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09/04/2024 | FRANCE | N°22/00759

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section a, 09 avril 2024, 22/00759


C4



N° RG 22/00759



N° Portalis DBVM-V-B7G-LH4Z



N° Minute :



















































































Copie exécutoire délivrée le :





Me Pascale HAYS



la SELARL FAYOL AVOCATS

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


r>COUR D'APPEL DE GRENOBLE



Ch. Sociale -Section A

ARRÊT DU MARDI 09 AVRIL 2024





Appel d'une décision (N° RG 21/00138)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCE

en date du 03 février 2022

suivant déclaration d'appel du 18 février 2022





APPELANTE :



S.A. CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE LOIRE DROME ARDECHE, prise en la personne de son représent...

C4

N° RG 22/00759

N° Portalis DBVM-V-B7G-LH4Z

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

Me Pascale HAYS

la SELARL FAYOL AVOCATS

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section A

ARRÊT DU MARDI 09 AVRIL 2024

Appel d'une décision (N° RG 21/00138)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCE

en date du 03 février 2022

suivant déclaration d'appel du 18 février 2022

APPELANTE :

S.A. CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE LOIRE DROME ARDECHE, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège,

[Adresse 2],

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Pascale HAYS, avocat postulant inscrit au barreau de GRENOBLE,

et par Me Véronique POUQUET, avocat plaidant inscrit au barreau de SAINT-ETIENNE,

INTIME :

Monsieur [E] [L]

né le 29 Mars 1963 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 5]

représenté par Me Elodie BORONAD de la SELARL FAYOL AVOCATS, avocat au barreau de VALENCE,

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère faisant fonction de Présidente

Madame Gwenaelle TERRIEUX, Conseillère,

M. Frédéric BLANC, Conseiller,

DÉBATS :

A l'audience publique du 12 février 2024,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère faisant fonction de Présidente en charge du rapport et Madame Gwenaelle TERRIEUX, Conseillère, ont entendu les représentants des parties en leurs conclusions et plaidoirie, assistées de Mme Mériem CASTE-BELKADI, Greffière, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 09 avril 2024, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L'arrêt a été rendu le 09 avril 2024.

EXPOSE DU LITIGE

M. [E] [L], né le 29 mars 1963, a été embauché par la société anonyme (SA) Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche par contrat de travail à durée déterminée du 13 mai 1988 au 31 décembre 1988, suivi d'un contrat de travail à durée indéterminée en date du 3 janvier 1989.

La relation contractuelle est soumise aux statuts des caisses d'épargne et de prévoyance et des accords collectifs nationaux.

Au dernier état de la relation contractuelle, M. [L] occupait un poste de gestionnaire de clientèle particulier, classification F, au sein de l'agence de [Localité 3] dans le département de la Drôme.

Par courrier remis en main propre en date du 23 octobre 2020, la société a convoqué M. [L] à un entretien préalable à sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement pour faute grave, avec mise à pied conservatoire.

L'entretien s'est tenu le 3 novembre 2020 au siège de la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche à [Localité 4], en présence du salarié, assisté de M. [Y], représentant du personnel.

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 6 novembre 2020, la société a indiqué à M. [L] qu'il disposait de la possibilité de saisir le conseil de discipline conformément aux dispositions de l'accord de branche du 12 juillet 2013.

Par courrier daté du 12 novembre 2020, M. [L] a sollicité la saisine du conseil de discipline.

Le 7 janvier 2021, le conseil de discipline a rendu un avis favorable au projet de licenciement.

Par courrier recommandé avec accusé de réception daté du 20 janvier 2021, la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche a notifié à M. [L] son licenciement pour faute grave.

Par requête du 11 mai 2021, M. [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Valence aux fins de contester son licenciement pour faute grave et obtenir la condamnation de la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche à lui payer les indemnités afférentes à une rupture injustifiée de la relation de travail.

