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27/06/2023 | FRANCE | N°21/02268

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section a, 27 juin 2023, 21/02268


C4



N° RG 21/02268



N° Portalis DBVM-V-B7F-K4HX



N° Minute :























































































Copie exécutoire délivrée le :





Me Caroline CHAPOUAN



la SELAS CMS FRANCIS LEFEBVRE LYON AVOCATS
>AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



Ch. Sociale -Section A

ARRÊT DU MARDI 27 JUIN 2023





Appel d'une décision (N° RG 19/00104)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MONTELIMAR

en date du 15 avril 2021

suivant déclaration d'appel du 17 mai 2021





APPELANTE :



Mademoiselle [D] [J]

née le 03 Juin 1988 à [Localité 5] (10)

de nation...

C4

N° RG 21/02268

N° Portalis DBVM-V-B7F-K4HX

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

Me Caroline CHAPOUAN

la SELAS CMS FRANCIS LEFEBVRE LYON AVOCATS

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section A

ARRÊT DU MARDI 27 JUIN 2023

Appel d'une décision (N° RG 19/00104)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MONTELIMAR

en date du 15 avril 2021

suivant déclaration d'appel du 17 mai 2021

APPELANTE :

Mademoiselle [D] [J]

née le 03 Juin 1988 à [Localité 5] (10)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Caroline CHAPOUAN, avocat au barreau de VALENCE,

INTIMEE :

S.A. GROUPE GP, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,

[Adresse 6],

[Adresse 6]

[Localité 3]

représentée par Me Pierre COMBES de la SELAS CMS FRANCIS LEFEBVRE LYON AVOCATS, avocat au barreau de LYON, substitué par Me Cécilia MOTA, avocat au barreau de LYON,

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Valéry CHARBONNIER, Conseillère faisant fonction de Présidente,

Madame Gwenaëlle TERRIEUX, Conseillère,

Madame Isabelle DEFARGE, Conseillère,

DÉBATS :

A l'audience publique du 15 mai 2023,

Mme Valéry CHARBONNIER, Conseillère faisant fonction de Présidente chargée du rapport, et Mme Gwenaëlle TERRIEUX, Conseillère, ont entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, assistées de Mme Mériem CASTE-BELKADI, Greffière, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 27 juin 2023, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L'arrêt a été rendu le 27 juin 2023.

Exposé du litige :

Mme [J] a été engagée à compter le 25 février 2013 en qualité d'assistante administrative comptable en contrat à durée indéterminée par la SA GROUPE GP.

A compter du 1er octobre 2017, Mme [J] a été promue au poste de Responsable de l'administration Ressources Humaines et de la paie.

Le 22 juin 2018, Mme [J] a fait l'objet d'un rappel à l'ordre pour insubordination.

Mme [J] a fait l'objet d'un arrêt maladie à compter du 25 juin 2018.

Le 23 octobre 2018, le médecin du travail a rendu un avis d'inaptitude de Mme [J] précisant que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Mme [J] a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement par courrier du 9 novembre 2018.

Mme [J] a saisi le conseil des prud'hommes de Montélimar, en date du 19 septembre 2019 aux fins de juger qu'elle avait été victime de harcèlement moral, que des heures supplémentaires ne lui avaient pas été rémunérées et obtenir les indemnités afférentes.

Par jugement du 15 avril 2021, le conseil des prud'hommes de Montélimar, a :

- Jugé qu'il n'y a pas de présomption de harcèlement moral,

- Débouté Mme [J] de l'ensemble de ses demandes,

- Condamné reconventionnellement Mme [J] à payer à la SA GROUPE GP la somme de 250 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné Mme [J] aux dépens.

La décision a été notifiée aux parties et Mme [J] en a interjeté appel par le Réseau Privé Virtuel des Avocats le 17 mai 2021.

