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05/06/2024 | FRANCE | N°22/03009

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Chbre des aff. familiales, 05 juin 2024, 22/03009


N° RG 22/03009 - N° Portalis DBVM-V-B7G-LPMZ



C6



N° Minute :



















































copie certifiée conforme délivrée

aux avocats le :









Copie Exécutoire délivrée

le :










aux parties (notifiée par LRAR)





aux avocats
















AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



CHAMBRE DES AFFAIRES FAMILIALES



ARRET DU MERCREDI 05 JUIN 2024







APPEL

Jugement au fond, origine juge aux affaires familiales de Bourgoin-Jallieu, décision attaquée en date du 01 juillet 2022, enregistrée sous le n° 16/01038 suivant déclaration d'appel du 02 août 2022



APPELANT :

M. [T] [N]...

N° RG 22/03009 - N° Portalis DBVM-V-B7G-LPMZ

C6

N° Minute :

copie certifiée conforme délivrée

aux avocats le :

Copie Exécutoire délivrée

le :

aux parties (notifiée par LRAR)

aux avocats

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE DES AFFAIRES FAMILIALES

ARRET DU MERCREDI 05 JUIN 2024

APPEL

Jugement au fond, origine juge aux affaires familiales de Bourgoin-Jallieu, décision attaquée en date du 01 juillet 2022, enregistrée sous le n° 16/01038 suivant déclaration d'appel du 02 août 2022

APPELANT :

M. [T] [N]

né le [Date naissance 4] 1955 à [Localité 6] (POLOGNE)

de nationalité Polonaise

[Adresse 2]

[Localité 11]

représenté par Me Denis BUFFAROT de la SCP BGA BUFFAROT GAILLARD AVOCATS, avocat au barreau de BOURGOIN-JALLIEU

INTIMEE :

Mme [M] [K]

née le [Date naissance 1] 1958 à [Localité 10] (POLOGNE)

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 5]

représentée par Me Cécile SCHAPIRA, avocat au barreau de BOURGOIN-JALLIEU

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DELIBERE :

Mme Anne BARRUOL, Présidente,

Mme Martine RIVIERE, Conseillère,

M. Philippe GREINER, Conseiller honoraire,

DEBATS :

A l'audience publique du 14 février 2024,M. Philippe Greiner, conseiller, chargé du rapport, assisté de MC Ollierou, greffière a entendu les avocats en leurs conclusions, les parties ne s'y étant pas opposées, conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile. Il en a été rendu compte à la cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu à l'audience de ce jour, après prorogation du délibéré.

Mme [K] et M. [N] se sont mariés en France le 28/11/1992 et ont eu deux enfants, aujourd'hui majeurs.

Par jugement du 16/12/2014, le tribunal régional de Bielsko-Biala (Pologne) a prononcé leur divorce, et condamné M. [N] à verser à Mme [K] une pension mensuelle de 500 euros.

Par jugement du 22/11/2018, le tribunal de grande instance de Bourgoin-Jallieu a invité les parties à conclure sur la loi applicable au litige, et ordonné une expertise pour estimer la valeur des biens immobiliers du couple.

Dans son rapport du 29/06/2020, l'expert a abouti aux valeurs suivantes :

- maison d'habitation avec terrain de 1.452 m² sise à [Localité 11]: 240.000 euros

- bâtiment d'activité avec terrain sis à [Localité 11] :164.000 euros

- terrain agricole de 3.875 m² : 1.550 euros

- maison d'habitation avec terrain de 1.149 m² sise à [Localité 12] :143.000 euros.

Le 30/07/2021, la maison d'habitation de [Localité 11] ainsi que la parcelle agricole ont été vendues au prix de 242.000 euros et par acte du 13/12/2021, la somme de 100.000 euros a été versée à Mme [K] et M. [N] chacun, l'atelier étant attribué préférentiellement à ce dernier.

Le 07/10/2021, la maison de [Localité 12] a été vendue au prix de 143.000 euros.

