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30/05/2024 | FRANCE | N°22/03823

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch.secu-fiva-cdas, 30 mai 2024, 22/03823


C6



N° RG 22/03823



N° Portalis DBVM-V-B7G-LR3Q



N° Minute :





































































Notifié le :



Copie exécutoire délivrée le :







Me Christine GOUROUNIAN



La CPAM DE SAVOIE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL

DE GRENOBLE



CHAMBRE SOCIALE - PROTECTION SOCIALE

ARRÊT DU JEUDI 30 MAI 2024





Appel d'une décision (N° RG 20/00348)

rendue par le pôle social du tribunal judiciaire de Chambéry

en date du 26 septembre 2022

suivant déclaration d'appel du 24 octobre 2022





APPELANTE :



Madame [Y] [W]

[Adresse 6]

[Localité 5]



représentée par Me Christine GOUROU...

C6

N° RG 22/03823

N° Portalis DBVM-V-B7G-LR3Q

N° Minute :

Notifié le :

Copie exécutoire délivrée le :

Me Christine GOUROUNIAN

La CPAM DE SAVOIE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE SOCIALE - PROTECTION SOCIALE

ARRÊT DU JEUDI 30 MAI 2024

Appel d'une décision (N° RG 20/00348)

rendue par le pôle social du tribunal judiciaire de Chambéry

en date du 26 septembre 2022

suivant déclaration d'appel du 24 octobre 2022

APPELANTE :

Madame [Y] [W]

[Adresse 6]

[Localité 5]

représentée par Me Christine GOUROUNIAN, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMEE :

Société [8], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Valéry ABDOU de la SELARL ABDOU ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON substituée par Me Laure ARNAUD, avocat au barreau de GRENOBLE

La CPAM DE SAVOIE, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]

comparante en la personne de Mme [P] [Z], régulièrement munie d'un pouvoir

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président,

M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,

Mme Elsa WEIL, Conseiller,

Assistés lors des débats de M. Fabien OEUVRAY, Greffier,

En présence de Mme [G] [J], juriste assistant,

DÉBATS :

A l'audience publique du 12 mars 2024,

Mme Elsa WEIL, Conseiller chargée du rapport, M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président et M. Pascal VERGUCHT, Conseiller ont entendu les représentants des parties en leurs observations,

Et l'affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Mme [Y] [W] a été embauchée par la S.A. [8] à partir du mois d'octobre 2018, en qualité de factrice polyvalente, puis selon contrat à durée indéterminée à compter du 1er juillet 2019.

Suite à un avis de la médecine du travail en date du 2 décembre 2019, elle a bénéficié d'un aménagement de son poste de travail pendant les périodes de veilles saisonnières du 1er juin au 15 septembre 2020. Il appartenait alors à l'employeur, en cas de vague de chaleur, telles que définies par le plan national canicule, d'aménager ses horaires ou de proposer des tournées de type collecte et remise à réaliser par véhicule climatisé ou de privilégier des activités intérieures.

Dans ce contexte, Mme [Y] [W] a travaillé en intérieur du 1er au 17 juillet 2020, puis suite à trois semaines de congé suivies d'une semaine d'arrêt maladie, elle reprendra son poste le 17 août 2020 en intérieur jusqu'au 26 août 2020, où elle sera à nouveau affectée en extérieur.

Le 31 août 2020, Mme [Y] [W] a été victime d'un accident du travail en vélo lors de sa tournée.

Le certificat médical initial établi le jour même de l'accident faisait état d'une «'plaie du nez, fracture des dents n°12-22-42, fracture peu déplacée de la tête radiale droite, fracture déplacée avec 3ème fragment de l'olécrâne gauche': traitement chirurgical'».

La déclaration d'accident du travail datée du 1er septembre 2020 mentionnait que l'accident était intervenu lors de la distribution, l'agent déclarant avoir chuté avec son vélo avec assistance électrique après que le garde boue de celui-ci se soit bloqué dans la roue avant.

La caisse primaire d'assurance maladie de la Savoie prenait en charge cet accident au titre de la législation professionnelle le 14 septembre 2020.

