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30/05/2024 | FRANCE | N°22/03663

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch.secu-fiva-cdas, 30 mai 2024, 22/03663


C3



N° RG 22/03663



N° Portalis DBVM-V-B7G-LRLF



N° Minute :





































































Notifié le :



Copie exécutoire délivrée le :





La CPAM DE L'ISERE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



CHAMBRE SOCIALE - PR

OTECTION SOCIALE

ARRÊT DU JEUDI 30 MAI 2024





Appel d'une décision (N° RG 19/00641)

rendue par le pôle social du tribunal judiciaire de Grenoble

en date du 07 juillet 2022

suivant déclaration d'appel du 11 octobre 2022





APPELANTE :



Madame [E] [I]

[Adresse 9]

[Localité 5]



représentée par Me Elise OLLIVIER de la SCP MAISONOBE - OLLIVIER, avoc...

C3

N° RG 22/03663

N° Portalis DBVM-V-B7G-LRLF

N° Minute :

Notifié le :

Copie exécutoire délivrée le :

La CPAM DE L'ISERE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE SOCIALE - PROTECTION SOCIALE

ARRÊT DU JEUDI 30 MAI 2024

Appel d'une décision (N° RG 19/00641)

rendue par le pôle social du tribunal judiciaire de Grenoble

en date du 07 juillet 2022

suivant déclaration d'appel du 11 octobre 2022

APPELANTE :

Madame [E] [I]

[Adresse 9]

[Localité 5]

représentée par Me Elise OLLIVIER de la SCP MAISONOBE - OLLIVIER, avocat au barreau de GRENOBLE substituée par Me Marine RONK, avocat au barreau de GRENOBLE

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2022/007872 du 26/09/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de GRENOBLE)

INTIMEES :

La CPAM DE L'ISERE, n° siret : [N° SIREN/SIRET 7], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

Service Contentieux Général

[Adresse 1]

[Localité 3]

comparante en la personne de Mme [B] [K], régulièrement munie d'un pouvoir

SELARL [13], n° siret : [N° SIREN/SIRET 6], ès qualités d'administrateur judiciaire de l'association accompagner à domicile pour préserver l'autonomie ([12]), prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Laure BELLIN de la SELARL BSV, avocat postulant au barreau de GRENOBLE,

et par Me Jean-Marc BRET de la SELARL ALAGY BRET ET ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de LYON substitué par Me Frédéric CARRON, avocat au barreau de LYON

L'ASSOCIATION [11] ([12]), n° siret : [N° SIREN/SIRET 10], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 8]

[Localité 4]

représentée par Me Laure BELLIN de la SELARL BSV, avocat postulant au barreau de GRENOBLE,

et par Me Jean-Marc BRET de la SELARL ALAGY BRET ET ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de LYON substitué par Me Frédéric CARRON, avocat au barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président,

M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,

Mme Elsa WEIL, Conseiller,

Assistés lors des débats de M. Fabien OEUVRAY, Greffier,

En présence de Mme [L] [Y], juriste assistant,

DÉBATS :

A l'audience publique du 12 mars 2024,

M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président chargé du rapport, M. Pascal VERGUCHT, Conseiller et Mme Elsa WEIL, Conseiller ont entendu les représentants des parties en leurs observations,

Et l'affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Mme [E] [I] a été recrutée le 1er octobre 2009 en qualité d'aide à domicile par l'association [11] ([12]).

Le 3 mars 2014, la Caisse Primaire d'Assurance Maladie (CPAM) de l'Isère a refusé de prendre en charge, au titre de la législation professionnelle, les faits dont a déclaré avoir été victime Mme [I] le 17 novembre 2013 dans les circonstances suivantes : « Mme [I] voulait lever la personne aidée de son lit. Elle lui a pris la main et l'a tirée. Elle a ressenti un craquement dans l'épaule ».

