N° RG 19/00540 - N° Portalis DBVM-V-B7D-J3XH
N° Minute :
C3
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me André MAUBLEU
la SELARL DENIAU AVOCATS [Localité 3]
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
2ÈME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 28 MAI 2024
Appel d'un jugement (N° R.G. 13/04870) rendu par le tribunal de grande instance de Grenoble en date du 13 décembre 2018, suivant déclaration d'appel du 31 janvier 2019
Appelants :
M. [E] [J]
né le 08 Avril 1968 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 5]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 19/2102 du 28/03/2019 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de GRENOBLE)
M. [B] [L]
né le 15 Octobre 1963 à [Localité 7] (73)
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentés et plaidant par Me André MAUBLEU, avocat au barreau de GRENOBLE
Intimées :
SA DAUPHILOGIS prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 3]
Société ALPES ISERE HABITAT OFFICE PUBLIC DE L'HABITAT anciennement OPAC 38 prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentées par Me Ronald LOCATELLI de la SELARL DENIAU AVOCATS GRENOBLE, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant, substitué par Me GAUTHIER, et Maître Stéphane BONNET de la SELAS LEGA-CITE, avocat au barreau de LYON, substitué et plaidant par ME SOMMER, avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Emmanuèle Cardona, présidente,
Mme Anne-Laure Pliskine, conseillère,
Mme Ludivine Chetail, conseillère,
DÉBATS :
A l'audience publique du 18 mars 2024
Mme Emmanuèle Cardona, présidente,
Mme Anne-Laure Pliskine, conseillère, entendue en son rapport,
Mme Ludivine Chetail, conseillère,
assistées lors des débats de Mme Caroline Bertolo, greffière
Les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries.
Puis l'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu ce jour.
EXPOSE DU LITIGE
Un projet de construction d'immeubles a été porté par les sociétés Dauphilogis et OPAC 38. Ce projet prévoyait la construction de trois bâtiments de 45 logements (30 logements OPAC et 15 logements Dauphilogis), à [Localité 5], d'une hauteur de 22 mètres, entre la [Adresse 9], la [Adresse 10] et l'ouest de la [Adresse 8], à proximité des habitations de MM. [J] et [L].
Un second projet de construction d'immeubles, en continuité de celui de Dauphilogis et OPAC 38, a été porté par la société Icade promotion prévoyant la construction de trois bâtiments de 48 logements, d'une hauteur de 22 mètres à ce même endroit.
Un permis de démolir deux villas a été délivré le 12 décembre 2012 à Dauphilogis OPAC 38 et celles-ci ont été démolies le 03 décembre 2013.
Un permis de démolir deux villas a été délivré le 12 décembre 2012 à Icade et celles-ci ont été démolies le 3 décembre 2013.
Les sociétés Dauphilogis et OPAC 38 ont obtenu le 14 janvier 2013 un permis de construire (N°PC 038 151 12 10027) les trois bâtiments de 45 logements,
La société Icade a obtenu le 14 janvier 2013 un permis de construire les trois bâtiments de 48 logements. Le permis de construire à Icade a été transféré à la société EDIFIM Dauphiné par arrêté du maire en date du 14 mars 2019 puis il a été annulé et un nouveau permis à été délivré à EDIFIM Dauphiné le 23 janvier 2020.
Monsieur [J] a déposé le 14 mars 2013 une requête devant le tribunal administratif de Grenoble demandant l'annulation du permis de construire accordé aux sociétés Dauphilogis et OPAC 38.
Monsieur [L] a également déposé une requête au tribunal administratif de Grenoble demandant l'annulation du permis de construire accordé aux sociétés Dauphilogis et OPAC 38. Il a souhaité ensuite s'en désister mais ce désistement a été refusé par les sociétés Dauphilogis et OPAC 38.
Par jugement du 11 décembre 2014, le tribunal administratif a joint d'office les deux requêtes et a débouté M. [J] et M. [L] de leurs deux requêtes contre Dauphilogis et OPAC 38.
Des requêtes similaires ont été déposées à l'encontre de permis de construire accordés à la société Icade.