Le 13 octobre 2020, Mme [Y] [W] a sollicité auprès de la caisse primaire d'assurance maladie de la Savoie, la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur. Suite au procès-verbal de non-conciliation dressé le 29 octobre 2020, elle saisissait le pôle social du Tribunal judiciaire de Chambéry le 26 novembre 2020.

Par jugement en date du 26 septembre 2022, le pôle social du Tribunal Judiciaire de Chambéry a'débouté Mme [Y] [W] de l'ensemble de ses demandes.

Le 24 octobre 2020, Mme [Y] [W] a interjeté appel de cette décision.

Les débats ont eu lieu à l'audience du 12 mars 2024 et les parties avisées de la mise à disposition au greffe de la présente décision le 30 mai 2024.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Mme [Y] [W], selon ses conclusions d'appel responsives et récapitulatives notifiées par RPVA le 3 janvier 2023, déposées le 15 février 2024, et reprises à l'audience demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu le 26 septembre 2022 par le pôle social du Tribunal judiciaire de Chambéry,

- juger que l'accident de travail dont Mme [Y] [W] a été victime le 31 août 2020 est dû à la faute inexcusable de son employeur [8],

- ordonner à la caisse primaire d'assurance maladie de la Savoie de majorer le montant maximum de rente versé en application des dispositions de l'article L 452.2 du code de la Sécurité Sociale,

- juger que la majoration de la rente servie en application d'article L. 452.2 du code de la Sécurité Sociale suivra l'évolution éventuelle du taux d'incapacité attribuée,

- Avant dire droit sur la liquidation des préjudices subis par Mme [Y] [W], ordonner une expertise judiciaire et désigner tel expert qu'il plaira au tribunal avec la mission habituelle en la matière,

- allouer à Mme [Y] [W] une provision d'un montant de 5 000 €,

- juger que la caisse primaire d'assurance maladie de la Savoie versera directement à Mme [Y] [W] les sommes dues au titre de la majoration de la rente et de la provision et de l'indemnisation complémentaire,

- juger que la caisse primaire d'assurance maladie de la Savoie pourra recouvrer le montant des indemnisations à venir, provisions et majorations accordées à Mme [Y] [W] à l'encontre de [8] et condamner cette dernière à ce titre ainsi qu'au remboursement du coût de l'expertise,

- condamner la S.A [8] à verser à Mme [Y] [W] une somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de Procédure Civile,

- condamner la S.A [8] aux entiers dépens d'appel, dont distraction au profit de Maître Ch. GOUROUNIAN, sur son affirmation de droit.

Mme [Y] [W] soutient que le vélo remis par son employeur n'était pas entretenu, et que notamment le garde boue était défectueux. Elle explique avoir informé son employeur de la difficulté dès le 28 août 2020 et que ce dernier n'a rien fait au motif qu'aucune maintenance n'était possible entre le vendredi et le lundi, jour de l'accident. Dès lors, elle estime que [8] avait nécessairement conscience du danger puisqu'elle l' avait informé de la difficulté et que si l'employeur ne pouvait pas réparer le vélo défectueux, il lui appartenait de retirer celui-ci. Elle souligne avoir respecté les procédures mises en place au sein de [8] et n'être à l'origine d'aucune faute d'imprudence, cette circonstance étant, en tout état de cause, sans incidence sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

Elle relève que [8] ne dispose d'aucune procédure pour retirer ou réparer les véhicules défectueux, les salariés étant contraints d'attendre la réparation mensuelle pour récupérer un vélo ne présentant aucun danger. De plus, elle indique que le registre de signalisation des véhicules à réparer est incomplet, la page relative à la période du 11 août au 23 septembre 2020 ayant été arrachée. Elle explique l'avoir retrouvé dans une poubelle et qu'il apparaît sur la tournée 61 que le garde boue était défectueux.

Elle souligne que l'enquête réalisée par le CHSCT a mis en lumière que la cause de l'accident était directement liée à l'absence de procédure interne pour gérer le remplacement et la réparation des vélos défectueux.

Par ailleurs, elle indique que [8] n'a pas respecté les aménagements préconisés par le médecin du travail, ce qui pourrait également être à l'origine de l'accident.