Par conclusions récapitulatives du 29 novembre 2022, Mme [J] demande à la cour d'appel de :

- Déclarer recevable son appel,

- Juger qu'elle était victime de harcèlement moral du fait des agissements de la SA GROUPE GP,

- Juger qu'elle justifie avoir réalisé 1 161,65 heures supplémentaires,

- En conséquence, condamner la SA GROUPE GP à lui payer les sommes suivantes :

50 000 euros de dommages et intérêts en raison du préjudice subi

28 522,27 euros titrent de rappel des heures supplémentaires

4 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

- Condamner la SA GROUPE GP aux entiers dépens.

Par conclusions récapitulatives du 28 octobre 2021, la SA GROUPE GP demande à la cour d'appel de :

Confirmer le chef de dispositif suivant du jugement du conseil de prud'hommes du 15 avril 2021 de Montélimar :

« '

DIT ET JUGE qu'il n'y a pas lieu à présomption de harcèlement moral

DEBOUTE Madame [J] [D] de l'ensemble de ses demandes

CONDAMNE reconventionnellement Madame [J] [D] à payer à la SA GROUPE GP la somme de 250,00 euros nets (') suer le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile. ' »

En conséquence, débouter Mme [J] de l'intégralité de sa demande

La Condamner à lui payer la somme de 3500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 avril 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur la demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires :

Moyens des parties,

Mme [J] soutient avoir effectué de nombreuses heures supplémentaires depuis 2013, date de son entrée en fonction, en effectuant des tâches qui dépassaient grandement ses missions initiales sans rémunération supplémentaire. Elle argue que le fait de ne pas avoir fait valoir ses droits pendant l'exécution de son contrat ne vaut pas de sa part renonciation au paiement de ces heures supplémentaires.

La SA GROUPE GP fait valoir d'une part que Mme [J] ne verse pas d'éléments suffisants pour justifier sa demande au titre des heures supplémentaires. Une grande partie des pièces versées aux débats en première instance, notamment une multitude de « captures d'écran », illisibles, truffées d'incohérence et n'indiquent pas que la dernière modification a été faite par Mme [J] ou dont rien ne prouve que Mme [J] soit la personne qui a procédé à la dernière impression ; l'auteur du document ou à tout le moins du dernier enregistrement étant parfois également incertain. En plus, la salariée n'hésite pas à produire l'ensemble des mails échangés et documents créés sur son ordinateur dans le cadre de sa VAE, le temps passé sur ce projet n'ayant pas à être imputé sur le temps de travail de la salariée. Il appartient à la salariée de démontrer que les captures d'écran de ses éléments de boite mail sont ceux des éléments « envoyés », ces captures d'écran se contentent de faire état du nom de la salariée.

La SA GROUPE GP souligne d'autre part l'incohérence du quantum au regard des éléments produits.

Sur ce,

Aux termes de l'article L. 3121-1 du code du travail, la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.

Selon l'article L. 3121-27 du même code, la durée légale de travail effectif des salariés à temps complet est fixée à trente-cinq heures par semaine.

La durée légale du travail constitue le seuil de déclenchement des heures supplémentaires payées à un taux majoré dans les conditions de l'article L. 3121-28 du code du travail, les heures supplémentaires devant se décompter par semaine civile selon l'article L. 3121-29.

Selon l'article L. 3171-2 du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

Selon l'article L. 3171-4 du même code, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

A l'appui de sa demande, Mme [J] verse aux débats :

Des tableaux informatiques établis par ses soins détaillant, par semaine, les heures supplémentaires qu'elle prétend avoir effectuées au cours des années 2016, 2017 et 2018,

Des tableaux informatiques établis par ses soins pour chacune des trois années détaillant les heures de prise de poste et de fin de poste, le total des heures de travail effectuées chaque jour, et faisant état des heures de travail effectuées à son domicile,

Des captures d'écran de son ordinateur montrant les dates de création ou de modification de fichiers informatiques,

Des messages SMS avec leurs heure et date d'envoi en lien avec son activité professionnelle,

Un calcul précis de la somme demandée à titre de rappel de salaires au titre des heures supplémentaires.