Par un autre jugement en date du 11 décembre 2014, le tribunal administratif a joint d'office les deux requêtes et a débouté M. [J] et M. [L] de leurs deux requêtes contre Icade.
M. [J] seul a interjeté appel des deux jugements devant la cour administrative d'appel de Lyon.
La cour administrative d'appel, par arrêt du 27 décembre 2016, a confirmé le jugement mais débouté les sociétés Dauphilogis et OPAC 38 de leurs demandes contre M. [J] de dommages-intérêts pour recours abusif.
La cour administrative d'appel, par un autre arrêt du 27 décembre 2016 a confirmé le jugement mais débouté la société Icade de ses demandes contre M. [J] de dommages-intérêts pour recours abusif.
Par actes d'huissier du 14 octobre 2013 Les sociétés Dauphilogis et OPAC 38 ont fait assigner M. [J] d'une part et M.[L] d'autre part devant le tribunal de grande instance de Grenoble en sollicitant une somme de 555.000 euros globalement pour ces deux sociétés, outre intérêts légaux et capitalisés à compter de l'assignation, outre 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de leurs préjudices, pour recours abusif
Par actes d'huissier du 14 octobre 2013, la société Icade a fait assigner M. [J] d'une part et M.[L] d'autre part devant le tribunal de grande instance de Grenoble en sollicitant une somme de 247.113 euros, outre intérêts légaux et capitalisés à compter de l'assignation, outre 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de ses préjudices, pour recours abusif, l'instance faisant l'objet d'une autre procédure.
Par jugement en date du 13 décembre 2018, le tribunal de grande instance de Grenoble a :
-déclaré la juridiction compétente pour connaître du litige,
-dit que les recours exercés par Messieurs [E] [J] et [B] [L] devant les juridictions administratives sont constitutifs d'une faute,
-condamné en conséquence in solidum [E] [J] et [B] [L] à verser à l'OPAC 38 la somme de 160.000 euros outre intérêts légaux à compter de l'assignation,
-débouté les parties de toutes autres demandes plus amples ou contraires,
-ordonné la capitalisation des intérêts par année entière,
-ordonné l'exécution provisoire du jugement,
-condamné in solidum Messieurs [E] [J] et [B] [L] à verser à la société Dauphilogis la somme de mille cinq cent Euro au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
-condamné in solidum Messieurs [E] [J] et [B] [L] à verser à la société OPAC 38 la somme de mille cinq cent euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
-condamné in solidum Messieurs [E] [J] et [B] [L] aux dépens, en ceux compris les frais d'incident, avec distraction au profit des avocats en la cause.
Par déclaration en date du 31 janvier 2019, MM.[J] et [L] ont interjeté appel du jugement.
Dans leurs conclusions notifiées le 14 août 2023, M.[J] et M. [L] demandent à la cour de:
-dire recevable et fondé les appels de Messieurs [J] et [L] contre le jugement du 13 décembre 2018.
-infirmer le jugement du 13 décembre 2018 sur tous les points contestés par Messieurs [J] et [L], notamment en ce qu'il a :
-déclaré la juridiction compétente pour connaître du litige,
-dit que les recours exercés par Messieurs [E] [J] et [B] [L] devant les juridictions administratives sont constitutifs d'une faute,
-condamné en conséquence in solidum [E] [J] et [B] [L] à verser à l'OPAC 38 la somme de 160.000 euros outre intérêts légaux à compter de l'assignation,
-débouté M. [J] et M. [L] de toutes leurs demandes plus amples ou contraires,
-ordonné la capitalisation des intérêts par année entière,
-ordonné l'exécution provisoire du jugement,
-condamné in solidum Messieurs [E] [J] et [B] [L] à verser à la société Dauphilogis la somme de mille cinq cent Euro au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
-condamné in solidum Messieurs [E] [J] et [B] [L] à verser à la société OPAC 38 la somme de mille cinq cent Euro au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
-condamné in solidum Messieurs [E] [J] et [B] [L] aux dépens, en ceux compris les frais d'incident, avec distraction au profit des avocats en la cause.