La société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche s'est opposée aux prétentions adverses.

Par jugement du 3 février 2022, le conseil de prud'hommes de Valence a :

Requalifié le licenciement pour faute grave de M. [L] en licenciement pour cause réelle et sérieuse ;

Condamné la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche à payer à M. [L] les sommes suivantes :

4 444,13 euros au titre du paiement de la mise à pied conservatoire ;

444,01 euros au titre des congés payés afférents ;

6 732,18 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

673,22 euros brut au titre des congés payés sur préavis ;

40 393,08 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement ;

19 393,08 euros en réparation du préjudice subi pour perte de droit à la retraite ;

2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Ordonné l'exécution provisoire de l'entier jugement en application de l'article 515 du code de procédure civile ;

Débouté M. [L] du surplus de ses demandes ;

Débouté la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamné la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche aux entiers dépens de l'instance y compris ceux dus au titre d'une exécution par voie légale de la décision.

La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées avec accusés de réception remis le 7 février 2022 pour la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche et sans date pour M. [L]

Par déclaration en date du 18 février 2022, la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche a interjeté appel.

M. [L] a formé appel incident.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 12 septembre 2022, auxquelles il convient expressément de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, la société Caisse d'épargne et prévoyance Loire Drôme Ardèche sollicite de la cour de :

« Sur le licenciement,

Dire et juger que la prescription ne commence à courir qu'à compter de la date à laquelle l'employeur a une parfaite connaissance de la matérialité, de la nature et de l'ampleur des faits fautifs, ce qui implique d'attendre le rapport d'investigations lorsqu'une enquête a été diligentée ;

Dire et juger que M. [L] a gravement manqué à ses obligations et à l'éthique en violant délibérément les procédures mises en place au sein de la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche pour protéger les clients ;

Dire et juger que M. [L] a expressément reconnu la matérialité de ces faits graves fautifs lors de l'enquête de la DRCCP ;

En conséquence,

Réformer le jugement du conseil de prud'hommes de Valence du 3 février 2022 en ce qu'il a requalifié le licenciement pour faute grave en un licenciement pour cause réelle et sérieuse et condamner la société Caisse d'épargne Loire Drôme Ardèche des divers chefs de demandes y afférents ;
Dire et juger que le licenciement pour fautes graves de M. [L] est bien fondé ;

Débouter M. [L] de l'intégralité de ses demandes de ce chef dont notamment la publication de la décision à intervenir dans la presse ;

Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement abusif et atteinte au respect de la vie personnelle de M. [L],

Dire et juger que l'enquête diligentée s'est avérée justifiée et proportionnée ;
Dire et juger que M. [L] ne justifie pas de l'existence d'un préjudice au titre d'une prétendue atteinte à sa vie privée ;

En conséquence,

Confirmer sur ce point le jugement du conseil de prud'hommes de Valence du 3 février 2022 en ce qu'il a débouté M. [L] de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement abusif et atteinte au respect de la vie personnelle ;

Débouter M. [L] de ses demandes de dommages et intérêts de ces chefs ;

Sur la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice subi pour perte de droits à la retraite,

Dire et juger que M. [L] ne rapporte pas la preuve d'un préjudice quelconque lié à une perte de droits à la retraite ;

En conséquence,

Réformer le jugement du conseil de prud'hommes de Valence du 3 février 2022, en ce qu'il a condamné la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche au paiement de la somme de 19 044 euros au titre du préjudice subi pour perte de droits à la retraite ;

Débouter M. [L] de l'intégralité de ses demandes de ce chef ;

Sur la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile de M. [L],

Réformer le jugement du conseil de prud'hommes de Valence du 3 février 2022, en ce qu'il a condamné la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

En conséquence,

Débouter M. [L] de l'intégralité de ses demandes de ce chef ;

Sur la demande reconventionnelle de la société,

Accueillant la demande reconventionnelle de la société,

Condamner M. [L] à verser à la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. »

