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27/06/2023 | FRANCE | N°21/02169

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section a, 27 juin 2023, 21/02169


C1



N° RG 21/02169



N° Portalis DBVM-V-B7F-K32A



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Copie exécutoire délivrée le :





la SELARL SELARL ORA



la SCP DELOCHE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS<

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COUR D'APPEL DE GRENOBLE



Ch. Sociale -Section A

ARRÊT DU MARDI 27 JUIN 2023





Appel d'une décision (N° RG 20/00062)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCE

en date du 04 mai 2021

suivant déclaration d'appel du 10 mai 2021





APPELANTE :



S.A.S. TROUILLET SERVICES, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audi...

C1

N° RG 21/02169

N° Portalis DBVM-V-B7F-K32A

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

la SELARL SELARL ORA

la SCP DELOCHE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section A

ARRÊT DU MARDI 27 JUIN 2023

Appel d'une décision (N° RG 20/00062)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCE

en date du 04 mai 2021

suivant déclaration d'appel du 10 mai 2021

APPELANTE :

S.A.S. TROUILLET SERVICES, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Romain GEOFFROY de la SELARL SELARL ORA, avocat au barreau de MONTPELLIER, substitué par Me Laure ALVINERIE, avocat au barreau de GRENOBLE,

INTIMEE :

Madame [P] [T]

née le 07 Mars 1983 à [Localité 6]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Stéphanie DELOCHE de la SCP DELOCHE, avocat au barreau de VALENCE,

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Valéry CHARBONNIER, Conseillère faisant fonction de Présidente,

Madame Gwenaëlle TERRIEUX, Conseillère,

Madame Isabelle DEFARGE, Conseillère,

DÉBATS :

A l'audience publique du 15 mai 2023,

Mme Gwenaëlle TERRIEUX, Conseillère chargée du rapport, et , Mme Valéry CHARBONNIER, Conseillère faisant fonction de Présidente, ont entendu les parties en leurs observations, assistées de Mme Mériem CASTE-BELKADI, Greffière, en présence de M. Victor BAILLY, juriste assistant près la Cour d'appel de Grenoble, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 27 juin 2023, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L'arrêt a été rendu le 27 juin 2023.

Exposé du litige :

Le 01 juillet 2008, Mme [T] [P] a été engagée en qualité de magasinier par la société SAMRO, rachetée ensuite par la SAS TROUILLET SERVICES.

Le 21 mars 2013, Mme [T] étant déléguée du personnel, Maître [I], administrateur judiciaire de la société a formulé une demande d'autorisation de licenciement économique, laquelle a été refusée par l'inspection du travail.

Le 16 janvier 2014, Mme [T] a adressé un courrier à la SAS TROUILLET SERVICES, déclarant qu'elle subissait des faits de harcèlement moral.

Le 17 janvier 2014, elle a fait l'objet d'un arrêt maladie et n'est plus revenue dans l'entreprise.

Le 17 mars 2014, elle a été déclarée inapte à tout poste de travail.

Le 29 mai 2015, elle a été licenciée pour inaptitude à tout poste.

Le 24 février 2020, Mme [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Valence, aux fins de contester le bien-fondé de son licenciement et obtenir les indemnités afférentes.

Par jugement du 04 mai 2021, le conseil de prud'hommes de Valence a :

- Constaté que Mme [T] a été victime de faits de harcèlement moral au sein de la société TROUILLET SERVICES,

- Dit que le licenciement de Mme [T], intervenu pour inaptitude est la conséquence de faits de harcèlement moral,

- Dit et jugé que le licenciement est nul,

- Condamné la SAS TROUILLET SERVICES à payer à Mme [T] les sommes suivantes :

30 000.00 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

13 480.00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

3 370.06 euros à titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

337.00 euros au titre des congés payés afférents ;

1 970.70 euros au titre des congés payés acquis non perçus ;

1 500 .00 euros à titre de dommages et intérêts pour retard de paiement des congés payés restants ;

1500.00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- Débouté Mme [T] du surplus de ses demandes,

- Débouté la SAS TROUILLET SERVICES de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné la SAS TROUILLET SERVICES aux dépens de l'instance.

La décision a été notifiée aux parties et la SAS TROUILLET SERVICES en a interjeté appel.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 30 juillet 2021, la SAS TROUILLET SERVICES demande à la cour d'appel de :

- Réformer dans toutes ses dispositions le jugement entrepris du Conseil de Prud'hommes de Valence du 4 mai 2021,

- Constater l'absence de tout manquement de la part de la société TROUILLET SERVICES ;

- Débouter Mme [T] de l'intégralité de ses demandes ;

- La condamner à payer la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- La condamner aux dépens.

