C3
N° RG 21/04735
N° Portalis DBVM-V-B7F-LDP5
N° Minute :
Notifié le :
Copie exécutoire délivrée le :
La SELEURL APC
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE SOCIALE - PROTECTION SOCIALE
ARRÊT DU VENDREDI 02 JUIN 2023
Appel d'une décision (N° RG 18/01014)
rendue par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de GRENOBLE
en date du 15 octobre 2021
suivant déclaration d'appel du 09 novembre 2021
APPELANT :
Monsieur [P] [B]
né le 06 juillet 1977 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 3]
comparant en personne, assisté de Me Pierre JANOT de la SELARL ALTER AVOCAT, avocat au barreau de GRENOBLE substitué par Me Raphaelle PISON, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIMEES :
SA [6], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 8]
[Localité 4]
représentée par Me Cyril JUILLARD de la SELEURL APC, avocat au barreau de LYON
La CPAM DE L'ISERE, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
Service contentieux
[Adresse 1]
[Localité 2]
comparante en la personne de Mme [W] [E], régulièrement munie d'un pouvoir
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président,
Mme Isabelle DEFARGE, Conseiller,
M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,
Assistés lors des débats de M. Fabien OEUVRAY, Greffier, en présence de Mme Laëtitia CHAUVEAU, juriste assistant,
DÉBATS :
A l'audience publique du 09 mars 2023,
M. Jean-Pierre DELAVENAY chargé du rapport, Mme Isabelle DEFARGE, Conseiller et M. Pascal VERGUCHT, Conseiller ont entendu les représentants des parties en leurs conclusions et plaidoiries,
Et l'affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
M. [P] [B] a été engagé en qualité d'employé logistique par la SA [6] à compter du 3 janvier 2005.
Le 24 mai 2013, M. [B] a été victime d'un accident du travail pris en charge par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie (CPAM) de l'Isère au titre de la législation professionnelle.
Selon la déclaration d'accident du travail, M.[B] se serait tordu le pouce droit alors qu'avec l'aide d'un collègue de travail, il basculait des baies vitrées dans une benne.
Le 27 juin 2014, M. [B] a déclaré un nouvel accident du travail entraînant des douleurs au pouce droit, également pris en charge au titre de la législation professionnelle par la caisse primaire suivant notification du 13 octobre 2014.
Le 25 août 2017, la CPAM de l'Isère a notifié à l'assuré la prise en charge de la rechute du 7 août 2017 considérée comme étant imputable à l'accident du travail du 24 mai 2013.
Par courrier du 25 mars 2017, M. [B] a saisi la CPAM de l'Isère d'une demande de reconnaissance de faute inexcusable formulée en ces termes : « je fais une demande de faute inexcusable suite à mon arrêt de travail du 24 mai 2013 avec reprise le 14 novembre 2013 puis rechute du 27 juin 2014 et consolidation ».
En l'absence de conciliation constatée par procès-verbal du 11 octobre 2017, M. [B] a saisi le 6 septembre 2018 le tribunal des affaires de sécurité sociale de Grenoble aux mêmes fins.
Selon ses dernières demandes formées en première instance, il a sollicité la reconnaissance d'une faute inexcusable de son employeur à l'origine de l'accident dont il a été victime le 27 juin 2014 (cf page 2 du jugement déféré).
Par jugement du 15 octobre 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Grenoble a :
- dit que l'accident dont a été victime M. [B] le 27 juin 2014 n'est pas dû à la faute inexcusable de son employeur,
- débouté en conséquence M. [B] de l'intégralité de ses demandes,
- débouté la société [6] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné aux dépens nés après le 1er janvier 2019.
Le 9 novembre 2021, M. [B] a interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions.