Le certificat médical initial du 25 novembre 2013 faisait état d'un traumatisme de l'épaule gauche. Suspicion trauma coiffe et tendinopathie.

Le 16 juin 2014, Mme [I] a souscrit une déclaration de maladie professionnelle suivant un nouveau certificat médical initial du 11 juin 2014 établi par le même médecin et décrivant les lésions suivantes : épaule (ndr : gauche) douloureuse simple (tendinopathie de la coiffe des rotateurs - épaule enraidie) tableau 57A.

Après avis favorable du service médical, la caisse primaire a notifié, le 23 octobre 2014 aux parties, sa décision de prendre en charge la pathologie rupture partielle ou transfixiante objectivée par IRM de Mme [I] dont l'état de santé a été déclaré consolidé par le médecin conseil le 3 mai 2017, avec attribution d'un taux d'Incapacité Permanente Partielle (IPP) de 46 %.

Mme [I] a été licenciée pour inaptitude d'origine professionnelle le 1er juin 2017.

Le 30 avril 2019, elle a saisi le pôle social de l'ex tribunal de grande instance de Grenoble aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur à l'origine de sa maladie professionnelle.

Par jugement du 7 juillet 2022, le pôle social du désormais tribunal judiciaire de Grenoble a :

- rejeté l'exception d'irrecevabilité soulevée par l'[12],

- débouté l'[12] de sa demande tendant à contester le caractère professionnel de la pathologie, objet du certificat médial initial du 11 juin 2014 dont est atteinte Mme [I],

- dit que la maladie, objet du certificat médical initial du 11 juin 2014, dont est atteinte Mme [I] n'est pas due à la faute inexcusable de son employeur,

- débouté Mme [I] de l'intégralité de ses demandes,

- dit n'y avoir lieu à condamnation de Mme [I] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme [I] aux dépens.

Le 11 octobre 2022, Mme [I] a interjeté appel de cette décision.

Les débats ont eu lieu à l'audience du 12 mars 2024 et les parties avisées de la mise à disposition au greffe de la présente décision le 30 mai 2024.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Mme [E] [I] au terme de ses conclusions d'appelante n° 1 notifiées par RPVA le 31 janvier 2024 reprises à l'audience demande à la cour de :

CONFIRMER le jugement rendu par le pôle social le 7 juillet 2022, sous le numéro 19/00641en ce qu'il a :

- débouté l'[12] de sa demande tendant à contester le caractère professionnel de la pathologie, objet du certificat médial initial du 11 juin 2014 dont est atteinte Mme [I],

- dit que la maladie, objet du certificat médical initial du 11 juin 2014, dont est atteinte Mme [I] n'est pas due à la faute inexcusable de son employeur,

- dit n'y avoir lieu à condamnation de Mme [I] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

INFIRMER le jugement rendu par le pôle social le 7 juillet 2022 sous le numéro 19/00641 en ce qu'il a dit que la maladie, objet du certificat médical initial du 11 juin 2014 n'est pas due à la faute inexcusable de son employeur, débouté Mme [I] de ses demandes et condamné cette dernière aux dépens,

DECLARER recevable et non prescrite son action tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'association [12],

JUGER que sa maladie, prise en charge au titre de la législation professionnelle suivant décision du 23 octobre 2014, procède de la faute inexcusable de son employeur,

FIXER à son maximum la majoration de rente prévue par la loi de telle sorte que la rente servie par l'organisme de sécurité sociale ne subisse aucun abattement forfaitaire,

ORDONNER une expertise médicale et désigner tel expert qu'il plaira avec la mission décrite dans ses écritures comprenant notamment celle d'examiner la victime, décrire les lésions causées par la maladie, indiquer les traitements appliqués, leur évolution, leur état actuel et un éventuel état antérieur en précisant son incidence et d'indiquer la date de consolidation,

CONDAMNER l'association [12] à lui verser la somme de 15.000 euros à titre de provision à valoir sur la réparation définitive de son préjudice,

CONDAMNER l'association [12] à lui verser une somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNER l'association [12] aux entiers dépens de l'instance.