-dire que le tribunal de grande instance de Grenoble et actuellement la cour d'appel sont incompétents pour statuer sur les demandes des sociétés Dauphilogis et OPAC 38 devenue l'OPH Alpes Isère habitat office public de l'habitat, contre M. [J] et M. [L], seule la juridiction administrative étant compétente à savoir le tribunal administratif de Grenoble.
S'il est jugé que le tribunal de grande instance était compétent (sic), dire que les demandes des sociétés étaient irrecevables.
-constater que l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 24 décembre 2016 a jugé que M. [J] avait intérêt à contester le permis de construire du 14 janvier 2013 et que son action n'excédait pas ses intérêts légitimes et que les sociétés Dauphilogis et OPAC 38 ont été déboutées de leurs demandes de dommages intérêts pour préjudice causé par le recours contre le permis de construire.
-constater que l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 24 décembre 2016 a autorité et force de la chose jugée sur l'intérêt légitime de M. [J] de contester le permis de construire du 14 janvier 2013, donc qu'il n'y a pas eu abus de droit de sa part, et sur le débouté des sociétés de leurs demandes de dommages intérêts.
-dire et juger que l'arrêté de permis de construire du 14 janvier 2013 est périmé et n'existe plus ou surseoir à statuer dans l'attente de la décision des juridictions administratives sur la demande de M. [J] en déclaration de péremption dudit permis de construire.
-dire irrecevables les demandes de dommages-intérêts des deux sociétés intimées vu l'autorité de chose jugée par l'arrêt du 24 décembre 2016 les en déboutant et la péremption du permis du 14 janvier 2013 leur enlevant toute qualité.
-constater que malgré la fin des recours contre le permis depuis le 5 novembre 2013 pour M.[L] et le 27 décembre 2016 pour M.[J] les sociétés n'ont commencé les constructions qu'en novembre 2019, démontrant ainsi qu'elles ne voulaient pas construire avant et que s'il y a eu des retards elles en sont seules responsable.
-dire et juger que le recours non suspensif de M. [J] contre le permis de construire n'est pas constitutif d'un abus de droit ni d'une faute et qu'en toute hypothèse il n'a pu entraîner aucun préjudice pour les sociétés Dauphilogis et OPAC 38 devenue l'OPH Alpes Isère habitat office public de l'habitat.
-dire et juger que le recours non suspensif de M. [L] contre le permis de construire n'est pas constitutif d'un abus de droit ni d'une faute et qu'en toute hypothèse il n'a pu entraîner aucun préjudice pour les sociétés Dauphilogis et OPAC 38 devenue l'OPH Alpes Isère habitat office public de l'habitat.
En toutes hypothèses réformer le jugement du 13 décembre 2018 en toutes ses dispositions sauf en tout ce qu'il a débouté les sociétés Dauphilogis et OPAC 38 devenue l'OPH Alpes Isère habitat office public de l'habitat de leurs demandes à l'encontre de M. [J] et M. [L] et confirmer le jugement concernant ce débouté.
-confirmer le jugement du 13/12/2018 en ce qu'il a débouté les sociétés Dauphilogis et OPAC 38, devenue l'OPH Alpes Isère habitat office public de l'habitat, de leurs demandes de dommages-intérêts pour préjudice moral.
-constater que le recours de M. [J] et celui de M. [L] contre le permis de construire n'étaient pas collectif mais individuel.
-constater que M. [L] s'est désisté de son recours au tribunal administratif le 5/11/2013, que cela a été refusé par les intimées les 07/11/2013 et 21/11/2013, qu'il n'a pas fait de recours contre le jugement du tribunal administratif du 11/12/2014 et ne peut donc se voir reprocher des conséquences pour des faits intervenus au-delà de son désistement ou au plus dudit jugement du tribunal administratif.
-débouter les deux sociétés Dauphilogis et OPAC 38, devenue l'OPH Alpes Isère habitat office public de l'habitat, de toutes leurs demandes contre M. [J] et M. [L].