Pris ensemble, ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur, tenu de contrôler les horaires de travail de ses salariés et de décompter leur temps de travail, d'y répondre.

A titre liminaire, il doit être constaté qu'aux termes du contrat de travail à durée indéterminée du 25 février 2013, il a été prévu qu'en contrepartie du travail effectué, la salariée percevrait une rémunération comprenant une « partie fixe » (« salaire de base ») et une partie variable (« salaire variable »), le contrat précisant, s'agissant de la partie fixe que « le montant du mensuel brut est établi sur la base de la durée légale du travail en vigueur soit, à titre d'information, 151,67 heures par mois à la date du présent contrat ».

Par avenant au contrat de travail du 1er octobre 2017, par lequel la salariée a été promue aux fonctions de Responsable de l'administration RH et de la paie, les parties ont modifié le montant de la partie fixe du salaire de Mme [J], lequel a été fixé à 2 923 euros, ainsi que les modalités de calcul de la partie variable, le contrat précisant également, s'agissant de la partie fixe, que « le montant du mensuel brut est établi sur la base de la durée légale du travail en vigueur soit, à titre d'information, 151,67 heures par mois à la date du présent contrat ».

Toutefois, il doit être relevé que l'avenant contient une disposition intitulée « Convention de forfait » ainsi rédigée : « Le salaire ainsi fixé à l'article 6.1 constitue dans son ensemble une convention de forfait, c'est-à-dire la contrepartie de l'activité de la collaboratrice dans le cadre de l'horaire collectif en vigueur, ainsi que tous les dépassements d'horaires, de tous les déplacements que la collaboratrice pourra être amenée à effectuer compte tenu de ses responsabilités, de la disponibilité qu'implique la nature de son activité et de la latitude dont la collaboratrice dispose dans l'utilisation et le contrôle de ses horaires.

Il est expressément convenu que la convention de forfait ainsi fixée inclut la rémunération de 4 heures supplémentaires hebdomadaires effectuées au-delà de la durée légale du travail en vigueur à la date de la signature es présentes, soit 169 heures ».

Il y a lieu de relever que Mme [J], dans ses écritures, soutient qu'elle était rémunérée sur la base de 169 heures par mois, soit 39 heures par semaine, et il ressort des bulletins de paie versés aux débats qu'à compter du mois d'octobre 2017, la salariée a perçu une rémunération de 2 557,69 euros pour 151,67 heures par mois, outre 17,33 heures supplémentaires par mois pour 365,31 euros, soit un total 2 923 euros pour 169 heures de travail par mois.

Il en résulte que la salariée n'est fondée à exiger le paiement d'heures supplémentaires que pour les heures effectuées au-delà de 169 heures par mois.

Par ailleurs, il doit être constaté que la SA GROUPE GP, qui conteste que la salariée ait effectué des heures supplémentaires, ne soutient pas que la salariée était soumise à un horaire de travail collectif, ou que ses horaires de travail auraient été déterminés contractuellement, aucun élément n'étant versé aux débats par l'employeur permettant de démontrer que la salariée était soumise au respect de certains horaires qui lui étaient contractuellement opposables.

La SA GROUPE GP ne produit non plus aucun élément permettant de justfier des horaires de travail effectués par la salariée (emploi du temps par exemple).

Il en résulte que la SA GROUPE GP a manqué à son obligation de contrôler et de décompter le temps de travail de la salariée.

Dès lors, eu égard au fait que la salariée produit des éléments suffisamment précis au soutien de sa demande, et faute pour l'employeur de ne produire aucun élément permettant de démontrer la réalité des heures effectuées par la salariée, il ne peut qu'être retenu que la Mme [J] a bien effectué des heures supplémentaires non rémunérées au cours des années 2016 à 2018.

S'agissant du nombre d'heures supplémentaires effectuées, la cour d'appel rappelle que la date et l'heure d'envoi ou de réception de courriels professionnels ne permettent pas d'établir la matérialité d'un travail effectif continu jusqu'à la date et à l'heure apparaissant sur les copies d'écran produites. Il en va de même de la date et de l'heure de dernière modification d'un fichier informatique.

