C5
N° RG 21/05139
N° Portalis DBVM-V-B7F-LEZM
N° Minute :
Notifié le :
Copie exécutoire délivrée le :
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE SOCIALE - PROTECTION SOCIALE
ARRÊT DU VENDREDI 16 JUIN 2023
Appel d'une décision (N° RG 20/00117)
rendue par le pôle social du tribunal judiciaire de Vienne
en date du 10 novembre 2021
suivant déclaration d'appel du 09 décembre 2021
APPELANTE :
Madame [I] [S]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Murielle MAHUSSIER de la SCP REVEL MAHUSSIER & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, substituée par Me Alexandra MANRY de la SCP REVEL MAHUSSIER & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON
INTIMEE :
Association [4], pour son établissement EHPAD [6], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Adresse 3]
représentée par Me Catherine MILLET-URSIN de la SCP FROMONT BRIENS, avocat au barreau de LYON, substituée par Me Emmanuelle TOURNAIRE, avocat au barreau de LYON
CPAM DE [Localité 5], prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège, après internvetion volontaire à l'audience de plaidoirie
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
comparant en la personne de Mme [U] [R], régulièrement munie d'un pouvoir
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président,
Mme Isabelle DEFARGE, Conseiller,
M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,
Assistés lors des débats de Mme Kristina YANCHEVA, Greffier,
DÉBATS :
A l'audience publique du 28 mars 2023,
M. Pascal VERGUCHT, chargé du rapport, M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président et Mme Isabelle DEFARGE, Conseiller ont entendu les représentants des parties en leurs conclusions et plaidoirie,
Et l'affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 30 novembre 2016, Mme [I] [S], infirmière au sein de l'EHPAD [6] et employée par l'association [4] ([4]), a subi des lésions aux cervicales et au dos en chutant sur une marche d'escalier alors qu'elle descendait porter des fleurs à l'athanée de l'établissement, selon une déclaration d'accident du travail en date du 1er décembre 2016.
Un certificat médical initial du 30 novembre 2016 a constaté des contusions rachidiennes au rachis et à l'épaule gauche.
Le 9 décembre 2016, la CPAM de [Localité 5] a pris en charge l'accident au titre de la législation professionnelle, et a notifié le 11 juin 2019 une consolidation au 1er avril 2019. Le taux d'incapacité permanente a été fixé à 5'% le 15 juillet 2019 pour des séquelles à type de lombosciatique droite sans déficit sensitivomoteur sur état antérieur.
Le 6 mars 2020, la CPAM a dressé un procès-verbal de carence à l'occasion d'une tentative de reconnaissance amiable d'une faute inexcusable de l'employeur.
Le pôle social du tribunal judiciaire de Vienne saisi par Mme [S] d'un recours contre l'EHPAD [6] et l'association [4], en présence de la CPAM de [Localité 5], a par jugement du 10 novembre 2021':
- rejeté la contestation de la matérialité de l'accident du travail,
- déclaré opposable à l'employeur la prise en charge de l'accident du travail,
- débouté Mme [S] de sa demande de reconnaissance d'une faute inexcusable,
- rejeté la demande reconventionnelle de l'association sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- laissé les dépens à la charge de Mme [S].
Par déclaration du 9 décembre 2021, Mme [S] a relevé appel de cette décision.
Par conclusions n° 2 du 3 mars 2023 reprises oralement à l'audience devant la cour, Mme [S] demande':
- que ses demandes soient jugées recevables,
- la confirmation du jugement en ce qu'il a rejeté la contestation de la matérialité de l'accident du travail et l'a déclaré opposable à l'employeur,
- l'infirmation du jugement pour le surplus,
- la reconnaissance d'une faute inexcusable de l'employeur,
- la majoration au maximum de la rente versée,
- une expertise médicale,
- une provision de 5.000 euros,
- la condamnation de l'association à lui verser 2 sommes de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance et en appel,
- la condamnation de l'association aux dépens,
- que la décision soit déclarée commune et opposable à la CPAM,
- le débouté de la demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile de l'association.
