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05/06/2024 | FRANCE | N°22/02943

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Chbre des aff. familiales, 05 juin 2024, 22/02943


N° RG 22/02943 - N° Portalis DBVM-V-B7G-LPG5



C6



N° Minute :



















































copie certifiée conforme délivrée

aux avocats le :









Copie Exécutoire délivrée

le :










aux parties (notifiée par LRAR)





aux avocats
















AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



CHAMBRE DES AFFAIRES FAMILIALES



ARRET DU MERCREDI 05 JUIN 2024







APPEL

Jugement au fond, origine tribunal judiciaire de Valence, décision attaquée en date du 23 juin 2022, enregistrée sous le n° 20/01299 suivant déclaration d'appel du 26 juillet 2022



APPELANTE :

Mme [Z] [U]

née le [Date n...

N° RG 22/02943 - N° Portalis DBVM-V-B7G-LPG5

C6

N° Minute :

copie certifiée conforme délivrée

aux avocats le :

Copie Exécutoire délivrée

le :

aux parties (notifiée par LRAR)

aux avocats

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE DES AFFAIRES FAMILIALES

ARRET DU MERCREDI 05 JUIN 2024

APPEL

Jugement au fond, origine tribunal judiciaire de Valence, décision attaquée en date du 23 juin 2022, enregistrée sous le n° 20/01299 suivant déclaration d'appel du 26 juillet 2022

APPELANTE :

Mme [Z] [U]

née le [Date naissance 4] 1984 à [Localité 18]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 9]

représentée par Me Frederic GABET, avocat au barreau de Valence

INTIMES :

M. [A] [U]

né le [Date naissance 6] 1959 à [Localité 18]

de nationalité Française

[Adresse 11]

[Localité 8]

représenté par Me Nelly ABRAHAMIAN, avocat au barreau de Valence

M. [I] [W] [X] [U]

né le [Date naissance 5] 1962 à [Localité 18]

de nationalité Française

[Adresse 17]

[Localité 7]

représenté par Me Gaëlle AUGER, avocat au barreau de Valence

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DELIBERE :

Mme Anne BARRUOL, Présidente,

Mme Martine RIVIERE, Conseillère,

M. Philippe GREINER, Conseiller honoraire,

DEBATS :

A l'audience publique du 14 février 2024,M. Philippe Greiner, conseiller, chargé du rapport, assisté de MC Ollierou, greffière a entendu les avocats en leurs conclusions et plaidoiries, les parties ne s'y étant pas opposées, conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile. Il en a été rendu compte à la cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu à l'audience de ce jour, après prorogation du délibéré.

[J] [U], décédé le [Date décès 1]2014, a laissé pour lui succéder ses trois enfants, [A] et [I] [U] et [Z] [U], née d'un second mariage.

Le 29/01/1988, il a fait donation à son fils [I] d'une parcelle de terrain sise à [Localité 13], échangée le 11/03/1997 avec un autre terrain sis à [Localité 9].

Par testament olographe du 18/01/2006, déposé auprès de Me [S], notaire à [Localité 18], il a légué à sa fille la quotité disponible, indiqué avoir prêté à son fils [A] la somme de 37.400 euros le 17/01/2004, non remboursée à ce jour, et avoir consenti à son fils [I] une donation en avancement d'hoirie en mars 1997.

Le 10/05/2006, [J] [U] a donné par acte notarié à sa fille 57.000 euros, à charge pour la donataire d'employer cette somme à l'achat des lots 47 et 55 du bâtiment A bloc 3 et du lot 208 du groupe 1 de la copropriété Les Cardinaux à [Localité 9], [Adresse 10] et [Adresse 2].

Le 10/07/2012, [J] [U] et son épouse ont donné à leur fille par préciput la nue propriété de deux parcelles à usage agricole.

Le 30/12/2014, Mme [U] a perçu de la société [14], 34.844,86 euros au titre d'un contrat d'assurance vie souscrit par son père.