Dès lors, il ne peut être retenu sur la seule base des éléments produits que la salariée travaillait « en moyenne près de dix heures par jour cinq jours par semaine, outre certains week-ends » comme elle le soutient dans ses écritures.

Au surplus, il doit être constaté que la salariée ne produit pas des captures d'écran à l'appui de chacun des horaires déclarés sur ses récapitulatifs.

La SA GROUPE GP allègue qu'il existe des incohérences entre le récapitulatif des heures supplémentaires produit par la salariée au titre de l'année 2018 et les récapitulatifs mensuels produits au titre de cette même année. Toutefois, la cour d'appel constate qu'aucune des incohérences relevées par l'employeur dans ses écritures ne ressort de la comparaison des pièces produites par la salariée.

En considération de l'ensemble de ces éléments, il apparaît que Mme [J] a réalisé, pour la période 2016 à 2018, des heures supplémentaires impayées pour un montant évalué à hauteur de 20 000 euros. Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

Sur la demande au titre du harcèlement moral :

Moyens des parties,

Mme [J] soutient avoir été victime de harcèlement moral organisationnel et invoque les pratiques managériales et la pression constante de ses supérieurs hiérarchiques. Elle décrit les faits suivants :

- Une charge de travail avec un investissement sans limite, un nombre important de missions et environ 60 heures par semaine, impliquant un travail durant les week-ends et les vacances faute de remplaçant à son poste et un nombre très important d'heures supplémentaires,

- La pression de son employeur par le biais du système de rémunération variable (prime liée à l'implication et la motivation) afin d'encourager les salariés à travailler toujours plus pour l'obtenir,

- Un climat social délétère au préjudice des salariés du fait des relations entre actionnaires et un changement de politique managériale (inégalité concernant la question des véhicules de société) ayant pour conséquence de nombreux licenciements et rupture conventionnels et démission, entre 2014 et 2017,

- L'attitude de la direction qui a ignoré la réalité de la situation de burnout de Mme [J] alors qu'elle était parfaitement au courant de sa surcharge de travail, sa seule réaction étant d'entrer en conflit avec elle,

- Cette situation ayant engendré une dégradation de son état de santé et la destruction progressive de sa vie privée alors qu'elle était venue à [Localité 3] pour suivre son compagnon muté à la centrale nucléaire de [Localité 4]. Elle affirme par ailleurs avoir été contrainte, courant 2015, d'interrompre sa grossesse pour ne pas l'annoncer à la SA GROUPE GP, grossesse mal perçue par la direction dont la consigne claire était dès le premier entretien « pas d'enfant » et s'être ensuite séparée de son compagnon.

La SA GROUPE GP conteste tout fait de harcèlement moral.

Elle fait valoir que Mme [J] n'a jamais écrit à la direction pour se plaindre de ses conditions de travail avant un courrier du 10 septembre 2018, soit bien après le début de son arrêt de travail, ni signalé ses difficultés à l'inspection du travail, aux représentants du personnel, au médecin du travail, fait état de ses conditions de travail difficiles lors des entretiens annuels, ni enfin contesté son rappel à l'ordre pour insubordination du 22 juin 2018.

La SA GROUPE GP soutient que dès son embauche, il était prévu que Mme [J] soit chargée des paies de l'ensemble des sites du Groupe GP, la rédaction des contrats de travail et de ses annexes mais aussi les DSN et qu'il est donc pour le moins étonnant que la salariée considère ces tâches comme des tâches s'étant ajoutées à celles qui lui étaient initialement dévolues.