En ce qui concerne sa demande de provision, elle souligne l'importance de ses fractures et les souffrances évidentes endurées depuis l'accident tant d'un point de physique que moral, étant rappelé qu'elle a déjà subi 4 opérations chirurgicales et qu'elle n'a jamais pu reprendre le travail.

La société [8], par ses conclusions d'intimée déposées le 25 janvier 2024 et reprises à l'audience demande à la cour de :

- à titre principal, confirmer le jugement rendu par le pôle social du Tribunal judiciaire de Chambéry en date du 26 septembre 2022 et débouter Mme [Y] [W] de l'ensemble de ses demandes,

- à titre subsidiaire, de dire et juger que la caisse, dans ses rapports avec l'employeur, ne pourra que récupérer les sommes versées au titre de la majoration de la rente que sur le taux définitivement opposable à l'employeur,

- exclure de la mission dévolue à l'expert les postes suivants':

- dépenses de santé ou transport exposées par la victime avant la consolidation de ses blessures,

- les frais divers,

- les répercussions dans l'exercice des activités professionnelles,

- les dépenses de santé futures et frais de prothèses ou d'appareillage,

- l'assistance permanente tierce personne,

- la perte ou la diminution de gain ou de revenu,

- de limiter l'évaluation du déficit fonctionnel permanent aux seules souffrances endurées post-consolidation

- débouter Mme [Y] [W] de sa demande d'indemnité provisionnelle.

La société [8] expose que rien ne permet d'affirmer que la cause de l'accident de la salariée résulte d'une défectuosité de son véhicule. Elle retient ainsi que les circonstances de l'accident sont indéterminées, étant rappelé qu'aucun témoin n'a pu rapporter le déroulement de la scène, et ne permettent pas de retenir une faute inexcusable à son encontre.

Par ailleurs, elle estime que le compte-rendu versé par le CHSCT est partiel, seuls les propos de Mme [Y] [W] étant rapportés et que rien ne permet de déterminer les circonstances exactes de l'accident.

Elle souligne, également, qu'elle n'avait aucune conscience du danger encouru par sa salariée. Elle rappelle, comme l'a constaté le CHSCT, qu'elle fournissait aux salariés casque et chaussures, ainsi qu'une procédure de suivi régulier des véhicules. Ainsi, elle indique qu'un livret était mis à la disposition des salariés afin qu'ils puissent consigner les défaillances constatées, étant précisé qu'une procédure de maintenance régulière était effectuée permettant de réviser les vélos chaque mois et que les responsables de sites effectuent régulièrement des vérifications sur l'ensemble de la flotte.

LA POSTE explique que bien que Mme [Y] [W] ait signalé une défectuosité sur son vélo, il était impossible de le réparer pendant le week-end, le service de maintenance étant fermé entre le vendredi et lundi. Elle relève que le responsable de site a alors interdit à la salariée d'utiliser ce vélo jusqu'à nouvel ordre, ce qu'elle n'a pas respecté. De plus, elle précise que celle-ci n'a pas utilisé la plate-forme SOS Facteurs alors que cela résultait des consignes données afin qu'elle puisse bénéficier d'un autre vélo afin d'assurer sa tournée. Par ailleurs, elle rappelle que Mme [Y] [W] avait bénéficié de formations sur les procédures de prévention et de sécurité. Ainsi, elle souligne qu'elle ne pouvait imaginer que la salariée continuerait à utiliser un vélo qu'elle avait signalé comme étant défectueux alors même qu'elle connaissait le protocole à appliquer dans cette hypothèse.

En ce qui concerne le respect des préconisations de la médecine du travail, la société [8] rappelle que celles-ci étaient exclusivement relatives aux vagues de chaleur et qu'à compter du 27 août 2020 aucun épisode de ce type n'était signalé sur l'agglomération chambérienne. De plus, elle relève que malgré l'absence de canicule, Mme [Y] [W] a quand même bénéficié d'aménagements d'horaire et que l'accident s'est réalisé pendant la période horaire préconisée pour le travail par le médecin du travail.

