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06/05/2024 | FRANCE | N°19/03448

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch.secu-fiva-cdas, 06 mai 2024, 19/03448


C5



N° RG 19/03448



N° Portalis DBVM-V-B7D-KD6F



N° Minute :







































































Notifié le :



Copie exécutoire délivrée le :





la SARL [8]



la SELARL [10]



la CPAM de HAUTE-SAVOIE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D'APPEL DE GRENOBLE



CHAMBRE SOCIALE - PROTECTION SOCIALE

ARRÊT DU LUNDI 06 MAI 2024

Ch.secu-fiva-cdas





Appel d'une décision (N° RG 16/01173)

rendue par le tribunal de grande instance d'Annecy

en date du 11 juillet 2019

suivant déclaration d'appel du 02 août 2019





APPELANT :



M. [Z] [W]

[Adresse 3]

[Localité 4]



représenté par Me Béatrice BO...

C5

N° RG 19/03448

N° Portalis DBVM-V-B7D-KD6F

N° Minute :

Notifié le :

Copie exécutoire délivrée le :

la SARL [8]

la SELARL [10]

la CPAM de HAUTE-SAVOIE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE SOCIALE - PROTECTION SOCIALE

ARRÊT DU LUNDI 06 MAI 2024

Ch.secu-fiva-cdas

Appel d'une décision (N° RG 16/01173)

rendue par le tribunal de grande instance d'Annecy

en date du 11 juillet 2019

suivant déclaration d'appel du 02 août 2019

APPELANT :

M. [Z] [W]

[Adresse 3]

[Localité 4]

représenté par Me Béatrice BONNET CHANEL de la SARL CABINET BEATRICE BONNET CHANEL, avocat au barreau d'ANNECY

INTIMEES :

SARL [13], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 5]

représentée par Me Pascale MODELSKI de la SELARL EYDOUX MODELSKI, avocat postulant au barreau de GRENOBLE,

et par Me Joël VALETTE, avocat plaidant au barreau de LYON,

CPAM DE HAUTE-SAVOIE, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

Service Contentieux

[Adresse 1]

[Localité 6]

comparante en la personne de Mme [N] [A], régulièrement munie d'un pouvoir

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. Pascal VERGUCHT, Président,

Mme Elsa WEIL, Conseiller,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseiller,

DÉBATS :

A l'audience publique du 1er février 2024

M. Pascal VERGUCHT, Conseiller en charge du rapport a entendu les représentants des parties en leurs conclusions et plaidoirie, assisté de M. Fabien OEUVRAY, Greffier, et en présence de Mme Laurie ONDELE, Greffier stagiaire, conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 06 mai 2024, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L'arrêt a été rendu le 06 mai 2024.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [Z] [W] a fait appel le 2 aout 2019 d'un jugement du 11 juillet 2019 du Tribunal des affaires de sécurité sociale d'Annecy saisi d'un recours contre la SARL Société [13], en présence de la CPAM de Haute-Savoie.

Par arrêt contradictoire en date du 8 mars 2022, la chambre sociale ' protection sociale de la présente cour d'appel a':

- écarté un moyen tiré de la péremption,

- infirmé le jugement déféré,

- dit que l'accident du travail dont M. [W] a été victime le 15 mai 2014 est dû à la faute inexcusable de son employeur la société [7],

- ordonné la majoration de la rente d'incapacité permanente allouée à M. [W] à son maximum,

- avant dire droit sur l'indemnisation des préjudices complémentaires, ordonné une expertise médicale confiée au docteur [H] [V] et aux frais avancés de la CPAM de la Haute-Savoie,

- alloué à M. [W] une somme de 5.000 euros de provision à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices,

- dit que la CPAM de la Haute-Savoie devra faire l'avance de cette somme,

- condamné la société [7] à rembourser à la CPAM de la Haute-Savoie l'intégralité des sommes dont elle a ou aura dû faire l'avance en lien avec l'accident du travail survenu le 15 mai 2014,

- condamné la société [7] à payer à M. [W] une somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- réservé les dépens.

