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09/04/2024 | FRANCE | N°22/00784

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section a, 09 avril 2024, 22/00784


C1



N° RG 22/00784



N° Portalis DBVM-V-B7G-LH7Q



N° Minute :























































































Copie exécutoire délivrée le :





la SELARL TEYSSIER BARRIER AVOCATS



la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMB

ERY

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



Ch. Sociale -Section A

ARRÊT DU MARDI 09 AVRIL 2024





Appel d'une décision (N° RG F20/00110)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de valence

en date du 26 janvier 2022

suivant déclaration d'appel du 22 février 2022





APPELANT :



Monsieur [Y] [K]

né le 22 octobre 1978 à [Adresse 6]

de ...

C1

N° RG 22/00784

N° Portalis DBVM-V-B7G-LH7Q

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

la SELARL TEYSSIER BARRIER AVOCATS

la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section A

ARRÊT DU MARDI 09 AVRIL 2024

Appel d'une décision (N° RG F20/00110)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de valence

en date du 26 janvier 2022

suivant déclaration d'appel du 22 février 2022

APPELANT :

Monsieur [Y] [K]

né le 22 octobre 1978 à [Adresse 6]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Stéphane TEYSSIER de la SELARL TEYSSIER BARRIER AVOCATS, avocat au barreau de LYON,

INTIMEE :

S.A.S. XPO DISTRIBUTION FRANCE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège,

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY, avocat postulant inscrit au barreau de GRENOBLE,

et par Me François HUBERT, avocat plaidant inscrit au barreau de PARIS,

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère faisant fonction de Présidente,

Madame Gwenaelle TERRIEUX, Conseillère,

Monsieur Jean-Yves POURRET, Conseiller,

DÉBATS :

A l'audience publique du 12 février 2024

Madame Gwenaelle TERRIEUX, Conseillère, en charge du rapport et Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère faisant fonction de Présidente, ont entendu les représentants des parties en leurs conclusions et observations, assistées de Mme Mériem CASTE-BELKADI, Greffière, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 09 avril 2024, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L'arrêt a été rendu le 09 avril 2024.

EXPOSE DU LITIGE

M. [Y] [K] a été embauché par la société Norbert Dentressangle distribution, aux droits de laquelle vient la SAS Xpo distribution France, en qualité de responsable commercial suivant contrat de travail à durée indéterminée du 28 mars 2011 à effet au 1er avril 2011.

La convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950 est applicable.

La société Xpo distribution France est une société du groupe Xpo logistics, qui a pour activité principale le transport routier de frets interurbains. Elle se compose de plusieurs établissements secondaires répartis sur le territoire national pour un total d'environ 3 000 salariés.

A compter du 1er février 2014, M. [K] a été promu aux fonctions de directeur de l'agence de [Localité 5].

Au dernier état de la relation contractuelle, M. [K] occupait ce poste au statut cadre, groupe 1, coefficient 100, et percevait un salaire mensuel brut de base de 5 239,37 euros.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 11 septembre 2019, l'employeur a convoqué M. [K] à un entretien préalable à son licenciement, fixé au 23 septembre 2019.

Par courrier recommandé avec demande d'avis de réception daté du 27 septembre 2019, M. [K] s'est vu notifier son licenciement.

Par requête du 14 mai 2020, M. [K] a saisi le conseil de prud'hommes de Valence en contestation de son licenciement, et aux fins de paiement de sommes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail.

La société Xpo distribution France s'est opposée aux prétentions adverses.

Par jugement du 26 janvier 2022, le conseil de prud'hommes de Valence a :

Dit que le licenciement de M. [K] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
En conséquence,
Condamné la société Xpo distribution France à verser à M. [K] les sommes suivantes :
- 30 000 euros net au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 10 500 euros brut au titre des heures supplémentaires ;
- 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamné la société Xpo distribution France à remettre à M. [K] les documents de rupture et bulletins de paye rectifiés conforme à la décision ;
Débouté M. [K] du surplus de ses demandes ;
Débouté la société Xpo distribution France de ses demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Mis les dépens de l'instance à la charge de la société Xpo distribution France.

La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées avec accusés de réception remis le 11 février 2022 pour M. [K] et pour la société Xpo distribution France.

Par déclaration en date du 22 février 2022, M. [K] a interjeté appel.

La société Xpo distribution France a formé appel incident.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 4 janvier 2024, auxquelles il convient expressément de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, M. [K] sollicite de la cour de :

« Infirmer les chefs du jugement ayant :
- Limité le montant des heures supplémentaires dues à la somme de 10 500 euros, alors même que le montant total des heures supplémentaires s'élève à la somme de 96 294 euros ;
- Limité le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- Débouté M. [K] de ses demandes relatives au travail dissimulé et à la durée maximale de travail ;
- Débouté M. [K] de sa demande de rappel de prime d'objectif ;
- Débouté de sa demande de dommages et intérêts en réparation des circonstances vexatoires du licenciement ;
- Débouté de sa demande de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de formation et d'adaptation ;
- Débouté de sa demande de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail ;

Statuer à nouveau sur ces chefs du jugement,

Condamner la société XPO Distribution à verser à M. [K] les sommes suivantes :
- Dire et juger l'article L. 1 235-3 du code du travail contraire à l'article 10 de la convention n° 158 de l'organisation internationale du travail, à l'article 24 de la charte sociale européenne et au principe de réparation intégrale du préjudice ;
Par conséquent,
En écarter son application ;
Outre intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes (article 1153-1 du code civil) :
- 96 294,58 euros à titre de rappels de salaires ;
- 9 629,46 euros à titre de congés payés afférents ;
- 79 581 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;
- 35 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de la durée maximale du travail, du droit à la santé et au repos ;
- 95 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 15 000 euros à titre de la violation de l'obligation de formation et d'adaptation au poste ;
- 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des circonstances vexatoires du licenciement ;
- 25 000 euros au titre de l'exécution fautive du contrat de travail ;