-dire que le tribunal de grande instance puis actuellement la cour d'appel restent compétents pour statuer sur les demandes reconventionnelles de M. [J] en dommages intérêts pour procédure et assignation fautives et abusives et mémoire abusif à la cour de Lyon, ainsi que pour statuer sur ses demandes d'interdiction de construire ou à défaut de dommages-intérêts pour cause de troubles possessoires et anormaux de voisinage.
-dire que le tribunal de grande instance puis actuellement la cour restent compétents pour statuer sur les demandes reconventionnelles de M. [L] en dommages intérêts contre les deux sociétés pour procédure et assignation fautives et abusives.
-constater que les assignations délivrées par Dauphilogis et OPAC 38 contre M. [J] et M. [L] sont en date du 14 octobre 2013 soit deux mois avant qu'elles puissent être en possibilité de construire, les villas à démolir ne l'étant pas et les immeubles fatalement pas constructibles de sorte qu'aucun préjudice n'était possible à cette date et donc impossible à imputer à M.s [J] ou [L].
-constater que malgré l'arrêt de la cour administrative d'appel du 27 décembre 2016 refusant d'annuler le permis, les sociétés Dauphilogis et OPAC 38 n'ont commencé les constructions qu'en novembre 2019 démontrant ainsi que les recours non suspensifs contre le permis n'étaient pas un obstacle et qu'elles ne voulaient pas construire avant.
-constater que l'arrêté de permis du 14 janvier 2013 a fait l'objet d'un recours devant la cour administrative d'appel de Lyon uniquement par M. [J].
-débouter les sociétés Dauphilogis et OPAC 38 devenue l'OPH Alpes Isère habitat office public de l'habitat de toutes leurs demandes fins et conclusions à l'encontre de M. [J] et M. [L].
En toutes hypothèses confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que les sociétés Dauphilogis et OPAC 38 sont déboutées de leurs demandes indemnitaires.
En tous cas dire qu'il n'y a pas lieu à quelque condamnation in solidum de M. [J] et M. [L].
-condamner conjointement et solidairement les sociétés Dauphilogis et OPAC 38, devenue l'OPH Alpes Isère habitat office public de l'habitat, à payer à M. [J] la somme de trente mille euros (30.000 euros) de dommages intérêts pour cause de mémoire, assignation et procédure fautifs et abusifs.
-condamner conjointement et solidairement les sociétés Dauphilogis et OPAC 38 devenue l'OPH Alpes Isère habitat office public de l'habitat à payer à M. [L] la somme de vingt mille euros (20.000 euros) de dommages intérêts pour assignation et procédure fautives et abusives.
A la demande de M. [J], ordonner à Dauphilogis et OPAC 38 devenue l'OPH Alpes Isère habitat office public de l'habitat, sous astreinte de 1.000 euros par jour, de démolir les deux bâtiments construits et interdire la construction du troisième prévu par le permis de construire du 14 janvier 2013 pour cause d'inexistence de permis de construire et pour cause de troubles possessoires et troubles anormaux de voisinage qui lui sont et seront causés par lesdites constructions et le chantier ou condamner les sociétés Dauphilogis et OPAC 38 devenue l'OPH Alpes Isère habitat office public de l'habitat à lui payer la somme de 100.000 euros de dommages-intérêts pour les préjudices subis ou à subir par lui du fait de l'édification des constructions accordées par ledit permis du 14 janvier 2013, ou la somme de 300 euros pour chaque jours de construction et de maintien des bâtiments, sauf à ordonner une expertise pour chiffrer ses préjudices découlant de ces constructions.
-condamner conjointement et solidairement les sociétés Dauphilogis et OPAC 38 devenue l'OPH Alpes Isère habitat office public de l'habitat à payer à M. [J] la somme de cinq mille euros (5.000 euros) en vertu de l'article 700 du code de procédure civile en cause de première instance et la somme de 10.000 euros en vertu du même article en cause d'appel.
-condamner conjointement et solidairement les sociétés Dauphilogis et OPAC 38 devenue l'OPH Alpes Isère habitat office public de l'habitat à payer à M. [L] la somme de cinq mille euros (5.000 euros) en vertu de l'article 700 du code de procédure civile en cause de première instance et la somme de 10.000 euros en vertu du même article en cause d'appel.
