La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/05/2024 | FRANCE | N°22/01577

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section b, 02 mai 2024, 22/01577


C 2



N° RG 22/01577



N° Portalis DBVM-V-B7G-LKSH



N° Minute :























































































Copie exécutoire délivrée le :





la SELARL FOURNIER AVOCATS



la SELARL LIGIER & DE MAUROY

AU NOM

DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 02 MAI 2024





Appel d'une décision (N° RG 18/00976)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Grenoble

en date du 17 mars 2022

suivant déclaration d'appel du 15 avril 2022





APPELANTE :



Madame [T] [R]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 2]



représenté...

C 2

N° RG 22/01577

N° Portalis DBVM-V-B7G-LKSH

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

la SELARL FOURNIER AVOCATS

la SELARL LIGIER & DE MAUROY

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 02 MAI 2024

Appel d'une décision (N° RG 18/00976)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Grenoble

en date du 17 mars 2022

suivant déclaration d'appel du 15 avril 2022

APPELANTE :

Madame [T] [R]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Me Virginie FOURNIER de la SELARL FOURNIER AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMEE :

S.A.S. GERISK prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège.

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Laurent LIGIER de la SELARL LIGIER & DE MAUROY, avocat au barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président,

M. Jean-Yves POURRET, Conseiller,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,

DÉBATS :

A l'audience publique du 06 mars 2024,

Jean-Yves POURRET, conseiller chargé du rapport et Frédéric BLANC, conseiller faisant fonction de président, ont entendu les parties en leurs conclusions, assistés de Mme Carole COLAS, Greffière, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 02 mai 2024, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L'arrêt a été rendu le 02 mai 2024.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [T] [R] a été embauchée le 26 février 2009 par la société par actions simplifiée Gerisk en qualité d'assistante commerciale suivant contrat de travail à durée indéterminée soumis aux stipulations de la convention collective nationale des entreprises d'expertises en matière d'évaluations industrielles et commerciales.

Le société Gerisk est spécialisée dans la prévention des risques professionnels.

A compter de janvier 2017, Mme [R] a été promue directrice commerciale, statut cadre, niveau 6 coefficient 400 de ladite convention collective et a travaillé à hauteur de 90 % d'un temps plein, soit 31 heures 30 par semaine.

Après avoir négocié sans succès le rachat des parts du gérant, M. [I], avec un associé extérieur à l'entreprise, Mme [R] a signé une rupture conventionnelle le 13 mars 2018, à effet au 24 avril 2018.

Par requête du 5 septembre 2018, Mme [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble aux fins de voir déclarer nulle la rupture conventionnelle, reconnaitre une situation de harcèlement moral à son encontre et obtenir la condamnation de la société Gerisk à lui payer les indemnités afférentes à ses prétentions.

La société Gerisk s'est opposée aux prétentions adverses.

Par jugement du 17 mars 2022, le conseil de prud'hommes de Grenoble a':

Dit que la rupture conventionnelle n'est frappée d'aucun vice du consentement';

Dit qu'il n'y a pas de rupture d'égalité, ni de harcèlement moral';

Dit qu'il n'y a ni comportement, ni concurrence déloyale de Mme [R]';

Condamné la société Gerisk à verser à Mme [R] les sommes suivantes :

- 467,95 euros brut au titre de rappel de congés payés';

- 3 856,52 euros au titre des commissions';

- 385,65 euros de congés payés afférents, lesdites sommes avec intérêts de droit à la date du 6 septembre 2018';

- 1'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ladite somme avec intérêts de droit à la date du jugement';

Rappelé que les sommes à caractère salarial bénéficient de l'exécution provisoire de droit, nonobstant appel et sans caution, en application de l'article R. 1454-28 du code du travail dans la limite de neuf mois de salaire';

Limité à ces dispositions l'exécution provisoire du présent jugement';

Débouté Mme [R] du surplus de ses demandes';

Débouté la société Gerisk de l'intégralité de ses demandes';

Condamné la société Gerisk aux entiers dépens.

La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées avec accusés de réception signés le 18 mars 2023 par Mme [R] et pour la société Gerisk.