Confirmer pour le surplus le jugement du conseil de prud'hommes ;
Ordonner la capitalisation des intérêts en vertu de l'article 1154 du code civil ;
Condamner la société XPO Distribution France à remettre à M. [K] des documents de rupture et des bulletins de salaire rectifiés conformes à la décision, dans les 15 jours de la notification du jugement et passé ce délai sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
Se réserver le contentieux de la liquidation de l'astreinte ;
Condamner la société XPO Distribution France à payer à M. [K] une indemnité de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner la société XPO Distribution aux dépens. »

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 29 janvier 2024, auxquelles il convient expressément de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, la société Xpo distribution France sollicite de la cour de :

« Juger la société XPO Distribution France recevable en son appel incident ;
Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Valence en ce qu'il a jugé que le licenciement de M. [K] ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse, et condamné la société à lui verser la somme de 30 000 euros net à titre de dommages et intérêts ;
Infirmer le jugement en ce qu'il a jugé que M. [K] pouvait prétendre au paiement d'heures supplémentaires et condamné la société à lui verser les sommes suivantes : - 10 500 euros brut à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires ;
- 1 050 euros au titre des congés payés afférents ;

Infirmer le jugement en ce qu'il a :
- Condamné la société à payer à M. [K] la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la société XPO Distribution France à remettre à M. [K] les documents de rupture et bulletins de paye rectifiés conformes à la décision ;
- Mis les dépens de l'instance à la charge de la société XPO Distribution France ;

Le confirmer pour le surplus ;

En conséquence, statuant à nouveau,
A titre principal :

- Juger que M. [K] a été rempli de ses droits à rémunération ;
- Juger que la société n'a commis aucun manquement à l'encontre de M. [K] ;
- Juger que le licenciement notifié à M. [K] repose sur une cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,
- Débouter M. [K] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

A titre subsidiaire,
- Réduire à de plus justes proportions le montant des dommages et intérêts alloués à M. [K] ;

En tout état de cause,
- Fixer le salaire de référence à la somme de 5 164,81 euros brut ;
- Condamner M. [K] au paiement de la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner M. [K] aux entiers dépens ;

En tant que de besoin,
- Rappeler que l'infirmation du jugement emporte obligation pour M. [K] de rembourser les sommes versées au titre de l'exécution provisoire de droit. »

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article 455 du code de procédure civile de se reporter aux conclusions des parties susvisées.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 30 janvier 2024.

L'affaire, fixée pour être plaidée à l'audience du 12 février 2024, a été mise en délibéré au 09 avril 2024.

EXPOSE DES MOTIFS

Sur la forfaitisation de la durée du travail :

Selon l'article L 3121-53 du code du travail, la durée du travail peut être forfaitisée en heures ou en jours dans les conditions prévues aux sous-sections 2 et 3 de la présente section.

Selon l'article L 3121-54 du même code, le forfait en heures est hebdomadaire, mensuel ou annuel. Le forfait en jours est annuel.

Selon l'article L 3121-55 du même code, la forfaitisation de la durée du travail doit faire l'objet de l'accord du salarié et d'une convention individuelle de forfait établie par écrit.

Selon l'article L 3121-56 du même code, tout salarié peut conclure une convention individuelle de forfait en heures sur la semaine ou sur le mois.

Peuvent conclure une convention individuelle de forfait en heures sur l'année, dans la limite du nombre d'heures fixé en application du 3° du I de l'article L. 3121-64 :

1° Les cadres dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés ;

2° Les salariés qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps.

Selon l'article L 3121-58 du code du travail, peuvent conclure une convention individuelle de forfait en jours sur l'année, dans la limite du nombre de jours fixé en application du 3° du I de l'article L. 3121-64 :

1° Les cadres qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés ;

2° Les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées.

Selon l'article L 3121-63 du même code, les forfaits annuels en heures ou en jours sur l'année sont mis en place par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche.

En application de ces dispositions, il convient de rappeler que :

- la validité d'une convention de forfait suppose que soit connu le forfait d'heures que les parties ont retenu lors de la conclusion de la convention,

- la seule fixation d'une rémunération forfaitaire sans que soit déterminé le nombre d'heures supplémentaires inclus dans cette rémunération ne permet pas de caractériser une convention de forfait,

- une convention de forfait ne se présume pas,

- la charge de la preuve d'une convention de forfait incombe à celui qui l'invoque,

- si l'employeur ne rapporte pas cette preuve, il doit payer les heures supplémentaires accomplies par le salarié en sus de l'horaire convenu entre les parties.

En l'espèce, le contrat de travail de M. [K] en date du 28 mars 2011 mentionne que « La rémunération mensuelle effective correspond à un horaire forfaitaire de travail conforme à l'accord d'entreprise relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail du personnel d'encadrement ».

L'avenant en date du 28 janvier 2014 prévoit qu'en rémunération de ses services, M. [K] « percevra un salaire forfaitaire brut annuel de 59400 euros » versé en 12 mensualités égales.

Et les bulletins de salaire de M. [K] portent tous la mention d'un salaire forfaitaire, auquel s'ajoute un forfait de 26 heures supplémentaires majorées à 25%.

Ainsi, il résulte de ces pièces que le salarié était soumis à une rémunération forfaitaire en application de la forfaitisation de sa durée de travail, laquelle, à la lecture de ses bulletins de salaire correspond à une forfaitisation en heures.

Or la société Xpo distribution France s'abstient de démontrer que le salarié était soumis à une convention individuelle de forfait en heures, sur la semaine ou sur le mois.