L'employeur conteste lui avoir imposé une promotion et indique que les tâches décrites par Mme [J] sont simplement celles que la société était en droit d'attendre d'une assistante administrative et comptable puis d'une responsable de l'administration RH et de la paie. De plus, Mme [J] s'attribue de nouvelles fonctions (réalisation de la Charte informatique) réalisées par d'autres salariés et la SA GROUPE GP affirme qu'elle disposait d'un service RH/comptabilité, que Mme [J] avait pour mission de superviser afin de garantir une uniformisation des process au sein du groupe et qu'elle ne gérait donc pas seule toute la comptabilité/paie et RH du groupe. Elle ajoute que s'il est arrivé que la salariée intervienne effectivement directement auprès des directeurs de site, c'était dans le cadre d'actions ponctuelles qui entraient pleinement dans ses fonctions.

La SA GROUPE GP conteste également le turn-over important dénoncé par Mme [J] et le fait que le départ de collègues ait eu pour conséquence une surcharge de travail.

La SA GROUPE GP fait valoir que le principe du système de rémunération variable est accepté par le salarié lors de son embauche et Mme [J] n'explique pas en quoi celui-ci aurait nécessairement impliqué une surcharge de travail. Elle n'a par ailleurs fait l'objet d'aucun arrêt maladie sur l'année 2017.

La SA GROUPE GP conteste le prétendu climat délétère non démontré par Mme [J] et les prétendues pressions subies. M. [F], supérieur hiérarchique de Mme [J] ayant toujours parlé en des termes élogieux de son professionnalisme, a rédigé une lettre de recommandation à son profit en relisant son dossier avant son examen et lui obtenant de multiples augmentations salariales, lui intimant de faire passer sa santé avant son travail.

La SA GROUPE GP allègue enfin que les attestations versées par la salariée relatives à la dégradation de son état de santé et de sa vie privée en lien avec le travail sont dénuées d'objectivité compte tenu des liens des auteurs avec Mme [J], reprenant les propos de la salariée. L'employeur indique que la salariée était très exigeante avec elle-même avec une ambition exacerbée, ce qui a sans doute impacté son état de santé sans que cela ne soit imputable à la société. De nombreux directeurs de sites et collègues relatent en outre un irrespect de Mme [J] à leur encontre et son caractère hautain. L'unanimité des salariés travaillant au sein du service RH/comptabilité de la société décrivant un environnement de travail serein où il est possible de concilier vies professionnelle et personnelle. Enfin l'employeur soutient que si Mme [J] a décidé d'interrompre volontairement sa grossesse, il s'agit de son propre choix personnel sans lien avec la société.

Sur ce,

Aux termes des articles L. 1152-1 et L. 1152- 2 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel et aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

Suivant les dispositions de l'article L. 1154-1 du même code, lorsque le salarié présente des éléments de fait constitutifs selon lui un harcèlement moral, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral. Dans l'affirmative, il appartient ensuite à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

S'agissant des heures supplémentaires, il a été retenu précédemment que Mme [J] avait effectué des heures supplémentaires non rémunérées en nombre important.

Ce fait est établi.

S'agissant du fait qu'elle aurait été contrainte de travailler durant ses arrêts de travail, le seul bulletin de salaire du mois de janvier 2015, duquel il ressort que son employeur a maintenu son salaire à 100 % durant son arrêt de travail du 2 au 5 janvier 2015, est insuffisant pour établir qu'elle a travaillé durant cet arrêt, le maintien à 100 % en lieu et place du maintien à 90 % n'étant pas un élément probant.

La salariée ne produit aucun élément établissant la réalisation d'une activité professionnelle durant cette période. Ce fait n'est pas établi.

La salariée ne démontre pas non plus qu'elle aurait été contrainte de travailler durant son arrêt de travail du mois de février 2017 en raison d'une « opération chirurgicale d'urgence », et qu'elle aurait notamment dû « se rendre au siège pour assurer les virements des salaires ».

Ces faits ne sont pas établis.

La salariée ne produit pas d'éléments suffisamment précis et nombreux permettant de démontrer qu'elle gérait à elle seule « toute la comptabilité/paie et RH du Groupe », comme elle le soutient dans ses conclusions.

Sur ce point, il doit être relevé que la salariée n'apporte aucune précision sur l'organisation de son service et sur l'existence ou non de collaborateurs faisant partie de son service et placés sous sa direction.