Par déclaration en date du 15 avril 2022, Mme [R] a interjeté appel.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 1er décembre 2023, Mme [R] sollicite de la cour de':

Reformer le jugement du conseil de prud'hommes de Grenoble du 17 mars 2022, en ce qu'il a':

- Dit que la rupture conventionnelle n'est frappée d'aucun vice du consentement';

- Dit qu'il n'y a pas de rupture d'égalité, ni de harcèlement moral';

- Débouté Mme [R] du surplus de ses demandes';

- Limité à ces dispositions l'exécution provisoire du jugement';

Reformer le jugement du conseil de prud'hommes de Grenoble du 17 mars 2022, seulement concernant le quantum des condamnations, en ce qu'il a :

- Condamné la société Gerisk à verser à Mme [R] les sommes suivantes :

467,95 euros brut au titre de rappel de congés payés';

3'856,52 euros au titre des commissions';

385,65 euros de congés payés afférents,

lesdites sommes avec intérêts de droit à la date du 6 septembre 2018';

Statuant à nouveau,

Juger que la société Gerisk a manqué à ses obligations dans le cadre de l'exécution du contrat de travail de Mme [R]';

En conséquence,

Condamner la société Gerisk à verser à Mme [R] les sommes suivantes :

- 1'949,48 euros brut à titre de rappel d'indemnité de congés payés pour la période portant d'avril 2015 à avril 2018';

- 10'010,11 euros au titre du rappel de commissions non payées outre 1'001,01 euros au titre des congés payés afférents';

- 12 000 euros net au titre de l'indemnité pour violation de l'obligation de sécurité et de prévention des risques';

- 10 000 euros net au titre de l'indemnité pour exécution déloyale du contrat de travail';

Juger que le consentement à la rupture conventionnelle du contrat de travail de Mme [R] a été vicié';

Annuler la rupture conventionnelle intervenue le 24 avril 2018';

Juger que la rupture du contrat de travail de Mme [R] doit s'analyser en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse';

Juger que Mme [R] s'engage à restituer par voie de compensation, le montant de l'indemnité de rupture conventionnelle perçue, soit la somme de 7'395,60 euros net';

Condamner la société Gerisk à verser à Mme [R] les sommes suivantes :

- 7'395,60 euros net au titre de l'indemnité de licenciement';

- 31'769,76 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse';

- 10'589,92 euros brut d'indemnité compensatrice de préavis, outre 1'058,99 euros brut au titre des congés payés afférents';

- 2'426,80 euros brut au titre de sa prise de congés forcée entre le 19 mars et le 24 avril 2018';

Condamner la société Gerisk à verser une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour l'appel';

Ordonner la capitalisation des intérêts';

Condamner la société Gerisk aux entiers dépens.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 11 octobre 2022, la société Gerisk sollicite de la cour de':

Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Grenoble du 17 mars 2022 en ce qu'il a':

Débouté Mme [R] de sa demande d'annulation de la rupture conventionnelle ;

Le confirmer en ce qu'il l'a déboutée des demandes suivantes :

- 34'800 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

- 11'590 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 1'159 euros brut au titre des congés payés sur préavis ;

Le confirmer en ce qu'il a condamné l'employeur au paiement des sommes suivantes :

- 3 856,52 euros brut à titre de rappel de commissions outre congés payés s'y rapportant ;

En conséquence,

Débouter Mme [R] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de sa demande d'indemnité de licenciement, de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés sur préavis, et de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déclarer irrecevables les demandes de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité et de prévention des risques et de dommages et intérêts pour exécution déloyale puisque non formées et donc non exposées en première instance et ce par application de l'article 564 du code de procédure civile et subsidiairement l'en débouter ;

Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Grenoble du 17 mars 2022 en ce qu'il a':

- Condamné la société Gerisk au paiement de la somme de 467,95 euros brut à titre de rappel de congés payés et au paiement de la somme de 1'000 euros au titre des frais de procès et en ce qu'il a débouté la société Gerisk de sa demande de condamnation de Mme [R] au paiement de la somme de 10'000 euros pour manquement à l'obligation de loyauté ;

En conséquence,

La condamner au paiement de la somme de 10'000 euros de ce chef ;

Reconventionnellement,

Condamner Mme [R] au paiement de la somme de 3'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

La condamner aux entiers dépens de l'instance.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article 455 du code de procédure civile de se reporter aux conclusions des parties susvisées.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 21 décembre 2023.