Saisi par M. [A] [U] le 04/12/2019, le tribunal judiciaire de Valence a principalement, par jugement du 23/06/2022 :

- ordonné le partage de la succession et commis le président de la chambre départementale des notaires de la Drôme avec faculté de délégation, à l'exception de Me [G] et désigné un magistrat aux fins de surveiller les opérations de partage ;

- déclaré recevable comme non prescrite l'action en réduction engagée par le demandeur ;

- ordonné le rapport par Mme [U] de la somme de 46.000 euros au titre des dons manuels et de la donation du 10/05/2006 ;

- rappelé que la donation du 10/05/2006 a été consentie hors part successorale et n'est pas soumise à rapport mais peut le cas échéant donner lieu à réduction ;

- ordonné le rapport par M. [I] [U] de la donation du 29/01/1988 et suivie d'un acte d'échange du 11/03/1997 ;

- dit qu'il sera procédé au rapport, en cas de désaccord des cohéritiers sur la valorisation de cette parcelle à 3.811 euros retenue dans le projet de partage ;

- ordonné le rapport par M. [A] [U] de la somme de 800 euros ;

- déclaré recevable comme non prescrite la demande au titre du recel successoral ;

- dit que Mme [U] a commis un recel successoral par dissimulation de la donation du 10/05/2006 sur la somme de 57.000 euros et dit qu'elle ne pourra prétendre à aucune part sur cette somme ;

- débouté les parties de leurs autres demandes présentées au titre du rapport des libéralités et indemnités d'assurance-vie et au titre du recel successoral ;

- débouté Mme [U] de sa demande tendant à ce que la prestation compensatoire de Mme [N] [K] soit jugée comme constituant une dette successorale ;

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et à exécution provisoire ;

- dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de partage avec distraction au profit de Mes [C] et [Y].

Par déclaration du 26/07/2022, Mme [U] a relevé appel de cette décision.

Dans ses conclusions d'appelante n° 2 et en réponse sur appel incident, du 21/03/2023, elle conclut à l'infirmation partielle du jugement déféré, concernant la prescription des actions en réduction et en recel, le rapport de la somme de 800 euros par [A] [U] et le recel de la somme de 57.000 euros et demande à la cour de :

- débouter MM. [A] et [I] [U] de leurs appels incidents ;

- juger prescrite les actions en réduction et en recel successoral engagées par M. [A] [U] et subsidiairement, jugé que Mme [U] n'a pas commis de recel en l'absence de mauvaise foi ;

- juger que le prêt de 37.400 euros consenti par [J] [U] à son fils [A] n'a pas été remboursé et ordonner le rapport pour cette somme ;

- condamner MM. [A] et [I] [U] au paiement chacun de 5.000 euros au titre des frais visés à l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Elle fait valoir en substance que :

- elle a reçu de son père une donation en avancement d'hoirie le 10/05/2006, une donation préciputaire de 46.000 euros le 10/07/2012 ainsi qu'une assurance-vie de 31.316,74 euros ;

- ces donations ont été enregistrées auprès de l'administration fiscale ;

- l'action en réduction est prescrite comme ayant été engagée plus de deux ans après le décès de son père et plus de cinq ans après le placement de l'assignation au greffe ;

- M. [A] [U] ne justifie pas du remboursement du prêt à son père, le débit de la somme de 36.600 euros de son compte étant insuffisant pour en apporter la preuve et le défunt indiquant dans son testament ne pas avoir été remboursé ;

- il en va de même pour un paiement en espèces de 800 euros ;

- l'action en recel est prescrite et non fondée ;

- les retraits qu'elle aurait opérés sur le compte du défunt à hauteur de160.000 euros ne sont pas démontrés ;

- les primes versées sur les contrats d'assurance-vie ne sont pas exagérées.

Dans ses conclusions d'intimé et d'appel incident, M. [A] [U] conclut à la réformation partielle du jugement en ce qu'il a débouté les parties de leurs autres demandes au titre du rapport des libéralités, indemnités d'assurance-vie et du recel successoral, et demande à la cour de :

- ordonner le rapport par Mme [U] de la somme de 164.205 euros ;

- dire que Mme [U] a commis un recel successoral ;

- constater le caractère exagéré des primes versées sur les contrats d'assurance-vie par le défunt au profit de sa fille et condamner Mme [U] au rapport des sommes perçues à ce titre ;

- la condamner au paiement de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, avec distraction au profit de Me [Y].

Il expose que :

- son action en rapport n'est pas prescrite, l'assignation en partage ayant été délivrée dans les cinq années du décès ;

- le prêt de 37.400 euros du 17/01/2004 a été remboursé et en tout état de cause, l'action en remboursement est prescrite ;

- parce que ce n'est qu'en cours de procédure que Mme [U] a reconnu avoir reçu une donation de 57.000 euros, le délai de prescription n'a commencé à courir qu'à compter du 10/05/2006 ;

- le silence conservé par l'appelante manifeste sa volonté de dissimulation, ce qui constitue le recel ;

- sur les relevés bancaires du défunt, figurent des retraits en espèces d'un montant total de 158.725 euros ;

- des dépenses sont injustifiées pour 3.364,34 euros ;

- la somme de 54.720 euros a fait l'objet de virements au profit de Mme [U] ;

- au moment de la souscription d'assurances vie, [J] [U] était âgé de 73 ans et n'avait qu'une retraite mensuelle de 900 euros, alors qu'il avait déposé sur son compte l'intégralité de son patrimoine financier (175.315 euros) se dépouillant ainsi de la totalité de ses avoirs.

