société Lidl n'a pas manqué à son obligation de loyauté

- dit et jugé que le licenciement pour faute grave de Mme [J] est justifié

- débouté Mme [J] de l'intégralité de ses demandes

- débouté la société Lidl de sa demande reconventionnelle

- condamné Mme [J] aux dépens.

La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées avec accusés de réception signés le 30 mai 2022 par les parties.

Par déclaration en date du 10 juin 2022, Mme [J] a interjeté appel à l'encontre dudit jugement.

Mme [J] s'en est remise à des conclusions transmises le 08 janvier 2024 et demande à la cour d'appel de':

Vu l'article L 1222-1 du code du travail ;

Vu l'article L 1232-1 du code du travail ;

Vu l'article L 1235-3 du code du travail ;

Vu la jurisprudence ;

Vu les pièces ;

INFIRMER le jugement rendu le 24 Mai 2022 par le conseil de prud'hommes de Grenoble ;

Statuant à nouveau :

DIRE que le licenciement pour faute grave notifié le 2 novembre 2020 est dénué de cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNER la société Lidl au paiement des sommes suivantes :

- 3.688,93 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 368,89 euros brut au titre des congés payés afférents ;

- 3.765,78 euros net au titre de l'indemnité légale de licenciement ;

- 14.755,68 euros net à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

A titre subsidiaire :

DIRE que le licenciement n'est pas justifié par une faute grave mais par une cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNER la société Lidl au paiement des sommes suivantes :

- 3.688,93 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 368,89 euros brut au titre des congés payés afférents ;

- 3.765,78 euros net au titre de l'indemnité légale de licenciement ;

En tout état de cause :

DIRE que la société Lidl a manqué à son obligation de loyauté ;

DIRE que les conditions dans lesquelles le licenciement est intervenu sont brutales et vexatoires;

CONDAMNER la société Lidl au paiement des sommes suivantes :

- 5.000,00 euros net à titre de dommages intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail;

- 5.000,00 euros net à titre de dommages intérêts pour préjudice moral lié aux conditions brutales et vexatoires de la rupture ;

- 3.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens;

La société Lidl s'en est rapportée à des conclusions transmises le 17 janvier 2024 et demande à la cour d'appel'de':

Confirmer le Jugement déféré en ce qu'il a :

Constaté que la société Lidl n'a pas manqué à son obligation de loyauté,

Dit et jugé que le licenciement pour faute grave de Mme [J] est justifié,

Débouté Mme [J] de l'intégralité de ses demandes,

Condamné Mme [J] aux dépens,

Le réformer en ce qu'il a débouté la société Lidl de sa demande reconventionnelle et condamner Mme [J] à payer à la société Lidl la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

A défaut, à titre principal,

Juger que le licenciement intervenu pour faute grave est bien fondé,

Débouter en conséquence Mme [J] de toute demande tendant à voir juger que le licenciement intervenu serait sans cause réelle et sérieuse,

La débouter de l'intégralité de ses demandes à ce titre.

Juger que la société Lidl n'a commis aucune exécution déloyale du contrat de travail,

Juger également l'absence de conditions brutale et vexatoire de la rupture du contrat de travail,

Débouter en conséquence Mme [J] de l'intégralité de ses demandes indemnitaires à ce titre,

Débouter Mme [J] de l'intégralité de ses demandes, en ce compris celles formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens,

A défaut, à titre subsidiaire,

Si par impossible la cour venait à considérer que le licenciement intervenu ne reposait pas sur une faute grave ou sur une cause réelle et sérieuse,

Diminuer dans de notables proportions les demandes indemnitaires de Mme [J] et limiter l'indemnité légale à la somme de 3.048,5 euros, d'indemnités de préavis payés à la somme de 3.222,55 euros et les congés payés afférents à 322,5 euros et les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 4.425 euros,

Réduire encore dans de nobles proportions les demandes indemnitaires au titre de conditions vexatoire ou exécution déloyale du contrat, aucune faute de la société Lidl n'étant démontrée et le préjudice n'étant pas justifié,

Débouter Mme [J] de toute demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner Mme [J] à payer à la société Lidl la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article 455 du code de procédure civile de se reporter à leurs écritures sus-visées.