En effet, d'une première part, la société Xpo distribution France ne produit pas l'accord d'entreprise relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail du personnel d'encadrement, visé au contrat de travail de M. [K].

D'une seconde part, elle se contente d'affirmer que le salarié n'était pas soumis à une convention de forfait en jours, en alléguant de l'application d'un horaire forfaitaire de travail, alors que la forfaitisation de la durée du travail, en jours ou en heure, doit toujours faire l'objet de l'accord du salarié et d'une convention individuelle de forfait établie par écrit, dont elle ne justifie pas.

Par conséquent, il résulte de l'ensemble de ces éléments que la forfaitisation de la durée de travail de M. [K], qui n'était régie par aucune convention de forfait, doit être déclarée privée d'effet et inopposable, de sorte que le salarié se trouve ainsi fondé à revendiquer l'application des dispositions relatives à la durée légale hebdomadaire du travail prévue à l'article L. 3121-27 du code du travail, dans sa rédaction applicable à l'espèce.

Sur la demande au titre des heures supplémentaires :

Aux termes de l'article L. 3121-1 du code du travail, la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.

L'article L. 3121-27 du code du travail dispose que la durée légale de travail effective des salariés à temps complet est fixée à trente-cinq heures par semaine.

Selon l'article L. 3121-28 du même code, toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent.

Selon l'article L 3121-36 du même code, à défaut d'accord, les heures supplémentaires accomplies au-delà de la durée légale hebdomadaire fixée à l'article L. 3121-27 ou de la durée considérée comme équivalente donnent lieu à une majoration de salaire de 25 % pour chacune des huit premières heures supplémentaires. Les heures suivantes donnent lieu à une majoration de 50 %.

Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

Enfin, il résulte des dispositions de l'article L. 3171-4 du code du travail qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant (Soc., 18 mars 2020, pourvoi n° 18-10.919, FP, P + B + R + I).

En l'espèce, M. [K] affirme qu'en l'absence de convention de forfait applicable, le paiement des heures supplémentaires accomplies au-delà de 35 heures par semaine lui est dû, étant précisé qu'il effectuait des journées de 14 heures.

Il produit au soutien de sa demande :

- un tableau établi par ses soins, mentionnant le nombre d'heures de travail réalisé chaque semaine entre les mois de janvier 2017 et son licenciement, duquel il ressort un nombre d'heures hebdomadaire réalisé par le salarié compris entre 50 et 85 heures, soit entre 15 et 50 heures supplémentaires par semaine,

- des courriels adressés à son employeur à des horaires inhabituels (le 24 juillet 2019 à 19h46, le 04 juillet 2019 à 04h54, le 12 juin 2019 à 19h37, le 01 mars 2019 à 05h11, le 20 juin 2019 à 06h20 et 06h21, le 12 septembre à 05h07), étant observé que ces courriels font état de son inquiétude compte tenu de l'absence de renforts, de l'état de fatigue de ses équipes, ou sollicitent précisément des embauches de personnels,

- un certificat médical en date du 26 octobre 2020 de son médecin généraliste, indiquant que M. [K] l'a consulté le 03 mars 2019 pour un état de grande fatigue, s'inscrivant dans un contexte de surmenage professionnel avec un stress important.

Il y a lieu de retenir que ces éléments sont suffisamment précis quant aux heures non rémunérées que le salarié prétend avoir accomplies, pour permettre à l'employeur, chargé de contrôler les horaires de travail de ses salariés, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Il a été relevé que la forfaitisation horaire appliquée par l'employeur au salarié lui était inopposable.

Et l'employeur ne produit aucun élément permettant d'établir qu'il aurait, d'une manière ou d'une autre, contrôlé les horaires de travail de M. [K] et décompté son temps de travail, la cour d'appel relevant que l'employeur ne soutient ni ne démontre que le salarié était soumis à des horaires de travail qu'il aurait déterminés.

L'employeur ne justifie pas davantage que le salarié était assujetti à un horaire de travail collectif ou qu'il existait, au sein de l'entreprise, un système d'enregistrement automatique des horaires de travail permettant de décompter les heures de travail effectuées par les salariées.

En outre, c'est par un moyen inopérant que la SAS Xpo distribution France affirme que M. [K] ne rapporte pas la preuve des heures supplémentaires qu'il prétend avoir réalisées.

Aussi, la SAS Xpo distribution France soutient, sans en justifier, que les heures réclamées ne correspondent pas à un travail commandé par l'employeur.

Elle relève en revanche à juste titre que le décompte établi par le salarié contient des inexactitudes, aux motifs par exemple que le salarié a omis d'imputer des jours de congés (mai et septembre 2019) ou des jours fériés (juin 2019) du temps de travail déclaré.

Dès lors, il y a lieu de retenir que M. [K] a effectué des heures supplémentaires qui ne lui ont pas été rémunérées et au titre desquelles il a droit à un rappel de salaire.

Sur le montant dû au salarié, M. [K] sollicite la somme totale de 96 294,58 euros.

Or, il ressort des bulletins de salaire produits que le salarié se voyait payer chaque mois 26 heures supplémentaires majorées à 25 %, lesquelles n'ont pas été prises en compte par M. [K] dans le décompte produit, et qui correspondent, sur les trois années objet de la demande, à la somme totale de 32 980,08 euros.

Dès lors, compte tenu de l'ensemble des éléments précités, des inexactitudes constatées et des heures supplémentaires rémunérées, la cour évalue le montant du rappel de salaires restant dû à M. [K] à la somme totale de 45 000 euros brut, outre 4 500 euros brut au titre des congés payés afférents, au titre des heures supplémentaires réalisées et non payées entre le 1er janvier 2017 et le 27 septembre 2019.