Dans ses conclusions d'intimé et d'appel incident, M. [I] [U] conclut à la réformation partielle du jugement entrepris en ce qu'il a débouté les parties de leurs autres demandes au titre du rapport des libéralités, indemnités d'assurance-vie et du recel successoral et demande à la cour de :

- ordonner le rapport par Mme [U] de la somme de 164.205 euros ;

- dire que Mme [U] a commis un recel successoral en dissimulant les sommes perçues par elle ;

- constater le caractère exagéré des primes versées sur les contrats d'assurance-vie par le défunt au profit de sa fille et condamner Mme [U] à rapporter à la succession les sommes perçues à ce titre ;

- rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription des actions en réduction et en recel successoral ;

- élargir la mission du notaire commis à la recherche de la composition exacte du patrimoine successoral et de procéder à l'évaluation des éléments susceptibles d'être rapportés à la succession ;

- condamner Mme [U] au paiement de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, avec distraction au profit de Me [C].

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité de l'action en réduction

Alors que [J] [U] est décédé le [Date décès 1]2014, son fils [A] a fait délivrer une assignation à sa soeur par acte du 04/12/2019, dont une des demandes était : 'dire et juger que Mme [Z] [U] devra une indemnité de réduction s'agissant de la donation préciputaire du 10/07/2012".

L'article 2241 §1du même code dispose que 'la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion'. Une citation en justice est une demande, et c'est donc à la date de sa délivrance qu'il convient de se placer pour apprécier le délai d'action, dès lors que par la suite, elle a été mise au rôle, saisissant par la même la juridiction. En conséquence, la date à prendre en compte est celle du 04/12/2019 et non celle de l'enrôlement, du 17/12/2019.

Par ailleurs, aux termes de l'article 921 §2 du code civil, 'le délai de prescription de l'action en réduction est fixé à cinq ans à compter de l'ouverture de la succession, ou à deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l'atteinte portée à leur réserve, sans jamais pouvoir excéder dix ans à compter du décès'.

Ce texte doit s'interpréter en ce que un héritier dispose de cinq années à compter du décès du de cujus pour agir, et ce n'est que si l'atteinte portée à la réserve est révélée postérieurement, qu'un nouveau délai de deux ans court à compter de cette découverte, sans pouvoir excéder 10 ans.

Dès lors, l'action sera déclarée recevable pour avoir été engagée dans les cinq années du décès de [J] [U], sans qu'il y ait lieu de déterminer si la donation du 10/07/2012 était connue avant ce délai des autres héritiers.

En tout état de cause, l'action en réduction ne pouvait concerner la seule donation de la somme de 37.000 euros comme le soutient l'appelante, soumise à rapport, mais le legs de la quotité disponible, qui pouvait donner lieu à atteinte à la réserve. Or, celui-ci ne pouvait être connu de MM. [A] et [I] [U] qu'après qu'ils aient pu lire le testament du 18/01/2006 par lequel le défunt a légué la quotité disponible à leur soeur. Cet acte ayant été annexé en 2018 à son projet de partage par le notaire, il convient de se placer à ce moment pour apprécier la date à laquelle les héritiers avaient connaissance avec certitude et dans le détail du legs. Parce qu'il a été établi moins de deux ans avant la délivrance de l'assignation en partage, l'action en réduction est recevable, même dans cette hypothèse.

Le jugement sera donc confirmé, tant sur la recevabilité de l'action que sur le refus de se prononcer sur le principe d'une indemnité de réduction, le premier juge ayant à juste titre considéré que seules les opérations de compte, liquidation et partage permettront de caractériser une éventuelle atteinte à la réserve.

Sur le rapport dû par M. [A] [U]

Il est constant que [J] [U] a prêté à son fils [A] le 17/01/2004 la somme de 37.400 euros.

M. [U] verse aux débats un relevé de son compte bancaire montrant que le 27/10/2004, la somme de 36.600 euros a été débitée de son compte ouvert au [15], sans que soit établie l'identité du bénéficiaire.

