La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/05/2024 | FRANCE | N°22/03890

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch.secu-fiva-cdas, 30 mai 2024, 22/03890


C6



N° RG 22/03890



N° Portalis DBVM-V-B7G-LSCY



N° Minute :





































































Notifié le :



Copie exécutoire délivrée le :







AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



CHAMBRE SOCIALE - PROTECTION SOCIALE



ARRÊT DU JEUDI 30 MAI 2024





Appel d'une décision (N° RG 20/00237)

rendue par le pôle social du tribunal judiciaire de Grenoble

en date du 20 septembre 2022

suivant déclaration d'appel du 19 octobre 2022 (N° RG 22/03773)

déclaration d'appel rectificative le 27 octobre 2022 (N° RG 22/03890)

jonction le 15 novembre 2022 des 2 affaires sous le N° RG 2...

C6

N° RG 22/03890

N° Portalis DBVM-V-B7G-LSCY

N° Minute :

Notifié le :

Copie exécutoire délivrée le :

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE SOCIALE - PROTECTION SOCIALE

ARRÊT DU JEUDI 30 MAI 2024

Appel d'une décision (N° RG 20/00237)

rendue par le pôle social du tribunal judiciaire de Grenoble

en date du 20 septembre 2022

suivant déclaration d'appel du 19 octobre 2022 (N° RG 22/03773)

déclaration d'appel rectificative le 27 octobre 2022 (N° RG 22/03890)

jonction le 15 novembre 2022 des 2 affaires sous le N° RG 22/03890

APPELANT :

Monsieur [F] [L]

né le 04 avril 1959 à [Localité 9]

[Adresse 3]

[Localité 6]

comparant en personne, assisté de Me Laurent JACQUEMOND-COLLET, avocat au barreau de BOURGOIN-JALLIEU

INTIMEES :

SAS [10], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 7]

représentée par Me Romain BOUVET de la SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Marion MINVIELLE, avocat au barreau de PARIS

SAS [8] La Société [8], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 11]

[Localité 5]

représentée par Me Laurence LIGAS de la SELARL L. LIGAS-RAYMOND - JB PETIT, avocat au barreau de GRENOBLE substituée par Me Jean-Bruno PETIT, avocat au barreau de GRENOBLE

La CPAM DE L'ISERE, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

Service Contentieux Général

[Adresse 1]

[Localité 4]

comparante en la personne de Mme [K] [J], régulièrement munie d'un pouvoir

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président,

M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,

Mme Elsa WEIL, Conseiller,

Assistés lors des débats de M. Fabien OEUVRAY, Greffier,

En présence de Mme [E] [W], juriste assistant,

DÉBATS :

A l'audience publique du 12 mars 2024,

Mme Elsa WEIL, Conseiller chargée du rapport, M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président et M. Pascal VERGUCHT, Conseiller ont entendu les représentants des parties en leurs conclusions et plaidoirie,

Et l'affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [F] [L], salarié intérimaire de la société [10], a été mis à disposition de la société [8], pour la période du 20 novembre 2017 au 15 décembre 2017, en qualité d'opérateur sur plieuse à commande numérique.

Le 7 décembre 2017, il était victime d'un accident du travail. Le certificat médical initial établi le 9 décembre 2017 faisait état des lésions suivantes': «lombalgie basse bilatérale paralysante après un faux mouvement dans son travail.» La déclaration d'accident du travail établie le 11 décembre par l'employeur mentionnait les circonstances suivantes': «selon les dires de la victime, en poussant des chariots, il aurait ressenti une douleur dans le dos ».

Cet accident a été pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie au titre de la législation sur les risques professionnels.

L'état de santé de M. [F] [L] a été déclaré consolidé par le médecin conseil le 16 octobre 2020 avec séquelles indemnisables. Le taux d'incapacité permanente partielle était fixé à 10 %.