A titre subsidiaire, elle estime qu'en ce qui concerne majoration de la rente, seul le taux d'incapacité permanente partielle qui lui sera notifié pourra lui être opposable par la caisse pour la suite de la procédure. De plus, en ce qui concerne la mission d'expertise, elle estime que les demandes portant sur les dépenses de santé ou transport exposées par la victime avant la consolidation de ses blessures, les frais divers, les répercussions dans l'exercice des activités professionnelles, les dépenses de santé futures et frais de prothèses ou d'appareillage, l'assistance permanente tierce personne, et la perte ou la diminution de gain ou de revenu, sont déjà pris en compte par l'octroi du taux d'incapacité permanente partielle. Par ailleurs, elle estime que le revirement de la cour de cassation relatif à la prise en charge du déficit fonctionnel permanent doit en réalité s'analyser comme l'indemnisation des souffrances endurées avant et après consolidation.

La caisse primaire d'assurance maladie de la Savoie, par ses conclusions d'intimée déposées le 12 mars 2024 et reprises à l'audience indique s'en rapporter concernant la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur et des conséquences de celle-ci. En cas de faute reconnue elle demande à la cour de condamner l'employeur à lui rembourser les sommes dont elle aura fait l'avance, en application des article L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale ainsi que des frais d'expertise, outre les intérêts au taux légal à compter de leur versement.

Pour le surplus de l'exposé des moyens des parties au soutien de leurs prétentions il est renvoyé à leurs conclusions visées ci-dessus par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

1'. Il résulte de l'article L. 4121-1 du code du travail que l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article'L. 4161-1';

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité et de protection de la santé, notamment en ce qui concerne les accidents du travail et maladies professionnelles. Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié mais il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.

La conscience du danger doit s'apprécier compte-tenu de l'importance de l'entreprise considérée, de son organisation, de la nature de son activité et des travaux auxquels était affecté son salarié.

Il appartient enfin au salarié, demandeur à l'instance en reconnaissance de faute inexcusable, de rapporter la preuve que son employeur avait conscience du danger auquel il était exposé et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Cette preuve n'est pas rapportée lorsque les circonstances de l'accident dont il a été victime demeurent indéterminées, en considération des pièces versées aux débats par l'appelant à qui incombe cette preuve.

En l'espèce, Mme [Y] [W] a été victime d'une chute à vélo lors de sa tournée, à l'origine d'un accident du travail. Elle a indiqué dans un courrier adressé à l'employeur le jour même de l'accident, que son garde boue avait cassé et bloqué sa roue avant ce qui avait entrainé sa chute (pièce 2 de l'intimé). Si aucun témoin de la scène n'a été cité par elle et entendu, l'employeur ne remet pas en cause le caractère professionnel de l'accident et il importe peu, conformément à une jurisprudence constante de la cour de cassation, que d'autres fautes que celle de l'employeur aient concouru à la réalisation du dommage.

Une analyse de l'accident a été réalisée, un mois après les faits, par le CHSCT, sur la base des déclarations manuscrites de la salariée (pièce 8 de l'intimé) dans laquelle il apparaît que cette dernière avait signalé le vendredi précédent l'accident que le garde boue bougeait, le cadre lui ayant alors signifié de ne pas reprendre le vélo.

La société [8] ne conteste pas la défectuosité du vélo et le fait que la salariée l'avait informée de la situation, notamment par l'utilisation du registre dédié (pièce 15 et 16 de l'appelante). Elle indique simplement qu'elle ne pouvait pas réparer le vélo entre le vendredi soir et le lundi matin, faute pour son service de maintenance de fonctionner pendant le week-end.

Par ailleurs, d'après les éléments recueillis par le CHSCT, il n'apparaît pas que l'employeur ait imposé à Mme [Y] [W] de reprendre le même vélo pour sa tournée du lundi matin. Toutefois, si le cadre lui avait demandé de ne pas reprendre le vélo défectueux aucun n'élément n'est versé au débat et notamment par la société [8] pour indiquer par quel moyen de locomotion la salariée aurait dû assurer sa tournée.

En effet, Mme [Y] [W] indique qu'aucune procédure n'était en place au sein de [8] pour écarter les vélos défectueux et s'appuie sur des déclarations entre les différents membres du CHSCT le 29 septembre 2020 qui souhaitaient «'trouver un moyen de bloquer le matériel ' qui le fait avec procédure clairement définie ' la responsabilité ne doit pas peser sur les salariés'» (pièce 7 de l'appelante).