Ce fait n'est pas établi.

S'agissant de la réalisation de tâches en nombre important ne relevant pas de ses fonctions définies contractuellement, la salariée établit qu'elle a été amenée à valider un document intitulé Charte informatique.

Toutefois, il ressort du courriel du 20 juin 2018 de M. [F] lui transmettant ce document que celui-ci lui a été envoyé pour qu'elle valide « des éléments qu'elle voulait voir apparaître dans la charte ». Or, la salariée n'apporte aucune précision sur ces « éléments », ni sur le fait que la charte lui aurait, aux dires de M. [F], été transmise à sa demande, permettant à la cour de constater que la correction et la validation de cette charte ne relevaient pas de ses fonctions.

Il doit au surplus être relevé que l'échange de courriels produit par la salariée démontre que plusieurs salariés de l'entreprise ont été amenés à apporter leur contribution sur cette charte et que la salariée ne l'a manifestement pas rédigée intégralement.

Mme [J] ne démontre pas plus qu'elle était la « référente de tous les responsables de site ainsi que de la direction », comme elle le soutient. Outre le fait que cette allégation est imprécise, les pièces produites versées aux débats sont insuffisantes pour démontrer qu'elle « prenait en charge l'ensemble des demandes des directeurs de site en matière sociale ».

En effet, les pièces produites, à savoir deux courriels du 24 mai et du 19 juin 2018 adressés pour le premier à Mme [P], en réponse à une sollicitation de cette dernière demandant à la salariée son avis sur la question de la « prime référent copilote » (objet du courriel susvisé), et pour le second, à M. [V] s'agissant du retard d'une collaboratrice, dans lequel Mme [J] met en garde ce dernier contre un éventuel harcèlement moral de sa part à l'encontre d'un salarié de l'entreprise, sont insuffisantes pour établir, d'une part, que ces demandes ne rentraient pas dans le champ de ses fonctions, d'autre part, qu'elles étaient en nombre si important, qu'elles l'empêchait d'exercer ses autres fonctions.

Par ailleurs, la salariée n'explique pas en quoi il ne lui incombait pas de répondre aux questions des directeurs de site en matière sociale, alors qu'elle exerçait les fonctions de Responsable de l'administration RH et de la paie, qui impliquait notamment, comme elle l'indique elle-même dans ses écritures, « la gestion sociale pour l'ensemble des personnels du Groupe GP »,

S'agissant enfin de l'allégation selon laquelle elle « réalisait des audits » pour la direction, la salariée n'apporte aucune précision dans ses écritures sur la nature de ces missions, et les pièces produites sont trop imprécises pour établir, d'une part, qu'elle réalisait régulièrement ce genre de missions, d'autre part, que celles-ci n'entraient pas dans le cadre de ses fonctions.

Pris ensemble, ces éléments sont donc insuffisants pour démontrer que la salariée devait réaliser de nombreuses tâches ne relevant pas de ses fonctions. Ce fait n'est pas établi.

S'agissant d'une charge de travail incompatible avec ses horaires de travail et nécessitant la réalisation de nombreuses heures supplémentaires, la salariée produit un courriel du 30 mai 2018 de M. [F], son responsable, adressé à tous les directeurs de site, dans lequel celui-ci indique qu'à la suite du départ de M. [I], comptable de la société Moriceau, l'une des sociétés du groupe, « le siège assurera la mission sociale et comptable » dans l'attente de l'arrivée de sa remplaçante prévue le 16 août 2018.

En outre, la salariée produit deux courriels des 19 juin 2018 provenant de la société Moriceau lui demandant de réaliser des tâches « sociales » (enregistrement d'un arrêt de travail, et de jours de congés).

La salariée démontre ainsi une augmentation de sa charge de travail à cette occasion.

Par ailleurs, il ressort du compte-rendu de l'entretien individuel portant sur la période du 1er octobre 2015 au 30 septembre 2016 que son supérieur hiérarchique direct, M. [F] reconnaît lui-même l'existence d'une surcharge de travail de la salariée (mention de sa part d'une « surcharge de travail conséquente depuis le denier EIP »).