Par conclusions en réponse notifiées par voie électronique le 29 Octobre 2021, Mme [T] demande à la cour d'appel de :

- Confirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de VALENCE en date du 4 mai 2021 en ce qu'il a constaté qu'elle a été victime de faits de harcèlement moral au sein de la Société TROUILLET

- En conséquence, confirmer ledit jugement en ce qu'il a condamné ladite Société à lui verser la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le harcèlement moral dont elle a été victime

- Confirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de VALENCE en ce qu'il a constaté que le licenciement intervenu pour inaptitude est la conséquence de ce harcèlement et en ce qu'il a prononcé la nullité de ce licenciement

- Confirmer ledit jugement en ce qu'il a condamné la Société TROUILLET à lui verser les sommes de :

* 3370,06 euros au titre du préavis outre 337 euros au titre des congés payés

* 13480 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement nul

- A titre subsidiaire, et si par extraordinaire le jugement était infirmé,

- Constater que la Société TROUILLET n'a pas respecté son obligation de reclassement

- En conséquence, prononcer le licenciement comme étant dépourvu de cause réelle

- Condamner la Société TROUILLET à lui verser les sommes de :

* 3370,06 euros au titre du préavis outre 337 euros au titre des congés payés

* 50 000 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse

- Confirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de VALENCE du 4 mai 2021 en ce qu'il a condamné la Société TROUILLET à lui verser la somme de 1970,70 euros au titre des congés payés acquis et 1500 euros au titre de dommages et intérêts pour retard de paiement sur ces congés payés,

- Débouter la Société TROUILLET de toutes ses demandes

- Condamner la Société TROUILLET à la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel, outre les dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 04 avril 2023, et l'affaire a été fixée pour être plaidée à l'audience du 15 mai 2023.

La décision a été mise en délibéré au 27 juin 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.

SUR QUOI :

1- Sur la contestation du licenciement :

1-1 Sur le harcèlement moral :

Moyens des parties :

Mme [T] affirme, au visa de l'article L. 1152-1 du code du travail, qu'elle a été victime de harcèlement moral de la part de sa hiérarchie, et notamment par M. [T] [F] et M.[X] [E], et expose les faits suivants:

- Dès juillet 2013 à son retour dans l'entreprise, elle a été victime de pressions pour démissionner par le directeur M. [X]

- Elle a été placée en arrêt maladie en juillet 2013 pour dépression,

- A son retour, on lui a confié des travaux de plus en plus difficiles et très physiques, notamment le déplacement des racks. Une fois que le travail était effectué, on lui a demandé de remettre les éléments à leurs emplacements initiaux,

- Elle n'avait plus de poste de travail, plus d'ordinateur, plus de bureau, plus de téléphone et aucun outil de travail,

- Elle n'avait plus de chaussures de sécurité

- Elle n'avait plus le droit de servir les clients ni de leur parler,

- Les toilettes pour femme ont été supprimées,

- La formation au nouveau logiciel lui a été refusée,

- On lui confiait des tâches ingrates, comme balayer,

- Elle a été traitée de « plante verte » par M. [T], qui lui a demandé de dégager,

- Elle a subi plusieurs arrêts maladies pour dépression. A chaque retour, M.[X] faisait pression sur elle pour qu'elle démissionne.

Mme [T] précise avoir déposé plainte pour harcèlement moral, et informé l'inspection du travail en janvier 2014, laquelle a constaté les éléments dénoncés et écrit à l'employeur, sans que la Société TROUILLET ne prenne aucune disposition.

Elle ajoute enfin avoir été très affectée pendant de nombreuses années par le traitement infligé au sein de la SAS TROUILLET, et avoir perdu toute confiance en elle.

En réponse, la SAS TROUILLET conteste, au visa de l'article L. 1154-1 du code du travail, tout fait de harcèlement moral.

Elle affirme que :

- Il n'y a aucune corrélation entre le refus de licenciement économique et un quelconque harcèlement moral,

- Mme [T] n'a jamais alerté son employeur sur des faits de harcèlement moral avant le mois de janvier 2014,

- Mme [T] s'est constituée des preuves à elle-même

- Elle ne produit qu'une partie de ses pièces, outre des photographies non datées, et des attestations non probantes,

- L'employeur lui a donné des chaussures conformément à son obligation de sécurité,

- Messieurs [X] et [T] qui seraient à l'origine des faits de harcèlement moral ont quitté la société le 10 Avril 2015,

- Aucun fait répété visant à dégrader la situation de santé de la salariée n'est matériellement prouvé.