Ainsi, si [8] avait mis à la disposition des salariés un registre dans lequel ces derniers signalaient les difficultés rencontrées avec le matériel mis à leur disposition (pièce 15 de l'appelante), elle ne communique aucun protocole transmis aux salariés pour remettre le matériel défectueux et récupérer un moyen de locomotion sécurisé. De même, si elle justifie de l'intervention d'un service de maintenance (pièces 4, 5 6 et 7 de l'intimé) une à deux fois par mois, rien ne semble prévu pour une réparation en urgence, comme cela a été le cas pour Mme [Y] [W]. A ce titre, il importe peu qu'un second contrôle, dont [8] ne justifie d'ailleurs pas, ait été effectué régulièrement par chaque responsable, puisqu'aucune conséquence n'était tiré de celui-ci, aucun protocole n'étant mis en place ni pour retirer les vélos défectueux, ni pour remettre un matériel de remplacement aux salariés en échange.

Enfin, si [8] estime que Mme [Y] [W] aurait dû contacter la plateforme [9], elle ne communique aucun élément sur la réalité et le fonctionnement de cette plate-forme, sur les moyens pour les salariés de contacter celle-ci et de récupérer du matériel en bon état de fonctionnement.

Dès lors, il apparaît que le 31 août 2020, Mme [Y] [W] ne pouvait, pour assumer son poste de travail, que reprendre le vélo signalé comme défectueux à son employeur, aucune réparation et aucune permutation de vélo ne lui ayant été proposé par ce dernier.

Par conséquent, informée de la défectuosité du vélo et ne proposant aucun moyen alternatif de locomotion, la société [8] avait nécessaire conscience du danger qu'elle faisait courir à sa salariée, ce qui est à l'origine d'une faute inexcusable de sa part ayant causé l'accident dont a été victime Mme [Y] [W] le 31 août 2020. Le jugement sera donc infirmé.

2. En raison de la faute inexcusable de l'employeur, la rente sera majorée au taux maximal par application de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale.

3. L'accident du travail dont a été victime Mme [Y] [W] a été à l'origine d'une plaie du nez, d'une fracture de dents 12-22-42, d'une fracture peu déplacée tête radiale droite, d'une fracture hamatum poignet droit, d'une fracture déplacée avec 3ème fragment de l'olécrâne gauche (pièce 5 de l'appelante). Elle a été consolidée avec séquelle le 2 août 2023 (pièce 7 de la caisse primaire d'assurance maladie) et un taux d'incapacité permanente partielle de 19 % lui a été notifié (pièce 8 de la caisse primaire d'assurance maladie).

Mme [Y] [W] requiert l'institution d'une mission d'expertise médicale complète. La date de consolidation est fixée en droit de la sécurité sociale par la caisse primaire après avis du médecin traitant (article L. 442-6) ; faute de contestation en temps utile, elle est définitive et ne saurait être remise en cause par une expertise ordonnée dans un cadre judiciaire.

Il est d'autre part de jurisprudence établie que les préjudices déjà indemnisés totalement ou partiellement en droit de la sécurité sociale ne peuvent donner lieu à indemnisation complémentaire sur le fondement du droit commun de la réparation en cas de faute inexcusable de l'employeur.

Sont ainsi couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale :

- les dépenses de santé actuelles et futures (article L. 431-1-1° et L. 432-1 à L. 432-4) ;

- les dépenses d'appareillage actuelles et futures (articles L. 431-1-1° et L. 432-3) ;

- l'assistance à tierce personne postérieure à la consolidation par la majoration de la rente prévue à l'alinéa trois de l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale.

Enfin, il résulte du revirement de jurisprudence opéré le 20 janvier 2023 par la cour de cassation que le déficit fonctionnel permanent n'est plus réparé par les dispositions des articles L. 434-1 et L. 434-2 du code de la sécurité sociale qui prévoyait que la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent qui inclut, pour la période postérieure à la date de consolidation, les atteintes aux fonctions physiologiques, la perte de la qualité de vie et les troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelle, familiale et sociale.