Mme [S] explique qu'elle a chuté en glissant dans des escaliers qui n'étaient pas conformes, car sombres, glissant et sans bandes antidérapantes ou réfléchissantes. Elle fait valoir que des accidents se sont déjà produits, notamment à deux reprises en 2016, et elle s'appuie sur deux attestations d'anciennes collègues de travail, Mmes [F] [X] et [P] [H], ainsi que sur un rapport que cette dernière a rédigé après un accident postérieur du 7 mai 2017, qui démontre que son employeur n'avait toujours pas pris en 2018 des mesures pour la sauvegarde de la santé des salariés en ce qui concerne les chutes dans les escaliers. Elle relève que l'association justifie de photographies non datées montrant des bandes réfléchissantes et antidérapantes.
Mme [S] estime qu'il importe peu que les deux autres chutes dans les escaliers en 2016 aient eu lieu dans un autre escalier ou après s'être pris un balai dans les pieds, dès lors que ces faits démontrent une carence notoire dans la sécurité des escaliers de l'établissement. De même, il importe peu que l'ascenseur desservant l'Athanée n'ait été en panne que quatre fois en 2016 dès lors qu'il est justifié que les trois ascenseurs ont été 22 fois en panne en 2016 (dont deux fois proches de la date de son accident du travail), et qu'il était donc d'usage d'utiliser les escaliers à cause de ces pannes récurrentes, en sachant que la porte donnant sur les escaliers dans lesquels elle est tombée ne limitait pas son usage aux évacuations.
Elle ajoute que la déclaration d'accident du travail n'a pas mentionné de glissade parce qu'elle a été rédigée par l'employeur, et que le document unique d'évaluation des risques n'identifie aucun risque de chute spécifique sur l'unité de travail «'soins'», seul un risque général de chute étant mentionné sur sol mouillé ou glissant lors de la toilette des résidents ou du lavage des sols, et que c'est seulement une version postérieure qui est venue prévoir le risque de chute de plain-pied en prévoyant l'utilisation de chaussures appropriées et une formation ou une sensibilisation. Elle souligne que l'objectivité de l'attestation de M. [K] [L], sur laquelle s'appuie son employeur, doit être remise en cause puisqu'il s'agissait de son supérieur hiérarchique.
Mme [S] affirme enfin n'avoir bénéficié d'aucune formation en matière de sécurité, de gestes et postures et sur le site où elle intervenait. Elle souligne que, malgré une sommation de communiquer, l'intimée n'a pas fourni son relevé individuel de formations.
Par conclusions n° 1 du 6 décembre 2022 reprises oralement à l'audience devant la cour, l'association [4] demande':
- la confirmation du jugement,
- le débouté des demandes de Mme [S],
- la condamnation de l'appelante aux dépens et à lui payer 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
L'association souligne que l'appelante n'apporte aucun élément qui viendrait expliquer les circonstances de son accident du travail, la déclaration à la caisse n'ayant pas mentionné que le sol était glissant ou que les escaliers étaient mal éclairés. Le caractère glissant ou mal éclairé de l'escalier est juste affirmé, et le témoignage de Mme [H] intervient trois ans après les faits, sans préciser l'escalier décrit comme sombre, sans évoquer de caractère glissant et alors que cette salariée n'était pas présente lors de l'accident. L'association reproche à l'attestation de Mme [X] de ne pas respecter les formes imposées par l'article 202 du code de procédure civile car elle n'est pas accompagnée d'un document d'identité, et intervient cinq ans après les faits, ce qui la rend non probante, d'autant que le registre des accidents du travail sur trois ans ne révèle que trois chutes dans les escaliers, contrairement à ce qui est allégué par la témoin sur leur fréquence.
Elle ajoute que le registre des accidents du travail montre qu'aucun accident n'est survenu dans les escaliers menant à l'athanée, et qu'une des deux chutes dans les autres escaliers s'est produite parce que la salariée s'est pris les pieds dans son balai.