L'affaire, fixée pour être plaidée à l'audience du 6 mars 2024, a été mise en délibéré au 2 mai 2024.

EXPOSE DES MOTIFS

A titre liminaire, en application de l'article 954 du code de procédure civile, l'irrecevabilité en raison de la prescription évoquée par la société Gerisk dans le développement de ses conclusions relativement à l'indemnité compensatrice de congés payés mais non reprise dans le dispositif de ses conclusions, ne s'analyse pas comme une prétention de l'employeur.

I ' Sur la recevabilité des prétentions nouvelles

Aux termes de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

Selon l'article 565 du code de procédure civile, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.

L'obligation de prévention des risques professionnels, qui résulte des articles L.4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l'article L. 1152-1 du même code et ne se confond pas avec elle (Soc., 25 mai 2022, pourvoi n° 21-12.811).

En l'espèce, alors que devant les premiers juges Mme [R] sollicitait la condamnation de l'employeur au paiement de la somme de 10'000 euros à titre de dommages et intérêts en raison de faits de harcèlement moral, devant la présente juridiction elle ne formule plus aucune prétention à ce titre mais en revanche, elle demande la condamnation de la société Gerisk à lui payer la somme de 10'000 euros au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail et celle de 12'000 euros pour violation de l'obligation de sécurité.

La demande au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail a les mêmes fins que celle au titre du harcèlement moral, à savoir l'indemnisation du préjudice subi par la salariée et causé par le comportement personnel de l'employeur à son égard.

N'étant ainsi pas nouvelle, elle est déclarée recevable.

En revanche, s'agissant de la demande au titre du manquement de l'employeur à son obligation de prévention et de sécurité, elle a un objectif distinct de celle ayant pour objet le harcèlement moral dès lors qu'elle porte sur les obligations spécifiques à la charge de l'employeur en matière de prévention et de sécurité telles que définies aux articles L. 4121-1 et suivants du code du travail dont la salariée n'a pas fait état en première instance.

N'ayant pas les mêmes fins que la demande de dommages et intérêts en réparation du harcèlement moral dès lors que le préjudice causé est distinct, elle doit être qualifiée de prétention nouvelle et par conséquent déclarée irrecevable en cause d'appel.

II ' Sur la demande au titre de l'indemnité complémentaire de congés payés

Il résulte de l'article L. 3141-24 (anciennement L. 3141-22) du code du travail, que le calcul de l'indemnité de congés payés s'effectue selon deux formules': soit le dixième de la rémunération totale perçue au cours de la période de référence, soit la rémunération qui aurait été perçue pendant la période de congés si le salarié avait travaillé, étant précisé que chaque salarié doit bénéficier de la formule qui lui est la plus avantageuse.

En l'espèce, Mme [R] a établi une fiche de calcul comprenant ses commissions mensuelles afin de déterminer son manque à gagner au titre de l'indemnité de congés payés à compter d'avril 2015 et l'employeur ne développe aucun moyen utile pour contester les modalités de calcul retenues.

Infirmant le jugement entrepris, la société Gerisk est condamnée à payer à Mme [T] [R] la somme de 1'949,48 euros brut au titre du rappel d'indemnités de congés payés, avec intérêts au taux légal à compter du 6 septembre 2018.

III - Sur les rappels de commissions

Il appartient au salarié qui réclame le paiement d'une rémunération variable de prouver qu'il en est créancier.

Cependant, lorsque le calcul de la rémunération dépend d'éléments détenus par l'employeur, celui-ci est tenu de les produire en vue d'une discussion contradictoire (Soc., 7 février 2024, pourvoi n° 22-12.110).

En l'espèce, la salariée verse aux débats l'avenant du 16 mars 2010 aux termes duquel, il est convenu qu'elle percevra une commission variable calculée sur le chiffre d'affaires réalisé par son intermédiaire, outre un tableau détaillé des sommes qu'elle réclame au titre des commissions non réglées au 25 avril 2018.