Elle soutient en outre que le lien entre l'état de santé de Mme [T] et son travail n'est pas établi dès lors que :

- Aucun des arrêts de travail n'évoque une quelconque dépression ou souffrance au travail si ce n'est ceux à compter du 3 février 2014, établis par son médecin traitant,

- Les arrêts de travail du 3 février 2014 au 22 février 2014 et du 3 mars au 30 mars 2014 sont totalement illisibles et les mentions précisées à la main,

- Le médecin traitant de Mme [T] ne pouvait en aucun cas inscrire « souffrance au travail » sans l'avoir lui-même constaté,

- Ces arrêts sont des arrêts de prolongation alors qu'il y a une période de carence entre eux.

Réponse de la cour,

L'article L.1152-1 du code du travail énonce qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L.1152-2 du même code dispose qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir les agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article L. 1152-4 du code du travail précise que l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

Sont considérés comme harcèlement moral notamment des pratiques persécutrices, des attitudes et/ou des propos dégradants, des pratiques punitives, notamment des sanctions disciplinaires injustifiées, des retraits de fonction, des humiliations et des attributions de tâches sans rapport avec le poste.

La définition du harcèlement moral a été affinée en y incluant certaines méthodes de gestion en ce que peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en 'uvre par un supérieur hiérarchique lorsqu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits, à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Le harcèlement moral est sanctionné même en l'absence de tout élément intentionnel.

Le harcèlement peut émaner de l'employeur lui-même ou d'un autre salarié de l'entreprise.

Il n'est, en outre, pas nécessaire que le préjudice se réalise. Il suffit pour le juge de constater la possibilité d'une dégradation de la situation du salarié.

A ce titre, il doit être pris en compte non seulement les avis du médecin du travail mais également ceux du médecin traitant du salarié.

L'article L. 1154-1 du code du travail dans sa rédaction postérieure à la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 est relatif à la charge de la preuve du harcèlement moral :

« En cas de litige relatif à l'application des articles L. 1151-1 à L 1152-3 et L. 1152-3 à L. 1152-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des éléments de faits qui permettent de supposer l'existence d'un harcèlement moral l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. »

La seule obligation du salarié est d'établir la matérialité des faits précis et concordants, à charge pour le juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble et non considérés isolément, permettent de supposer l'existence d'un harcèlement, le juge ne pouvant se fonder uniquement sur l'état de santé du salarié mais devant pour autant le prendre en considération.

En l'espèce, Mme [T] soutient que l'employeur n'a pas pris les mesures nécessaires pour assurer sa sécurité et prévenir des agissements de harcèlement moral, et qu'il a laissé sa situation se détériorer et son état physique et moral se dégrader.

Elle verse aux débats des photographies non datées, dont l'origine n'est pas certifiée qui ne présentent aucune valeur probante.

Elle ne produit aucun élément susceptible d'attester 'qu'on lui a confié des travaux de plus en plus difficiles, ou des tâches ingrates', qu'elle n'avait plus le droit de parler aux clients, ou qu'une formation lui aurait été refusée.

Elle affirme enfin avoir été maltraitée par M. [T] et produit pour en justifier l'attestation de M. [N] selon laquelle « Début novembre 2013, lors d'une de ses visites pour déposer sa prolongation d'arrêt maladie, alors que [P] faisait un tour dans l'atelier pour dire « Bonjour aux collègues » M.[T] [F] l'a mise dehors et lui a clairement dit « tu n'as rien à faire dans la société ». « Beaucoup de témoin pour ce fait ».

Cette seule attestation ne met cependant pas en évidence que M.[T] l'ait maltraitée verbalement, alors qu'il lui rappelle simplement qu'étant en arrêt maladie, elle ne peut se trouver dans l'atelier.

En revanche elle établit la matérialité des faits suivants :

D'une première part, elle démontre qu'elle a été victime de pressions pour démissionner, ces pressions étant établies par M. [N], salarié de la société, qui atteste qu'en juin 2013 « M.[X] a demandé à [P] de bien vouloir démissionner avec insistance, ça se passait au poste de travail de [P] ».