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 18 octobre 2022, auxquelles il convient expressément de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, M. [L] sollicite de la cour de :

« Réformer le jugement du conseil de prud'hommes de Valence 3 février 2022 en ce qu'il a jugé que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse et en ce qu'il l'a débouté de ses demandes au titre des préjudices distincts ;

En conséquence,

Juger que les prétendus griefs invoqués à l'encontre de M. [L] sont prescrits ;

Juger que le licenciement de M. [L] est sans cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

Condamner la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche à verser à M. [L] les sommes de :

4 440,13 euros brut au titre de la mise à pied conservatoire, outre 444,12 euros au titre des congés payés sur mise à pied ;

6 732,18 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 673,22 euros brut à titre de congés payés sur préavis ;

40 393,08 euros brut au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;

73 321,80 euros brut au titre des dommages et intérêts pour licenciement abusif ;

19 044 euros au titre du préjudice subi pour perte de droits à la retraite ;

Juger que l'employeur a porté atteinte au respect de la vie personnelle du salarié ;

En conséquence,

Condamner la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche au paiement de la somme de 10 000 euros ;

Juger que le licenciement est intervenu dans des conditions vexatoires ;

En conséquence,

Condamner la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche au paiement de la somme de 10 000 euros ;

En tout état de cause,

Juger que les éventuels frais d'exécution forcée, droit de recouvrement, droit proportionnel seront supportés par la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche ;

Condamner la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche à verser à M. [L] la somme de 6 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens, en ce compris ceux dus au titre d'une éventuelle exécution par voie légale de la décision à intervenir. »

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article 455 du code de procédure civile de se reporter aux conclusions des parties susvisées.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 9 janvier 2024.

L'affaire, fixée pour être plaidée à l'audience du 12 février 2024, a été mise en délibéré au 9 avril 2024.

MOTIFS DE L'ARRÊT

1 ' Sur la contestation du licenciement

Selon les dispositions de l'article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

Les motifs invoqués par l'employeur doivent être précis, objectifs et vérifiables.

L'existence d'un fait fautif suppose une action délibérée ou une impéritie grave, la simple erreur d'appréciation ou l'insuffisance professionnelle ne pouvant ouvrir droit à une sanction disciplinaire.

Conformément aux articles L. 1232-1, L. 1232-6, L. 1234-1 et L. 1235-2 du code du travail, l'employeur qui a licencié un salarié pour faute grave doit établir l'exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre de licenciement.

La charge de la preuve de la faute grave incombe donc à l'employeur, qui doit prouver à la fois la faute et l'imputabilité au salarié concerné.

La faute grave est définie comme celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis.

La gravité d'une faute n'est pas nécessairement fonction du préjudice qui en est résulté.

La commission d'un fait isolé peut justifier un licenciement disciplinaire, y compris pour faute grave, sans qu'il soit nécessaire qu'il ait donné lieu à avertissement préalable.

En cas de faute grave, la mise en oeuvre de la procédure de licenciement doit intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits fautifs, mais le maintien du salarié dans l'entreprise est possible pendant le temps nécessaire pour apprécier le degré de gravité des fautes commises.

Il résulte des dispositions de l'article L1332-4 du code du travail, qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur a ou aurait dû en avoir connaissance.

Il appartient à ce dernier de rapporter la preuve qu'il n'a eu connaissance des faits fautifs que dans ce délai, entendue comme une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés et de l'imputabilité des faits reprochés au salarié.

Cependant, l'employeur peut prendre en compte un fait antérieur à deux mois, dans la mesure où le comportement du salarié s'est poursuivi ou s'est réitéré dans ce délai.

Si des vérifications ont été entreprises préalablement à l'engagement de poursuites disciplinaires, le point de départ du délai de prescription est fixé à la date à laquelle l'employeur a eu connaissance du résultat de ces investigations.