L'association précise avoir pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de ses employés': l'escalier menant à l'athanée ne devant être utilisé que pour les évacuations, une signalétique était devant la porte et un éclairage suffisant était prévu à raison d'une applique pour 9 marches'; l'établissement était doté de trois ascenseurs dont un qui desservait l'athanée, permettant donc le transport de matériels sans risque de chute'; l'ascenseur desservant l'athanée n'a connu que quatre pannes traitées avec célérité, et aucune panne ne l'affectait le jour de l'accident'; les salariés étaient équipés de chaussures fermées adaptées et antidérapantes'; le document unique d'évaluation des risques était tenu à jour et mentionnait bien un risque de chute.
Enfin, l'association retient qu'il n'est pas démontré qu'elle avait connaissance des dysfonctionnements allégués, les registres d'accident du travail ne rapportant pas de chute dans les escaliers menant à l'athanée, Mme [H] ne mentionnant pas de sol glissant dans ces escaliers et son rapport n'étant intervenu que deux ans et demi après les faits et pour un autre escalier.
Par conclusions du 24 mars 2023 reprises oralement à l'audience devant la cour, la CPAM de [Localité 5], intervenante volontaire, demande':
- qu'il soit pris acte qu'elle s'en rapporte sur la reconnaissance d'une faute inexcusable, la fixation de la majoration de la rente, et l'indemnisation des préjudices extrapatrimoniaux prévus par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale,
- la condamnation de l'employeur à lui rembourser les sommes dont elle serait amenée à faire l'avance, y compris les frais d'expertise.
En application de l'article 455 du Code de procédure civile, il est donc expressément référé aux dernières conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIVATION
Il résulte des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail que le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. Par ailleurs, il appartient au salarié de rapporter la preuve que l'employeur avait conscience du danger auquel il était exposé et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
En l'espèce, Mme [S] reproche à son employeur une absence d'éclairage suffisant et de moyen adaptés pour éviter de glisser dans les escaliers de l'EHPAD où elle a chuté en se rendant à l'athanée de l'établissement.
L'appelante s'appuie sur une attestation de Mme [H], aide-soignante et collègue de travail, qui déclare que «'[I] [S] est tombée dans les escaliers dans l'établissement [6]. Escaliers, sombres et sans bande réfléchissante. En tant que (Dp) et membre du CSST j'en ai tout de suite parlé à ma direction qui m'a mandaté avec l'homme d'entretien pour réaliser un devis pour sécuriser les escaliers. Ne faisant plus partie du personnel depuis 2018, à mon départ, aucune amélioration n'a été faite.'» La témoin ne précise pas si elle parle de l'escalier menant à l'athanée, et n'évoque aucun caractère glissant de ces escaliers, et aucun fait ne peut être tiré de cette attestation pour caractériser un manque de sécurité dans tous les escaliers de l'EHPAD.
L'appelante s'appuie sur un rapport rédigé par Mme [H], daté du 5 avril 2018, sur «'La chute, accident de travail'»': ce document est postérieur à l'accident du travail de Mme [S] et porte sur un accident du travail du 7 mai 2017, il n'apporte donc aucun élément utile au débat sur les éléments préexistants ayant pu causer l'accident, et les photographies annexées sont de mauvaise qualité en sachant qu'il n'est pas établi qu'il s'agissait des escaliers menant à l'athanée dans l'état où ils se trouvaient le 30 novembre 2016.
Mme [S] s'appuie enfin sur une attestation de Mme [X], «'collègue de boulot'», régularisée par la justification d'une pièce d'identité, qui témoigne le 17 avril 2021 «'qu'il y a des chutes fréquentes à l'intérieur plus exactement dans les escaliers de l'établissement "[6]". Il y a eu plusieurs accidents de chute entre les soignants et un résident (Mr). Cet escalier est sombre et mal éclairé et surtout glissant. Les autres escaliers n'ont pas de bandes réfléchissantes et antidérapantes.'» La témoin ne précise pas de quels escaliers elle parle et, surtout, ne précise pas la date ou la période à laquelle les escaliers auraient été glissants ou sombres ou sans bande de sécurité, alors que son témoignage intervient plus de quatre ans après l'accident du travail.