La clôture a été prononcée le 01 février 2024.

EXPOSE DES MOTIFS':

Sur l'exécution déloyale du contrat de travail':

L'article L 1222-1 du code du travail énonce que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.

La bonne foi étant présumée la charge de la preuve de l'exécution déloyale du contrat de travail incombe au salarié.

L'article 1222-4 du code du travail prévoit qu'aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance.

L'article L 2312-38 du code du travail impose que le comité social et économique soit informé et consulté, préalablement à la décision de mise en 'uvre dans l'entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés.

Antéririeurement, l'article L 2323-32 puis l'article L 2323-47 du code du travail prévoyaient la consultation préalable du comité d'entreprise dans les mêmes conditions.

Il n'est exigé l'information préalable du salarié que lors de la mise en oeuvre de dispositifs spécialement affectés au contrôle de l'activité professionnelle des salariés et il n'est pas requis l'information du comité d'entreprise lorsque le système de vidéo-surveillance n'a pas pour objet le contrôle de l'activité des salariés (soc., 19 avril 2005, n°02.42-695, B n 141'; soc., 19 janvier 2010, n°08-45.092 ; soc., 19 mars 2008, n°06-42.284.).

En revanche, dès lors que le système vidéo-surveillance mis en place pour surveiller la clientèle était également utilisé par l'employeur pour contrôler ses salariés sans information et consultation préalables du comité d'entreprise, les enregistrements du salarié constituent un moyen de preuve illicite. (soc., 7 juin 2006, n°04-43.866, B n°206. Soc., 10 novembre 2021, pourvoi n° 20-12.263'; soc., 6 décembre 2023, pourvoi n° 22-16.455 ).

Au cas d'espèce, il ressort de la consultation du comité social et économique du 29 janvier 2021 relative au projet de mise à jour de la vidéo-surveillance que les finalités déclarées par l'employeur du système de vidéosurveillance sont':

«'-assurer la sécurité des personnes et des biens

- contrôler l'activité des salariés en cas de signalement d'activités suspectes ou anormales (vol, braquage, agressions')'».

Cette consultation est postérieure à la fin du contrat de travail de Mme [J]. Toutefois, il ne s'agit pas de finalités nouvellement définies par l'employeur mais d'un rappel de celles-ci dans le cadre du nouveau règlement intérieur applicable à compter du 1er novembre 2020 ainsi que cela ressort des termes du procès-verbal.

Il s'en déduit que cette double finalité du système de vidéo-protection était préexistante à la foi à la modification du règlement intérieur et à l'information-consultation du comité social et économique.

Or, l'employeur ne justifie pas d'une information-consultation précédente du comité social et économique ou antérieurement du comité d'entreprise, préalable à la mise en oeuvre du système de vidéo-surveillance à l'égard de Mme [J].

Au demeurant, l'information personnelle de la salariée résulte certes du contrat de travail mais s'avère incomplète, ambigüe puisque l'utilisation de la vidéo-surveillance est présentée comme une possibilité future et non actuelle «'(') pourra recourir à l'installation (')'» et que la finalité annoncée est uniquement la lutte contre «'le fléau que représente la démarque inconnue et notamment le vol pour la pérennité de la Société, (')'». Il ne peut être déduit de manière évidente et certaine de la dernière phrase «'Il vous est en conséquence demandé de vous soumettre de bonne grâce aux éventuels contrôles

ou vérifications mis en 'uvre'» que la salariée est expressément informée que le système de vidéo-surveillance a aussi pour objet de contrôler son activité.

D'ailleurs, la note interne, non datée, relative à la mise en place d'un système de vidéo-surveillance fait référence à deux objectifs étrangers à toute surveillance des salariés à travers ce dispositif alors que tel était le cas': «'Votre sécurisation ainsi que celle de nos clients, qui constitue la motivation principale de la mise en 'uvre de moyens de sécurisation (risque humain)'; la sécurisation des biens sans pour autant se substituer au gardiennage (risque matériel).'».