Le docteur [V] a déposé le 24 juin 2022 son rapport d'expertise médicale en date du 20 juin 2022.

Par conclusions de liquidation de préjudice corporel après expertise communiquées le 10 novembre 2023, et reprises oralement à l'audience devant la cour, M. [W] demande':

- que ses prétentions soient jugées recevables,

- la liquidation de ses préjudices à hauteur de':

- 8.000 euros pour ses souffrances endurées, ou subsidiairement 5.000 euros,

- 1.000 euros pour son préjudice esthétique temporaire,

- 5.000 euros pour son préjudice d'agrément,

- mémoire pour ses frais divers,

- 5.591,10 euros pour son déficit fonctionnel temporaire (DFT),

- 3.000 euros pour son préjudice sexuel,

- 20.350 euros pour son déficit fonctionnel permanent (DFP),

- subsidiairement que soit ordonné un complément d'expertise sur pièces confié au docteur [V] pour déterminer le DFP, avec allocation d'une provision de 15.000 euros,

- qu'il lui soit donné acte de ses réserves quant à de futures demandes d'indemnisation s'agissant de postes de préjudices non encore déclarés indemnisables,

- que le jugement soit déclaré opposable à la CPAM qui sera condamnée à faire l'avance des sommes allouées une fois déduite la provision déjà versée,

- l'exécution provisoire du jugement,

- la condamnation de la société aux dépens et à lui verser 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par conclusions après expertise n°1communiquées le 8 janvier 2024 et reprises oralement à l'audience devant la cour, la SARL [13] demande':

- le débouté de l'intégralité des demandes de M. [W],

- subsidiairement la réduction très significative et à de plus justes proportions des demandes indemnitaires au titre du DFT et des souffrances endurées avant consolidation, au maximum respectivement de 2.399 et 2.000 euros, et le rejet des demandes au titre des souffrances endurées définitives, du préjudice esthétique temporaire, du préjudice d'agrément, du préjudice sexuel, du DFP, du complément d'expertise et de l'exécution provisoire,

- la condamnation de M. [W] aux dépens et à lui verser une somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par conclusions prises oralement à l'audience devant la cour, la CPAM de la Haute-Savoie s'en rapporte et demande la condamnation de la SARL Société [13] à lui rembourser les sommes dont elle aura fait l'avance.

En application de l'article 455 du Code de procédure civile, il est expressément référé aux dernières conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIVATION

1. - L'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale prévoit que': «'Lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants.'».

L'article L. 452-3 précise que': «'Indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit en vertu de l'article précédent, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. Si la victime est atteinte d'un taux d'incapacité permanente de 100 %, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation.'».

Il résulte de l'article L. 452-3, tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, qu'en cas de faute inexcusable, la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle peut demander à l'employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation d'autres chefs de préjudice que ceux énumérés par le texte précité, à la condition que ces préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

Enfin, la rente d'accident du travail ne répare pas le déficit fonctionnel permanent et doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité (Cour de cassation, Assemblée plénière, 20 janvier 2023, n° 20-23.673 et 21-23.947).

2. - L'arrêt du 8 mars 2022 a relevé que le caractère professionnel de l'accident du 15 mai 2014 n'était pas contesté par l'employeur, que sa conscience du danger auquel était exposé M. [W] découlait notamment du fait qu'il avait prévu une sécurisation des passages de véhicules sur la voie où l'accident s'est produit, et qu'il ne s'est pas conformé aux mesures prévues dans le cadre de la coordination de la sécurité sur le chantier au regard de l'activité de plusieurs intervenants et de la signalisation qui n'avait pas été mise en place.