D'une deuxième part, elle justifie qu'elle a été mise à l'écart et qu'elle n'avait plus de poste de travail ni de chaussures de sécurité pour travailler. En effet, elle produit aux débats l'attestation de M. [N], lequel indique qu'en « Janvier 2014, n'ayant plus de poste de travail et objets pour travailler, comme chaussure de sécurité, Mr [X] a été chercher une vieille paire qui trainait et à même insisté pour qu'elle les porte, et qu'elle commence à travailler. [P] a refusé de les porter et lui a dit qu'elle mettrait pas les chaussures pourris, je pense qu'une paire neuve n'était pas envisager par l'entreprise. ». Cet élément est confirmé par Mme [K], salariée, laquelle indique elle aussi « avoir constaté l'état des chaussures de sécurité de Mademoiselle [T] [P]. Les chaussures étaient en très mauvais état pour travailler. »

D'une troisième part, elle démontre que les toilettes des femmes ont été supprimées. Ce fait résulte du courrier adressé par Mme [T] à la DIRECCTE le 16 janvier 2014, dans lequel elle fait notamment état de « la suppression des toilettes femme utilisés par les deux responsables d'agence depuis le licenciement des secrétaires ». Cet élément est confirmé par la DIRECCTE qui répond à Mme [T] le 13 février 2014 que « Lors de mon contrôle dans l'établissement d'[Localité 5] le 22 janvier 2014, j'ai été reçue par Monsieur [T] [F], responsable d'agence. Après avoir évoqué la situation de Madame [T], j'ai constaté les éléments suivants qui corroborent en grande partie la véracité des propos de Mme [T].

Sont évoqués ensuite le manque de toilette femme (une mise en demeure a été faite à ce sujet) et l'absence d'adhésion aux services de la médecine du travail (la feuille d'adhésion m'a été présentée lors de la visite). ».

D'une quatrième part, Mme [T] démontre avoir déposé une plainte et alerté son employeur ainsi que la DIRECCTE par courriers du 16 janvier 2014 du fait qu'à son retour d'arrêt maladie, elle avait constaté qu'on lui avait retiré ses outils de travail, soit son bureau, son ordinateur, son téléphone, sa chaise. Ce signalement est confirmé par cette réponse de la DIRECCTE en date du 13 février 2014.

Mme [T] produit enfin des éléments qui attestent d'une altération de son état de santé.

Ainsi, elle justifie d'arrêts de travail délivrés :

- le 15 juillet 2013 et des arrêts de prolongation jusqu'au 16 août 2013,

- le 26 août 2013 jusqu'au 30 septembre 2013,

- le 23 Octobre 2013, prolongé jusqu'au 11 janvier 2004,

- le 17 janvier 2014 jusqu'au 31 janvier 2014,

- le 03 février jusqu'au 28 février 2014

- le 03 mars jusqu'au 30 mars 2014.

Le 24 janvier 2014, son médecin traitant indique dans un certificat médical que « les arrêts de travail de la patiente sont liés à une souffrance au travail ».

Ainsi, ces éléments médicaux apparaissent concomitants aux éléments de fait dénoncés, laissant supposer que l'altération de son état de santé résulte de ces évènements.

Il ressort de ce qui précède que la salariée établit des faits précis et concordants qui, pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'un harcèlement à son encontre.

Il appartient dès lors à la SAS TROUILLET SERVICES de justifier que les éléments de fait établis sont étrangers à tout agissement de harcèlement moral.

L'employeur n'apporte aucun élément sur les pressions exercées sur Mme [T] pour qu'elledémissionne.

Il n'apporte pas davantage d'éléments pour justifier des raisons pour lesquelles les toilettes pour femme ont été supprimées.

L'employeur soutient qu'il ne peut lui être reproché d'avoir donné une paire de chaussures abimée à Mme [T] puisqu'elle était en arrêt maladie continu du mois de juillet 2013 au 30 mars 2014, et qu'il attendait de recevoir une paire neuve.

Or, ces explications sont contredites par les pièces produites, puisque Mme [T] est revenue travailler à plusieurs reprises entre le mois de juillet 2013 et le 30 mars 2014. En outre, M. [N] soutient qu'à son retour en janvier 2014, elle n'avait plus de poste de travail ni objets pour travailler, comme des chaussures de sécurité. La cour observe enfin que l'employeur ne justifie pas qu'il avait commandé et attendait des chaussures neuves pour elle.

Dès lors, eu égard aux éléments de fait pris dans leur globalité matériellement établis par Mme [T] auxquels la SAS TROUILLET SERVICES n'a pas apporté de justifications, il convient de constater que Mme [T] a fait l'objet de harcèlement moral ayant eu pour objet ou effet une dégradation de ses conditions de travail, avec un impact sur la santé de la salariée.