Par jugement du 01/07/2022, le tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu a :

- retenu la compétence de la juridiction française pour statuer sur la liquidation du régime matrimonial ;

- dit que la loi française est applicable ;

- fixé la date des effets du divorce entre les époux au 29/11/2014 ;

- ordonné le partage judiciaire des intérêts patrimoniaux des ex-époux et désigné pour y procéder Me [U], notaire à [Localité 7] ;

- débouté M. [N] de ses demandes relatives au recel de communauté et de contribution aux charges du mariage ;

- dit que M. [N] est créancier de l'indivision post-communautaire de la somme de 8.157 euros (taxes foncières 2015-2021) et des frais de géomètre-expert, compteur et diagnostics exposés à l'occasion de la vente de la maison, à charge pour le notaire de vérifier si ces frais ne lui ont pas déjà été remboursés ;

- dit que M. [N] doit à l'indivision une indemnité d'occupation du 29/11/2014 au 31/07/2021, liquidée sur la base de 880 euros par mois à la somme de 70.400 euros ;

- fixé la valeur de partage du bien de [Localité 12] à 143.000 euros et celle du terrain agricole à 1.550 euros ;

- dit que M. [N] doit à Mme [K] la somme de 37.500 euros au titre de l'arriéré de prestation compensatoire arrêté au mois de mars 2021, avec capitalisation de la rente à compter du jugement ;

- condamné en conséquence M. [N] au paiement de 86.826 euros au titre de la rente capitalisée ;

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit que les dépens seront tirés en frais privilégiés de partage.

Par déclaration du 02/08/2022, M. [N] a interjeté appel partiel de cette décision.

Dans ses conclusions d'appelant n° 2 en réponse à l'appel incident formé par l'intimée, il demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré les juridictions françaises compétentes et la loi française applicable à la liquidation du régime matrimonial ;

- faire application de la loi polonaise concernant son obligation alimentaire ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a été débouté de sa demande au titre du recel communautaire et qu'il a été condamné au paiement d'une rente capitalisée de 86.826 euros ;

- condamner Mme [K] à réintégrer dans l'actif communautaire 102.806 euros qui lui seront attribués dans le partage et subsidiairement, la condamner au paiement de cette somme au titre de la contribution aux charges du mariage ;

- déclarer irrecevable et en tout état de cause non fondée la demande de Mme [K] au titre de la capitalisation de la pension alimentaire ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [K] de sa demande d'indemnité d'occupation à la charge de M. [N] au titre de l'atelier de [Localité 11] et de la maison de [Localité 12] et débouter Mme [K] de ses demandes à ce titre ;

- à titre susidiaire, débouter Mme [K] de ses demandes pour la période antérieure au 01/01/2015, date à partir de laquelle le divorce a pris effet ;

- condamner Mme [K] au paiement de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il expose en substance que :

- les époux avaient lors de leur mariage tous deux la nationalité polonaise et ont choisi de divorcer en Pologne avec application de la loi polonaise, qui doit ainsi régir l'obligation alimentaire ;

- c'est lui qui a, au moyen de son activité d'entreprise de bâtiment, réglé la totalité des crédits immobiliers afférents à l'acquisition de l'atelier ;

- c'est aussi lui qui a construit avec son fils la maison d'habitation de [Localité 11] ;

- il a en outre remboursé seul un crédit de 33.000 euros pour ce faire ;

- il a payé seul la maison de [Localité 12] et c'est encore lui, avec son fils issu d'une autre union, qu'il l'a réhabilitée ;

- il justifie ainsi d'une surcontribution aux charges du mariage ;

- les salaires de Mme [K] ont été versés sur un compte personnel et ont été soustraits à la communauté ;

- le jugement de divorce n'a pas fait l'objet d'exequatur en France ;

- la loi polonaise ne prévoit pas la possibilité de capitalisation d'une rente ;

- la pension alimentaire fixée par le jugement n'est pas une prestation compensatoire ;

- il est à la retraite depuis 2017 et ses revenus mensuels sont de 650 euros seulement ;

- il n'utilise plus l'atelier depuis la cessation de son activité professionnelle fin 2010 ;

- quant à la maison de [Localité 12], elle est occupée par son fils [W].