3. - L'expertise médicale du docteur [V] expose que M. [W] était passager d'un camion qui a été heurté par le toit d'une nacelle, et qu'il a présenté un traumatisme crânien et cervical sans perte de connaissance ainsi qu'une entorse cervicale. Une première consolidation est intervenue le 23 décembre 2014 en l'absence d'élément organique retrouvé lors des examens et d'une amélioration fonctionnelle, mais à la suite d'une reprise du travail, une rechute est intervenue le 4 février 2015 en raison de manifestations d'un syndrome subjectif post-traumatique avec syndrome dépressif, céphalées, vertiges, cervicalgies, dorsalgies et un sentiment de dévalorisation.

L'expert a retenu une nouvelle consolidation au 17 mars 2016, qui n'est pas discutée par les parties, alors que la consolidation notifiée par courriers de la CPAM du 26 janvier 2016 était au 31 décembre 2015, ainsi que cela découle également de la notification du taux d'incapacité permanente de 14'% (dont 4 points pour le taux socioprofessionnel) par courrier du 28 avril 2016, confirmé par un jugement du Tribunal du contentieux de l'incapacité de Villeurbanne du 15 décembre 2017. La date du 17 mars 2016 semble avoir été retenue dans le présent litige parce qu'il s'agit de la date du rapport du médecin-conseil de la caisse ayant évalué ce taux d'incapacité.

Par ailleurs, une deuxième rechute est intervenue le 17 juin 2016, mais n'est pas discutée.

L'expertise souligne que M. [W] a été essentiellement suivi par un centre antidouleur, a bénéficié d'une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé le 21 février 2017 puis d'une mise en invalidité à compter du 16 février 2020.

Le rapport fait état d'une prise de poids de 20 kilogrammes depuis l'accident, et d'un examen psychologique montrant une irritabilité, une anxiété, un sentiment de non-reconnaissance avec des éléments en faveur d'une dépression. Une question d'imputabilité est écartée au sujet d'un accident ayant eu lieu le 15 avril 2014, soit un mois avant celui du 15 mai 2014, ayant entraîné une plaie du cuir chevelu, dans la mesure où la reprise a été très rapide': la totalité du traumatisme séquellaire est donc liée à l'accident causé par la faute inexcusable jusqu'à la consolidation, retenue à tort le 17 mars 2016.

Sur la demande de rejet des demandes d'indemnisation

4. - La Société [13] explique que M. [W] a engagé une procédure distincte afin d'être indemnisé des préjudices subis du fait de l'accident du 15 mai 2014, en violation du principe interdisant une double indemnisation des mêmes préjudices. La société relève en effet qu'une action en droit commun est poursuivie à l'encontre du gardien de la nacelle au regard de la législation sur les accidents de la circulation, qui a donné lieu à une ordonnance du juge des référés d'Annecy ayant commis un expert médecin et alloué une provision de 3.000 euros. Un rapport d'expertise du docteur [T] [P] a été déposé en vertu de cette ordonnance, et la société soulève son inopposabilité à son égard puisqu'elle n'a pas pu le discuter contradictoirement.

M. [W] déclare à l'audience que cette procédure est toujours en cours et qu'aucune double indemnisation n'a eu lieu.

5. - Il est justifié dans les débats devant la cour d'une ordonnance du juge des référés du Tribunal judiciaire d'Annecy, en date du 22 juin 2020, mentionnant une procédure en reconnaissance de faute inexcusable en cours, mais qui a ordonné une expertise médicale et alloué une provision de 3.000 euros dans un litige entre M. [W] et la SARL [9], la SA [12], la SA [11] et la CPAM de Haute-Savoie.

Il est également versé au débat le rapport d'expertise rendu en exécution de cette ordonnance, à la suite d'un examen du 16 septembre 2022, par le docteur [T] [P], neurochirurgien et expert près la Cour d'appel de Chambéry.

Il convient donc de considérer que, d'une part, aucune indemnisation n'est justifiée comme ayant été prononcée en violation du principe interdisant une double indemnisation pour un même préjudice'; et que, d'autre part, le rapport d'expertise du docteur [P] est un élément versé au débat contradictoire devant la cour et soumis à l'appréciation des parties, étant précisé que la société intimée s'en prévaut d'ailleurs en ce qui concerne l'examen du préjudice découlant des souffrances endurées.