Toutefois, sont produits les éléments suivants :

- le talon du chéquier, sur lequel est bien indiqué comme bénéficiaire [J] [U] ;

- une lettre de M. [P] [H], conseiller financier à [12] adressée à [J] [U], le 22/10/2004, où il est écrit : 'vous avez demandé dans le cadre d'un prêt familial à votre fils la somme de 37.400 euros consentie le 9 janvier 2004 sur un placement à [12]. Ce montant devait selon votre fils vous être remboursé dans les deux mois avec intérêts. La date des deux mois a été dépassée mais votre fils vous rembourse aujourd'hui la somme de 36.600 euros. Pour respecter l'engagement de votre fils, celui-ci vous doit encore aujourd'hui les sommes de 800 euros au ttire de la somme prêtée et 1.833,30 euros au titre des intérêts au taux de 5,60% (calcul établi sur une période de 10 mois et 12 jours entre le 09/01/04 et le 22/10/04)' ;

- un certificat de M. [L], conseiller financier de [12], libellé ainsi : 'ce 10 mai 2005, je reçois M. [U] [J]. Reprenant le dossier de [12] de [Localité 16], il est précisé au 22/10/2004 qu'il reste à rendre 800 € + 1.833,30 € d'intérêts = 2.633,30 € . Il s'ajoute 7 mois d'intérêts à 5,6%, soit 86 €. Au 22/05/2005, il reste à rembourser 2.633,30 + 86 = 2.719,30 €'.

Contrairement aux affirmations de l'appelante, ces lettres n'ont pu être établies pour les besoins de la cause. En effet, elles sont tout à fait complémentaires, sont détaillées, et montrent que le défunt avait emprunté à [12] la somme reprêtée à son fils, et qu'il avait été conclu que ce dernier rembourserait à son père le capital emprunté ainsi que des intérêts.

Dès lors, le versement dont il est fait état dans ces documents prouve que M. [A] [U] a remboursé à son père la somme de 36.600 euros. Si le défunt a pu considérer alors que sa dette n'était pas remboursée, c'était parce qu'il restait dû un solde sur le capital. Concernant les intérêts, ils ne peuvent être réclamés, en raison de la prescription encourue. C'est donc exactement que le premier juge a condamné M. [A] [U] à rapporter à la succession la somme de 800 euros, correspondant au solde dû sur capital, qui n'encourt pas la prescription. Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Sur le rapport dû par Mme [Z] [U]

Il résulte du dossier que Mme [U] a reçu de son père :

- la somme de 57.000 euros par acte du 10/05/2006, pour l'acquisition d'un bien immobilier ;

- celle de 46.000 euros au titre de différents dons de sommes d'argent, comme déclaré par la donataire au notaire, Me [G] ainsi que par conclusions de première instance.

Ces sommes seront à rapporter à la succession, (outre la valeur des biens agricoles donnés au titre de la donation préciputaire), le jugement déféré étant confirmé sur ces points.

Concernant les virements et retraits bancaires de 107.925 euros ([12]) et 54.280 euros ([14]), c'est exactement que le premier juge a considéré qu'il n'était pas établi que ces sommes avaient été perçues par Mme [U], étant observé en outre que :

- si l'on excepte un retrait de 57.000 euros en 2006, on aboutit à des retraits de l'ordre de 800 euros par mois entre 2005 et 2014, ce qui ne paraît pas excessif pour

que le défunt puisse assumer ses besoins quotidiens, même si son train de vie était modeste ;

- M. [A] [U] avait procuration sur les comptes, à l'inverse de sa soeur.

Quant au chèque de 2.000 euros établi à l'ordre d'un cuisiniste, il n'est pas établi non plus que cette opération était liée à un achat de meubles au profit de Mme [U].

Le jugement déféré sera là encore confirmé de ces chefs.

Sur le recel successoral

* la prescription

La succession ayant été ouverte après le 17/06/2008, la prescription est donc de cinq années à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande en justice, qui est la délivrance de la citation par une partie à celui qu'on veut empêcher de prescrire, et non son enrôlement au greffe, a été délivrée dans les cinq années du décès de [J] [U], et comportait expressément une demande relative au recel successoral par dissimulation d'une somme de 218.609,34 euros.

C'est donc exactement que le premier juge a déclaré recevable ce chef de demande.