En l'espèce, il résulte de la lettre de licenciement en date du 20 janvier 2021, qui fixe les limites du litige en application de l'article L. 1232-6 du code du travail, que la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche reproche à M. [L] :

- d'avoir réalisé des opérations sur le compte de personnes proches sans mandat ou procuration,

- de ne pas avoir respecté le schéma délégataire applicable dans l'entreprise s'agissant d'opérations réalisées pour des personnes proches,

- d'avoir passé des opérations sans que ces dernières n'aient été signées par les clients,

- d'avoir utilisé pour son propre compte tout ou partie des crédits instruits et validés par ses soins à des tiers.

Le salarié soulève la prescription des faits fautifs qu'il considère remonter à plus de deux mois en amont de l'engagement des poursuites le 23 octobre 2020, reprochant à l'employeur de ne pas justifier en avoir eu connaissance dans le délai de prescription, faute de production de l'enquête interne invoquée ; il soutient que la preuve de la découverte des faits reprochés dans le délai de prescription ne peut pas résulter d'une telle enquête ni de l'entretien du 2 octobre 2020 au cours duquel il a été interrogé sans ménagement.

Pour sa part l'employeur soutient que les faits reprochés au salarié ont été découverts au cours d'une enquête interne menée par la direction des risques conformité et contrôles permanents (DRCCP) suite à la réception de deux alertes, remontées le 15 février 2020 par un outil informatique interne, et concernant deux virements opérés les 7 et 14 décembre 2019 du compte de M. [T] [L] sur le compte de M. [E] [L] pour des montants de 2 000 euros et 8 000 euros, de sorte que les faits lui ont été révélés dans leur exacte nature et ampleur qu'avec la remise du compte rendu d'enquête le 13 octobre 2020.

Aussi la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche  produit un courriel de M. [C] [I], responsable de la direction des risques conformité et contrôles permanents (DRCCP) qui indique avoir procédé à des investigations entre le 31 mars 2020 et la fin septembre 2020 suite à l'alerte reçue le 15 février 2020 concernant des virements suspects des 7 et 14 décembre 2019 mais s'abstient de verser au débat le compte-rendu des investigations menées de sorte qu'il n'est justifié ni de la nature des faits révélés, ni de la date à laquelle ils auraient été portés à la connaissance de l'employeur.

Il est certes acquis aux débats que le salarié a fait l'objet d'une audition le 2 octobre 2020 aux fins de s'expliquer sur les faits reprochés.

Cependant l'organisation de cette audition ne permet pas à l'employeur de reporter la date de connaissance des faits à celle des explications données par le salarié.

Ainsi l'employeur manque d'établir quelles investigations ont été effectivement menées par la DRCCP et à quelle date il a pris connaissance du compte rendu de ces investigations.

Or il est établi que les fautes reprochées à M. [L] sont antérieures au 23 août 2020 de sorte qu'elles datent de plus de deux mois avant l'engagement des poursuites disciplinaires par courrier du 23 octobre 2020, portant convocation du salarié à l'entretien préalable.

En effet d'une première part les faits reprochés au salarié concernant des opérations faites sans mandat ni procuration portent sur trois remises de chèques pour un montant de 20 euros le 9 juin 2020, de 13 euros le 4 août 2020 et de 20 euros le 18 août 2020.

Aussi l'employeur, qui produit les chèques et les bordereaux de remise, manque de justifier des motifs qui ont pu l'empêcher d'en avoir une exacte connaissance au moment de la remise de ces chèques par M. [L], sans mandat, de sorte qu'engageant les poursuites disciplinaires le 23 octobre 2023, ces griefs étaient prescrits.

D'une seconde part s'agissant du non-respect du schéma délégataire pour opérations réalisées pour des personnes proches, les opérations litigieuses portent sur des remises de frais sur le compte du père de M. [L], datées du 10 juin 2016 et du 16 mars 2017.