Le 13 juin 2019, M. [F] [L] a sollicité auprès de la caisse primaire d'assurance maladie de la Savoie, la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur. Suite au procès-verbal de non-conciliation dressé 10 février 2020, il saisissait le pôle social du Tribunal judiciaire de Grenoble le 24 février 2020.

Par jugement en date du 20 septembre 2022, le pôle social du Tribunal Judiciaire de Grenoble a'débouté M. [F] [L] de l'ensemble de ses demandes, ainsi que la société [8] de sa demande au titre de l'article 700 de code de procédure civile et a condamné M. [F] [L] aux entiers dépens.

Le 27 octobre 2022, M. [F] [L] a interjeté appel de cette décision.

Les débats ont eu lieu à l'audience du 12 mars 2024 et les parties avisées de la mise à disposition au greffe de la présente décision le 30 mai 2024.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

M. [F] [L], selon ses conclusions d'appel responsives et récapitulatives notifiées par RPVA le 12 janvier 2023, déposées le 14 février 2024, et reprises à l'audience demande à la cour de :

- infirmer le jugement en date du 20 septembre 2022 rendu par le tribunal judiciaire de Grenoble,

- juger que l'accident de travail dont M. [F] [L] a été victime le 7 décembre 2019 est dû à la faute inexcusable de son employeur,

- fixer au maximum la majoration de sa rente versée par la caisse primaire d'assurance maladie,

- ordonner une expertise médicale afin de permettre d'évaluer l'ensemble des préjudices subis par M. [F] [L] ;

- condamner la société [10] au paiement des frais d'expertise ;

- accorder d'ores et déjà à M. [F] [L] une provision de 5.000,00 € à valoir sur le montant de l'indemnité qui lui sera attribuée en réparation de ses préjudices à caractère personnel ;

- dire que la Caisse Primaire d'Assurance Maladie versera directement à M. [F] [L] la provision, à charge pour elle de récupérer ces sommes auprès de l'employeur ;

- condamner la Société [10] et la Société [8] in solidum, au paiement d'une somme de 4.000,00 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner les mêmes aux entiers dépens de l'instance.

M. [F] [L] soutient qu'en qualité d'intérimaire, il était exposé à un poste à risque en s'occupant de la manutention habituelle de charges lourdes. Il estime donc que la présomption de faute inexcusable doit s'appliquer et qu'il appartient à l'employeur de prouver qu'il lui a octroyé une formation renforcée sur son poste. Or, il souligne n'avoir jamais bénéficié d'une telle formation, son poste n'étant pas listé comme tel au sein de l'entreprise [10] et celle-ci ne lui ayant remis qu'un simple carnet d'hygiène et de sécurité trois ans avant l'accident. Par ailleurs, il souligne que la société [8] ne produit non plus de pièces justifiant d'une formation renforcée, la seule formation lui ayant été donnée ne concernant pas la manutention.

A titre subsidiaire, il estime que son employeur avait parfaitement conscience du danger qu'il lui faisait encourir, au regard du nombre très important d'accidents du travail sur ce poste. Il souligne que les chariots étaient en réalité surchargés et qu'il n'est pas possible de vérifier le poids effectif de ces derniers. Il considère que les éléments fournis par l'employeur sont biaisés, la vérification de l'opérateur apparaissant uniquement visuelle et approximative, et les dates de vérification ne correspondant pas à son accident. De plus, il indique qu'il y avait un manque important de table, ce qui induisait nécessairement une surcharge des chariots. Il rappelle, également, l'obligation quant à la formation pesant sur l'employeur, et qu'au regard de son âge, 58 ans, il présentait un risque supplémentaire de problème dorso-lombaire.