-condamner conjointement et solidairement les sociétés Dauphilogis et OPAC 38 devenue l'OPH Alpes Isère habitat office public de l'habitat aux entiers dépens de première instance et d'appel lesquels seront distraits au profit de Me Maubleu, avocat, sur son affirmation de droit, en application des articles 696 et 699 du code de procédure civile.
Au soutien de leurs demandes, les appelants énoncent tout d'abord que leur situation n'est pas identique, quand bien même le tribunal a joint les procédures.
Ils soulèvent en premier lieu l'incompétence du tribunal de grande instance devenu tribunal judiciaire de Grenoble au profit du juge administratif, sur le fondement de l'article L.600-7 du code de l'urbanisme.
Ils allèguent que par ordonnance du juge de la mise en état du 3 mars 2015, le tribunal de grande instance a été déclaré compétent, ce qui a été confirmé par la cour d'appel de Grenoble le 15 décembre 2015 mais ces décisions du juge de la mise en état et de la cour d'appel de Grenoble n'ont pas autorité de chose jugée, que par suite, contrairement aux motifs du jugement du 13 décembre 2018, l'exception d'incompétence n'est pas irrecevable.
Subsidiairement, M. [J] invoque l'irrecevabilité des demandes des sociétés tendant à faire juger qu'il y a eu abus de droit de sa part d'avoir contesté le permis car elles ne pouvaient être présentées que devant la juridiction qui a statué sur le recours contre le permis de construire. Il souligne que la cour administrative d'appel de Lyon a déjà jugé dans son arrêt du 27 décembre 2016 intervenu entre les mêmes parties ([J], Dauphilogis, OPAC 38) au sujet du même litige du permis de construire, concernant les mêmes demandes (dommages intérêts de 555 000 euros pour les préjudices causés par le recours abusif contre le permis) que le recours de M. [J] contre le permis de construire n'était pas abusif.
M.[J] réfute en tout état de cause toute faute et abus de droit dès lors qu'il habite à une quinzaine de mètres des constructions litigieuses, dont l'édification est source de préjudices pour lui (suppression de la vue sur le parc, ainsi que de l'ensoleillement du fait des barres d'immeubles).
M.[J] ajoute que son recours n'était pas suspensif, qu'il a été définitivement jugé par l'arrêt de la cour administrative d'appel du 27 décembre 2016, que pour autant, les sociétés n'ont pas commencé les travaux dans les délais prévus par le code de l'urbanisme, qu'elles ont ainsi laissé périmer le permis du 14 janvier 2013 qui n'existe plus depuis le 27 octobre 2019, en application des articles.R.424-17 et 424-19 du code de l'urbanisme.
Il ajoute qu'à la date de l'assignation du 14 octobre 2013, les sociétés ne pouvaient pas construire puisque les deux villas devant être préalablement démolies en vertu de l'arrêté de démolition ne l'étaient pas encore et ne l'ont été que le 3 décembre 2013.
M.[J] réfute toute condamnation in solidum.
A titre reconventionnel, il sollicite des dommages-intérêts pour procédure abusive, dès lors que les sommes sollicitées sont indiscutablement non fondées selon lui. Il fait valoir que que le projet de construction a été retardé pour cause de reprise des réseaux d'eau rue Sutter, de mauvaises conditions météo, de rues non rendues à la circulation avant fin 2013, éléments qui n'étaient pas de son fait.
Il sollicite également à titre reconventionnel l'interdiction de construire pour défaut de permis de construire ou troubles possessoires et troubles anormaux de voisinage.
Bien qu'ayant été présentées dans une partie distincte, les mêmes observations sont reprises s'agissant de M.[L].