De la même manière l'employeur n'explicite ni a fortiori ne démontre dans quelles conditions les investigations menées auraient permis de les mettre à jour alors qu'il ne s'agit nullement d'opérations dissimulées et que l'employeur a pu en avoir une exacte connaissance au moment de l'enregistrement de ces opérations.

En conséquence l'employeur échoue à démontrer qu'il n'en a eu connaissance que postérieurement au 23 août 2020. Les faits visés sont donc atteints par la prescription.

D'une troisième part s'agissant du grief portant sur le passage d'opération sans signature client, les faits portent sur des virements, remise de frais, établissement d'un chèque de banque et une remise de carte bancaire dont les bordereaux n'ont pas été signés par les clients [D] [R] et [U] [R], et ce en date des 15 mars 2019, le 7 mars 2020, les 4, 7 et 22 avril 2020 et les 22 et 23 juillet 2020.

Et l'employeur, qui produit les bordereaux litigieux, n'allègue ni a fortiori ne justifie des motifs qui l'auraient empêché d'avoir connaissance de ces faits avant le 23 août 2020,s'agissant d'opérations enregistrées sans dissimulation.

En conséquence, la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche n'apporte pas la preuve qui lui incombe d'établir qu'elle n'avait pas pu avoir une exacte connaissance de ces faits avant le 23 août 2020. Les faits visés sont donc prescrits.

D'une quatrième part, s'agissant du grief portant sur l'utilisation pour son propre compte de tout ou partie de crédits instruits et validés par ses soins à des tiers, la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche reproche à M. [L] :

- d'avoir fait souscrire à Mme [U] [R] le 23 novembre 2018 un premier prêt personnel d'un montant de 6 000 euros et d'avoir utilisé une partie de cette somme pour financer l'achat d'un véhicule personnel en remboursant mensuellement Mme [R] par virement de 54,11 euros depuis mars 2020,

- d'avoir faite souscrire à Mme [U] [R] le 29 novembre 2019 un second prêt personnel d'un montant de 14 000 euros pour l'utiliser personnellement en remboursant mensuellement Mme [R] par des virements correspondant aux échéances du crédit, le 5 mars 2020.

Cependant il a été vu que le courriel de M. [I] indiquant avoir procédé à une analyse des comptes de M. [E] [L] et des comptes de Mme [R] et avoir communiqué son rapport le 13 octobre 2020 ne constitue pas un élément suffisant pour établir la date effective de cette remise du compte-rendu d'enquête.

De surcroît, ce rapport n'étant pas versé aux débats, l'employeur manque d'établir qu'il aurait eu connaissance des griefs visés par la remise dudit rapport.

Encore, la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche qui invoque les informations recueillies lors de l'audition de M. [L] le 2 octobre 2020, verse aux débats une retranscription de cet entretien, qui n'est au demeurant revêtue d'aucune signature et dont le salarié conteste la sincérité, sans que l'organisation de cette audition par l'employeur ne lui permette de démontrer qu'il n'avait pas une connaissance exacte de ces griefs avant le 23 août 2020.

Finalement, l'employeur n'excipe d'aucun obstacle qui l'aurait empêché d'avoir connaissance de la concordance des remboursements opérés par le salarié avec les mensualités des crédits consentis avant le 23 août 2020.

Enfin, il convient de préciser que la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche n'allègue ni ne justifie d'une poursuite ou d'une réitération des remboursements litigieux postérieurement au 23 août 2020.

En conséquence, les faits visés, antérieurs au 23 août 2020, sont prescrits.

Il s'en déduit que tous les griefs visés dans la lettre de licenciement sont atteints par la prescription.

Les griefs étant prescrits, le licenciement notifié à M. [L] le 20 janvier 2021 est dénué de cause réelle et sérieuse.

Le jugement déféré est donc infirmé à ce titre.

