N° RG 22/04059 - N° Portalis DBVM-V-B7G-LSR6
C6
N° Minute :
copie certifiée conforme délivrée
aux avocats le :
Copie Exécutoire délivrée
le :
aux parties (notifiée par LRAR)
aux avocats
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE DES AFFAIRES FAMILIALES
ARRET DU MERCREDI 05 JUIN 2024
APPEL
Jugement au fond, origine tribunal judiciaire de Grenoble, décision attaquée en date du 26 septembre 2022, enregistrée sous le n° 20/05396 suivant déclaration d'appel du 15 novembre 2022
APPELANTS :
M. [O] [K]
né le [Date naissance 4] 1983 à [Localité 10]
de nationalité Française
[Adresse 9]
[Localité 7]
représenté par Me Laetitia PIGNIER de la SELARL SELARL ARBOR TOURNOUD & ASSOCIES, avocat au barreau de GRENOBLE substituée par Me Geoffroy WOLF, avocat au barreau de GRENOBLE
Mme [F] [K]
née le [Date naissance 1] 1982 à [Localité 10]
de nationalité Française
[Adresse 8]
[Localité 5]
représentée par Me Laetitia PIGNIER de la SELARL ARBOR TOURNOUD & ASSOCIES, avocat au barreau de GRENOBLE substituée et plaidant par Me Geoffroy WOLF, avocat de la SELARL ARBOR
INTIME :
M. [L] [K]
né le [Date naissance 2] 1955 à [Localité 16]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 6]
représenté par Me Simon BERGERAS de la SELARL AABM, avocat au barreau de GRENOBLE substituée par Me Lucie THOMAS, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DELIBERE :
Mme Anne BARRUOL, Présidente,
Mme Martine RIVIERE, Conseillère,
M. Philippe GREINER, Conseiller honoraire,
DEBATS :
A l'audience publique du 10 avril 2024,M. Philippe Greiner, conseiller, chargé du rapport, assisté de MC Ollierou, greffière a entendu les avocats en leurs conclusions et Me Wolf en sa plaidoirie, les parties ne s'y étant pas opposées, conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile. Il en a été rendu compte à la cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu à l'audience de ce jour.
Le 20/01/2004, la société civile immobilière [13] a été constituée par M. [L] [K], titulaire de 624 parts et la société [12], détenant une part, avec pour objet la construction d'un supermarché à [Localité 14] sous l'enseigne Intermarché.
Le 16/03/2004, M. [E] [K] a vendu à chacun de ses deux enfants, [O] et [F] [K], 124 parts en nue-propriété, au prix de un euro.
Le 24/11/2009, il a vendu à la société [15], exploitante du supermarché, 63 parts en pleine propriété.
Le 08/03/2012, par acte de donation-partage, il a donné à ses deux enfants :
- la pleine propriété de 1340 actions de la société [15], pour une valeur de 831.952 euros ;
- la nue-propriété de 248 parts (124 parts chacun) de la société civile immobilière [13], pour un montant total de 1.216.316 euros. A cette occasion, les enfants se sont acquittés de droits d'enregistrement d'un montant de 215.920 euros.
Le 02/05/2012, ces 248 parts ont été cédées à la société [11] pour un prix total de 2.516.003,32 euros, M. [E] [K] cédant son usufruit et ses enfants la nue-propriété des parts. A cette occasion, les cédants ont déclaré une plus-value imposable de 522.646 euros, soumise à impôt sur le revenu au taux de 24% et aux prélèvements sociaux de 15,5%.
L'administration fiscale a contesté ce calcul au motif que la donation partage était fictive et avait pour seul but d'éluder le paiement de l'impôt et a considéré que la plus-value taxable était de 1.256.017 euros. Après transaction, M. [O] [K] a acquitté des droits de 456.932 euros et sa soeur, 438.876 euros.
Les consorts [K] ont alors demandé à l'administration fiscale le remboursement des droits d'enregistrement versés lors de la donation-partage, au motif que l'opération de cession des titres donnait lieu à double imposition.
Ils se sont heurté à son refus, au motif que l'article 1961 du code général des impôts disposait que 'les droits d'enregistrement ou la taxe de publicité foncière lorsqu'elle tient lieu de ces droits et la contribution prévue à l'article 879, ne sont pas sujets à restitution dès l'instant qu'ils ont été régulièrement perçus sur les actes ou contrats ultérieurement révoqués ou résolus par application des articles 954 à 958, 1224 à 1230, 1304 et 1304-7, 1654 et 1659 du code civil.
En cas de rescision d'un contrat pour cause de lésion, ou d'annulation d'une vente pour cause de vices cachés et, au surplus, dans tous les cas où il y a lieu à annulation, les impositions visées au premier alinéa perçues sur l'acte annulé, résolu ou rescindé ne sont restituables que si l'annulation, la résolution ou la rescision a été prononcée par un jugement ou un arrêt passé en force de chose jugée (..)'.
Saisi par [O] et [F] [K] d'une demande d'annulation de la donation-partage, le tribunal judiciaire de Grenoble les a, par jugement du 26/09/2022, déboutés de cette demande et les a condamnés à payer la somme de 1.000 euros à leur père, ainsi qu'aux dépens.