La mission d'expertise sera donc cantonnée aux préjudices visés à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale (souffrances endurées, préjudice esthétique et temporaire, perte ou diminution des possibilités de promotion professionnelle, préjudice d'agrément) ainsi qu'au déficit fonctionnel temporaire, déficit fonctionnel permanent dans l'ensemble de ses composantes, à l'aide tierce personne avant consolidation, au préjudice sexuel, frais de véhicule et de logement adaptés éventuels.

4. Au vu des éléments médicaux d'ores et déjà versés aux débats, il sera alloué à Mme [Y] [W] la somme de 2 500 € à titre de provision sur l'indemnisation de ses préjudices complémentaires.

5. La société [8] succombant à l'instance elle sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et le jugement déféré sera également infirmé sur ce point.

Il parait équitable d'allouer à l'appelant à ce stade de l'instance une somme de 1 500 euros pour ses frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement RG n°20/348 rendu le 26 septembre 2022 par le pôle social du tribunal judiciaire de Chambéry,

Statuant à nouveau,

Dit que l'accident de travail survenu à Mme [Y] [W] le 26 juin 2016 est imputable à une faute inexcusable de l'employeur, la société [8],

Ordonne la majoration de la rente servie à Mme [Y] [W] à son maximum,

Alloue à Mme [Y] [W] une provision de 2500 euros sur l'indemnisation de ses préjudices dont la caisse primaire d'assurance maladie devra faire l'avance, ainsi que celle des frais d'expertise,

Condamne la société [8] à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie les sommes dont elle aura fait l'avance comprenant les frais d'expertise.

Avant dire droit sur la liquidation des préjudices subis par Mme [Y] [W], ordonne une expertise médicale :

Désigne le Docteur [A] [H] pour y procéder avec pour mission après avoir examiné contradictoirement l'intéressé, consulté toutes pièces utiles et entendu tout sachant :

- Convoquer et d'entendre les parties, assistées le cas échéant de leurs avocats et médecins conseils, recueillir leurs observations ;

- Se faire communiquer par la victime, son représentant légal ou tout tiers détenteur, tous documents médicaux relatifs à l'événement (certificat médical initial, certificats de prolongation et de consolidation, autres certificats, radiographies, scanners, échographies, comptes-rendus d'opérations et d'examens, dossier médical...) ;

- Fournir le maximum de renseignements sur l'identité de la victime et sa situation : ses conditions d'activités professionnelles, son niveau scolaire pour un enfant ou un étudiant, son statut et/ou sa formation pour un adulte en activité ;

- À partir des déclarations et des doléances de la victime, ainsi que des documents médicaux fournis et un examen clinique circonstancié de Mme [X] [N], et après avoir déterminé les éléments en lien avec l'événement dommageable :

* décrire les lésions initiales, les modalités des traitements et leur évolution ;

* dire si chacune des lésions constatées est la conséquence de l'événement et/ou d'un état antérieur ou postérieur ;

* dans l'hypothèse d'un état antérieur, le décrire en détail (anomalies, maladies, séquelles d'accidents antérieurs) et préciser si cet état :

. était révélé et traité avant l'accident (si oui préciser les périodes, la nature et importance des traitement antérieurs) ;

. si cet état a été aggravé ou a été révélé par l'accident ;

. si cet état entraînait un déficit fonctionnel avant l'accident ;

A) en application des dispositions de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale d'évaluer :

* le préjudice causé par les souffrances physiques et morales ;

* le préjudice esthétique temporaire et/ou permanent ;

* le préjudice d'agrément ;

* le préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle.

B) en application de la nomenclature '[7]' :

- Décrire le déficit fonctionnel temporaire (avant consolidation) de la victime, correspondant au délai normal d'arrêt d'activités ou de ralentissement d'activités : dans le cas d'un déficit partiel, en préciser le taux, la durée.

- Dans le cas d'une perte d'autonomie ayant nécessité une aide temporaire avant consolidation par l'assistance d'une tierce personne (indépendamment de la présence ou non d'une assistance familiale), la décrire et émettre un avis motivé sur sa nécessité et ses modalités, sa durée et fréquence d'intervention, la nécessité ou non du recours à un personnel spécialisé ainsi que sur les conditions de la reprise d'autonomie.