2 ' Sur les demandes au titre de la rupture du contrat de travail

Le licenciement étant sans cause réelle et sérieuse, M. [L] est fondé à obtenir paiement d'un rappel de salaire au titre de sa mise à pied conservatoire, d'une indemnité de licenciement, d'une indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, dont les montants ne font l'objet d'aucune critique utile par l'employeur.

Par confirmation du jugement déféré la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche est donc condamnée à lui payer les sommes suivantes :

4 440,13 euros brut à titre de rappel de salaire sur la période de mise à pied conservatoire,

444,01 euros brut au titre des congés payés afférents,

6 732,18 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

673,22 euros au titre des congés payés afférents,

40 393,03 euros à titre d'indemnité de licenciement.

Par ailleurs, l'article L. 1235-3 du code du travail dispose que si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis ; et, si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux que cet article prévoit.

M. [L] qui justifie d'une ancienneté de trente-deux années entières, peut prétendre, par application des dispositions précitées, à une indemnisation du préjudice né de la perte injustifiée de son emploi comprise entre trois mois et vingt mois de salaire.

Âgé de 57 ans à la date du licenciement, M. [L] bénéficiait d'un salaire mensuel moyen de 3 366,09 euros.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, il convient de condamner la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche à lui verser la somme de 67 000 euros brut à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice, par infirmation du jugement entrepris.

Enfin, le préjudice, en terme de retraite, résultant, pour M. [L] de la rupture de son contrat de travail produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ne constitue pas un préjudice distinct de celui résultant de la perte injustifiée de son emploi, déjà ci-dessus réparé.

Le salarié ne pouvant obtenir deux fois la réparation d'un même préjudice, il est mal-fondé à prétendre à des dommages-intérêts spécifiques pour perte de droits à retraite du fait de son licenciement abusif. Le jugement entrepris est infirmé de ce chef.

Par confirmation du jugement déféré, il est donc débouté de ce chef de prétention.

3 ' Sur les prétentions au titre de préjudice distincts

3.1 ' Sur la demande indemnitaire au titre d'une atteinte à la vie privée

Il résulte de l'article 9 du code civil et des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie privée à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi.

En l'espèce il est acquis que la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche a procédé à un examen des opérations enregistrées sur les comptes, ouverts dans ses livres, du salarié, de son père, d'une cliente, Mme [U] [R] et des enfants de celle-ci.

Aussi il ressort des griefs mentionnés dans la lettre de licenciement et du compte rendu d'entretien tenu avec M. [L] le 2 octobre 2020, que l'employeur en a retiré des informations concernant des mouvements bancaires entre ces différents comptes, ainsi que des informations concernant les liens entre le salarié à cette cliente, de sorte qu'il a porté une atteinte certaine à sa vie privée.

Pour autant, cette atteinte qui se limite à un recensement d'opérations enregistrées dans ses livres, se révèle strictement proportionnée au but poursuivi par la société de mener des investigations internes dans le cadre de la lutte contre la fraude et de caractériser les éventuels manquements déontologiques de ses salariés.

En conséquence le salarié échoue à démontrer que son employeur aurait porté une atteinte disproportionnée à sa vie privée au regard du but poursuivi et de son droit à la preuve.

Par confirmation du jugement entrepris, M. [L] est donc débouté de sa demande à ce titre.

3.2 ' Sur la demande indemnitaire pour licenciement vexatoire

Le licenciement prononcé dans des conditions vexatoires peut causer un préjudice distinct de celui résultant de la perte de l'emploi, justifiant une réparation sur le fondement de l'article 1240 du code civil, dès lors que la faute de l'employeur est démontrée.

En l'espèce, il est établi que la mise à pied conservatoire notifiée à M. [L] le 23 octobre 2023 l'a empêché de se présenter à son poste de travail et de s'expliquer auprès de ses collègues et de ses clients.