Dans leurs conclusions notifiées le 30 mai 2022, les sociétés OPAC 38 et Dauphilogis demandent à la cour de:
- Vu les dispositions de l'article 1240 du code civil,
- Vu les dispositions des articles 699 et 700 du code de procédure civile,
- Vu les jurisprudences visées,
- Vu la notion d'abus du droit d'agir en justice,
- Vu la notion de troubles anormaux du voisinage,
- Vu les pièces produites,
Sur appel principal
-confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a :
-déclaré la juridiction de céans compétente pour connaître du présent litige ;
-dit que les recours exercés par messieurs [J] et [L] devant les juridictions administratives sont constitutifs d'une faute ;
-débouté messieurs [J] et [L] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
-condamné in solidum monsieur [E] [J] et monsieur [B] [L] à payer à l'OPAC 38 (devenu « Alpes Isère Habitat OPH ») et à la société Dauphilogis la somme de 1 500,00 euros chacune sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
-condamné in solidum monsieur [E] [J] et monsieur [B] [L] aux dépens, en ce compris les frais d'incident, avec distraction au profit des avocats en la cause ;
Sur appel incident
-réformer le jugement de première instance en ce qu'il a réduit les demandes indemnitaires de l'OPH Alpes Isère habitat office public de l'habitat (anciennement dénommé OPAC 38) et rejetées celles de la société Dauphilogis ;
Et statuant à nouveau,
-condamner in solidum monsieur [E] [J] et monsieur [B] [L] à payer :
- à l'OPH Alpes Isère habitat office public de l'habitat (anciennement dénommé OPAC 38) la somme de 1 071 377,84 euros, au titre du préjudice matériel subi ;
- à la société Dauphilogis la somme de 242 084, 65 euros, sauf à parfaire, au titre du préjudice matériel subi ;
-assortir ladite condamnation d'intérêts au taux légal à compter de l'assignation délivrée le 14 octobre 2013, valant mise en demeure, lesquels produiront, eux-mêmes, intérêts dans les conditions de l'article 1154 du code civil ;
-condamner in solidum monsieur [E] [J] et monsieur [B] [L] à verser à l'OPH Alpes Isère habitat office public de l'habitat (anciennement dénommé OPAC 38) et à la société Dauphilogis la somme de 10 000,00 euros chacune, au titre du préjudice moral subi ;
-donner acte à l'OPH Alpes Isère habitat office public de l'habitat (anciennement dénommé OPAC 38) et à la société Dauphilogis qu'ils se réservent le droit de formuler de plus amples demandes à raison de l'évolution du préjudice qui est le leur du fait du comportement fautif de monsieur [E] [J] et de monsieur [B] [L] ;
Y ajoutant,
-débouter monsieur [E] [J] et monsieur [B] [L] de leurs entières demandes, fins et prétentions,
-condamner monsieur [E] [J] et monsieur [B] [L] à payer à l'OPH Alpes Isère habitat office public de l'habitat (anciennement dénommé OPAC 38) et à la société Dauphilogis la somme de 5 000,00 euros chacune sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
-condamner in solidum les mêmes aux entiers frais et dépens de la présente instance et autoriser le SCP Robert Deniau Locatelli en la personne de Me Locatelli, avocat, sur son affirmation de droit qu'elle en a fait l'avance, à les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.
Les intimées concluent à la compétence du tribunal judiciaire au motif que si, sur le fondement de l'article L.600-7 du code de l'urbanisme, le bénéficiaire d'un permis d'aménager est autorisé à réclamer des dommages et intérêts devant le juge administratif saisi d'un recours pour excès de pouvoir contre ce permis de construire, pour autant, le juge judiciaire demeure compétent pour sanctionner les recours abusifs au visa de l'article 1240 du code civil (anciennement 1382).
Elles réfutent toute autorité de chose jugée au motif que la demande indemnitaire portée devant le tribunal de grande instance de Grenoble par l'OPAC 38 (devenu « Alpes Isère Habitat OPH ») et la société Dauphilogis n'est pas formulée contre les mêmes parties, et n'a ni le même objet, ni la même cause, que la demande précédemment portée devant la cour administrative d'appel de Lyon.