Pour s'opposer au paiement de l'intégralité de la somme sollicitée et n'en reconnaître qu'une quote-part, l'employeur verse aux débats un tableau excluant des commandes en tout ou partie dès lors qu'elles n'auraient pas été réglées et dans la mesure où il conviendrait de partager pour certaines autres la commission entre deux salariés, sans toutefois verser aucune autre pièce pour justifier de ces exclusions. Pour le surplus, il ne produit pas non plus d'élément et ne formule aucune observation relativement aux chiffres d'affaires relatifs aux contrats en abonnement retenus par la salariée.

Au vu de ces éléments, infirmant le jugement déféré, la société Gerisk est condamnée à payer à Mme [T] [R] la somme de 10'010,11 euros brut de rappels de commissions, outre la somme de 1'001,01 euros brut au titre des congés payés afférents, avec intérêts au taux légal sur ces deux sommes à compter du 6 septembre 2018.

IV ' Sur l'exécution déloyale

L'article L 1222-1 du code du travail dispose que le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

Il appartient en principe au salarié qui se prévaut d'un manquement de l'employeur à cette obligation d'en rapporter la preuve.

En l'espèce, l'attestation d'une autre salariée évoquant des manipulations de l'employeur mettant à rude épreuve la collaboration entre elle et Mme [R], la copie d'un courriel rédigé par l'employeur, qui n'était pas destiné à cette dernière, indiquant «'le comportement de Mme [R] n'est que l'expression d'une jalousie maladive voire compulsive'» ainsi que les courriels adressés par l'employeur tant à Mme [R] qu'à son collègue avec lequel un projet de rachat de l'entreprise a été étudié dans les mois ayant précédé la rupture du contrat et mettant en évidence le double discours de l'employeur sont insuffisants pour caractériser un manquement de la société Gerisk à l'obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail.

De la même manière, les faits postérieurs à la rupture conventionnelle allégués par Mme [R] contenus dans la déclaration de main courante ou encore le courrier de son ancien employeur adressé au nouveau pour reprocher une concurrence déloyale ne constituent pas des manquements de la société Gérisk à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail.

En revanche, il résulte de ce qui précède que Mme [R] démontre à la fois un manquement de l'employeur en ce qu'il n'a pas appliqué la formule d'indemnisation des congés payés la plus favorable à la salariée sur plusieurs années comme le prévoient les dispositions légales en dépit des contestations de cette dernière à cet égard et un manquement de l'employeur à son engagement de régler une partie de sa rémunération variable contraignant la salariée à faire valoir ses droits dans le cadre de la présente procédure.

Les manquements ainsi retenus ont directement causé à Mme [R] un préjudice moral.

La société Gerisk et par conséquent condamnée à payer à Mme [R] la somme de 2'000 euros net au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

V ' Sur la validité de la rupture conventionnelle

Le vice du consentement peut résulter de violences morales (Soc., 30 janvier 2013, n°11-22.332), de pressions et de menaces par l'employeur pour conduire le salarié à signer une rupture conventionnelle (Soc., 23 mai 2013, n° 12-13.865), de man'uvres dolosives (Soc., 9 juin 2015, n°14-10.192) ou d'une altération des facultés mentales du salarié (Soc., 16 mai 2018, n° 16-25.852).

Si l'existence, au moment de sa conclusion, d'un différend entre les parties au contrat de travail n'affecte pas par elle-même la validité de la convention de rupture conclue en application de l'article L. 1237-11 du code du travail, la rupture conventionnelle ne peut être imposée par l'une ou l'autre des parties (Soc., 8 juillet 2020, n°19-15.441).

Il appartient au salarié de rapporter la preuve de l'existence d'un vice du consentement (Soc., 17 mars 2021, pourvoi n° 19-25.313).

L'existence d'un vice du consentement de nature à entraîner la nullité d'une rupture conventionnelle relève de l'appréciation souveraine des juges du fond (Soc., 16 septembre 2015, pourvoi n° 14-13.830).

En l'espèce, premièrement, pour établir l'existence d'un vice du consentement, Mme [R] fait valoir que les conditions de travail de son poste de directrice commerciale se sont bien dégradées dès le début de l'année 2018, à tel point qu'elle a écrit, dans un courriel du 20 février 2018 à M. [I], le gérant de la société Gerisk, que «'la situation prend une tournure qui n'est plus supportable'».