La société Xpo distribution France sera donc condamnée à payer ces sommes à M. [K], et ce par infirmation du jugement entrepris sur le quantum de la condamnation.

Sur la demande au titre du travail dissimulé :

Il résulte des dispositions de l'article L. 8221-5 du code du travail qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.

L'article L. 8223-1 du code du travail dispose qu'en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

En application de ces dispositions, les juges du fond doivent rechercher le caractère intentionnel de la dissimulation, qui ne peut résulter du seul défaut de mention des heures supplémentaires sur les bulletins de paie.

La charge de la preuve du travail dissimulé repose sur le salarié, qui doit démontrer l'existence, d'une part, d'un élément matériel constitué par le défaut d'accomplissement d'une formalité obligatoire et, d'autre part, d'un élément intentionnel, constitué par la volonté de se soustraire à cette formalité.

En outre, le montant de l'indemnité forfaitaire doit être calculé en tenant compte des heures supplémentaires accomplies par le salarié au cours des six mois précédant la rupture du contrat de travail.

En l'espèce, l'élément matériel du travail dissimulé ayant consisté à ne pas indiquer sur les bulletins de paie le nombre d'heures supplémentaires effectivement réalisées est établi.

La cour a relevé en outre que la convention individuelle de forfait en heures alléguée par l'employeur est inopposable au salarié et que le salarié a réalisé un nombre important d'heures supplémentaires.

Par ailleurs, il est établi que la société Xpo distribution France avait connaissance de la charge de travail du salarié, puisqu'il l'avait informé à plusieurs reprises par courriels adressés à des horaires inhabituels en 2019, lui faisant part de journées de travail de plus de 10 heures et sollicitant des renforts en raison de ses difficultés à trouver des salariés intérimaires.

Aussi, l'employeur s'est soustrait à ses obligations en n'opérant aucun suivi régulier de l'organisation de son travail, et en ne vérifiant pas l'amplitude de ses journées de travail.

C'est donc sciemment et délibérément qu'il a omis de mentionner ses heures supplémentaires sur les bulletins de salaire de M. [K] et de les lui rémunérer, se soustrayant ainsi intentionnellement aux formalités découlant de la réalisation d'heures supplémentaires vis-à-vis des organismes de recouvrement des cotisations sociales.

Au vu de ces constatations, il y a lieu de retenir que M. [K] établit l'intention de la SAS Xpo distribution France de dissimuler des heures supplémentaires qu'il a effectuées.

Il résulte des pièces produites que le salaire brut moyen de M. [K], heures supplémentaires incluses, était de 6490 euros brut.

La société Xpo distribution France sera donc condamnée à payer au salarié la somme 38 940 euros net à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, et ce par infirmation du jugement entrepris de ce chef.

Sur la demande au titre du non-respect des durées maximales de travail, du non-respect du droit au repos et du non-respect du droit à la santé :

Selon l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L.  4161-1 ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

L'article L 4121-2 du code du travail prévoit que l'employeur met en 'uvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.

En cas de litige, il incombe à l'employeur, tenu d'assurer l'effectivité de l'obligation de prévention mise à sa charge, de justifier qu'il a pris les mesures suffisantes pour s'acquitter de ces obligations.

En l'espèce, la cour a retenu que le salarié objectivait le fait qu'il réalisait de nombreuses heures supplémentaires, et qu'il supportait une charge de travail importante, dont il avait informé son employeur à plusieurs reprises entre les mois de mars et de septembre 2019.

Il produit ainsi plusieurs courriels sollicitant de l'aide, adressés notamment à son directeur, M. [G] :

- un courriel du 20 juin 2019 dans lequel il indique que : « (') je sais que les embauches sont gelées, mais je souhaite pour maintenir mon agence la tête hors de l'eau, faire des embauches CDD sur le mois de juillet. J'avais stoppé les embauches comme demandé en juin par Monsieur [P], mais au vue des volumes, je pense qu'il est raisonnable d'assurer ce mois de juillet (') »,

- un courriel du 04 juillet 2019 à 04h54, dans lequel il indique notamment que « (') Les gens font 10h par jour et parfois plus sur le quai. Nous avons pris sur juin quasiment 10% de volume supplémentaire en distribution (60 positions) (') »,

- un courriel du 24 juillet 2019 dans lequel il se dit « (') inquiet sur cette fin de semaine, mais surtout sur la semaine prochaine ou les renforts des autres agences ne seront plus là.

Sachant que travailler le samedi n'est pas envisageable au regard de l'état de fatigue des équipes quais (entre 12 et 14h/jour) (') ».

M. [K] produit en outre un courriel adressé à son employeur le 11 septembre 2019, dans lequel il indique « Aujourd'hui je suis épuisé, je n'arrive plus à trouver le ressort nécessaire pour accomplir ma tâche de directeur. Pendant des mois j'ai fait une moyenne de 14 à 15 h par jour pour essayer de motiver les équipes et de faire en sorte que nous sortions de cette zone d'inconfort aussi bien qualitative qu'économique.

Pendant des mois je considère ne pas avoir été soutenu

Pas un appel sur les derniers mois, et pas de réponses à mes appels

Refus de mes demandes de poste CDD ou Cdi alors que nous avions une hausse de volumes et des camions dans la cour suite à plusieurs départ de conducteurs ou à la non validation de mes CDD d'été (') »

Or la SAS Xpo distribution France se contente d'affirmer que M. [K] n'apporte pas la preuve de la violation de la durée maximale du travail, du droit à la santé et au repos invoquée, ni de son préjudice.