Elles concluent à la pleine validité du permis de construire, énonçant que le délai de validité a été suspendu entre le 14 mars 2013 (date d'enregistrement de la requête de Monsieur [J] au tribunal administratif de Grenoble) et le 27 février 2017, date à laquelle la décision de la cour administrative d'appel de Lyon est devenue irrévocable par suite de l'expiration du délai pour se pourvoir en cassation, qu'il a ensuite recommencé à courir le 27 février 2017 pour une durée de trois ans, minorée de deux mois pour tenir compte du délai écoulé entre la date d'obtention du permis ' le 14 janvier 2013 ' et la date du recours de Messieurs [J] et [L] ' le 14 mars suivant, que le délai restant à courir à partir du 27 février 2017 était ainsi de 34 mois.
Elles en concluent que le délai accordé à l'OPAC 38 (devenu « Alpes Isère Habitat OPH ») et la société Dauphilogis pour mettre en 'uvre le permis expirait au plus tôt le 27 décembre 2019, mais que les travaux de construction menés par l'OPAC 38 (devenu « Alpes Isère Habitat OPH ») et la société Dauphilogis ont débuté dès le 16 septembre 2019 avec l'intervention du terrassier, d'où l'absence de péremption.
Elles énoncent que MM.[J] et [L] ont commis une faute caractérisant un abus de droit puisque le recours était manifestement voué à l'échec dès lors que pour l'un, la distance séparant son bien du terrain d'assiette du projet était trop importante pour qu'il puisse être impacté par la construction, et que pour l'autre, quand bien même le logement était plus proche, il apparaissait qu'il ne disposait pas d'un vue dégagée avant le projet et que l'ensemble des moyens par lui développés par-devant la juridiction administrative étaient inopérants et avaient pour seul et unique but de retarder l'opération des pétitionnaires.
Elles réfutent toute violation de l'article UA 10 du plan local d'urbanisme puisque le terrain d'assiette du projet, disposant d'une superficie de 3 141 m², la réalisation d'un projet en R+5 d'une hauteur inférieure à 22 mètres, et soulignent que le quartier disposait déjà d'un certain nombre d'immeubles de grande hauteur, allant du R+4 au R+9.
A titre incident, elles font état de leur préjudice financier et moral.
Elles concluent au rejet des demandes de dommages et intérêts formulées par MM. [J] et [L] en rappelant qu'un promoteur ne commet aucune faute à rechercher la responsabilité civile de l'auteur d'un recours contre un permis de construire.
S'agissant de la demande en démolition et interdiction de construire pour cause de péremption de permis et trouble anormal de voisinage, elles énoncent que il n'appartient pas à la juridiction de céans de se prononcer sur la péremption ou non d'un arrêté de permis de construire.
Elles déclarent qu'il n'est pas nécessaire de surseoir à statuer, dans la mesure où ladite péremption, quand bien même elle serait avérée, ce qui n'est pas le cas, n'a aucune incidence sur la procédure en cours, si ce n'est pour venir appuyer l'existence indéniable de conséquences préjudiciables liées aux recours abusivement initiés par les appelants.
Elles soulignent que pour être réparable, le trouble doit excéder les inconvénients normaux du voisinage eu égard au secteur dans lequel sont édifiées les constructions litigieuses, qu'en effet, en ville, les habitants doivent s'attendre à supporter les désagréments inhérents au développement de constructions voisines.
La clôture a été prononcée le 10 janvier 2024.
MOTIFS
A titre liminaire, il sera rappelé que les demandes tendant à 'dire' ou 'constater' ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 455 du code de procédure civile.
Sur la compétence du juge judiciaire
Selon l'article 480 du code de procédure civile, le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche.
Le principal s'entend de l'objet du litige tel qu'il est déterminé par l'article 4.
Selon l'article 1355 du code civil, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
En l'espèce, par arrêt du 15 décembre 2015, la cour d'appel de Grenoble a statué sur la compétence du tribunal de grande instance devenu tribunal judiciaire, cette décision est revêtue de l'autorité de la chose jugée.
Sur la faute de M.[J] et de M.[L]
Les intimées énoncent que la faute de M.[J] est caractérisée par un abus du droit d'agir.
Toutefois, par arrêt du 27 décembre 2016, la cour administrative d'appel de Lyon a statué sur les demandes présentées par la société Icade promotion construction, sur le fondement de l'article L.600-7 du code de l'urbanisme.