Elle soutient que son action tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'association [12] à l'origine de sa maladie professionnelle n'est pas prescrite tout en précisant d'ailleurs que son ancien employeur, qui conteste son caractère professionnel, ne démontre pas que cette maladie, remplissant toutes les conditions du tableau 57 A, aurait été contractée chez un précédent employeur.

Sur la conscience du danger, elle fait valoir que l'employeur avait connaissance des risques d'une part, du fait de l'accident survenu le 17 novembre 2013 donnant lieu à une déclaration d'accident du travail même si elle reconnaît ne pas lui avoir transmis l'arrêt de travail afférent et d'autre part, à tout le moins, à compter du 8 avril 2014, du fait de la visite de reprise consécutive à un accident de trajet du 4 avril 2014 lors de laquelle le médecin l'a déclarée apte sous condition d'une aide technique pour toute manipulation.

Sur l'absence de mesures prises par l'employeur, elle affirme ne pas avoir disposé d'aide à la manutention suffisante, contrairement aux recommandations faites en ce sens par la médecine du travail et que son état de santé s'est détérioré.

Elle prétend aussi qu'aucune formation relatives aux gestes et postures ou au matériel utilisé ne lui a été dispensée, alors qu'il résulte pourtant du document unique d'évaluation des risques professionnels produit en première instance par l'association [12] que le risque lié aux troubles musculo-squelettiques était clairement identifié.

Selon leurs conclusions d'intimé n° 2 contenant appel incident notifiées par RPVA le 5 février 2024 reprises à l'audience, l'association [11] ([12]) et la SELARL [13], ès qualités d'administrateur judiciaire de l'[12], faisant l'objet d'une mesure de redressement judiciaire selon jugement du 2 juin 2023 rendu par le tribunal judiciaire de Grenoble, demandent à la cour de :

DECLARER recevable et bien fondée l'intervention volontaire de la SELARL [13] ès qualités d'administrateur judiciaire de l'ADPA,

A titre principal,

INFIRMER le jugement rendu par le pôle social près du tribunal judiciaire de Grenoble du 7 juillet 2022 en ce qu'il a « débouté l'[12] de sa demande tendant à contester le caractère professionnel de la pathologie, objet du certificat médical initial du 11 juin 2014, dont est atteinte Mme [I] »,

Statuant à nouveau,

DIRE ET JUGER que la pathologie « rupture partielle ou transfixiante de la coiffe des rotateurs objectivée par IRM » prise en charge au titre de la législation professionnelle ne bénéficie pas de la présomption d'imputabilité au travail effectué pour le compte de l'ADPA,

SAISIR pour avis le Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles dès lors que l'[12] conteste le caractère professionnel de la maladie.

DEBOUTER Mme [I] de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'ADPA concernant l'accident du travail du 17 novembre 2013 et débouter Mme [I] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

A titre subsidiaire,

CONFIRMER le jugement rendu par le pôle social près du tribunal judiciaire de Grenoble du 7 juillet 2022 en ce qu'il a :

' dit que la maladie, objet du certificat médical initial du 11 juin 2014 dont est atteinte Mme [I] n'est pas due à la faute inexcusable de son employeur,

' débouté en conséquence Mme [I] de l'intégralité de ses demandes.

En conséquence,

DIRE ET JUGER que la maladie professionnelle ne peut être imputée à la faute inexcusable de l'ADPA et débouter Mme [I] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

DEBOUTER Mme [I] de sa demande d'indemnisation complémentaire fondée sur les dispositions des articles L. 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale.