Par ailleurs, il indique que la réalisation de l'accident du travail démontre bien l'absence de mesures de sécurité et de prévention mises en oeuvre par l'employeur, le témoin de l'accident indiquant qu'il n'y avait pas de système de sécurité pour éviter qu'un chariot soit surchargé. Il souligne que l'employeur n'a pris aucune mesure pour éviter le recours à la manutention manuelle des chariots, alors qu'ils étaient manifestement trop lourds et que d'ailleurs, celui-ci ne produit pas le DUER en cours au jour de l'accident.

La société [10], par ses conclusions d'intimée notifiées par RPVA le 30 janvier 2024, déposées le 5 février 2024 et reprises à l'audience demande à la cour de':

- confirmer le jugement rendu le 20 septembre 2022 par le tribunal judiciaire de Grenoble,

- à titre subsidiaire,

Sur la demande de majoration de rente, juger que seul le taux définitivement opposable à l'employeur pourra être pris en compte pour déterminer le capital représentatif de la majoration de rente mis à la charge de l'employeur ;

Sur la mise en 'uvre d'une expertise médicale judiciaire, ordonner avant-dire-droit la mise en 'uvre d'une expertise médicale judiciaire et limiter la mission de l'expert à l'évaluation des préjudices énumérés par l'article L. 452-3 du code de la Sécurité Sociale, ainsi qu'à ceux qui ne sont pas couverts en tout ou partie ou de manière restrictive par les dispositions du livre IV du code de la Sécurité Sociale, à l'exclusion en tout état de cause du préjudice de perte de possibilité de promotion professionnelle ;

Sur les frais d'expertise médicale judiciaire, débouter M. [F] [L] de sa demande de condamnation de la société [10] au paiement des frais d'expertise médicale judiciaire';

En conséquence,

Juger que les frais d'expertise médicale judiciaire seront avancés par la Caisse qui en pourra en récupérer le montant auprès de l'employeur ;

Sur la demande de provision de M. [F] [L], juger que le montant de la provision sera avancé par la Caisse qui en pourra en récupérer le montant auprès de l'Employeur et réduire la somme sollicitée à de plus justes proportions, dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise médicale judiciaire ;

Sur le recours en garantie de la société [10] à l'encontre de la société [8], juger que la faute inexcusable a été commise par l'entremise de l'entreprise utilisatrice, la société [8], substituée dans la direction de la société [10] au sens de l'article 26 de la loi du 3 janvier 1972 ;

Condamner, par application de l'article L. 241-5-1 du code de la sécurité sociale, la société [8] à garantir la société [10] de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre tant en principal, intérêts et frais qu'au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Sur les frais irrépétibles et les dépens, juger que le cas échéant, la somme allouée à ce titre devrait être réduite, et en tout état de cause, être mise à la charge de la société [8] ;

Condamner la société [8] aux dépens.

La société [10] expose que M. [F] [L] était affecté au poste de plieur tôlier et que celui-ci ne présentait aucun risque particulier nécessitant une formation renforcée à la sécurité. Elle souligne que le contrat de mission ne mentionne pas que son poste était à risque. Elle précise que le salarié n'avait pas à effectuer la manutention de charges lourdes et qu'il ne démontre pas l'avoir réalisée.

Par ailleurs, elle précise que M. [F] [L] a suivi une formation renforcée à la sécurité sur son poste de travail, à travers une formation QSE lors de sa mise à disposition, l'intervention d'un tuteur de formation et la remise d'un livret de sécurité tant par la société [8] que par la société [10]. Elle souligne, en outre, que le salarié était particulièrement expérimenté et que tous les équipements de protection individuelles lui avaient été remis.

La société [10] estime également que M. [F] [L] ne rapporte pas la preuve de l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur à son égard. Elle souligne qu'il n'apporte aucune pièce au soutien de ses affirmations sur la manutention de charges lourdes et que les deux attestations produites ne sont ni circonstanciées ni corroborées par d'autres éléments. Elle relève également que le certificat médical initial indiquait que la lombalgie était la conséquence d'un faux-mouvement dans l'exercice du travail, sans mention sur la surcharge aujourd'hui invoquée des tables à roulettes à manutentionner.