Les débats ont eu lieu à l'audience du 9 mars 2023 et les parties avisées de la mise à disposition au greffe de la présente décision le 2 juin 2023.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
M. [P] [B] au terme de ses conclusions d'appel notifiées par RPVA le 17 juin 2022 reprises à l'audience demande à la cour de :
- infirmer le jugement du pôle social du tribunal judiciaire du 15 octobre 2021 en toutes ses dispositions,
En conséquence,
- juger que l'accident du travail dont il a été victime le 27 juin 2014 est dû à une faute inexcusable de son employeur,
- fixer au maximum la majoration de sa rente prévue par la loi, de telle sorte que la rente servie par l'organisme de la Sécurité Sociale ne subisse aucun abattement forfaitaire,
- condamner la société [6] à indemniser l'entier préjudice subi,
- condamner la CPAM de l'Isère à lui verser une majoration de sa rente au taux maximum,
- surseoir à statuer sur l'indemnité de ses préjudices dans l'attente des conclusions d'expertise,
- ordonner une expertise médicale afin de pouvoir évaluer :
' le préjudice causé par les souffrances physiques et morales,
' le préjudice esthétique temporaire et permanent,
' le préjudice d'agrément,
' le préjudice subi par la perte de ses possibilités de promotion professionnelle,
' le préjudice lié au déficit fonctionnel temporaire,
' le préjudice sexuel,
' le recours à une tierce personne,
- condamner la société [6] à lui verser une provision d'un montant de 10 000 euros à valoir sur ses préjudices subis,
- condamner la CPAM de l'Isère à lui faire l'avance de la provision allouée,
- le renvoyer devant l'organisme compétent pour liquider ses droits,
- condamner la société [6] à verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi que les entiers dépens.
- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.
M. [B] soutient que la faute inexcusable de son employeur est caractérisée par l'absence de document unique d'évaluation des risques.
Il observe que la SA [6] produit un document unique d'évaluation des risques pour l'année 2010 qui n'est pas daté et est illisible de sorte qu'il est impossible, selon lui, de déterminer si l'employeur avait pris toutes les mesures de prévention nécessaires au moment de son accident.
- Il fait valoir que son employeur avait nécessairement conscience du danger lié au fait de se blesser à la main et au pouce à l'occasion des manoeuvres opérées dès lors que, en sa qualité d'employé logistique, il était amené à faire de la manutention de charges lourdes en chargeant et déchargeant des palettes de produits lourds et encombrants tous les jours.
- Il expose que la faute inexcusable est établie puisqu'il n'a pas été correctement formé à la sécurité à son poste de travail (aucune formation relative aux gestes et postures) et que l'employeur l'a affecté sur un poste inadapté à ses restrictions d'aptitude.
Ainsi il affirme que l'accident du travail du 27 juin 2014 est survenu car il a continué à porter des charges lourdes alors que l'avis du médecin du 14 novembre 2013 mentionnait : « Apte avec recommandation : solliciter une aide à la manutention de pièces trop lourdes ».
Il reproche donc à son employeur de n'avoir pris aucune mesure pour préserver sa santé suite à son premier accident du travail du 24 mai 2013 et suite à sa reprise dans le cadre d'un avis d'aptitude avec réserve.
La SA [6] prise en son établissement de [Localité 9] selon ses conclusions d'appel notifiées par RPVA le 28 novembre 2022 reprises à l'audience demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu le 15 octobre 2021 par le pôle social du tribunal judiciaire de Grenoble,
En conséquence,
- constater qu'aucune faute inexcusable de l'employeur ne lui est imputable,
- débouter M. [B] de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur,
- débouter M. [B] de sa demande de majoration de sa rente,
- débouter M. [B] de sa demande d'expertise médicale,
- débouter M. [B] de sa demande de versement d'une provision au titre de ses prétendus préjudices,
- débouter M. [B] de sa demande formulée au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'instance,
- condamner M. [B] au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'instance.
La SA [6] soutient qu'il convient d'examiner les conditions de travail de M. [B] entre le 14 novembre 2013 et le 27 juin 2014, au regard des préconisations du médecin du travail énoncées dans son avis du 14 novembre 2013.
Elle affirme avoir mis en 'uvre des mesures générales de prévention nécessaires et suffisantes de sorte qu'aucun manquement à son obligation de sécurité ne peut être caractérisé.