Il s'ensuit que Mme [J] démontre que l'employeur a mis en 'uvre un dispositif de vidéo-surveillance à son égard dont l'une des finalités était de contrôler son activité sans pour autant avoir satisfait à ses obligations légales d'information de la salariée sur le double objectif de ce système et d'information-consultation au préalable du comité d'entreprise/comité social et économique.

Sans qu'il soit nécessaire d'analyser le respect des autres conditions légales et réglementaires qui sont cumulatives, ledit dispositif est en conséquence jugé illicite et participe d'une exécution déloyale du contrat de travail.

S'il ne saurait être retenu la preuve d'une quelconque atteinte à la santé de la salariée à raison d'un burn-out professionnel en octobre/novembre 2020 dès lors que les arrêts de travail font manifestement suite à l'engagement de la procédure de licenciement pour faute grave dont il est par ailleurs jugé qu'elle est établie, l'employeur a en revanche porté une atteinte non justifiée à la vie personnelle de la salariée en mettant en 'uvre un système de surveillance de son activité professionnelle illicite qui est indemnisée à hauteur de 1000 euros net.

Il convient en conséquence par infirmation du jugement entrepris de condamner la société Lidl à payer à Mme [J] la somme de 1000 euros net pour exécution déloyale du contrat de travail et de débouter cette dernière du surplus de sa demande à ce titre.

Sur le licenciement':

D'une première part, l'article L 1232-1 du code du travail dispose que tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

La faute grave est définie comme celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis.

La charge de la preuve de la faute grave incombe à l'employeur, qui doit prouver à la fois la faute et l'imputabilité au salarié concerné.

La procédure pour licenciement pour faute grave doit être engagée dans un délai restreint après la découverte des faits.

En vertu de l'article L 1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement fixe les termes du litige.

D'une seconde part, vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 9 du code de procédure civile :

5. Suivant les principes dégagés par la Cour européenne des droits de l'homme (v. notamment CEDH, arrêt du 10 octobre 2006, L.L. c. France, n° 7508/02), la Cour de cassation a consacré, en matière civile, un droit à la preuve qui permet de déclarer recevable une preuve illicite lorsque cette preuve est indispensable au succès de la prétention de celui qui s'en prévaut et que l'atteinte portée aux droits antinomiques en présence est strictement proportionnée au but poursuivi (Com., 15 mai 2007, pourvoi n° 06-10.606, Bull. IV 2007, n° 130 ; 1re Civ., 5 avril 2012, pourvoi n° 11-14.177, Bull. I 2012, n° 85 ; Soc., 9 novembre 2016, pourvoi n° 15-10.203, Bull. V 2016, n° 209 ; Soc., 30 septembre 2020, n° 19-12.058, publié ; Soc., 25 novembre 2020, n° 17-19.523, publié ; Soc. 8 mars 2023, n° 21-17.802, 21-20.798 et 20-21.848, publiés).

6. Sur le fondement des textes susvisés et du principe de loyauté dans l'administration de la preuve, la Cour de cassation juge néanmoins qu'est irrecevable la production d'une preuve recueillie à l'insu de la personne ou obtenue par une manoeuvre ou un stratagème (Ass. plén. 7 janvier 2011, n°s 09-14.316 et 09-14.667, Bull. 2011, Ass. plén. n° 1 ; 2e Civ., 9 janvier 2014, n°s 12-23.387 et 12-17.875, Com. 10 novembre 2021, n°s 20-14.669 et 20-14.670, Soc., 18 mars 2008, n° 06-40.852, Bull. 2008, V, n° 65 ; Soc., 4 juillet 2012, n° 11-30.266, Bull. 2012, V, n° 208).

7. Cette solution est fondée sur la considération que la justice doit être rendue loyalement au vu de preuves recueillies et produites d'une manière qui ne porte pas atteinte à sa dignité et à sa crédibilité.