A titre infiniment subsidiaire si par extraordinaire la cour jugeait que la pathologie déclarée a un caractère professionnel et est imputable à la faute inexcusable de l'ADPA,

En cas d'expertise, DONNER à l'expert une mission limitant l'appréciation des chefs de préjudice visés par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, et ceux non couverts par le livre IV du même code, sans étendre l'examen aux autres chefs de préjudice de la nomenclature [14],

DIRE ET JUGER que les frais d'expertise seront avancés par la CPAM de l'Isère,

REJETER la demande de condamnation au paiement de la somme provisionnelle de 15 000 euros formée par Mme [I] à l'encontre de l'[12] comme étant particulièrement non fondée, ni justifiée,

En toute hypothèse,

DEBOUTER Mme [I] et la CPAM de l'Isère de toute demande, défense, exception et fin,

CONDAMNER Mme [I] à verser à l'[12] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNER Mme [I] aux entiers dépens d'instance.

L'association [12] et la SELARL [13] soutiennent tout d'abord que l'action en reconnaissance de faute inexcusable doit être rejetée en l'absence de toute matérialité de l'accident déclaré survenu le 17 novembre 2013, sans témoin, dans des circonstances imprécises et donnant lieu à une information et déclaration tardives auprès de l'employeur.

Elles contestent ensuite le caractère professionnel de la maladie déclarée par Mme [I] dès lors que cette dernière a travaillé pour neuf employeurs différents avant son embauche le 1er octobre 2009 et que, s'agissant d'une lésion dégénérative de la coiffe des rotateurs, il en résulte que Mme [I] n'a pas été exposée aux risques du tableau 57 lors de son emploi d'aide à domicile au sein de l'ADPA.

Elles prétendent en outre que les conditions du tableau 57 A des maladies professionnelles ne sont pas remplies puisque l'employeur n'a pas reçu d'une part la fiche de colloque médico-administratif permettant de s'assurer de la réalisation de l'IRM et du fait, d'autre part, que la condition liée aux travaux n'est pas satisfaite, la fiche de poste ne prévoyant aucun mouvement d'élévation de l'épaule supérieur à 60° pendant 2 heures.

Sur la faute inexcusable elles contestent que l'association a eu connaissance de restrictions d'aptitude avant le 8 avril 2014 et opposent ensuite que l'appelante ne démontre pas qu'elle ne les aurait pas respectées.

La caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère par conclusions déposées le 8 mars 2024 reprises à l'audience s'en rapporte à justice sur les demandes de l'appelante et, en cas de reconnaissance de la faute inexcusable, demande condamnation de l'employeur à lui rembourser les sommes dont elle aura fait l'avance, ainsi que les frais d'expertise, outre intérêts au taux légal à compter de leur versement.

Pour le surplus de l'exposé des moyens des parties au soutien de leurs prétentions il est renvoyé à leurs conclusions visées ci-dessus par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

L'association [12] en cause d'appel ne soulève plus l'irrecevabilité de la demande de Mme [I] pour cause de prescription, faute d'avoir repris cette demande dans le dispositif de ses conclusions, ni d'avoir articulé un moyen au soutien de celle-ci dans le corps de ses écritures.

Mme [I] a déclaré le 16 juin 2014 un traumatisme de l'épaule selon certificat médical initial du 11 juin 2014 faisant état d'une tendinopathie de la coiffe des rotateurs tableau 57 A avec une date de première constatation au 25 novembre 2013.

La pathologie « coiffe des rotateurs - rupture partielle ou transfixiante objectivée par IRM gauche » a été prise en charge à titre professionnel par la caisse primaire d'assurance maladie, selon notification du 23 octobre 2014.

1 - Sur la contestation du caractère professionnel de la maladie

Dans sa rédaction en vigueur antérieure au 19 août 2015 l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale dispose que :

« Les dispositions du présent livre sont applicables aux maladies d'origine professionnelle sous réserve des dispositions du présent titre. En ce qui concerne les maladies professionnelles, la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle est assimilée à la date de l'accident.

Est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.

Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime.

Peut être également reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé.