A titre subsidiaire, dans l'hypothèse de la mise en 'uvre d'une expertise judiciaire, elle rappelle que seuls les préjudices personnels qui ne sont pas couverts par le livre IV de la sécurité sociale peuvent donner lieu à une indemnisation complémentaire, ce qui exclut la perte de promotion professionnelle qui ne relève pas du champ médical et pour laquelle, M. [F] [L] n'apporte pas d'élément au soutien de sa demande.

En ce qui concerne son action récursoire contre la société [8], elle indique que celle-ci est conforme à la loi et à la jurisprudence et que la société utilisatrice ne rapporte pas l'existence d'une faute de sa part dans la mise à disposition de M. [F] [L]. Elle rappelle, à ce titre, que le salarié avait été déclaré apte sans restriction par la médecine du travail et que son expérience et ses formations permettaient de le qualifier de salarié particulièrement expérimenté.

La société [8], par ses conclusions d'intimée notifiées par RPVA le 27 février 2024, déposées le 29 février 2024 et reprises à l'audience demande à la cour de':

- confirmer le jugement rendu le 20 septembre 2022 par le tribunal judiciaire de Grenoble, et condamner M. [F] [L] à lui verser la somme de 3000 € au titre des frais irrépétibles,

- à titre subsidiaire, débouter la société [10] de toute demande de relevé et garantie à l'encontre de la société [8] pour les motifs ci-dessus énoncés et condamner la société [10] à payer à la société [8] une somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel y compris les dépens d'appel ;

- à titre infiniment subsidiaire, juger qu'il y aurait lieu de prévoir un partage de responsabilité à hauteur de 80 % pour la société [10], société de travail temporaire et de 20 % pour la société [8], entreprise utilisatrice pour les motifs ci-dessus énoncés et débouter M. [F] [L] de sa demande de majoration de rente comme étant non fondée, faute pour lui de démontrer pouvoir y prétendre en justifiant de ses salaires réels bruts perçus les 12 mois précédents l'accident ;

- à titre très subsidiaire, surseoir à statuer dans l'attente de la communication des justificatifs de salaires réels bruts perçus par M. [F] [L] les 12 mois précédents l'accident ;

- juger que l'action récursoire de la CPAM ne pourra s'exercer au titre des conséquences financières de la faute inexcusable s'agissant de la majoration de la rente, que sur la base de la décision définitive notifiée à l'employeur le 21 octobre 2020 fixant un taux d'incapacité permanente de 10 % pour les motifs ci-dessus énoncés ;

- ordonner une expertise médicale de M. [F] [L] aux fins d'évaluation de ses préjudices, mais dans la limite de ceux couverts et non déjà réparés dans les conditions et limites sus énoncées pour les motifs ci-dessus mentionnés ;

- juger que l'expert aura pour mission complémentaire de communiquer aux parties un pré-rapport avant le dépôt de son rapport définitif, en impartissant un délai de 30 jours minimum aux parties pour permettre à celles-ci de faire valoir leurs éventuelles observations, qu'il devra annexer à son rapport définitif et auxquelles il devra répondre à la fin de celui-ci ;

- surseoir à statuer sur la liquidation des préjudices de M. [F] [L] dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise ;

- débouter M. [F] [L] de sa demande de provision à valoir sur ses préjudices pour les motifs ci-dessus énoncés ;

- juger que la CPAM de l'Isère fera l'avance des sommes qui seraient dues à M. [F] [L] au titre d'une éventuelle reconnaissance de faute inexcusable et des frais d'expertise.

- rejeter toute demande visant à indemniser des préjudices déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale ;

- écarter toute exécution provisoire de la décision à intervenir, compte tenu des moyens fondés avancés par la concluante sur l'absence de faute inexcusable ;

- réserver la demande de M. [F] [L] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- statuer ce que de droit sur les dépens.