Cependant, étant constaté que la mise à pied est intervenue plus de quinze jours après que le salarié a été interrogé une première fois par son employeur le 2 octobre 2023, et que le licenciement a été notifié trois mois plus tard après que le salarié a été entendu par le conseil de discipline, M. [L] échoue à caractériser toute brutalité dans la mise en oeuvre de la procédure.

Par ailleurs, M. [L] produit les comptes rendus d'entretiens annuels d'évaluation des années 2017 à 2019 portant des mentions élogieuses quant à son implication et son investissement, et justifie de la remise de la médaille vermeille d'honneur à titre de récompense pour trente années de service. Pour autant ces circonstances ne suffisent pas à caractériser des circonstances vexatoires dès lors que la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche n'a pas manqué de rechercher les explications du salarié sur les agissements qui lui étaient imputés.

Enfin, M. [L] se limite à affirmer que la nature des griefs a porté une atteinte à son image et sa réputation au sein de l'entreprise ainsi qu'au sein de la profession banquière, sans produire aucun élément pertinent susceptible d'établir une telle atteinte ou de caractériser une faute de l'employeur.

Par conséquent, par confirmation du jugement entrepris, il convient de débouter le salarié de sa demande de dommages et intérêts au titre des conditions vexatoires entourant son licenciement.

4 - Sur le remboursement des indemnités à Pôle Emploi devenu France travail

Conformément aux possibilités ouvertes par ces dispositions, il conviendra de faire application d'office de l'article L.1235-4 du code du travail, et de condamner la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement le 20 janvier 2021 au jour du présent arrêt, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage.

5 ' Sur les demandes accessoires

La société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche, partie perdante à l'instance au sens des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, doit être tenue d'en supporter les dépens de première instance par confirmation du jugement déféré, y ajoutant les dépens d'appel.

Partant, ses prétentions au titre des frais irrépétibles sont rejetées par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Il serait par ailleurs inéquitable, au regard des circonstances de l'espèce comme des situations économiques des parties, de laisser à la charge de M. [L] l'intégralité des sommes qu'il a été contraint d'exposer en justice pour la défense de ses intérêts, de sorte qu'il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche à lui verser la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche à lui payer une indemnité complémentaire de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, dans les limites de l'appel et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a :

Condamné la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche à payer à M. [E] [L] les sommes suivantes :

4 444,13 euros au titre du paiement de la mise à pied conservatoire ;

444,01 euros au titre des congés payés afférents ;

6 732,18 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

673,22 euros brut au titre des congés payés sur préavis ;

40 393,08 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement ;

2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Débouté M. [E] [L] de ses demandes en dommages et intérêts pour atteinte à sa vie privée et conditions vexatoires ;

Débouté la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamné la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche aux entiers dépens de l'instance y compris ceux dus au titre d'une exécution par voie légale de la décision.

L'INFIRME pour le surplus,

Statuant des chefs infirmés et y ajoutant,

DIT que le licenciement notifié par la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche à M. [E] [L] le 20 janvier 2021est dénué de cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche à payer à M. [E] [L] la somme de 67 000 euros brut à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

DEBOUTE M. [E] [L] de sa demande en dommages et intérêts au titre du préjudice subi pour perte de droits à la retraite,

CONDAMNE la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement le 20 janvier 2021 au jour du présent arrêt, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage,

DIT qu'une copie de la présente décision sera envoyée à France Travail à la diligence du greffe de la cour,

CONDAMNE la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche à payer à M. [E] [L] une indemnité complémentaire de 2 000 euros au titre des frais exposés en cause d'appel par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

DEBOUTE la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche aux entiers dépens d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Hélène Blondeau-Patissier, Conseillère faisant fonction de Présidente, et par Madame Mériem Caste-Belkadi, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.

La Greffière, La Conseillère faisant fonction de Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch. sociale -section a
Numéro d'arrêt : 22/00759
Date de la décision : 09/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 16/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-09;22.00759 ?
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