Ainsi, elle n'allègue et a fortiori ne justifie d'aucune mesure d'évaluation ou de prévention, ni d'aucune disposition prise concernant les risques liés à l'organisation du travail du salarié, à sa charge de travail et à ses amplitudes horaires, et ce alors qu'elle avait ou aurait dû avoir conscience du risque encouru par son salarié, compte tenu de ses alertes durant l'année 2019.

Ainsi, l'absence de toute mesure propre mise en 'uvre pour prévenir les risques et protéger la santé physique et mentale du salarié constitue un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

La SAS SAS Xpo distribution France sera donc condamnée à réparer le préjudice de M. [K], en lui versant une somme qu'il convient de fixer à 6 000 euros net à titre de dommages et intérêts, et ce par infirmation du jugement entrepris.

Sur le rappel de prime d'objectif 2018 :

M. [K] sollicite l'infirmation du jugement de première instance, sans développer aucun moyen au soutien de sa demande, qu'il ne chiffre pas.

En outre, il résulte des pièces produites qu'il a perçu une somme de 5 605 euros au titre de la prime d'objectifs 2018, laquelle apparait sur le bulletin de salaire du mois de mars 2019.

Sa demande sera donc rejetée, par confirmation du jugement entrepris.

Sur la demande au titre de l'obligation de formation et d'adaptation :

Selon l'article L. 6321-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige, l'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail.

Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations.

Il peut proposer des formations qui participent au développement des compétences, y compris numériques, ainsi qu'à la lutte contre l'illettrisme, notamment des actions d'évaluation et de formation permettant l'accès au socle de connaissances et de compétences défini par décret.

Les actions de formation mises en 'uvre à ces fins sont prévues, le cas échéant, par le plan de développement des compétences mentionné au 1° de l'article L. 6312-1. Elles peuvent permettre d'obtenir une partie identifiée de certification professionnelle, classée au sein du répertoire national des certifications professionnelles et visant à l'acquisition d'un bloc de compétences.

Pour démontrer qu'il a rempli son obligation d'assurer l'adaptation du salarié à son emploi et de veiller au maintien de sa capacité à occuper un emploi, l'employeur produit un document intitulé « historique formation [Y] [K] » mentionnant l'intitulé des formations suivies, leur date et leur durée, et notamment, depuis le 1 er février 2014, date de sa promotion aux fonctions de directeur de l'agence de [Localité 5]  :

- Code éthique des affaires, 1 h42 au mois de mai 2019,

- Anglais, 1 h 50 au mois de février 2017,

- It Formation Office 365, 1 h au mois de juin 2016,

- Manager la sécurité » 14 h au mois de décembre 2016,

- Anglais, 40 h entre les mois de septembre et décembre 2014,

- Gestion des relations sociales Xpo formation, 14 h au mois de novembre 2014,

- Un quart d'heure sécurité interne, 2 h au mois de septembre 2014.

Si le contenu de ce document ne fait l'objet d'aucune observation utile de la part du salarié, il convient de relever que l'employeur ne justifie pas que ces formations ont effectivement été suivies par M. [K], qui affirme en avoir suivi aucune en neuf années.

L'employeur ne justifie pas davantage du contenu exact de ces formations.

Aussi, l'employeur n'allègue ni a fortiori ne démontre que ces formations étaient conformes aux besoins de M. [K], qui occupait jusqu'au 1er janvier 2014 un poste de responsable commercial avant de prendre le poste de directeur d'une agence d'environ 120 personnes, soit des fonctions relevant, comme l'indique le salarié, de domaines aussi variés que la gestion du personnel, la comptabilité, ou la logistique, et justifiant de suivre des formations afin de s'adapter et de se maintenir à ce nouveau poste.

Enfin, la SAS Xpo distribution ne justifie pas, comme elle l'affirme, que le salarié a bénéficié de l'accompagnement de sa hiérarchie dans le cadre de ce changement.

En considération de ces éléments, la cour retient la violation par l'employeur de ses obligations de formation, d'adaptation, et de maintien de la capacité du salarié à occuper un emploi, de sorte que le préjudice en résultant pour le salarié, qui s'est trouvé privé de formations adaptées à ses missions durant plusieurs années, sera justement réparé par la condamnation de la SAS Xpo distribution France à lui payer la somme de 4 000 euros net, par réformation du jugement entrepris.

Sur la demande au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail :

Il résulte de l'article L 1222-1 du code du travail que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.

La bonne foi se présumant, la charge de la preuve de l'exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur incombe au salarié.

M. [K] affirme que le non-paiement de l'intégralité de son salaire et l'absence de réaction de l'employeur à ses alertes sont constitutifs d'une grave exécution fautive du contrat de travail.

La cour relève cependant que M. [K] a formulé des demandes au titre du non-paiement de sa prime d'objectifs, du non-paiement des heures supplémentaires, et au titre de la violation par l'employeur des durées maximales du travail et de son obligation de sécurité, sans distinguer dans sa demande au titre de la violation par l'employeur de son obligation de loyauté, les moyens de fait s'y rapportant ni différencier de préjudice distinct de ceux d'ores et déjà réparés.

Dès lors, M. [K] sera débouté de sa demande formulée au titre de la violation par l'employeur de son obligation de loyauté, par confirmation du jugement entrepris.

Sur le licenciement :

Sur l'insuffisance professionnelle

L'article L 1232-1 du code du travail dispose que tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

Aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur en cas de litige, forme sa conviction au regard des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utile. Si un doute subsiste, il doit profiter au salarié.

L'insuffisance professionnelle se définit comme l'incapacité objective, non fautive et durable, d'un salarié à accomplir correctement la prestation de travail pour laquelle il est employé, c'est-à-dire conformément à ce qu'on est fondé à attendre d'un salarié moyen ou ordinaire, employé pour le même type d'emploi et dans la même situation. Elle doit, en outre, être constatée sur une période suffisamment longue pour ne pas apparaître comme purement conjoncturelle, et être directement imputable au salarié.