La société [8] expose que M. [F] [L] n'était pas affecté à un poste présentant un risque particulier et que le simple fait que l'entreprise utilisatrice n'établisse pas une liste des postes à risque ne suffit pas à faire jouer la présomption légale de faute inexcusable en cas d'accident du travail. Elle souligne à ce titre que le poste de plieur tôlier n'est pas un poste à risque et qu'il n'a jamais été identifié comme tel par l'article R. 4624-23 du code du travail. Par ailleurs, elle relève que M. [F] [L] n'avait pas pour fonction de porter des charges lourdes mais qu'il devait en assurer la manutention et que ces charges avaient un poids inférieur à 55kg. Elle précise que la caisse primaire d'assurance maladie recommande que le poids total des charges maximum pour de la manutention à pousser est de 600kg, ce qui correspond à un effort de poussée de 25kg pour un homme. Or, elle précise que le jour de l'accident le poids était de 438 kg et que le salarié échoue à prouver le contraire. En outre, elle indique que si M. [F] [L] prétend que de nombreux accidents du travail ont eu lieu sur ce poste, il n'apporte aucune pièce au soutien de cette affirmation. En tout état de cause, la société [8] explique que le salarié a reçu une formation QSE, mais également une formation spécifique sur son poste de travail, étant précisé qu'il a travaillé de multiples reprises sur le même poste entre 2014 et 2017.

En ce qui concerne la faute prouvée, la société [8] relève qu'il appartenait au salarié de lire les plans remis et annexés aux ordres de fabrication et de réaliser la manutention, ce qui lui permettait de connaître le poids total des pièces transportées. Elle souligne que le poids ne dépassait pas les 450 kg conformément à l'ordre de fabrication sur lequel M. [F] [L] travaillait et que le certificat médical initial notait qu'un faux mouvement était à l'origine de la lésion.

A titre subsidiaire, la société [8] conteste l'action récursoire de la société [10] à son encontre en indiquant qu'elle n'a commis aucun manquement à ses obligations, l'entreprise utilisatrice ne lui ayant jamais indiqué que le salarié avait des problèmes de dos depuis 2013, alors qu'elle en était informée et que le salarié était apte sans aucune restriction par la médecine du travail.

A titre infiniment subsidiaire, la société [8] relève que M. [F] [L] ne justifie pas de son salaire réel sur les douze mois précédents l'accident du travail, ce qui ne permet pas de vérifier s'il était inférieur au salaire minimum. De plus, elle estime que le calcul de la majoration de la rente ne peut dépasser le taux d'incapacité attribué au salarié par la caisse, soit 10 %, ce taux étant devenu définitif à son égard.

La caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère, par ses conclusions d'intimée déposées le 8 mars 2024 et reprises à l'audience indique s'en rapporter concernant la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur et des conséquences de celle-ci. En cas de faute reconnue elle demande à la cour de condamner l'employeur à lui rembourser les sommes dont elle aura fait l'avance, en application des article L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale ainsi que des frais d'expertise, outre les intérêts au taux légal à compter de leur versement.

Pour le surplus de l'exposé des moyens des parties au soutien de leurs prétentions il est renvoyé à leurs conclusions visées ci-dessus par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

1. Sur la présomption de faute inexcusable':

M. [F] [L] se prévaut de la présomption de faute inexcusable prévue par l'article L. 4154-3 du code du travail selon lequel cette faute est présumée pour les salariés titulaires d'un contrat de travail à durée déterminée, les salariés temporaires et les stagiaires en entreprise affectés à des postes présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité n'ayant pas reçu la formation renforcée à la sécurité, ainsi que d'un accueil et d'une information adaptés dans l'entreprise dans laquelle ils sont recrutés.