En outre, la salariée démontre qu'elle a continué d'alerter sa hiérarchie d'une surcharge de travail.

En effet, il ressort du courriel qu'elle a adressé à son supérieur hiérarchique, M. [F], le 16 octobre 2017 qu'elle lui a fait part des difficultés qu'elles rencontraient pour réaliser l'ensemble de ses missions, Mme [J] expliquant l'impossibilité pour elle de réaliser ses objectifs ouvrant droit à une part variable dans les termes suivants : « 40 % en jeu impossible à réaliser pas le temps de formaliser ou de relire quoi que ce soit, mêmes les paies j'arrive plus à les relire' »).

La salariée verse également aux débats un échange de courriels avec M. [F] du 23 mai 2018 dans lequel celui-ci reconnaît explicitement l'existence d'une surcharge de travail dans les termes suivants : « oui, on a tous ce genre d'inconvénients dans notre vie, c'est notre job et comme on est consciencieux, toi comme moi, on se donne à fond, au détriment de' », la salariée lui répondant : « Je suis tout à fait d'accord, au détriment de'. C'est exactement le constat que je fais aujourd'hui ».

En outre, la salariée produit deux courriels desquels il ressort qu'elle n'arrivait pas à libérer du temps pour avancer sur son projet de validation des acquis de l'expérience.

Enfin, la salariée produit plusieurs attestations de proches, dont une attestation de son ancien conjoint, détaillant toutes de manière précise le rythme de travail de la salariée, et notamment l'existence d'une charge de travail très importante, y compris lorsqu'elle était à son domicile.

Mme [J] établit ainsi l'existence d'une surcharge de travail importante parfaitement connue de sa hiérarchie.

S'agissant de l'existence d'un système de rémunération variable destiné à encourager les salariés à travailler davantage, « jusqu'à l'épuisement, dans le but d'améliorer leur rémunération »:

S'il ressort effectivement de la note de service du 30 septembre 2016 que la SA GROUPE GP a mis en place un nouveau système de rémunération variable à compter du 1er janvier 2017, il ne peut être reproché à l'employeur la mise en place d'un système de rémunération variable dont le but est « l'implication et la motivation ».

Si la salariée produit un courriel du 15 octobre 2017 de son supérieur hiérarchique lui indiquant qu'il a vérifié ses objectifs et qu'elle n'en a rempli que 30 % à cette date, la cour d'appel relève que ce courriel n'est pas rédigé sous forme de reproches et ne contient aucune formulation de nature à exercer une forme de pression sur la salariée.

Au surplus, la salariée ne produit aucun autre courriel ou message de sa hiérarchique démontrant l'exercice d'une pression permanente ou renouvelée portant sur la réalisation des objectifs.

Ce fait n'est pas établi.

S'agissant de l'existence d'un climat social délétère au sein de l'entreprise, la salariée ne produit aucun élément la concernant personnellement.

Les allégations de la salariée portant sur les inégalités entre les salariés s'agissant des véhicules de la société, outre le fait qu'elles ne sont étayées par aucun élément probant versé aux débats, ne concernent pas directement la salariée, laquelle ne se plaint d'aucun traitement inégalitaire à son encontre sur ce point de manière explicite dans ses conclusions.

Le fait qu'il ait pu exister une rotation importante des salariés au sein de l'entreprise ne peut constituer un élément laissant supposer une situation de harcèlement moral à l'encontre de la salariée.

Ce fait n'est pas établi.

Les pièces produites par la salariée ne permettent pas de démontrer qu'elle a été intimidée par sa hiérarchie lors d'entretiens informels, comme elle l'allègue dans ses écritures.

Ce fait n'est pas établi.

Il est établi que la salariée a reçu un rappel à l'ordre le 29 juin 2018 pour avoir « jugé opportun (lors d'une réunion) quant à l'inutilité qu'un travail représentait (pour elle) et que d'autres tâches plus importantes à (ses) yeux l'attendaient » et pour s'être emportée.