Il n'y a donc pas lieu de rejeter l'ensemble des demandes indemnitaires ni de ne pas prendre en compte le rapport du docteur [P] comme simple élément faisant l'objet du débat dans la présente procédure.

Sur les souffrances endurées

6. - M. [W] sollicite une indemnisation à hauteur de 8.000 euros en faisant valoir que l'expert a commis une confusion en distinguant souffrances temporaires et définitives, ce que sa mission ne lui demandait pas. Il estime que ses souffrances doivent être évaluées à 3/7. Il souligne s'être effondré à la suite de l'accident du travail, au point de développer un stress post-traumatique entraînant un taux d'incapacité permanente de 10'%, outre 4'% à titre socioprofessionnel. Il fait valoir ses douleurs cervicales, dorsolombaires, des sciatalgies droites, des vertiges, des douleurs musculaires diffuses, un état de dépression, des consultations à plusieurs reprises au centre antidouleur, un état anhédonique, apathique, démotivé, incapable de travailler ou de mener une vie familiale et sociale normale, une dégradation progressive de l'état thymique l'ayant conduit à un isolement social, une douleur morale intense dont attestent les éléments de son dossier. Subsidiairement, il demande une indemnisation de 5.000 euros sur la base d'un taux de 2/7.

La Société [13] demande que les seules souffrances avant consolidation soient indemnisées, pour une somme réduite de manière très significative et à de plus justes proportions, soit au maximum à 2.000 euros. L'intimée retient que l'expert a estimé les souffrances comme étant légères, voire très légères, et que les conclusions du docteur [P] n'ont pas proposé davantage, alors que M. [W] demande une somme correspondant au maximum du barème usuel à 3/7. Au regard des faits de l'espèce, la société estime que la fourchette basse du barème de 2/7 doit être retenue.

La société ajoute que les souffrances endurées après consolidation relèvent du DFP qui est sollicité par ailleurs et doivent être écartées des débats face à une demande subsidiaire de complément d'expertise sur ce point.

5. - En l'espèce, l'expertise du docteur [V] retient que les souffrances endurées temporaires sont constituées des douleurs initiales cervicales, puis étendues à la région dorsale, et de l'impact psychologique, soit 2/7, les souffrances définitives relevant de l'état séquellaire anxieux et partiellement dépressif nécessitant un traitement.

Comme le relève l'employeur, l'expertise du docteur [P] retient des souffrances endurées en prenant en compte l'impact psychologique à 2/7, au titre d'un syndrome subjectif des traumatisés crâniens légers (de nombreux effets secondaires des traitements étant soulignés), d'examens montrant l'intégrité cérébrale et du rachis cervical après trois mois, mais également un syndrome dépressif réactionnel avec des céphalées, sans conséquence neurologique directe.

Le rapport d'évaluation des séquelles du docteur [J] [F], médecin-conseil de la caisse primaire, en date du 17 mars 2016, a également retenu un syndrome subjectif post-traumatique avec céphalées, vertiges, cervicalgies sans explorations neurologiques ou ORL significatives.

M. [W] se prévaut également d'un rapport d'expertise réalisé à la demande de son avocat par le docteur [H] [S], expert près la Cour d'appel de Chambéry, le 1er décembre 2020, qui retient un taux de 3/7 compte tenu de la longueur d'évolution des souffrances, avec un suivi en centre antidouleur tous les quatre mois, un état dépressif persistant sans trouble cognitif et une raideur du rachis cervical et lombaire sans signe de compression radiculaire.