Par ailleurs, la détermination des postes à risque, pour lesquels les salariés bénéficient d'une surveillance médicale renforcée, est fixée par l'article R. 4624-23 du code du travail et comprend les postes exposant les travailleurs, à l'amiante, au plomb, aux agents cancérogènes ou toxiques, aux rayonnements ionisants, au risque hyperbare ainsi qu'au risque de chute en hauteur. L'article vise également les postes qui nécessitent un examen d'aptitude spécifique et rappelle que l'employeur, s'il le juge nécessaire, complète la liste des postes entrant dans les catégories des postes à risque particulier.

Enfin, la circulaire du ministère du travail du 30 octobre 1990 précise, à ce titre, que deux catégories de postes de travail paraissent devoir figurer sur la liste établie par le chef d'établissement': les travaux habituellement reconnus dangereux et qui nécessitent une certaine qualification (conduite d'engins, travaux de maintenance, travaux sur machines dangereuses) ou les travaux exposant à certains risques (travaux en hauteur ; produits chimiques tels que benzène, chlorure de vinyle ; substances telles que l'amiante ; nuisances : bruit - niveau sonore supérieur à 85 dB (A) en moyenne quotidienne ou niveau de crête supérieur à 135 dB -, vibrations).

Parmi ces travaux figurent ceux qui font l'objet d'une réglementation particulière, ainsi :

- certains des travaux soumis à surveillance médicale spéciale (arrêté du 11 juillet 1977 et, pour l'agriculture, arrêté du 11 mai 1982) ;

- les travaux exposant à des substances dangereuses étiquetées cancérogènes, mutagènes, tératogènes, etc.

- les travaux pour lesquels une formation particulière est prévue par la réglementation : il en est ainsi des postes de caristes.

En l'espèce, M. [F] [L] a été recruté en qualité de plieur tôlier, les caractéristiques du poste prévoyant qu'il serait affecté comme opérateur sur presse plieuse, CN, pliage de tôle, lecture de plans, métrologie, manutention diverse (pièce 4/25 de l'intimé). Il a exercé ces fonctions en qualité d'intérimaire pour la société [8] de manière régulière depuis l'année 2014 (pièce 4 de l'intimé). A ce titre, il a reçu une formation initiale, en novembre 2017 (pièces 5-1 et 5-2 de l'intimé), et une formation sur le poste de pliage (pièce 6 de l'intimé). L'employeur a spécifiquement précisé dans le contrat de mission qu'il ne s'agissait pas d'un poste à risque.

De fait, le poste confié à M. [F] [L], tel qu'il est décrit par son contrat de mission, ne relève pas des postes présentant un risque particulier pour la santé et la sécurité tel que l'article R. 4624-23 du code du travail ou la circulaire ministérielle du 30 octobre 1990 les définit. Pour autant, M. [F] [L] considère que son poste relevait de cette catégorie, notamment car il devait manutentionner des charges lourdes. Toutefois, le simple fait de pousser des charges lourdes, sans autres précisions, ne permet pas d'en tirer pour conséquence que le poste présente nécessairement un risque pour la santé et la sécurité permettant au salarié de bénéficier de la présomption de faute inexcusable.

Par ailleurs, M. [F] [L] estime que son poste serait accidentogène, ce qui permettrait de le faire entrer dans la catégorie des postes à risque. L'attestation de M. [Y] [Z] (pièce n°6 de l'appelant), versée au soutien de ce moyen, apparaît, cependant, trop imprécise pour permettre d'établir que son poste de travail a fait l'objet d'accidents du travail répétés. En effet, rédigée trois ans après les faits, l'attestation évoque l'existence de deux accidents sans préciser les circonstances de ceux-ci, l'identité des victimes, la date de survenance et le délai écoulé entre les deux accidents.

Dès lors, au regard de ces éléments, M. [F] [L] ne démontre pas que le poste sur lequel il était affectée est un poste à risque et par conséquent, la présomption instaurée par l'article L. 4154-3 du code du travail ne trouve pas à s'appliquer.