- Donner un avis médical sur d'éventuels frais de logement ou de véhicule adapté.

- Le cas échéant, dire s'il existe un préjudice sexuel, le décrire en précisant s'il recouvre l'un ou plusieurs des trois aspects pouvant être altérés séparément ou cumulativement, partiellement ou totalement : la libido, l'acte sexuel proprement dit (impuissance ou frigidité) et la fertilité (fonction de reproduction).

- Donner un avis médical sur l'existence d'un préjudice d'établissement après consolidation, c'est à dire sur la perte de chance de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap, en indiquant des données circonstanciées.

- Donner un avis sur le taux en fonction du barème indicatif d'évaluation des taux d'incapacité en droit commun de déficit fonctionnel permanent de la victime, imputable à l'événement, résultant de l'atteinte permanente d'une ou plusieurs fonctions persistant au moment de la consolidation, ce taux prenant en compte non seulement les atteintes physiologiques mais aussi les douleurs physiques et morales permanentes ressenties, la perte de la qualité de vie ;

dans le cas d'un état pathologique antérieur, préciser en quoi l'événement a eu une incidence sur cet état antérieur et chiffrer les effets d'une telle situation ;

en toute hypothèse, donner un avis sur le taux du déficit fonctionnel actuel de la victime tous éléments confondus (état antérieur inclus) ;

- Prendre en considération les observations des parties ou de leurs conseils, et dire la suite qui leur a été donnée.

Dit n'y avoir lieu à mission d'expertise plus étendue.

Dit que l'expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 273 à 283 du code de Procédure Civile, qu'il pourra entendre toutes personnes,

qu'il aura la faculté de s'adjoindre tout spécialiste de son choix dans une spécialité différente de la sienne, à charge de joindre leur avis au rapport.

Dit que l'expert devra, au terme des opérations d'expertise, mettre en mesure les parties en temps utile de faire valoir leurs observations qui seront annexées au rapport et y répondre ;

Rappelle que l'expert doit prendre en considération les observations ou réclamations des parties, si elles sont écrites les joindre à son rapport si les parties le demandent, faire mention dans son avis de la suite qu'il leur aura donnée et qu'enfin l'expert peut fixer un délai aux parties pour formuler leurs observations à l'expiration duquel il ne sera plus tenu d'en prendre compte sauf cause grave et dûment justifiée auquel cas il en fait rapport au juge chargé du contrôle de l'expertise.

Dit que l'avance des frais d'expertise sera faite par la caisse primaire d'assurance maladie et la société [8] tenue à les lui rembourser.

Dit que l'expert déposera son rapport dans l'hypothèse où les parties ne parviendraient pas entre elles à une conciliation.

Dit que l'expert dressera rapport de ses opérations pour être déposé au Greffe de la cour d'appel de Grenoble dans les six mois de sa saisine en un original et une copie après en avoir adressé un exemplaire à chacune des parties en cause.

Dit que l'expert tiendra le magistrat de la chambre sociale chargé d'instruire l'affaire informé de l'avancement de ses opérations et le saisira de toute difficulté y afférente.

Dit qu'en cas d'empêchement, l'expert sera remplacé à la demande de la partie la plus diligente par simple ordonnance du magistrat de la chambre sociale chargé d'instruire l'affaire.

Rappelle que les délais fixés à l'expert sont impératifs, que leur non-respect constitue une faute grave, sauf motif légitime et qu'à défaut il pourra être fait application de l'article 235 al2 du code de Procédure Civile.

Sursoit à statuer sur la liquidation des préjudices de Mme [Y] [W] dans l'attente du dépôt du rapport.

Dit que l'instance sera reprise après dépôt du rapport d'expertise à la requête de la partie la plus diligente.

Déboute la société [8] de sa demande par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles d'appel.

Condamne la société [8] aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec distraction au profit de Me Christine Gourounian.

Condamne la société [8] à verser à Mme [Y] [W] la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par M. Jean-Pierre Delavenay, président et par Mme Chrystel Rohrer, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch.secu-fiva-cdas
Numéro d'arrêt : 22/03823
Date de la décision : 30/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 05/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-30;22.03823 ?
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