8. L'application de cette jurisprudence peut cependant conduire à priver une partie de tout moyen de faire la preuve de ses droits.

9. La Cour européenne des droits de l'homme ne retient pas par principe l'irrecevabilité des preuves considérées comme déloyales. Elle estime que, lorsque le droit à la preuve tel que garanti par l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales entre en conflit avec d'autres droits et libertés, notamment le droit au respect de la vie privée, il appartient au juge de mettre en balance les différents droits et intérêts en présence. Elle ajoute que « l'égalité des armes implique l'obligation d'offrir, dans les différends opposant des intérêts à caractère privé, à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire ». Elle souligne que ce texte implique notamment à la charge du juge l'obligation de se livrer à un examen effectif des moyens, arguments et offres de preuve des parties, sauf à en apprécier la pertinence pour la décision à rendre (CEDH, arrêt du 13 mai 2008, N.N. et T.A. c. Belgique, req. n° 65087/01).

10. En matière pénale, la Cour de cassation considère qu'aucune disposition légale ne permet au juge répressif d'écarter les moyens de preuve produits par des particuliers au seul motif qu'ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale (v. notamment, Crim. 11 juin 2002, n° 01-85.559, Bull. crim. 2002, n° 131), le principe de loyauté de la preuve s'imposant, en revanche, aux agents de l'autorité publique (Ass. plén., 10 novembre 2017, n° 17-82.028, Bull. Ass. plén. 2017, n° 2).

11. Enfin, soulignant la difficulté de tracer une frontière claire entre les preuves déloyales et les preuves illicites, et relevant le risque que la voie pénale permette de contourner le régime plus restrictif des preuves en matière civile, une partie de la doctrine suggère un abandon du principe de l'irrecevabilité des preuves considérées comme déloyales.

12. Aussi, il y a lieu de considérer désormais que, dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. (Ass. plén., 22 décembre 2023, pourvoi n° 20-20.648).

En l'espèce, d'une première part, si Mme [J] développe, dans ses conclusions, des moyens tendant à voir déclarer irrecevable l'utilisation des images de vidéo-surveillance dont il est jugé qu'elles ont été obtenues de manière illicite et que la société Lidl demande, dans cette hypothèse, à la cour d'appel d'effectuer un contrôle de proportionnalité afin que cette preuve soit admise aux débats, force est de constater, au visa de l'article 954 du code de procédure civile, que Mme [J] ne présente dans le dispositif de ses conclusions, qui seul lie la cour d'appel, aucune demande tendant à voir déclarer irrecevables une ou plusieurs pièces produites par la partie adverse dont elle considérerait la production contraire à l'article 9 du code de procédure civile.

La cour d'appel ne peut statuer sur ce qui ne lui est pas demandé et ne saurait modifier l'objet du litige en application de l'article 4 du code de procédure civile en déterminant la ou les pièces produites par la société Lidl qui devraient être écartées des débats.

Il s'ensuit que nonobstant le caractère illicite de la vidéo-surveillance mise en place par l'employeur constitutif d'une exécution déloyale du contrat de travail, il n'en demeure pas moins que l'ensemble des pièces figurant au bordereau de la société Lidl annexé à ses conclusions d'appel sont acquises aux débats et que cette partie est fondée à s'en prévaloir à l'appui des griefs figurant dans la lettre de licenciement pour faute grave.

Deuxièmement, il est reproché à la salariée trois séries de griefs':

- d'avoir le 29 septembre 2020 préparé un sac rempli de produits présents dans le supermarché et de l'avoir ensuite déposé à l'abri des regards sous sa caisse afin de permettre à ses collègues de le dérober pour le lui remettre plus tard

- d'avoir fait preuve d'insubordination le 30 septembre 2020 à l'égard de sa supérieure hiérarchique, Mme [B], adjointe manager du supermarché

- d'avoir eu des propos déplacés et un comportement agressif lors de l'entretien préalable au licenciement ainsi que sur le parking du supermarché ensuite, devant des clients

Concernant les premiers faits, la salariée admet à tout le moins dans ses écritures avoir déposé un sac contenant de la marchandise du magasin sur le tapis de la caisse tenue par Mme [F] lorsque Mme [D], une autre employée du magasin, passait à celle-ci pour effectuer des achats.