2. Sur la faute prouvée':

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité et de protection de la santé, notamment en ce qui concerne les accidents du travail et maladies professionnelles. Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié mais il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.

La conscience du danger doit s'apprécier compte-tenu de l'importance de l'entreprise considérée, de son organisation, de la nature de son activité et des travaux auxquels était affecté son salarié.

Il appartient enfin au salarié, demandeur à l'instance en reconnaissance de faute inexcusable, de rapporter la preuve que son employeur avait conscience du danger auquel il était exposé et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Cette preuve n'est pas rapportée lorsque les circonstances de l'accident dont il a été victime demeurent indéterminées, en considération des pièces versées aux débats par l'appelant à qui incombe cette preuve.

En l'espèce, M. [F] [L] estime que les tablettes poussées par les salariés étaient surchargées à la fois faute de matériel suffisant pour les transporter et car aucune pesée réelle du matériel chargé sur ces tablettes n'était réalisée. Il produit l'attestation de M. [Y] [Z], déjà mentionnée (pièce 6 de l'appelant), qui indique «''sur aucune des tables, il n'y avait aucune indication du poids maximum''» et celle de M. [B] [I] qui mentionne «en voulant pousser une table à roulette surchargée, la personne s'est blessée» (pièce 17 de l'appelant). Or, ces deux attestations, sont particulièrement imprécises et peu circonstanciées, M. [I] [B] n'indiquant même pas le nom de la personne concernée, ou les circonstances de l'accident, et il n'est donc pas possible d'en tirer une conséquence quelconque.

A l'inverse, l'employeur, qui conteste l'absence d'évaluation du poids du matériel posé sur les tablettes ainsi que la surcharge de ces dernières, verse aux débats l'ordre de fabrication sur lequel le salarié travaillait lorsqu'il a été victime de son accident du travail (pièce 11 et 12 de l'intimé). Il apparaît ainsi qu'au moment de l'accident, M. [F] [L] devait transporter sur son chariot 208 pièces de 2, 11 kg chacune, soit un poids total de 438 kg, que l'employeur ramène à 450 kg afin de tenir compte du poids du chariot. Il justifie également des recommandations de la caisse primaire d'assurance maladie qui demande à ne pas dépasser la charge de 600 kg pour un homme seul, ce qui correspond à un effort de poussée de 25kg (pièce 13 de l'intimé). Dès lors, le chariot qui était poussé par M. [F] [L] lors de l'accident respectait parfaitement les normes attendues sur les charges à pousser. De plus, ces éléments étaient bien à la disposition du salarié dans la mesure où il résulte de ses différents contrats de mission qu'il pouvait être amené à lire des plans, et qu'il avait suivi une formation sur le fonctionnement du poste et les caractéristiques particulières de celui-ci (pièce 5-2 de l'intimé). M. [F] [L] était donc en capacité de comprendre les plans et les ordres de fabrication qui lui étaient remis afin de récupérer les pièces fabriquées conformément à ces instructions et donc d'en déduire le poids total du chariot à pousser.

Dès lors, M. [F] [L] ne rapporte pas la preuve que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé et qu'il n'a pas pris les mesures pour l'en préserver. Il sera donc débouté de sa demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur et le jugement sera intégralement confirmé.

M. [F] [L] succombant à l'instance sera condamné aux entiers dépens. En revanche, en équité, il ne sera pas fait droit aux demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile par la société [10] et la société [8].

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement RG n°20-237 rendu le 20 septembre 2022 par le pôle social du tribunal judiciaire de Grenoble en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne M. [F] [L] aux dépens de l'appel,

Déboute les sociétés [10] et [8] de leurs demandes par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par M. Jean-Pierre Delavenay, président et par Mme Chrystel Rohrer, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch.secu-fiva-cdas
Numéro d'arrêt : 22/03890
Date de la décision : 30/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 05/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-30;22.03890 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award