Pour constituer une cause réelle et sérieuse de rupture, l'insuffisance professionnelle doit être établie par des éléments précis, objectifs ayant des répercussions sur la marche ou le fonctionnement de l'entreprise, constitués non par une violation des obligations résultant du contrat de travail mais par une mauvaise exécution par le salarié de ses obligations caractérisée, notamment, par des erreurs, des omissions ou par un volume de travail insuffisant.

Pour qu'ils puissent matérialiser une insuffisance professionnelle, les objectifs fixés non remplis doivent être réalistes et atteignables.

En outre, le salarié ne répondant pas aux attentes de son employeur doit en principe faire l'objet d'une mise en garde préalable.

Enfin, si la preuve est partagée en matière de licenciement pour cause réelle et sérieuse, il incombe à l'employeur d'apporter au juge des éléments objectifs à l'appui des faits qu'il invoque comme propres, selon lui, à caractériser l'insuffisance professionnelle dont il se prévaut.

Le juge n'est pas tenu de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, il lui appartient néanmoins d'examiner l'ensemble des griefs invoqués dans la lettre de rupture, laquelle circonscrit le champ du litige et le lie.

En l'espèce il ressort de la lettre de licenciement en date du 27 septembre 2019, que l'employeur reproche au salarié une insuffisance professionnelle au titre des griefs suivants :

- des dysfonctionnements sur les règles de sécurité,

- un manque d'organisation de l'agence ayant généré un coût de non qualité de 86 000 euros et la perte de trois clients,

- des problèmes relationnels et managériaux, et manque de communication créant des tensions dont les salariés se plaignent.

D'une première part, sur le manque d'organisation de l'agence ayant généré un coût de non qualité de 86 000 euros et la perte de trois clients, la cour constate que la SAS Xpo distribution France ne démontre pas ce grief.

En effet, la SAS Xpo distribution produit uniquement un courriel adressé le 03 juillet 2019 par M. [G] au salarié, dans lequel il l'interroge sur la construction de son « budget 2019 pour atteindre l'objectif fixé ce qui nous permettra d'identifier les axes sur lesquels nous ne sommes pas au rdv (') ». M. [G] lui propose ensuite de revenir sur des axes d'amélioration en lui suggérant de se pencher sur certains éléments, notamment la façon de « challenger tes affréteurs », son organisation et la gestion des moyens, la gestion et le volume des congés, ou le taux de remplissage en distribution. M. [G] lui indique enfin : « je te fais confiance pour travailler ces différents sujets et les autres que je n'ai pas identifié et je te propose de voir ensemble tes plans d'actions actuels et à venir lors de mon prochain passage ainsi que les résultats depuis leur mise en place ».

Ainsi, si le supérieur hiérarchique de M. [K] l'interpelle sur l'absence de réalisation de l'objectif fixé, aucun élément n'est développé ni justifié sur ce point, ni dans le courrier de licenciement, et aucune pièce ni aucun élément chiffré ne sont produits pour établir tant le coût de non-qualité allégué, que la perte des trois clients cités.

Enfin, la SAS Xpo distribution France évoque dans ses écritures le mécontentement d'autres clients, notamment Go sport, alors que ni ce client ni le mécontentement d'autres clients ne figure dans le courrier de licenciement.

Le sérieux de ce motif n'est donc pas établi.

D'une deuxième part, sur les problèmes relationnels et managériaux, et sur le manque de communication créant des tensions dont les salariés se plaignaient, là encore la SAS Xpo distribution France ne justifie pas ce grief.

En effet, elle produit uniquement un courriel adressé le 26 septembre 2019 à M. [O] et M. [S], par M. [E], délégué syndical de la société, lequel indique :

« Bonjour Messieurs,

Par ma voix, la très grande majorité des employés vous remercient d'avoir mis fin à 5 ans de calvaire, et nous pesons nos mots.

Ils vous remercient d'avoir enfin pu vous rendre compte que notre agence depuis février 2014 était en état de léthargie, avant cette date fontaine était dans le peloton de tête en termes de résultats, depuis 2015 nous flottions dans le bas du classement.

Aujourd'hui tous espèrent que il n'y aura pas d'erreur sur la mise en place du nouveau directeur pour que tous nous retrouvions le gout de venir travailler dans cette agence (') ».

Or si le rédacteur de ce courriel fait part de sa satisfaction suite au départ du directeur il n'apporte en revanche aucune information circonstanciée sur les reproches qui pouvaient être formulés à son égard, de sorte que ce seul courriel ne permet pas, faute de précision, d'établir tant les problèmes relationnels et managériaux que le défaut de communication reprochés à M. [K] dans la lettre de licenciement.

Là encore, aucun motif d'insuffisance professionnelle ne peut donc être retenu à ce titre.

D'une troisième part, sur les dysfonctionnements liés aux règles de sécurité, l'employeur produit :

- la fiche de poste de directeur d'agence laquelle indique que « il est garant du fonctionnement de son agence, et de l'atteinte des résultats financiers. Il manage son équipe dans le but d'atteindre les objectifs de qualité, sécurité, environnement, hygiène et santé, dans le respect des directives fixées par son Directeur de LOB. (') », et qu'il « est le garant de la politique Qualité Hygiène Sécurité Environnement de son agence, qu'il met en 'uvre »

- la grille de l'audit Sécurité réalisé le 12 juin 2019 sur l'agence de [Localité 5], laquelle met en évidence 15 points de non conformités sur près de 150 items contrôlés, soit :