Il résulte également de sa pièce n°7 qu'elle admet avoir remis à sa collègue un sac qui se trouvait à sa caisse.

Dans sa pièce n°8, Mme [J] est encore plus précise puisqu'elle indique': «'je n'ai participé à aucunes opérations frauduleuses, le 29 septembre j'ai préparé un sac contenant un pot de nutella 2 biscuits forme voiture 2 paquets de chocolat morceaux, déposé à ma caisse, puis remit à ma collègue. Cette dernière devait me le remettre après avoir réglés les articles en même temps que les siens car je finissais à 20 h, c'est un service qu'elle m'a rendu sans aucune arrière pensée de ma part.'».

Or, indépendamment même du fait contesté par Mme [J] qui soutient qu'elle n'entendait pas subtiliser ces marchandises tel que reproché par l'employeur, les faits admis par la salariée ayant consisté à stocker de la marchandise pour son compte pendant ses heures de travail constituent la violation de plusieurs obligations contractuelles et figurant dans le règlement intérieur.

Ainsi, le contrat de travail prévoit à l'article 8 que «'les achats personnels ne sont pas autorisés pendant les heures de travail. Ils sont autorisés avant la prise de poste ou après la fin de poste ou pendant la coupure, et ce pendant les heures d'ouverture du magasin'; le ticket correspondant à l'achat doit être signé par le CM ou son remplaçant en cas d'absence du CM. Les achats personnels doivent être payés immédiatement. Il est interdit de stocker de la marchandise pour soi dans l'enceinte du magasin sans les avoir préalablement payées.'».

Quoique les attestations de Mmes [M] et [O], qui ont mené l'entretien préalable de Mmes [F] et [D] pour la première et de Mme [F] pour la seconde, soient dépourvues de toute valeur probante eu égard au fait qu'il s'agit de représentants de l'employeur dans le cadre de la procédure disciplinaire, que l'attestation de Mme [Y], qui a assisté Mme [D], lors de son entretien préalable n'est pas davantage jugée probante dès lors que le témoin a assisté une autre salariée licenciée pour avoir participé aux faits reprochés à l'appelante et que les intérêts de Mmes [D] et [J] ne sont pas concordants voire antagonistes et qu'il ne peut être tiré aucune conséquence particulière de l'absence de contestation alléguée par Mmes [F] et [D] des faits à défaut d'éléments positifs de reconnaissance émanant directement de ces deux salariées présentées comme complices par l'employeur, il n'en demeure pas moins, sans inverser la charge de la preuve, que la version de Mme [J] selon laquelle elle n'avait aucunement l'intention de voler la marchandise, qu'elle ignorait que Mme [F] en caisse n'allait pas scanner les articles et Mme [D] les régler et qu'elle allait rembourser ensuite sa collègue, est totalement fantaisiste au regard des actes préparatoires multiples qu'elle a admis ayant consisté à préparer un sac de marchandises pour ensuite le stocker au niveau de sa caisse avant de le déposer pendant ses horaires de travail sur un tapis de caisse précisément et opportunément lors du passage d'une autre collègue à cette même caisse.

D'ailleurs, en procédant ainsi, cela revient indirectement mais nécessairement à méconnaitre la procédure rappelée à son contrat de travail imposant qu'un supérieur hiérarchique vise le ticket d'achat puisque Mme [J] admet, à tout le moins, qu'elle a fait passer par une collègue de travail des articles du magasin qui lui étaient en réalité destinés.

Ce grief est en conséquence retenu.

Concernant les fais d'insubordination du 30 septembre 2020, Mme [J] a admis s'être emportée auprès de sa supérieure hiérarchique.