Elle a indiqué: 'considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'action introduite par M.[J], qui dispose d'un intérêt à contester le permis de construire délivré à la société Icade promotion construction portant sur un projet de construction de trois immeubles d'habitation assez importants de quarante-huit logements à proximité immédiate du logement qu'il occupe en qualité de locataire, excéderait, en l'espèce, la défense de ses intérêts légitimes; qu'en conséquence les conclusions présentées par la société Icade promotion construction sur le fondement de l'article L.600-7 du code de l'urbanuisme doivent être rejetées'
Les demandes présentées par les sociétés Opac 38 et Dauphilogis sont les mêmes et se heurtent à l'autorité de chose jugée.
Pour M.[L], la situation est différente puisqu'il n'a pas interjeté appel et qu'aucune demande n'avait donc été formée à son encontre sur le fondement de l'article L.600-7 du code de l'urbanisme.
Il est vrai que M.[L] habite dans un logement plus éloigné des parcelles sur lesquelles les immeubles litigieux ont été construits. Pour autant, la distance entre son habitation et lesdites parcelles conduit à ce qu'il soit concerné, même si c'est de manière différente de M.[J], dès lors que l'édification des immeubles et du nombre de logements concernés a nécessairement des conséquences sur le trafic routier à proximité de son domicile.
Au demeurant, il convient de relever que le tribunal administratif de Grenoble, tout en rejetant la demande, a très longuement motivé sa décision, et que le président du tribunal administratif n'a pas fait usage de l'article l'article R222-1 4° du Code de justice administrative permettant de rejeter les requêtes manifestement irrecevables.
En outre, M.[L] n'a pas interjeté appel du jugemernt.
La preuve n'est donc pas rapportée qu'il a commis un abus de droit, le jugement sera infirmé.
Sur les demandes de dommages intérêts pour assignation et procédures abusives et mémoire abusif.
MM.[J] et [L] ne rapportent pas la preuve que les sociétés Opac 38 et Dauphilogis ont engagé une instance de manière abusive, sachant que les deux procédures administratives et judiciaires ont été formées en parallèle et qu'il convient de rappeler qu'ils ont été déboutés de leurs demandes par le tribunal administratif de Grenoble puis la cour administrative d'appel de Lyon pour M.[J].
Ces demandes sont rejetées.
Sur les demandes de démolition des immeubles
Les demandes fondées sur une éventuelle inexistence du permis de consrtuire ne relèvent pas de la compétence du juge judiciaire. Les mêmes demandes fondées sur le trouble de voisinage supposent de démontrer l'existence de ce dernier, ce que les consorts [J] et [L] échouent à faire, étant rappelé qu'ils demeurent dans une commune fortement urbanisée. Ils seront donc déboutés de leur demande, l'expertise sollicitée étant sans objet.
Il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de M.[J], bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale.
M.[L] se verra allouer la somme globale de 1500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.
Les sociétés Opac 38 et Dauphilogis qui succombent principalement à l'instance seront condamnées aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement déféré et statuant de nouveau,
Dit que l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble du 15 décembre 2015 est revêtu de l'autorité de la chose jugée s'agissant de la compétence du juge judiciaire,
Dit que l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 27 décembre 2016 est revêtu de l'autorité de la chose jugée s'agissant de la demande présentée par les sociétés Alpes Isère Habitat OPH et Dauphilogis à l'encontre de M.[J] sur le fondement de l'article L.600-7 du code de l'urbanisme,
Déboute les sociétés Alpes Isère Habitat OPH et Dauphilogis de leur demande tendantà retenir un abus de droit constitutif d'une faute de la part de M.[L],
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
Condamne les sociétés Alpes Isère Habitat OPH et Dauphilogis à payer à M.[L] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne les sociétés Alpes Isère Habitat OPH et Dauphilogis aux dépens.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Mme Emmanuèle Cardona, présidente de la deuxième chambre civile et par Mme Caroline Bertolo, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIERE LA PRÉSIDENTE