Dans ses conclusions d'intimée n° 2, Mme [K] conclut à la confirmation du jugement déféré sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en paiement d'indemnités d'occupation.

Elle demande à la cour de :

- fixer l'indemnité d'occupation mensuelle à la somme de 840 euros pour l'atelier et à 596 euros pour la maison de [Localité 12] ;

- dire que M. [N] est redevable à compter du 01/07/2011 d'une indemnité de 105.000 euros pour l'atelier et de 73.308 euros pour la maison de [Localité 12].

Elle fait valoir que :

- la loi française est applicable, car elle est le lieu de résidence du créancier de l'obligation alimentaire ;

- la prestation alimentaire fixée par le juge polonais a pour vocation de compenser les disparités financières causées par le divorce ;

- ses revenus ont servi à régler les dépenses courantes ;

- elle-même n'a pu utiliser l'atelier ni la maison de [Localité 12] ;

- la demande en paiement d'une indemnité d'occupation n'est pas prescrite comme formée par conclusions du 10/01/2017.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la capitalisation de la prestation alimentaire

* la loi applicable

Concernant la liquidation du régime matrimonial, les parties ne contestent ni la compétence des juridictions françaises ni l'application de la loi française.

Pour ce qui est du litige relatif à la capitalisation de la pension alimentaire fixée par le tribunal polonais, il doit être examiné au regard du règlement CE n° 4/2009 du 18/12/2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions et la coopération en matière d'obligations alimentaires.

Concernant la loi applicable, le règlement opère un renvoi au protocole de la Haye du 23 novembre 2007 sur la loi applicable aux obligations alimentaires qui pose, aux cotés de règles spéciales, une règle générale qui désigne applicable la loi de l'Etat de la résidence habituelle du créancier.

La juridiction compétente est celle du lieu où le défendeur ou le créancier a sa résidence habituelle, c'est à dire en l'occurrence, la France. En effet, les époux vivent en France depuis plus de 30 ans, y ont leur domicile et leur activité professionnelle, et c'est là qu'ils ont eu et élevé leurs enfants, (Mme [K] a du reste pris la nationalité française), la Pologne ne présentant pas de lien plus étroit.

Concernant la reconnaissance et l'exécution des décisions de justice, ce règlement opère une distinction selon que la décision a été rendue dans un Etat membre lié ou non par le protocole de La Haye du 23 novembre 2007 sur la loi applicable aux obligations alimentaires.

Une décision rendue dans un État membre lié par le protocole de La Haye du 23/11/ 2007 est reconnue et exécutée dans un autre Etat membre sans qu'il ne soit possible de s'opposer à sa reconnaissance et sans qu'une déclaration constatant sa force exécutoire ne soit nécessaire. La procédure d'exequatur est ainsi purement et simplement supprimée.

Tel est bien le cas en l'espèce. C'est donc exactement que le premier juge a appliqué la loi française concernant la capitalisation de la rente fixée par le juge polonais.

* la capitalisation de la rente

Il résulte de la pièce de l'intimée n° 26 que Mme [K] avait dans un premier temps mandaté un huissier de justice en Pologne aux fins d'exécuter le jugement du tribunal de grande instance de Bielsko Biala du 24/10/2014 pour recouvrer la somme de 14.925,80 zlotys, pour finalement abandonner cette procédure au profit d'une action devant les juridictions françaises. Il en résulte que le jugement de divorce est exécutoire à l'encontre de M. [N].

Par ailleurs, selon les pièces produites, le droit polonais prévoit une pension alimentaire de la part de l'autre époux, dès lors que l'époux bénéficiaire n'est pas reconnu seul coupable du divorce et qu'il justifie être dans le besoin, cette obligation expirant 5 ans (sauf prorogation) après le divorce.

Ainsi, la pension litigieuse a un fondement indemnitaire, ce qui la rend assimilable à la prestation compensatoire française.