Dans les cas mentionnés aux deux alinéas précédents, la caisse primaire reconnaît l'origine professionnelle de la maladie après avis motivé d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. La composition, le fonctionnement et le ressort territorial de ce comité ainsi que les éléments du dossier au vu duquel il rend son avis sont fixés par décret. L'avis du comité s'impose à la caisse dans les mêmes conditions que celles fixées à l'article L. 315-1 ».

En défense à l'action en reconnaissance de faute inexcusable l'employeur peut contester le caractère professionnel de la maladie.

1-1. L'association [12] conteste en premier lieu la désignation de la maladie faisant valoir qu'il n'est pas démontré que la rupture partielle ou transfixiante de la coiffe des rotateurs a été objectivée par IRM, faute de production encore à la date de clôture des débats de la fiche du colloque médico-administratif de la caisse.

Cependant, Mme [I] a versé aux débats en pièce n° 22 le rapport médical d'évaluation de son taux d'incapacité permanente à la date de consolidation au 3 mai 2017 par le médecin conseil, reprenant les informations disponibles au dossier médical de l'assurée et qui fait bien mention d'une IRM gauche du 11 juin 2014 (page 1), ce qui justifie donc bien de l'existence de cet examen pour que la condition du tableau relative à la désignation de la maladie soit remplie.

1-2. En second, lieu l'association [12] estime que les fonctions d'aide à domicile n'exposaient pas Mme [I] à effectuer les travaux décrits au tableau, soit les travaux comportant des mouvements ou le maintien de l'épaule sans soutien en abduction :

* avec un angle supérieur ou égal à 60° pendant au moins deux heures par jour en cumulé ou,

* avec un angle supérieur ou égal à 90° pendant au moins une heure par jour en cumulé.

Mme [I] a été embauchée à compter du 1er octobre 2009 en qualité d'agent à domicile et effectuait selon ses bulletins de salaire de 2014 (pièce appelante n° 32) et l'attestation Assedic qui lui a été remise (pièce n° 26), un horaire mensuel de 130 heures et hebdomadaire de 30 heures, soit 6 heures de travail journalier.

Selon sa fiche de poste (pièce [12] n° 5) elle effectuait au domicile des personnes chez qui elle intervenait les tâches suivantes :

* hygiène de la personne : toilettes, habillage, changes ;

* mobilisation, transfert : faire marcher, bouger ;

* distribution des aliments préparés, préparation, prise des repas ;

* entretien du linge ;

* entretien du logement ;

* accompagnement lors des sorties, réalisation des achats, soutien aux démarches administratives (courrier, prise de rendez-vous, classement).

Le risque de troubles musculo-squelettiques était identifié dans cette fiche, tout comme dans le document unique d'évaluation des risques professionnels (pièce [12] n° 6 - page 10), notamment à raison des gestes répétitifs (entretien du logement, toilette...).

Au terme de l'enquête effectuée, la caisse primaire d'assurance maladie a estimé que la condition du tableau relative à l'exposition au risque était également remplie.

Les premiers juges ont retenu que l'assurée avait indiqué dans son questionnaire qu'elle se trouvait les bras décollés sans soutien au dessus du corps à 60 degrés et plus au moins 3h30 par jour et au dessus du niveau des épaules (90°) plus d'une heure par jour, tandis que l'employeur n'a pas été en mesure de quantifier la durée journalière d'exposition, « variable selon les tâches de la journée ».

À raison de la nature même des tâches effectuées tenant notamment à l'entretien du logement (ménage, vitre, vaisselle...) et à la toilette de personnes dépendantes à domicile, il a été justement retenu que la condition relative à l'exposition était remplie.

1-3. Enfin l'intimée prétend que Mme [I] aurait contracté sa pathologie au service d'un précédent employeur au service duquel elle aurait selon elle été exposée aux risques décrits au tableau 57.