Encore, la SAS TROUILLET SERVICES n'argue ni ne justifie d'aucune mesure prise suite au signalement de harcèlement moral fait par Mme [T] dans son courrier du 16 janvier 2014. La société se contente d'affirmer que la page 2 du courrier n'est pas produite, alors qu'en tout état de cause, elle ne conteste par l'avoir reçu, que les faits de harcèlement moral sont dénoncés sur la première page et que la DIRECCTE a effectué un contrôle de l'entreprise suite à l'envoi de ce courrier.

Par conséquent, la SAS TROUILLET SERVICES sera condamnée à payer à Mme [T] une somme qu'il convient de fixer à 10 000 euros, au titre du harcèlement moral subi, et ce par infirmation du jugement entrepris.

1.2 ' Sur le lien de causalité entre les manquements de l'employeur et l'inaptitude de la salariée :

Moyens des parties :

Mme [T] fait valoir au visa des articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail que son licenciement est nul dès lors que son inaptitude résulte des faits de harcèlement moral.

A titre subsidiaire, elle affirme, au visa de l'article L. 1226-2 du code du travail, que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, faute pour l'employeur d'avoir respecté son obligation de reclassement, et ce malgré l'avis de la médecine du travail.

La SAS TROUILLET affirme que la demande doit être rejetée compte tenu de l'absence de tout fait de harcèlement moral.

Elle soutient enfin avoir parfaitement respecté son obligation de reclassement.

Réponse de la cour,

La cour a constaté que la SAS TROUILLET SERVICES avait manqué à son obligation de prévention des risques professionnels et que Mme [T] avait subi des faits constitutifs de harcèlement moral.

Mme [T] justifie de plusieurs arrêts de travail, délivrés entre le 15 juillet 2013 et le 30 mars 2014, étant observé que les premiers faits de harcèlement moral démontrés sont intervenus au mois de juin 2013.

En outre, les arrêts de travail délivrés par le Dr [D], médecin généraliste, à compter du mois de février 2014 portent la mention « Souffrance au travail ».

Enfin, par courrier du 13 mars 2015 adressé à la société TROUILLET, le médecin du travail indique que Mme [T] peut travailler à un poste similaire mais dans un environnement différent, puis il liste les autres postes de travail qui pourraient lui convenir, avec la précision qu'ils doivent se trouver dans une autre structure.

Ainsi, cet avis du médecin du travail confirme que l'inaptitude de la salariée est exclusivement liée à l'environnement professionnel dans lequel elle exécutait son contrat de travail, puisqu'elle est apte à occuper un poste similaire à la condition que cet environnement soit différent.

Dès lors, la cour constate que les carences de l'employeur concernant la situation de harcèlement moral subie par Mme [T] ont donc, au moins partiellement, participé à la dégradation de son état de santé à l'origine de son inaptitude.

Mme [T] rapporte ainsi la preuve suffisante d'un lien de causalité entre le manquement de l'employeur à ses obligations et son inaptitude définitive à l'origine de son licenciement.

Par conséquent, il y a lieu de constater que le licenciement de Mme [T] intervenu pour inaptitude est nul, et ce par confirmation du jugement entrepris.

2- Sur les demandes financières :

- Sur l'indemnité compensatrice de préavis :

Au visa de l'article 1234-1 du code du travail et compte tenu du montant du salaire mensuel moyen de Mme [T], de 1 685,03 euros, la société TROUILLET SERVICES est condamnée à lui verser une indemnité compensatrice de préavis de deux mois d'un montant de 3 370,06 euros bruts, outre la somme de 337,00 euros au titre des congés payés afférents, et ce par confirmation du jugement déféré.

- Sur la demande au titre des congés payés :

Mme [T] indique que l'employeur a mentionné ses congés sur le bulletin de salaire d'avril 2015 mais il ne les a jamais payés. Elle sollicite l'indemnisation de son préjudice résultant de ce retard de paiement.

La société TROUILLET soutient en réponse que :

- Elle ne doit aucune somme à Mme [T], puisque la rémunération des périodes d'absence n'est prise en compte dans le calcul de l'indemnité de congés que si ces absences sont assimilées à du temps de travail effectif pour le calcul de la durée des congés

- Mme [T] doit déduire de sa demande toutes ses périodes d'absence pour lesquelles elle n'a pas cumulé de congés

- Mme [T] ne justifie d'aucun préjudice.