L'analyse des divers courriels échangés entre les parties ce jour-là confirme la réalité du reproche formulé par l'employeur qui écrit faire le «'constat alarmant d'un manque d'activité'» et qui, en réaction, demande, à effet immédiat, de réactiver un compte rendu d'activité à lui adresser chaque fin de semaine existant par le passé.

Elle met en évidence qu'en réponse elle lui a fait grief de suspecter le service commercial d'être composés d'incompétents, de fainéants et ainsi de démotiver le personnel alors qu'elle ne fait qu'appliquer la stratégie définie ensemble avant d'observer qu'elle fait avec les moyens mis à sa disposition, d'appeler à des changements et d'inviter à rechercher les problèmes ailleurs qu'auprès du service commercial.

La cour retient qu'il en ressort une tension entre la salariée et son employeur ayant pour origine la diminution des résultats alors que parallèlement les deux sont en discussion pour la reprise de la société, notamment par cette dernière.

Cependant, ces éléments concernant les conditions de travail antérieures à la rupture sont insuffisants pour caractériser à eux seuls un quelconque vice du consentement résultant de l'existence de pressions.

Deuxièmement, Mme [R] fait également valoir que le 3 mars 2018, M. [I] a adressé un courriel à la directrice technique, dans lequel il lui relate qu'il a demandé à la première si elle souhaitait continuer de travailler au sein de l'entreprise Gerisk avant de préciser «'donc attendons de voir quelle sera sa décision'. Avant que ce soit moi qui la prenne à sa place si elle ne répond pas à ma demande non négociable'» et d'ajouter, dans la poursuite de l'échange de courriels, «'Sinon, comme je l'ai clairement exprimé, je dispose d'un certain arsenal juridique pour provoquer son départ. En clair, soit elle se plie à mes directives, soit d'une manière ou d'une autre elle partira de Gérisk'».

Cependant, tout d'abord, il n'est pas établi que Mme [R] ait eu connaissance de ces échanges à l'époque de la signature de la convention de rupture alors au contraire qu'il apparait dans ces diverses pièces qu'elle n'entretenait pas de bonnes relations, à cette date, avec la destinataire des courriels.

Ensuite, il faut replacer ces quelques lignes dans leur contexte. A cet égard, il ressort des courriels produits par les deux parties que dans le cadre du projet de reprise qu'elle a élaboré avec M. [C], la question de la place de M. [I] le gérant actuel de la société dans la nouvelle structure a été en discussion avant que ce dernier renonce à céder ses parts par courriel du 2 mars 2018.

C'est donc postérieurement à cette annonce qui matérialisait l'échec du projet de reprise de l'entreprise, notamment par Mme [R], que dans le courriel du 3 mars 2018 sus évoqué, M. [I] a écrit «'lors d'un entretien avec [T] [[R]] je lui ai demandé si elle souhaitait continuer à travailler au sein de Gerisk. Ce à quoi elle m'a indiqué qu'elle ne pourrait pas travailler avec vous et qu'elle souhaitait une augmentation très significative de son salaire brut afin d'approcher le vôtre. Je lui ai donc clairement indiqué d'une part que le projet ne pouvait pas se réaliser sans vous-même (dans le cas où malgré tout elle trouvait avec vous un terrain d'entente, elle voudrait que lors de votre activité commerciale vous soyez rattachée à elle, ce à quoi, j'ai indiqué que ce ne serait pas le cas puisque dans ce cas, vous seriez directement rattachée à moi et personne d'autre) et d'autre part, j'ai on ne peut plus clairement indiqué que je n'augmenterai pas son brut et ce d'autant qu'elle a déjà la plus importante rémunération de toute la société depuis plus de 3 ans et que pour prétendre à une augmentation il fallait démontrer des résultats ' Ce qui est loin d'être le cas puisque le service commercial a couté très nettement plus qu'en 2016 avec des résultats d'entrées en commandes identiques. Donc attendons de voir quelle sera sa décision' avant que ce soit moi qui la prenne à sa place si elle ne répond pas à ma demande non négociable'».