Parmi les nombreuses autres pièces médicales versées au débat, une psychologue clinicienne, Mme [B] [K], confirme le 27 septembre 2019 les éléments relevés ci-dessus avec une incapacité de la victime à surmonter l'épreuve de son accident du travail depuis cinq ans'; une neuropsychologue, Mme [M] [L], confirme également le 27 mars 2018 les troubles constatés depuis l'accident'; un certificat du 24 mars 2016 du docteur [G] [I], du centre antidouleur de Haute-Savoie, décrit un patient notamment anhédonique, apathique, démotivé'; un certificat médical du 19 août 2015 de ce même centre décrit des migraines brutales, des sensations de brûlure dans le dos, des décharges électriques et des paresthésies, des crampes, une échelle numérique de 5/10 que le médecin pense sous-estimée, avec aucun jour sans douleur, et une réelle souffrance de ne plus pouvoir travailler et de voir une vie familiale qui se dégrade, le patient pleurant durant la consultation.

6. - De l'ensemble de ces éléments, il convient de retenir une souffrance réelle endurée physiquement et psychologiquement par M. [W] en conséquence de son accident du travail du 15 mai 2014, estimée entre 2 et 3/7 par les médecins experts ayant examiné l'assuré. Il convient d'écarter les souffrances endurées après la date de consolidation, notifiée comme étant intervenue le 31 décembre 2015, qui relèvent de la prise en compte du déficit fonctionnel permanent.

Les souffrances endurées entre le 15 mai 2014 et le 31 décembre 2015 au plan physique, avec une évolution sur un plan psychologique, au vu de la fréquence des douleurs journalières et de l'impact dans la vie au quotidien de M. [W], seront donc retenues à hauteur de 2,5/7 et évaluées à une somme de 5.000 euros.

Sur le préjudice esthétique temporaire

7. - M. [W] sollicite une indemnisation à hauteur de 1.000 euros, en faisant valoir que l'expert a retenu un taux de 0,5/7.

La Société [13] demande que l'appelant soit débouté de sa demande peu motivée, le seul préjudice mis en avant étant le port d'un collier cervical pendant un mois et aucune pièce n'attestant de la réalité de ce préjudice, le barème usuel d'indemnisation ne prévoyant d'ailleurs pas d'indemnisation pour un tel taux.

8. - L'expertise du docteur [V] retient un préjudice esthétique le temps du collier cervical, soit un mois, évalué à 0,5/7. Le docteur [P] a retenu le même taux et le docteur [S] n'a pas retenu de préjudice esthétique.

Au regard de l'absence de préjudice esthétique revendiqué autre que le port d'un collier cervical pendant un mois, ce préjudice peut être retenu mais il sera évalué à une somme de 500 euros.

Sur le préjudice d'agrément

9. - M. [W] sollicite une indemnisation à hauteur de 5.000 euros, en faisant valoir que le docteur [V] n'a pas retenu ce préjudice alors qu'il est bien réel au regard de son état dépressif décrit par les pièces médicales déjà citées, de son apathie et du fait qu'il ne fait plus rien et ne s'occupe plus de personne, son état psychologique n'ayant pas été pris en compte ici. Il se prévaut d'une attestation de son épouse et de lui-même qui témoignent qu'il était un travailleur acharné, mais se tient désormais à l'écart de la vie, ne joue plus avec ses filles, est intolérant au bruit ambiant, reste inactif.

La Société [13] demande que l'appelant soit débouté de sa demande qui n'est pas sérieusement justifiée, les attestations étant insuffisantes et le docteur [V] n'ayant pas retenu ce chef de préjudice.

10. - L'expertise du docteur [V] retient que M. [W] a fait état d'activités de loisir (vélo avec trois sorties par semaine, corde à sauter, musculation en salle, piscine), mais l'expert a considéré que l'état physique de la victime et son état psychologique lui permettent parfaitement de faire l'ensemble de ces activités sportives.

Les docteurs [P] et [S] n'ont pas davantage retenu de préjudice d'agrément.

M. [W] n'apporte aucun élément sur des activités spécifiques de loisir ou sportive qu'il aurait pratiquées avant l'accident, et qu'il lui serait difficile ou impossible à poursuivre depuis, alors que la charge de la preuve lui incombe sur ce point et que les éléments sur ses difficultés au quotidien relèvent du déficit fonctionnel.