Réponse de la cour,

La cour constate que le bulletin de salaire de Mme [T] pour le mois d'avril 2015 mentionne un total de 27 jours de congés restants et 22,8980 jours acquis.

En outre, contrairement aux affirmations de l'employeur, l'examen des bulletins de paie produits aux débats démontre que les périodes d'absence pour maladie de Mme [T] sont assimilées à du travail effectif pour le calcul des congés payés puisque durant ses périodes d'absence, Mme [T] continue d'acquérir des jours de congés payés comme si elle avait été présente dans l'entreprise et y avait travaillé.

Dès lors, il convient pour le calcul de l'indemnité compensatrice de congés payés, d'ajouter 2,5 jours pour le mois de mai 2015, ce qui représente 52,398 jours, soit une indemnité compensatrice de congés payés totale de 3 924,61 euros.

Or, il résulte de l'attestation UNEDIC remplie par l'employeur qu'il a versé une somme de 1 953,91 euros.

Dès lors, la SAS TROUILLET SERVICES devra payer à Mme [T] la somme de 1970,70 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés, et ce par confirmation du jugement entrepris.

Comme le premier juge, la cour observe que la SAS TROUILLET SERVICES avait connaissance de cette créance salariale dès le mois d'avril 2015, et qu'elle a donc délibérément refusé de la régler, de sorte qu'elle sera condamnée, par confirmation du jugement entrepris, à lui payer la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour ce retard de paiement.

- Sur les dommages et intérêts pour licenciement nul :

Selon l'article L. 1235-3-1 du code du travail, l'article L. 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Les nullités mentionnées au premier alinéa sont celles qui sont afférentes à :

2° Des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4 ;

En l'espèce, Mme [T] disposait d'une ancienneté, au service du même employeur, de 6 années et 10 mois.

Elle était âgée de 32 ans à la date du licenciement.

Le préjudice résultant de la situation de stress, d'humiliation et de harcèlement moral alléguée ne peut se confondre avec le préjudice résultant du licenciement injustifié.

Par conséquent, la cour condamne la SAS TROUILLET SERVICES à verser à Mme [T] une indemnité de 13 480,00 euros bruts à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du licenciement nul, et ce par confirmation du jugement entrepris.

3 ' Sur les demandes accessoires :

La SAS TROUILLET SERVICES, partie perdante à l'instance au sens des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, doit être tenue d'en supporter les dépens de première instance et d'appel.

En conséquence, la demande indemnitaire de la société au titre des frais irrépétibles est rejetée.

Il serait par ailleurs inéquitable, au regard des circonstances de l'espèce comme des situations économiques des parties, de laisser à la charge de Mme [T], l'intégralité des sommes qu'elle a été contrainte d'exposer en justice pour la défense de ses intérêts, de sorte qu'il convient de condamner la SAS TROUILLET SERVICES à lui verser la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance, et ce par confirmation du jugement entrepris, outre une indemnité complémentaire de 1 500 euros au titre des frais exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

DECLARE la SAS TROUILLET SERVICES recevable en son appel,

CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a :

- Constaté que Mme [T] a été victime de faits de harcèlement moral au sein de la société TROUILLET SERVICES,

- Dit que le licenciement de Mme [T], intervenu pour inaptitude est la conséquence de faits de harcèlement moral,

- Dit et jugé que le licenciement est nul,

- Condamné la SAS TROUILLET SERVICES à payer à Mme [T] les sommes suivantes :

13 480,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

3 370,06 euros à titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

337,00 euros au titre des congés payés afférents ;

1 970,70 euros au titre des congés payés acquis non perçus ;

1 500 ,00 euros à titre de dommages et intérêts pour retard de paiement des congés payés restants ;

1500,00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- Débouté la SAS TROUILLET SERVICES de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné la SAS TROUILLET SERVICES aux dépens de l'instance.

Statuant sur les chefs d'infirmation et Y ajoutant,

CONDAMNE la SAS TROUILLET SERVICES à payer à Mme [T] la somme de 10 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

CONDAMNE la SAS TROUILLET SERVICES aux dépens,

CONDAMNE la SAS TROUILLET SERVICES à payer la somme de 1 500 € à Mme [T] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Valéry Charbonnier, Conseillère faisant fonction de Présidente, et par Madame Mériem Caste-Belkadi, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.

La Greffière, La Conseillère faisant fonction

de Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch. sociale -section a
Numéro d'arrêt : 21/02169
Date de la décision : 27/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-27;21.02169 ?
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