L'offre faite à Mme [R] de poursuivre son contrat de travail au sein de la société Gerisk sans augmentation de salaire en l'état compte tenu des résultats de l'entreprise et en continuant de travailler avec la directrice technique est d'ailleurs formalisée dans un courriel en date du 2 mars 2018 produit aux débats.

Ainsi replacés dans leur contexte, ces propos ne permettent pas de retenir l'existence de pressions de l'employeur ayant vicié le consentement de la salariée au moment de la signature de la convention de rupture.

Troisièmement, Mme [R] verse une attestation de Mme [V], une ancienne salariée, laquelle évoque les manipulations de M. [I], l'intimidation dont il faisait preuve, son emprise ou encore la pression qu'il mettait sur son équipe, avant de conclure qu'elle a dû la consoler à de nombreuses reprises car elle était souvent en larmes.

Cependant, au-delà de ces propos généraux, aucun fait précis et circonstancié n'est relaté concernant Mme [R] en particulier et contemporain de la signature de la convention de rupture alors au surplus que l'auteure de l'attestation ne précise pas la date à laquelle elle a elle-même quitté l'entreprise.

De la même manière, elle verse une attestation rédigée par la directrice technique de l'époque dont les échanges avec M. [I] ont été précédemment évoqués indiquant que «'M. [I] a usé de faits de manipulation à mon égard et à celle de Mme [R] afin que notre collaboration soit mise à rude épreuve. Les derniers mois de travail passés avec Mme [R] ont été très difficiles. M. [I] m'indiquait que Mme [R] passait de nombreux moments à médire à mon sujet alors qu'avant nos prises de fonction en tant que directrices, tout se passait bien. Lors du départ de Mme [R], M. [I] nous a indiqué que l'état actuel de la société était du fait de Mme [R], alors que de nombreux échanges montrent que la société avait des difficultés depuis 2012, date à laquelle Mme [R] n'était pas directrice'».

Cependant, ces éléments généraux relatifs au comportement de l'employeur dans la période précédant la rupture ne permettent pas de caractériser un quelconque vice de consentement de Mme [R] au moment de la signature de la convention de rupture.

Quatrièmement, Mme [R] expose que les dégradations de ses conditions de travail précédemment évoquées, les griefs formulés à son encontre en sa qualité de directrice commerciale relatifs au manque de résultats et le comportement manipulateur de son employeur, ont été à l'origine d'un stress lié au travail et des troubles du sommeil constatés par son médecin le 22 février 2018, lequel lui a prescrit un traitement à visée anxiolytique.

Cependant, eu égard ces seuls éléments, elle n'établit pas que son consentement a été vicié en raison de son état de santé.

Cinquièmement, quoiqu'elle évoque qu'elle a été contrainte de choisir entre la signature de la rupture conventionnelle et un licenciement pour faute grave la privant d'indemnité de licenciement, d'un préavis outre une éventuelle mise à pied à titre conservatoire, elle ne verse aucune pièce pour établir qu'il s'agissait du projet de son employeur ou encore qu'il l'ait menacée de procéder ainsi. Au demeurant les pièces produites évoquant l'insuffisance de résultats de la société n'étaient pas de nature à lui faire craindre un licenciement pour faute grave.

Mme [R] ne démontre donc pas l'existence d'un vice du consentement à cet égard.

Sixièmement, quoiqu'elle indique dans ses conclusions que M. [I] a été vexé par la volonté des repreneurs potentiels de l'évincer de la nouvelle structure de telle manière qu'il a rendu ses conditions de travail invivables jusqu'à la signature de la convention de rupture, elle n'en rapporte pas la preuve alors au demeurant qu'il s'est écoulé seulement quelques jours entre la convention de rupture et le courriel de M. [C] indiquant à M. [I] que lui-même et Mme [R] ne souhaitaient pas qu'il reste dans la société Gerisk ou qu'il conserve une part du capital.

Septièmement, contrairement à ce que soutient Mme [R], il ne peut se déduire des conditions de son départ telles que prévues par la convention de rupture un quelconque vice du consentement. En effet, il ne peut s'inférer un vice du consentement de l'acceptation par la salariée de prendre des congés du 19 mars au 23 avril, soit cinq semaines représentant plus d'un mois de salaire ou encore de l'acceptation de percevoir les indemnités de rupture en deux fois même si au final, elles l'ont été en une seule fois.