Il sera donc débouté de sa demande d'indemnisation au titre d'un préjudice d'agrément.

Sur les frais divers

11. - M. [W] sollicite une indemnisation pour mémoire, en faisant valoir ses frais d'assistance à expertise, ses frais médicaux et paramédicaux restés à sa charge et non remboursés.

La Société [13] demande que l'appelant soit débouté de sa demande qui est future, hypothétique et non justifiée.

12. - M. [W] ne précise aucun montant ni aucun élément sur les frais divers évoqués de manière hypothétique, ni sur le fait que les frais médicaux et assimilés, normalement pris en charge au titre des prestations légales et ce même s'ils restent à la charge de la victime, entrent dans le champ du Livre IV du Code de la sécurité sociale. Il sera donc débouté de sa demande «'pour mémoire'».

Sur le déficit fonctionnel temporaire (DFT)

13. - M. [W] sollicite une indemnisation à hauteur de 5.591,10 euros, en faisant valoir que la jurisprudence retient une base de calcul de 33,33 euros par jour, que l'expert a retenu une période de 30 jours à 25'% du 15 mai au 14 juin 2014 (249,97 euros), puis une période de 641 jours jusqu'au 17 mars 2016 en évoquant un taux décroissant de 25 à 10'%, sans précision, ce qui conduit l'appelant à retenir un taux de 25'% (5.341,13 euros).

La Société [13] demande que cette prétention soit réduite de manière très significative et à de plus justes proportions, au maximum à une somme de 2.399 euros, en retenant les mêmes périodes, en rejetant le taux de 25'% pour la totalité de la seconde période et en optant pour une base de calcul en référence au barème d'indemnisation. La société fait valoir que l'expert a émis des doutes sur l'imputabilité des séquelles, que les résultats d'imagerie étaient normaux et sans particularité, qu'une première consolidation était intervenue sans séquelles indemnisables et qu'aucun élément d'appréciation ne permet de juger que le DFT était d'une particulière gravité. L'intimée calcule donc une première période à hauteur de 150 euros sur une base de 20 euros par jour, et une succession de quatre périodes de 160 ou 161 jours à 25, 20, 15 puis 10'% chacune, pour un total de 2.399 euros.

14. - L'expertise du docteur [V], qui n'émet pas de doute sur l'imputabilité des lésions à l'accident du travail ainsi qu'il a déjà été précisé ci-dessus, retient un DFT de «'25'% du 15/05/2014 au 14/06/2014, Par la suite, et jusqu'à la date de consolidation, taux décroissant de 25'% à 10'% du 15/06/2014 au 17/03/2016.'».

Il convient de rappeler que la date de consolidation était le 31 décembre 2015, au vu des éléments versés au débat, et non le 17 mars 2016, date du rapport d'évaluation du taux d'incapacité permanente par le service médical de la CPAM.

Par ailleurs, l'expert n'ayant pas précisé, comme il lui incombait de le faire, les différentes périodes de décroissance du taux d'incapacité pendant la seconde période, sa phrase pourrait être retenue comme signifiant que le taux décroissait de 25 à 10'% entre les deux périodes fixées et que seul un taux de 10'% devait être retenu. Toutefois, la conclusion de l'expert est exempte d'ambiguïté et fait bien état d'un taux de': «'- 25'% du 15/05/2014 au 14/06/2014,

- 25'% à 10'% du 15/06/2014 au 17/03/2016'».

Le docteur [P] a retenu les mêmes périodes, la première avec une incapacité de 25'%, la seconde avec une incapacité de 10'%. Le docteur [S] a retenu une incapacité temporaire partielle de niveau 2 du 15 mai 2014 jusqu'au 30 avril 2019, date de consolidation retenue pour la rechute du 17 juin 2016.