* Aucun contrôle de l'accès au site

* Pas de réalisation d'une formation incendie en 2018 et 2019

* extincteurs ADR périmé

* cartouches périmées sur les équipements obligatoires

* extincteurs supplémentaires périmés sur les équipements obligatoires

* Pas de fiche défaut de mise à quai

* Pas de prise en charge du matériel de manutention

* Dysfonctionnements relatifs aux véhicules à quai (véhicules non arrêtés)

* Dysfonctionnements relatifs aux véhicules à quai (véhicules non fermés)

* Non-respect de la périodicité des audits

* Pas de fiche contrôle des équipements des ADR

* Kits interventions ADR non complets

* Bacs d'intervention pas accessibles

* Bacs de rétention encombrés

* Bas de récupération à faire vider

- Un courriel adressé à M. [K] par M. [S], directeur des opérations, le 12 juin 2019, indiquant suite à la transmission de cet audit : « [Y],

Je vois dans ce rapport plusieurs manquements (en rouge) qui sont une réelle mise en danger de nos collaborateurs et qui auraient dû être facilement détectés lors de tours de terrains par toi ou tes managers.

Merci d'y remédier au plus vite.

La sécurité est une des priorités de notre entreprise ».

- Un courriel adressé à M. [K] par M. [W], directeur QSSE Transport solutions, le 12 juin 2019, indiquant suite à la transmission de cet audit : « Bonjour [Y],

Des sujets réglementaires sur lesquels il convient de se remettre en conformité sans délai. Le résultat du quai n'est pas fameux. Il y a urgence d'impliquer tes managers (de quai) sur leur périmètre. Que des bacs déversement soient vides ou incomplets est un manquement grave ».

- la grille du nouvel audit Sécurité réalisé le 28 août 2019 sur l'agence de [Localité 5], laquelle met en évidence 9 points de non conformités, soit :

* Pas de contrôle de l'accès au site

* Pas de réalisation d'une formation incendie en 2018 et 2019

* l'agence ne s'assure pas de la formation du personnel intérimaire

* équipements obligatoires non conformes par unité de transport

* extincteurs supplémentaires non conformes sur les équipements obligatoires

* formation intérimaire pour tout utilisateur d'engin pas tous faits immédiatement

* Non-respect de la périodicité des audits

* fiche contrôle des équipements (en cours de mise en place)

* Kits interventions ADR ( à revérifier et recompléter)

Or il convient de relever, comme l'ont retenu les premiers juges, qu'entre les deux audits espacés de deux mois, M. [K] a régularisé la situation pour 6 points et deux autres étaient en voie de régularisation (points 3.53 et 3.54) selon la grille établie au mois d'août 2019.

La cour observe aussi que le courrier de licenciement reproche particulièrement au salarié l'absence de régularisation entre les deux audits de plusieurs points qui ne sont pourtant pas relevés lors du premier audit, notamment concernant la formation des intérimaires, ce qui permet de s'interroger sur les conditions dans lesquelles ces deux audits ont été réalisés.

En outre, M. [K] justifie d'échanges de courriels réalisés les 05 et 06 septembre 2019 avec M. [J], conseiller à la sécurité, concernant les non conformités non régularisées, sur lesquelles il apporte des explications et sollicite des précisions quant aux mesures à prendre.

Dès lors, eu égard à l'ensemble de ces éléments, il persistait à l'issue de ces deux audits 6 points de non conformités sur 150 points vérifiés, dont le salarié s'était manifestement saisi de sorte qu'il ne peut lui être reproché sa carence, la cour relevant qu'en le licenciant quelques jours plus tard, l'employeur n'a pas permis à son directeur de poursuivre ses démarches pour corriger les défaillances de sécurité constatées.

Dès lors, ces circonstances ne permettent pas de caractériser l'insuffisance professionnelle reprochée au salarié sur ce point.

Par conséquent, au regard de l'unique grief relatif aux dysfonctionnements sur les règles de sécurité, partiellement retenu, outre que le salarié avait réagi rapidement à la mise en garde de son employeur, l'insuffisance professionnelle reprochée par la SAS Xpo distribution France à M. [K] n'est pas matériellement caractérisée.

Par conséquent, confirmant le jugement dont appel, le licenciement est déclaré sans cause réelle et sérieuse.

Sur les demandes financières :

L'article L. 1235-3 du code du travail dispose que si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis ; et, si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux que cet article prévoit.

M. [K] affirme que les barèmes énoncés par l'article L 1235-3 du code du travail pour l'indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse doivent être écartés, pour les motifs suivants :

- les barèmes Macron lui sont inopposables en raison du non-respect de la décision n°513 du conseil d'administration de l'OIT prise lors de sa 344ème session plénière, laquelle a adopté le rapport du comité d'experts chargé d'examiner la réclamation alléguant l'inexécution par la France de la convention n°158 sur le licenciement et demandant au gouvernement de tenir compte, dans le cadre de l'application de la convention n°158, des observations formulées aux paragraphes 54, 58, 80 et 81 des conclusions du comité,

- les barèmes Macron sont inapplicable en raison de la discrimination indirecte induite par la mise en 'uvre des barèmes, prohibée par le droit de l'Union européenne,

- Les barèmes Macron sont inconventionnels non pas directement au visa de l'article 24 de la Charte sociale européenne telle qu'interprétée de manière constante à trois reprises par le Comité des droits sociaux mais indirectement par application de l'article 30 de la charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne et de l'article 151 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne, qui font explicitement référence à la Charte sociale européenne et à la mise en 'uvre de ses principes par les Etats-membres.

La SAS Xpo distribution France, qui soutient dans ses conclusions que M. [K] est irrecevable en sa demande tendant à voir écarter le barème de l'article L.1235-3 du Code du travail, pour l'avoir formulé dans ses conclusions d'appel n°3, communiquées à 4 jours de la clôture du 9 janvier 2024, ne reprend pas cette demande dans le dispositif de ses conclusions, de sorte que la cour n'en est pas saisie.