Quoique Mme [B], la supérieure hiérarchique de Mme [J], ait effectivement indiqué dans son attestation que l'incident est survenu à propos du visionnage par la première de la vidéo-surveillance dont il est par ailleurs considéré qu'elle a été mise en 'uvre dans des conditions illicites et préjudiciables à la salariée, cette circonstance ne saurait faire perdre aux faits leur caractère fautif puisque la salariée a refusé d'exécuter des missions confiées et ce, en faisant preuve d'une particulière virulence d'après Mme [P], une autre salariée témoin, qui a déclaré qu'alors qu'elle était en caisse, elle avait vu Mme [B] se diriger vers le bureau, suivie de Mme [J] qui lui avait déclaré en passant à côté d'elle «'viens avec moi où je vais la défoncer'».

Ce grief est retenu.

S'agissant des faits reprochés le jour de l'entretien préalable, le fait allégué pour la salariée d'avoir déclaré lors de l'entretien «'vous avez qu'à me virer, je m'en fous'» ne saurait être qualifié de fautif comme caractérisant un abus, par la salariée, de sa liberté d'expression dans la mesure où il doit être laissé une latitude significative à la salariée dans le cadre de son droit de se défendre à l'égard d'accusations portées à son encontre.

Ce fait n'est dès lors pas retenu, étant observé que Mme [J] n'en tire aucune conséquence particulière quant au bien-fondé de la rupture au regard de l'absence d'abus par elle de sa liberté d'expression.

L'employeur n'établit pas davantage la preuve suffisante que Mme [J] aurait déclaré sur le parking du magasin et devant des clients': «'allez tous vous faire enculés'».

Mme [Y] atteste tout au plus que Mme [J] était en colère lorsqu'elle l'a rejointe sur le parking après l'entretien préalable mais ne rapporte aucun propos de sa part.

L'attestation de Mme [O], qui a assisté l'employeur lors de l'entretien préalable, est jugée dépourvue de toute valeur probante dès lors que cette salariée est partie prenante à la procédure de licenciement disciplinaire pour le compte de l'employeur.

L'attestation de M. [C], directeur du magasin, n'est pas davantage probante dès lors qu'il représente l'employeur et ce d'autant plus qu'il ne témoigne pas précisément avoir entendu les propos visés dans la lettre de licenciement.

Il s'ensuit que le troisième grief n'est pas retenu.

Nonobstant l'absence de passé disciplinaire de la salariée, les deux griefs établis présentaient incontestablement une gravité ayant empêché la poursuite du contrat de travail eu égard au stratagème mis en place par la salariée au détriment de l'employeur et à la circonstance qu'elle a commis d'autres faits d'insubordination dès le lendemain, de sorte que Mme [J] invoque de manière inopérante une sanction disciplinaire qu'elle estime disproportionnée résultant du fait que les lettres de Mmes [F] et [D] visent les concernant une réitération des faits au titre du non-respect des règles relatives aux achats des salariés dans le magasin dans la mesure où de son côté, Mme [J] a multiplié les fautes en quelques jours.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que le licenciement pour faute grave est justifié et a débouté Mme [J] de ses prétentions afférentes.

Sur les demandes accessoires':

L'équité commande de rejeter les prétentions des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Au visa de l'article 696 du code de procédure civile, infirmant le jugement entrepris, dès lors que chacune des parties succombe pour partie en ses prétentions, il y a lieu de laisser à chacune d'elles la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS';

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi';

CONFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu'il a constaté que la société Lidl n'a pas manqué à son obligation de loyauté et a débouté Mme [J] de sa demande à ce titre et en ce qu'il a condamné cette dernière aux dépens

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE la société Lidl à payer à Mme [J] la somme de mille euros (1000 euros) net à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail

DÉBOUTE Mme [J] du surplus de sa demande indemnitaire au titre de l'exécution fautive du contrat de travail

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile

LAISSE à chacune des parties la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch. sociale -section b
Numéro d'arrêt : 22/02275
Date de la décision : 06/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-06;22.02275 ?
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