Il sera rappelé que la condition d'exposition au risque durant son travail pour le compte de l'association [12] a été précédemment retenue, que Mme [I] travaillait depuis plus de quatre ans lorsqu'elle a effectué sa déclaration de maladie professionnelle, que la date de première constatation visée au certificat médical initial est le 25 novembre 2013, que selon le tableau 57 le délai de prise en charge est d'un an, sous réserve d'une durée d'exposition d'un an.

En conséquence toutes les conditions du tableau étant réunies tenant à la désignation de la maladie, au délai de prise en charge et à la liste limitative des travaux susceptibles de provoquer la maladie, la présomption d'imputabilité de cette maladie au travail accompli par Mme [I] au service de l'association [12] issue des dispositions de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale précitées s'applique, de sorte qu'il est vainement soutenu par l'intimée que cette maladie serait imputable à un précédent emploi.

Il n'y a donc lieu à saisir un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.

2 - Sur la faute inexcusable

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité et de protection de la santé, notamment en ce qui concerne les accidents du travail et maladies professionnelles. Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du Code de la Sécurité Sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident ou la maladie survenu au salarié mais il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.

La conscience du danger doit s'apprécier compte-tenu de l'importance de l'entreprise considérée, de son organisation, de la nature de son activité et des travaux auxquels était affecté son salarié.

Pour déterminer si l'employeur a commis une faute inexcusable, seule l'attitude de l'employeur préalable à l'accident du travail ou à l'apparition de la maladie doit être examinée, peu important son attitude ultérieure, tout manquement postérieur à la survenue de cet accident ou de cette maladie ne pouvant être sanctionné que sur le fondement du droit commun prud'homal du manquement à l'obligation de sécurité au travail.

Il appartient enfin au salarié, demandeur à l'instance en reconnaissance de faute inexcusable, de rapporter la preuve que son employeur avait conscience du danger auquel il était exposé et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Cette preuve n'est pas rapportée lorsque les circonstances de l'accident dont il a été victime demeurent indéterminées, en considération des pièces versées aux débats par l'appelante à qui incombe cette preuve.

En l'espèce Mme [I] a saisi le tribunal d'une demande de reconnaissance de faute inexcusable liée à sa maladie professionnelle du 11 juin 2014.

Antérieurement son employeur a déclaré avec réserves le 5 décembre 2013 un accident survenu le 17 novembre 2013 lors duquel Mme [I] en voulant soulever une personne de son lit a ressenti un craquement à l'épaule gauche.

Cet accident du travail concernant la même articulation que la maladie professionnelle a donné lieu à un refus de prise en charge le 3 mars 2014 (pièce [12] n° 18) non contesté par l'appelante, de sorte que sa matérialité n'est pas avérée et qu'il ne peut en être tiré aucune conséquence utile à la caractérisation d'une faute inexcusable, en lien avec la maladie professionnelle déclarée postérieurement.

2-1. La conscience du danger auquel était exposé la salariée n'est pas véritablement contestée puisque le risque de troubles musculo-squelettiques est mentionné tant dans la fiche de poste que le document unique d'évaluation des risques professionnels précités.

2-2. Concernant les mesures prises pour l'en prémunir, l'association [12] justifie avoir dispensé à Mme [I] une formation appropriée après son embauche de cinq jours en mai et juin 2010, de perfectionnement à la fonction d'aide à domicile auprès de personnes âgées et/ou handicapées au centre pluridisciplinaire de gérontologie (pièce [12] n° 2).

L'association relève également que le 27 septembre 2013, soit deux mois avant la date de première constatation de la maladie (25 novembre 2013), Mme [I] avait été déclarée apte sans aucune réserve à son emploi d'aide à domicile.

L'appelante se fonde elle sur l'avis du médecin du travail du 8 avril 2014 donné après un accident de la circulation qui l'a déclarée apte à la reprise du travail avec aide technique pour toute manutention (pièce appelante n° 3).