La salariée ne produit aucun élément permettant de démontrer qu'elle aurait été contrainte d'avorter pour ne pas avoir à annoncer sa grossesse à sa hiérarchie. Ce fait n'est pas établi.

La salariée établit une dégradation de son état de santé par la production d'un courrier du docteur [G] du 19 octobre 2018, dans lequel celui-ci indique que Mme [J] présente « un épisode dépressif majeur et que l'évocation de la situation professionnelle de la patiente est anxiogène pour elle ».

Mme [J] produit également une attestation de M. [Y], psychologue clinicien, dans laquelle celui-ci indique avoir reçu la salariée en consultation le 28 octobre 2019 et qu'il lui est apparu que la salariée était très affectée au plan psychologique, la salariée évoquant des difficultés au travail avec sa hiérarchie, un très grand nombre d'heures de travail par semaine, une pression permanente et des propos visant à la rabaisser.

Il n'est pas contesté que la salariée a été placée en arrêt de travail à compter du 25 juin 2018 et qu'elle n'a pas repris le travail jusqu'à l'avis d'inaptitude rendue par la médecine du travail le 23 octobre 2018.

Pris ensemble, les éléments établis par la salariée ne permettent pas de laisser supposer l'existence d'une situation de harcèlement moral.

En effet, malgré la charge de travail incompatible avec ses horaires de travail, la cour d'appel relève que la salariée ne produit aucun courriel de ses supérieurs hiérarchiques lui intimant de manière répétée de réaliser des tâches dans un délai contraint, ou dans l'urgence, aucun élément produit ne permettant d'établir que Mme [J] aurait de ce fait subi une pression diffuse de la part de sa hiérarchie dans le cadre de la relation de travail la contraignant à travailler au-delà de la durée du travail fixée contractuellement, de nature à laisser supposer l'existence d'un système managérial pouvant caractériser un harcèlement moral organisationnel.

La salariée ne produit pas non plus d'élément provenant de sa hiérarchie contenant ou démontrant l'existence de propos visant à la rabaisser, les divers courriels et documents produits faisant au contraire état d'éloges de sa hiérarchie à son égard.

Le seul rappel à l'ordre, dont la salariée ne conteste pas au demeurant la matérialité des faits pour lesquels il lui a été adressé, n'est pas suffisant pour laisser supposer une situation de harcèlement moral.

La cour rappelle que le harcèlement moral n'est en soi, ni la pression, ni le surmenage, ni les contraintes de gestion, ni le rappel à l'ordre, inhérents à la mise en 'uvre des fonctions et qu'il se distingue du respect de l'obligation de sécurité dès lors que le salarié aurait fait état d'une charge de travail qu'il jugerait trop importante et portant atteinte à sa santé.

Dès lors, il y a lieu de retenir que la salariée échoue à établir la matérialité de faits précis et concordants laissant supposer une situation de harcèlement moral à son encontre.

Mme [J] doit en conséquence être déboutée de sa demande de dommages et intérêts formulée à ce titre, par confirmation du jugement entrepris de ce chef.

Sur les demandes accessoires :

Le jugement entrepris est infirmé sur les frais irrépétibles et les dépens.

Au titre de la première instance, il y a lieu de condamner la SA GROUPE GP aux dépens.

La SA GROUPE GP, partie perdante, est condamnée aux dépens d'appel et à payer à Mme [J] la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [J] de sa demande de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral,

L'INFIRME pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE la SA GROUPE GP à payer à Mme [J] :

20 000 euros à titre de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires,

3 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes,

CONDAMNE la SA GROUPE GP aux dépens de première instance et d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Valéry Charbonnier, Conseillère faisant fonction de Présidente, et par Madame Mériem Caste-Belkadi, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.

La Greffière, La Conseillère faisant fonction de Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch. sociale -section a
Numéro d'arrêt : 21/02268
Date de la décision : 27/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-27;21.02268 ?
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