Huitièmement, il ne peut se déduire un quelconque vice de consentement de la circonstance que l'employeur lui a demandé par courriel du même jour de faire précéder sa signature de la formule suivante «'Je soussignée Mme [R] certifie avoir été informée de la possibilité de me faire assister précédemment à la négociation de cette rupture et avoir reçu un exemplaire signé des partites le 13 mars 2018.'».

En définitive, même pris globalement, ces considérations sont insuffisantes pour caractériser un vice du consentement de Mme [R].

Confirmant le jugement entrepris, la salariée est déboutée de sa demande d'annulation de la convention de rupture conclue le 13 mars 2018 et des demandes subséquentes afférentes à l'annulation.

VI ' Sur la capitalisation des intérêts

En application de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts dus pour une année entière.

VII - Sur la demande reconventionnelle

La responsabilité du salarié n'est engagée envers son employeur qu'en cas de faute lourde, celle-ci étant caractérisée par l'intention de lui nuire, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d'un acte préjudiciable à l'entreprise (Soc., 26 janvier 2017, pourvoi n° 15-27.365).

En l'espèce, la société Gerisk procède par simple affirmation en alléguant l'existence d'un manquement de Mme [R] à l'obligation de loyauté et la commission d'actes de concurrence déloyale de la part de cette dernière.

La fuite alléguée de clients vers son nouvel employeur n'est pas démontrée, et à la supposer avérée, aucune preuve de l'implication de Mme [R] n'est rapportée.

Le moyen selon lequel elle n'a pas supprimé son adresse électronique [Courriel 4]@gmail.com est inopérant puisqu'il n'est pas établi qu'elle en ait fait usage autrement que pour ressortir des courriels échangés pendant la relation de travail en octobre 2019 afin de les produire en première instance.

Par confirmation du jugement déféré, la société Gérisk est par conséquent déboutée de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts.

VIII ' Sur les demandes accessoires

Au visa de l'article 696 du code de procédure civile, la société Gerisk, partie perdante, est condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Confirmant le jugement déféré en ce qu'il a alloué une indemnité de procédure de 1000 euros à Mme [R] et y ajoutant la société Gérisk est condamnée à payer à Mme [T] [R] la somme de 1'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel.

Les parties sont déboutées du surplus de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, dans les limites de l'appel et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

DECLARE irrecevable la demande de dommages et intérêts au titre du manquement de l'employeur à son obligation de prévention et de sécurité,

DECLARE recevable la demande de dommages et intérêts au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail,

CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes sauf en ce qu'il a':

Condamné la société Gerisk à verser à Mme [R] les sommes suivantes :

- 467,95 euros brut au titre de rappel de congés payés';

- 3 856,52 euros au titre des commissions';

- 385,65 euros de congés payés afférents,

lesdites sommes avec intérêts de droit à la date du 6 septembre 2018';

Débouté Mme [R] du surplus de ses demandes';

Statuant sur les chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE la société Gerisk à payer à Mme [T] [R] les sommes de':

- 1'949, 48 euros brut (mille neuf cent quarante-neuf euros et quarante-huit centimes) au titre du rappel d'indemnités de congés payés, avec intérêts au taux légal à compter du 6 septembre 2018,

- 10'010,11 euros brut (dix mille dix euros et onze centimes) au titre du rappel de commissions, avec intérêts au taux légal à compter du 6 septembre 2018,

- 1'001,01 euros brut (mille un euros et un centime) au titre des congés payés afférents, avec intérêts au taux légal à compter du 6 septembre 2018,

- 2'000 euros net (deux mille euros) au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

- 1'000 euros (mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel,

ORDONNE la capitalisation des intérêts dus pour une année entière en application de l'article 1343-2 du code civil,

DEBOUTE Mme [T] [R] du surplus de ses demandes,

DEBOUTE la société Gerisk de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Gerisk aux dépens d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch. sociale -section b
Numéro d'arrêt : 22/01577
Date de la décision : 02/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 11/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-02;22.01577 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award