Par déclaration du 15/11/2022, ils ont interjeté appel de cette décision.
Dans leurs conclusions récapitulatives d'appelant n° 2, pour conclure à la réformation du jugement, à l'annulation de l'acte de donation-partage du 08/03/2012 et au rejet de la demande de l'intimé concernant les frais irrépétibles, ils font valoir en substance que :
- le premier juge a procédé à une requalification de l'acte litigieux, sans demande d'une des parties, contrevenant ainsi à l'article 12 du code de procédure civile ;
- la vente du 16/03/2004 était parfaite, n'était pas une donation indirete, et a opéré un transfert de propriété des parts ;
- dès lors, celles-ci ne pouvaient plus faire l'objet d'une donation-partage, le donateur ayant en outre perdu la capacité de céder à nouveau ce dont il n'était plus propriétaire.
Dans ses conclusions d'intimé, M. [L] [K] sollicite la confirmation du jugement déféré et réclame reconventionnellement 1.500 euros au titre des frais visés à l'article 700 du code de procédure civile, aux motifs que :
- l'acte du 20/01/2004 a été improprement qualifié de cession, alors qu'il s'agissait d'une donation ;
- les parties ont pu le requalifier ultérieurement, dans l'acte du 08/03/2012 ;
- lui-même avait pleine capacité pour contracter ;
- le fait que l'administration fiscale ait pu estimer que l'intention libérale dans la convention de 2004 ne soit pas démontrée est inopérant pour démontrer l'existence d'une erreur ou d'un défaut de consentement ;
- il en va de même pour une prétendue cause illicite ;
- enfin, il ne saurait être déclaré responsable des conséquences fiscales de la donation partage dans la mesure où il n'avait aucune raison de remettre en cause les conseils de son notaire.
MOTIFS DE LA DECISION
Aux termes de l'article 893 du code civil, 'la libéralité est l'acte par lequel une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens ou de ses droits au profit d'une autre personne. Il ne peut être fait de libéralité que par donation entre vifs ou par testament'.
Toutefois, une donation peut être déguisée, lorsque le disposant a entendu dissimuler derrière un contrat à titre onéreux une intention libérale de se dépouiller d'un actif au profit de ses cocontractants, notamment lorsque le prix stipulé est manifestement trop bas ou lorsqu'il ne fait pas l'objet d'un paiement effectif.
En l'espèce, la vente de la nue-propriété des parts sociales de la société civile immobilière [13] a été effectuée au prix de un euro, alors que la valeur de la totalité des parts a atteint huit années plus tard 1.216.316 euros.
Pour autant, le prix de un euro ne peut être qualifié de dérisoire. En effet :
- la société civile immobilière avait été constituée le 20/01/2004 avec un capital social de 10.000 euros, sans aucun autre actif que ces apports en numéraire ;
- son bilan clos au 31/12/2004 montre que l'actif net était devenu négatif, à hauteur de 97.297 euros ;
- si des immeubles ont été acquis, c'est après la cession de parts, le 26/07/2004, et au moyen d'un emprunt, pour un montant de 2.004.356 euros.
Il en résulte qu'au jour de l'acte, la société n'avait pas de valeur, comme l'a du reste relevé tant l'administration fiscale dans sa proposition de redressement du 13/04/2015 que le comité de l'abus de droit fiscal dans sa séance du 28/09/2018.
Parce que l'acte de cession de la nue-propriété de 124 parts fait mention de la chose transmise et que le prix correspond à la valeur des parts au jour de l'acte, la vente litigieuse est ainsi parfaite, le vendeur s'étant dessaisi irrévocablement de la nue-propriété de ces parts au profit de ses enfants.
La donation indirecte n'est ainsi pas établie et l'acte de cession ne peut être entaché de simulation.
En conséquence, la donation-partage n'avait pas d'objet, comme portant sur des parts déjà cédées. L'article 1163 du code civil disposant que ' l'obligation a pour objet une prestation présente ou future. Celle-ci doit être possible et déterminée ou déterminable (..)', en l'absence d'objet certain, la donation-partage doit être annulée, le jugement déféré étant réformé de ce chef.
Enfin, comme sollicité par les appelants, chacune des parties supportera la moitié des dépens.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Réforme le jugement déféré ;
Statuant à nouveau,
Déclare régulier l'acte de vente de la nue-propriété de 124 parts sociales de la société civile immobilière [13] en date du 16/03/2004 ;
Prononce l'annulation de l'acte de donation-partage du 08/03/2012 aux termes duquel M. [L] [K] a donné à [O] [K] la nue-propriété des parts sociales de la société civile immobilière [13] n° 1 à 124 et à [F] [K] les parts n° 125 à 248, pour une valeur totale de 1.216.316 euros ;
Fait masse des dépens et dit que chacune des parties en supportera la moitié ;
PRONONÇÉ par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
SIGNÉ par la présidente Anne Barruol et par M.C. Ollierou, greffière présente lors de la mise à disposition à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
La greffière La Présidente
M.C. OLLIEROU, A. BARRUOL