15. - Au regard de ces éléments, M. [W] ne justifie aucun élément venant fonder que soit retenue une base journalière de calcul maximale, et la Société [13] ne justifie pas davantage qu'une base journalière en dessous de la fourchette de référence habituelle soit retenue. Au regard de l'état de santé décrit ci-dessus, l'incapacité sera donc calculée sur une base journalière de 29 euros.

La première période de mai à juin 2014 ne présente pas de difficulté et sera donc indemnisée à hauteur de (30x25%x29 euros), soit 217,50 euros.

La seconde période sera retenue jusqu'au 17 mars 2016, les parties ne contestant pas l'étendue de cette période et la cour ne pouvant statuer infra petita. Le taux d'incapacité ne peut pas être retenu à hauteur de 25'% sur toute cette période puisque le docteur [V] a évalué un taux décroissant, conformément à ses constatations sur le caractère évolutif (en particulier au plan psychologique) de l'état de santé de M. [W] consécutif à son accident du travail.

À défaut de meilleure solution, il convient de reprendre le calcul de la société intimée en quatre périodes (en rectifiant son erreur, 641 jours étant décomposés en trois périodes de 160 jours et une de 161 jours, et non l'inverse),

soit (160x25%x29 euros)+(160x20%x29 euros)+(160x15%x29 euros)+(161x10%x29 euros), soit 3.250,90 euros (1.160+928+696+466,90).

Le DFT sera donc fixé à la somme totale de 3.468,40 euros.

Sur le préjudice sexuel

16. - M. [W] sollicite une indemnisation à hauteur de 3.000 euros, en faisant valoir que s'il n'a pas fait état de ce préjudice devant le docteur [V], c'est parce qu'il n'a pas osé aborder ce sujet, alors qu'il est bien réel au regard des attestations dont il justifie et du rapport de Mme [L], neuropsychologue, le décrivant comme apathique, vivant en marge de sa famille et incapable d'avoir une vie de couple, ce qui lui cause un préjudice sexuel majeur.

La Société [13] demande que l'appelant soit débouté de sa demande qui apparaît irrecevable, puisque non soumise à la discussion contradictoire dans le cadre de l'expertise, en sachant que l'expert ne s'est jamais prononcé sur ce point, et qui est contestable en l'absence de pièce justificative.

17. - L'expertise du docteur [V] retient que M. [W] n'a pas fait état de préjudice sexuel, et un certificat médical du docteur [O] fourni en guise de dires n'a pas été pris en compte au regard de l'absence de doléance de la victime.

C'est donc à tort que la société intimée soutient que l'expert ne s'est pas prononcé sur ce préjudice, puisqu'il l'a rejeté.

Le certificat du docteur [Y] [O], du 16 mai 2022, mentionnait que son patient souffrait à ce jour de séquelles imputables à sa dépression post-traumatique tant au niveau des douleurs qu'au niveau de la libido, la dépression et le traitement ayant entraîné une prise de poids.

Le rapport du docteur [P] fait état d'un préjudice sexuel de 1/7, sans plus de précision, et le rapport du docteur [S] ne mentionne pas ce préjudice.

Les attestations de l'épouse de M. [W] n'apportent pas davantage de précision.

Le compte-rendu d'examen neuropsychologique de Mme [L] mentionne cependant, à l'interrogatoire de l'épouse de M. [W], une absence de vie sexuelle outre la dégradation de l'humeur, l'isolement et la perte d'initiative, l'irritabilité et l'intolérance au bruit et un désintérêt progressif pour sa femme et ses enfants.

Il découle bien de ces éléments, au final, que l'anhédonie, l'asthénie, la prise de poids, les traitements médicamenteux, les souffrances physiques et psychologiques, ont eu un impact sur la libido de M. [W]. Le préjudice sexuel est donc établi, et il sera évalué à la somme de 2.000 euros.