Elle reproche à son employeur de ne pas avoir observé cette restriction, étant relevé qu'à partir du 29 mai 2014 elle a été en arrêt de travail pour maladie non professionnelle (pièce [12] n° 23 : relevé d'indemnités journalières du 29 mai 2014 au 12 juin 2014).

Interrogé par l'employeur, ce médecin du travail a précisé dans un courriel du 18 avril 2014 (pièce [12] n° 22) que :

« Mme [I] a besoin d'aides techniques pour éviter toute hypersollicitation de ses épaules lors des manutentions liées aux transferts et autres contraintes physiques de son poste. Il semble que ce soit déjà mise en place le plus souvent. Merci de vous assurer que l'ensemble des personnes aidées chez qui elle intervient dispose de matériel pour faciliter le travail de l'aide à domicile ».

Il incombe à Mme [I], demanderesse à la reconnaissance de faute inexcusable, de rapporter la preuve de ce que l'association [12] a méconnu cette recommandation en la laissant intervenir au domicile de personnes ayant un besoin d'assistance d'une tierce personne pour être mobilisées et sans le matériel nécessaire.

À ce titre, elle n'a absolument pas indiqué son planning et l'identité des personnes chez qui elle est intervenue entre le 8 avril et le 29 mai 2014 pour permettre à l'association [12] d'apporter, le cas échéant, une contradiction quant à l'état de dépendance de ces personnes.

L'unique moyen de preuve qu'elle a versé aux débats consiste en une attestation d'une dame [X] [W], non conforme aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile et surtout non accompagnée de la copie d'un document d'identité correspondant qui déclare :

« Je soussigné Madame [W] ex Mme [Z] [X], déclare par la présente lettre, avoir travaillé au sein de la société [12] de 2012 à 2014. Concernant les interventions faites chez Mme [J], entre autres, je déclare qu'il n'y avait aucun matériel médicalisé (lève-malade ou verticalisateur) pour effectuer les transferts tout se faisait manuellement, à la force des bras. Cette dame était une personne de forte corpulence et qui, au niveau de la motricité, n'avait pas un bon équilibre. Je déclare également que la société [12] était au courant de cela et que malgré tout, les interventions restaient maintenues. Pour faire valoir ce que de droit auprès des institutions (...) ».

Ainsi formulée et nonobstant son irrégularité en tant que moyen de preuve au regard de l'article 202 du code de procédure civile précité, cette attestation n'établit déjà pas que Mme [I] serait elle aussi intervenue chez cette dame [J], après ou même avant le 8 avril 2014, ni chez d'autres personnes nécessitant d'être pareillement mobilisées.

En conséquence, Mme [I] n'a pas rapporté la preuve d'une faute inexcusable imputable à son employeur à l'origine de sa maladie professionnelle.

Le jugement déféré sera donc entièrement confirmé.

3 - Sur les frais du procès

Les dépens seront supportés par l'appelante qui succombe.

Il ne parait pas inéquitable de laisser à l'intimée la charge de ses frais irrépétibles d'instance.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire, en dernier ressort après en avoir délibéré conformément à la loi,

Reçoit l'intervention volontaire de la Selarl [13] ès qualités d'administrateur judiciaire de l'Association [11] ([12]) désignée par jugement du tribunal judiciaire chambre des redressements judiciaires civils de Grenoble du 2 juin 2023.

Confirme le jugement RG n° 19/00641 rendu le 7 juillet 2022 par le pôle social du tribunal judiciaire de Grenoble.

Y ajoutant,

Condamne Mme [E] [I] aux dépens.

Déboute l'Association [11] ([12]) de sa demande par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par M. Jean-Pierre Delavenay, président et par Mme Chrystel Rohrer, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch.secu-fiva-cdas
Numéro d'arrêt : 22/03663
Date de la décision : 30/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 06/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-30;22.03663 ?
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