M. [K] disposait d'une ancienneté de huit années complètes au service du même employeur, et peut donc prétendre, par application des dispositions précitées, à une indemnisation du préjudice né de la perte injustifiée de son emploi comprise entre trois et huit mois de salaire.

Âgé de 41 ans à la date du licenciement, il percevait un salaire mensuel moyen brut de 6 490 euros.

Il ne produit aucun élément concernant sa situation professionnelle actuelle, ni sur les recherches effectuées pour retrouver un emploi.

Dès lors, au regard de l'ensemble de ces éléments, procédant à une appréciation souveraine des éléments de fait soumis au titre du préjudice subi, les moyens tirés de l'inopposabilité et de l'inconventionnalité des barèmes se révélant inopérants dès lors qu'une réparation adéquate n'excède pas la limite maximale fixée par la loi, il convient donc de condamner la SAS Xpo distribution France à verser à M. [K] la somme de 45 000 euros brut à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et ce par infirmation du jugement entrepris sur le montant de la condamnation.

Sur le caractère vexatoire du licenciement :

Le licenciement prononcé dans des conditions vexatoires peut causer un préjudice distinct de celui résultant de la perte de l'emploi, justifiant une réparation sur le fondement de l'article 1240 du code civil, dès lors que la faute de l'employeur est démontrée.

M. [K] affirme que les circonstances de son licenciement sont particulièrement vexatoires, dès lors qu'il a été licencié après avoir été confronté durant plusieurs mois à une politique volontaire de réduction des coûts, et alors qu'il a alerté son employeur en vain sur le manque structurel d'effectif, lequel a mis en danger l'agence et son état de santé.

La cour constate que M. [K] développe les mêmes moyens que ceux soumis à l'appréciation de la cour au titre des demandes précédemment examinées, sans avancer de moyens nouveaux au titre de sa demande liée aux circonstances de son licenciement, ni justifier d'un préjudice distinct.

Sa demande sera donc rejetée, par confirmation du jugement entrepris.

Sur les intérêts :

Au visa de l'article 1231-7 du code civil, dès lors que les sommes indemnitaires allouées en principal sont d'un montant laissé à l'appréciation du juge, les intérêts au taux légal ne courent qu'à compter de la décision qui les prononce.

Il s'ensuit que les intérêts sur les condamnations porteront intérêts au taux légal pour celles fixées par les premiers juges et confirmées par le présent arrêt à compter du jugement entrepris et que les autres condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

En revanche, les intérêts sur les créances salariales courent à compter du 15 mai 2020, date de la présentation à l'employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation.

Par ailleurs, au visa de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu de dire que les intérêts au taux légal se capitaliseront, dès lors qu'ils seront dus pour une année entière.

Sur la remise d'une attestation Pôle emploi et d'un bulletin de salaire rectifiés :

Il convient d'ordonner à la SAS Xpo distribution France de remettre à M. [K] un bulletin de salaire, une attestation Pôle emploi, devenu France travail, et les documents de fin de contrat de travail conformes au présent arrêt.

La demande d'astreinte sera rejetée car elle n'est pas utile à l'exécution dans la présente décision.

Sur les demandes accessoires :

Il convient de confirmer la décision de première instance s'agissant des dépens et des frais irrépétibles.

La SAS Xpo distribution France, partie perdante qui sera condamnée aux dépens et déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, devra payer à M. [K] la somme de 1 500 euros au titre de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a :

- Dit que le licenciement de M. [K] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- Condamné la société Xpo distribution France à verser à M. [K] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Débouté M. [Y] [K] de ses demandes :

* au titre de la violation par l'employeur de son obligation de loyauté,

* au titre de la prime d'objectif pour l'année 2018,

* au titre des circonstances vexatoires de son licenciement,
- Débouté la société Xpo distribution France de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Mis les dépens de l'instance à la charge de la société Xpo distribution France.

L'INFIRME, pour le surplus,

STATUANT à nouveau sur les chefs d'infirmation,

Y ajoutant,

CONDAMNE la société Xpo distribution France à payer à M. [Y] [K] les sommes suivantes :

- 45 000 euros brut au titre des heures supplémentaires réalisées entre le 01 janvier 2017 et le 27 septembre 2019,

- 4 500 euros brut au titre des congés payés afférents,

- 38 940 euros net à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

- 6 000 euros net au titre de la violation par l'employeur de son obligation de sécurité,

- 4 000 euros net au titre de la violation par l'employeur de son obligation de formation et d'adaptation,

- 45 000 euros brut à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

DIT que les intérêts sur les créances salariales courent à compter du 15 mai 2020,

DIT que les intérêts sur les condamnations indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter du jugement entrepris pour celles fixées par les premiers juges et confirmées par le présent arrêt et pour celles fixées par le présent arrêt à compter de la présente décision,

DIT que les intérêts au taux légal se capitaliseront, dès lors qu'ils seront dus pour une année entière,

ORDONNE à la SAS Xop distribution France de remettre à M. [Y] [K] un bulletin de salaire, une attestation Pôle emploi et les documents de fin de contrat de travail conformes au présent arrêt,

REJETTE la demande d'astreinte,

DEBOUTE la SAS Xpo distribution France de sa demande au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

CONDAMNE la SAS Xpo distribution France aux dépens d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Hélène Blondeau-Patissier, Conseillère faisant fonction de Présidente, et par Madame Mériem Caste-Belkadi, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.

La Greffière, La Conseillère faisant fonction de Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch. sociale -section a
Numéro d'arrêt : 22/00784
Date de la décision : 09/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 16/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-09;22.00784 ?
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