En conséquence, c'est exactement que le premier juge a fait application de l'article 276-4 du code civil et ordonné la capitalisation des arriérés dus, soit 86.826 euros, le jugement étant confirmé de ce chef. Il sera en outre observé que si M. [N] déclare n'avoir qu'une retraite d'un niveau modeste, il est néanmoins titulaire d'un patrimoine conséquent, puisqu'il a revendu son atelier 310.000 euros le 16/04/2022.

Sur le recel de communauté

Aux termes de l'article 1477 du code civil, 'celui des époux qui aurait détourné ou recelé quelques effets de la communauté est privé de sa portion dans lesdits effets. De même, celui qui aurait dissimulé sciemment l'existence d'une dette commune doit l'assumer définitivement'.

Deux éléments doivent impérativement être réunis pour qu'un recel de communauté soit caractérisé :

- un élément matériel résultant de tout procédé tendant à frustrer un époux de sa part de communauté ;

- un élément moral consistant dans l'intention frauduleuse de porter atteinte à l'égalité du partage, étant relevé en outre que celui qui se prétend victime de recel doit en rapporter la preuve.

En l'espèce, si Mme [K] reconnaît avoir versé ses revenus sur ses comptes personnels ouverts au [9] et à la [8] et non sur le compte commun aux deux époux, ce dont elle avait le droit en tout état de cause, il résulte des relevés de compte que :

- les sommes portées au crédit de ces comptes sont modestes, de l'ordre de 1.100 euros par mois ;

- les soldes des comptes ne varient guère, les revenus de Mme [K] étant dépensés dans le mois ;

- ces règlements ont trait à des dépenses courantes (alimentation, coiffure, frais médicaux et pharmaceutiques, voyages, électricité, eau, téléphone, assurances, etc..).

Il en ressort qu'aucun élément matériel ne demontre l'existence d'un détournement d'un actif de communauté par Mme [K]. Il en va de même concernant une intention frauduleuse, les sommes dépensées par l'intimée ayant trait à des dépenses courantes.

C'est donc exactement que le premier juge a rejeté ce chef de demande.

Sur l'absence de contribution aux charges du mariage

Mme [K] a toujours eu des revenus inférieurs à ceux de son mari, de l'ordre de 600 à 1.200 euros par mois. En outre, c'est elle qui s'est consacrée le plus à l'éducation des enfants du couple, M. [N] ayant la charge de la gestion d'une entreprise.

Comme indiqué ci-avant, les fonds qu'elle a perçus personnellement ont été affectés pour leur majeure partie aux dépenses de la famille.

Là encore, c'est à juste titre que le premier juge a considéré, pour rejeter la demande de M. [N], que Mme [K] avait contribué aux charges du mariage en fonction de ses capacités contributives.

Le jugement déféré sera confirmé sur ce point.

Sur l'indemnité d'occupation de l'atelier de [Localité 11] et de la maison de [Localité 12]

Un indivisaire est redevable d'une indemnité d'occupation lorsqu'il empêche les autres indivisaires de jouir du bien indivis et l'occupe de manière privative.

Comme l'a exactement relevé le premier juge, il n'est pas démontré que M. [N] ait utilisé privativement l'atelier, alors qu'il avait cessé toute activité professionnelle à la fin de l'année 2010, le fait qu'il ait sollicité l'attribution préférentielle de cet immeuble ne suffisant pas à caractériser une occupation exclusive du bien.

Pour ce qui est de la maison de [Localité 12], elle est en réalité occupée par le fils de l'appelant, à titre gratuit, et ce, avec l'accord de l'intimée elle-même, l'occupant s'étant engagé à y effectuer d'importants travaux.

Là encore, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de Mme [K].

Sur les frais irrépétibles

Compte tenu du sort partagé du litige, il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

Enfin, les dépens seront employés en frais privilégiés de partage.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que les dépens de première instance et d'appel seront employés en frais privilégiés de partage ;

PRONONÇÉ par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

SIGNÉ par la présidente Anne Barruol et par M.C. Ollierou, greffière présente lors de la mise à disposition à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.

La greffière La Présidente

M.C. OLLIEROU, A. BARRUOL


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Chbre des aff. familiales
Numéro d'arrêt : 22/03009
Date de la décision : 05/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-05;22.03009 ?
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