Sur le déficit fonctionnel permanent

18. - M. [W] sollicite une indemnisation à hauteur de 20.350 euros, en faisant valoir la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation, intervenue après l'expertise médicale, et en se fondant sur le taux d'incapacité au titre du DFT de 25 à 10'%, ainsi que sur un taux de 10'% évalué par le docteur [P]. Il retient donc une consolidation au 17 mars 2016 à l'âge de 40 ans, et un point de 2.035 en application du barème Mornet de 2022 au taux de 10'%.

M. [W] demande subsidiairement un complément d'expertise sur pièces confié au docteur [V] pour déterminer son DFP, avec l'allocation d'une provision de 15.000 euros.

La Société [13] demande que l'appelant soit débouté de sa demande dès lors que le docteur [V] n'était pas missionné pour se prononcer sur ce préjudice et qu'aucun élément n'est apporté pour justifier de son existence.

19. - Contrairement à ce que soutient la société intimée, les éléments déjà retenus ci-dessus justifient bien l'existence d'un déficit fonctionnel à titre permanent après la consolidation, au titre des séquelles retenues et de la durée de l'impact psychologique et du syndrome post-traumatique intervenu dans les suites de l'accident du travail.

Au regard des éléments versés au débat, et notamment du taux médical de l'incapacité permanente de 10'% et du taux estimé par le docteur [P] à 10'% (le docteur [S] l'estimant à 15%), il apparaît bien fondé de retenir un taux de 10'% pour le calcul du DFP et le calcul présenté par M. [W], qui avait 40 ans le 31 décembre 2015 comme le 17 mars 2016, étant né le 23 juin 1975.

La somme qu'il demande lui sera donc allouée.

Sur les autres demandes

20. - Le fait de demander à la cour de lui donner acte est dépourvu de toute portée juridique et ne constitue donc pas une demande sur laquelle la cour a l'obligation de statuer. Au surplus, la demande d'un «'donner acte'» de réserves quant à de futures demandes d'indemnisation s'agissant de postes de préjudices non encore déclarés indemnisables constitue au surplus une demande hypothétique.

Il n'y a pas lieu de statuer sur le caractère opposable de la présente décision à l'égard de la CPAM qui est partie à l'instance.

La CPAM versera directement les sommes allouées à M. [W], après déduction de la provision déjà versée.

Il n'y a pas lieu de prévoir d'exécution provisoire en cause d'appel.

La Société [13] sera condamnée à rembourser la CPAM de Haute-Savoie dans les conditions légales.

Sur les frais de procédure

La société intimée supportera les dépens de la procédure en appel et en première instance.

L'équité et la situation des parties justifient que M. [W] ne conserve pas l'intégralité des frais exposés pour faire valoir ses droits et la Société [13] sera condamnée à lui payer une indemnité de 1.500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement et publiquement, après en avoir délibéré conformément à la loi':

Alloue à M. [Z] [W] les sommes suivantes en réparation de son préjudice personnel :

- 5.000 euros au titre des souffrances endurées avant consolidation,

- 500 euros au titre du préjudice esthétique temporaire,

- 3.468,40 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,

- 2.000 euros au titre du préjudice sexuel,

- 20.350 euros au titre du déficit fonctionnel permanent,

Dit que la CPAM de la Haute-Savoie versera directement ces sommes à M. [Z] [W] en application des dispositions du Code de la sécurité sociale et après déduction de la provision de 5.000 euros déjà versée,

Condamne la SARL Société [13] à rembourser ces sommes à la CPAM de la Haute-Savoie en application des dispositions du Code de la sécurité sociale,

Déboute M. [Z] [W] de ses demandes d'indemnisation au titre d'un préjudice d'agrément et au titre des frais divers,

Condamne la SARL [13] aux dépens de la première instance et de la procédure d'appel,

Condamne la SARL [13] à payer à M. [Z] [W] la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par M. Pascal VERGUCHT, conseiller substituant le président légitimement empêché et par Mme Chrystel Rohrer, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch.secu-fiva-cdas
Numéro d'arrêt : 19/03448
Date de la décision : 06/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-06;19.03448 ?
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