* le recel de la somme de 57.000 euros

Aux termes de l'article 778 du code civil, 'sans préjudice de dommages et intérêts, l'héritier qui a recelé des biens ou des droits d'une succession ou dissimulé l'existence d'un cohéritier est réputé accepter purement et simplement la succession, nonobstant toute renonciation ou acceptation à concurrence de l'actif net, sans pouvoir prétendre à aucune part dans les biens ou les droits détournés ou recelés. Les droits revenant à l'héritier dissimulé et qui ont ou auraient pu augmenter ceux de l'auteur de la dissimulation sont réputés avoir été recelés par ce dernier. Lorsque le recel a porté sur une donation rapportable ou réductible, l'héritier doit le rapport ou la réduction de cette donation sans pouvoir y prétendre à aucune part. L'héritier receleur est tenu de rendre tous les fruits et revenus produits par les biens recelés dont il a eu la jouissance depuis l'ouverture de la succession'.

En l'espèce, l'élément matériel, à savoir le fait qu'une donation portant sur la somme de 57.000 euros ait été ignorée des héritiers à l'ouverture de la succession, est établi. Concernant l'élément moral, Mme [U] n'en a pas fait état devant Me [G] lorsque celle-ci a établi son projet de partage.

Cependant, la fraude doit être prouvée et ne peut résulter du seul fait de la non déclaration. Il faut un acte positif tel un mensonge, une réticence, des manoeuvres dolosives.

En l'espèce, la donation a été effectuée par acte authentique et a fait l'objet de droits d'enregistrement, et elle n'était ainsi pas occulte.

Toutefois :

- Mme [U] est toujours restée taisante devant le notaire, alors que son frère [A] s'interrogeait à plusieurs reprises sur le financement de son appartement de [Localité 9];

- ainsi, dès le 12/10/2015 il écrivait à la notaire pour lui demander qu'elle consulte sa soeur à ce sujet ;

- le 14/12/2018, il s'adressait à son notaire : 'les demandes sont restées sans réponse depuis 4 ans, savoir : (..) Réintégration de l'appartement de [Localité 9] acheté par mon papa à [Z]' ;

- le 26/09/2019, il écrivait à nouveau : 'si au 10 octobre, nous n'avons aucune nouvelle concernant la succession, nous demandons que Me [G] établisse le procès-verbal de difficultés et nous engagerons une procédure en justice. Nous ferons valoir les faits suivants : (..) Réintégration de l'appartement de [Localité 9] acheté par mon papa à [Z] dans la succession' ;

- Mme [U] a attendu d'être assignée pour reconnaître l'existence de cette donation dans ses conclusions n° 1 du 05/02/2020, soit près de deux années après le projet de partage de Me [G].

Dans ces conditions, par ses réticences réitérées, Mme [U] a dissimulé volontairement à ses deux frères la donation en question. C'est donc exactement que le premier juge a retenu l'existence d'un recel de la somme de 57.000 euros. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les contrats d'assurance-vie souscrits au profit de Mme [U]

Si le capital versé au bénéficiaire d'un contrat d'assurance sur la vie ne fait pas partie de la succession du défunt, cette exclusion ne s'applique pas si les primes versées par le souscripteur à l'assureur sont manifestement exagérées eu égard aux facultés du souscripteur.

En l'espèce :

- Mme [U] a perçu un capital de la société [14] de 34.844,86 euros, et aucun élément du dossier ne permet d'affirmer que d'autres versements auraient eu lieu ;

- le défunt disposait d'un patrimoine largement suffisant pour effectuer un tel placement, puisqu'il était titulaire de nombreux biens immobiliers ainsi que de sommes importantes placées sur ses comptes, comme celle de 175.315 euros déposée le 05/12/2005 suite à la vente d'un bien.

Le jugement déféré sera ainsi confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de réintégration des sommes perçues à ce titre dans la succession.

Sur les frais irrépétibles

Chacune des parties succombant partiellement en ses demandes, il n'y a pas lieu à application des dispositions de l'article 700. De même, les dépens de première instance et d'appel seront employés en frais privilégiés de partage.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

Dit que les dépens de première instance et d'appel seront employés en frais privilégiés de partage, avec distraction au profit des avocats qui en ont fait la demande ;

PRONONÇÉ par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

SIGNÉ par la présidente Anne Barruol et par M.C. Ollierou, greffière présente lors de la mise à disposition à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.

La greffière La Présidente

M.C. OLLIEROU, A. BARRUOL


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Chbre des aff. familiales
Numéro d'arrêt : 22/02943
Date de la décision : 05/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-05;22.02943 ?
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