Pour sa part, l'ACPPA justifie que l'ascenseur desservant l'athanée n'était pas en panne le 30 novembre 2016, qu'il ne l'a été que 4 fois en 2016 (les 11 février, 13 août, 16 et 22 septembre) à des dates non rapprochées de celle de l'accident de Mme [S], et que les pannes ont été réparées très rapidement à chaque fois et le jour même (entre 11:47/13:39, 11:59/16:57, 10:14/11:45, 14:41/16:02). Par ailleurs, il ne saurait être tiré de conséquences des 18 pannes intervenues sur les deux autres ascenseurs de l'établissement pour considérer que l'employeur aurait commis une faute grave à l'origine de l'accident de Mme [S].
Il importe peu que l'escalier emprunté ait eu un usage d'évacuation, dès lors qu'il était à la disposition des salariés et devait à ce titre être sécurisé. Mais faute d'autres éléments pour démontrer un éclairage insuffisant ou le caractère glissant des marches, dont il n'est d'ailleurs pas expliqué en quoi elles auraient été glissantes, ces caractéristiques reprochées par l'appelante ne sont pas établies.
L'ACPPA avait conscience du risque de chute dans les escaliers, ainsi que cela résulte du registre des accidents du travail pour 2016 qui fait état d'une chute lors du nettoyage dans des escaliers le 20 janvier, et d'une autre chute dans des escaliers le 22 septembre'; en outre, il est justifié d'un document unique d'évaluation des risques professionnels du 21 décembre 2015 qui mentionne, pour tout l'établissement, un risque de chute lors de la toilette des résidents et du lavage des sols, qui sont alors mouillés et glissants, avec comme action de prévention une procédure qualité de nettoyage, une formation et une sensibilisation, une utilisation de produits et de matériels adaptés, et l'apposition de panneaux avertissant du danger de sol mouillé.
L'ACPPA se prévaut de l'attestation de M. [L], supérieur hiérarchique de Mme [S], qui témoigne que l'escalier de secours où a eu lieu l'accident disposait d'une rampe et d'un éclairage d'une applique toutes les 9 marches, qu'un autre escalier principal permet de passer d'un étage à l'autre outre trois ascenseurs, et que l'établissement a fourni à tous les soignants des chaussures adaptées et antidérapantes. Aucun élément ne vient justifier que ce témoignage soit écarté ou considéré comme partial.
Mme [S] évoque enfin un manque de formation pour reprocher une faute inexcusable à son employeur, mais elle n'explique pas en quoi une formation à la sécurité, aux gestes et postures ou sur le site où elle travaillait depuis novembre 2008 aurait été, par son absence, une cause nécessaire engageant la responsabilité de son employeur dans sa chute.
Par conséquent, compte tenu des mesures existantes pour assurer la sécurité de la salariée (rambardes, éclairage toutes les 9 marches, ascenseurs réparés rapidement en cas de panne et en fonctionnement le jour des faits, chaussures antidérapantes) et en l'absence de meilleures explications sur les circonstances précises de l'accident ou de meilleures preuves d'un caractère trop sombre ou trop glissant de l'escalier où s'est produite la chute, ou encore que des bandes de sécurité auraient évité la chute, aucune faute inexcusable n'est prouvée à l'origine de l'accident du travail de Mme [S].
Le jugement sera donc confirmé et l'appelante supportera les dépens de l'instance en appel.
Ni l'équité ni la situation des parties ne justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement et publiquement, après en avoir délibéré conformément à la loi':
Confirme en toutes ses dispositions le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Vienne du 10 novembre 2021,
Y ajoutant,
Condamne Mme [I] [S] aux dépens de la procédure d'appel,
Déboute l'association [4] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. Jean-Pierre Delavenay, président et par Mme Chrystel Rohrer, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier Le président