Elle indique que le DUERP pour l'année 2010 tel que transmis, ne vise que certains postes et l'unité de travail relative au litige en cause et ajoute que le règlement intérieur, au fil de ses mises à jour, rappelle clairement les règles de sécurité applicables.
- Elle fait valoir qu'aux termes du document unique d'évaluation des risques, en qualité d'employé logistique affecté au rayon menuiserie, M. [B] a été formé aux « Gestes et postures » ainsi qu'à d'autres formations.
- Elle soutient avoir respecté les préconisations du médecin du travail dans son avis du 14 novembre 2013 dès lors que M. [B] était toujours entouré de collègues de travail à même de lui apporter leur aide ; de ce fait, aucune étude ou aménagement spécifique du poste n'a été nécessaire. Elle en conclut qu'elle ne pouvait donc avoir conscience du prétendu danger encouru par M. [B].
La CPAM de l'Isère, au terme de ses conclusions remises et reprises à l'audience, s'en rapporte à justice concernant la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, la majoration éventuelle à son maximum de la rente ou indemnité en capital versée au titre de l'incapacité permanente, la diligence d'une expertise médicale ainsi que sur l'évaluation du montant de l'indemnisation des préjudices.
Si la faute est reconnue, la caisse sollicite la condamnation de l'employeur à lui rembourser les sommes dont elle aura fait l'avance, en application des articles L. 452-2 et L. 452-3 et suivants du code de la sécurité sociale, ainsi que les frais d'expertise, outre les intérêts au taux légal à compter de leur versement.
Pour le surplus de l'exposé des moyens des parties au soutien de leurs prétentions, il est renvoyé à leurs conclusions visées ci-dessus par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE
En application des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Il incombe néanmoins au salarié, demandeur d'une indemnisation complémentaire des conséquences de l'accident de travail, d'apporter la preuve de la faute inexcusable qu'il impute à son employeur. Il n'a pas à démontrer que cette faute inexcusable a été la cause déterminante de l'accident et il suffit qu'elle en a été une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée.
En l'espèce, la preuve incombe à M. [B] qui invoque la responsabilité de la SA [6] à l'origine de son accident du travail du 27 juin 2014 pris en charge par la caisse primaire de l'Isère.
A l'appui de son action en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, M. [B] prétend tout d'abord que son employeur avait nécessairement conscience du danger lié au fait de se blesser à la main et au pouce à l'occasion des manoeuvres opérées dès lors que, en sa qualité d'employé logistique, il était amené à faire de la manutention de charges lourdes puis, il lui reproche de n'avoir pris aucune mesure pour préserver sa santé.
Toutefois avant de rechercher si la SA [6] avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le salarié et si elle a pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, il convient de vérifier si les circonstances de l'accident du travail survenu le 27 juin 2014 dont a été victime M. [B] sont déterminées.
Or en l'espèce, sur ce point, l'appelant se borne à dire que ces circonstances sont connues dès lors qu'il a toujours indiqué s'être blessé de nouveau au pouce lors d'une opération de manutention. Aucun élément objectif sous forme d'attestations par exemple n'est cependant produit pour corroborer ces affirmations, au demeurant lacunaires, alors que la déclaration d'accident du travail établie le 22 juillet 2014 par l'employeur mentionne : « pas de circonstances détaillées » s'agissant de l'activité de la victime lors de l'accident, la nature de celui-ci ou encore sur l'existence d'un objet dont le contact ou la manutention aurait pu blesser la victime.
Il n'est pas non plus précisé la présence de témoin lors de la survenance de ce fait accidentel et cet accident n'a été connu de l'employeur que le 18 juillet selon la déclaration faite.
En tout état de cause et comme en première instance, M. [B] ne produit pas non plus le certificat médical initial puisqu'il verse seulement aux débats la feuille d'accident du travail remise par l'employeur portant mention de l'accident survenu le 27 juin 2014 et au titre des lésions : nature et siège : dlr main D ; dl pouce main D.
Certes cette lésion correspond à celle décrite sur la déclaration d'accident du travail mais cela ne permet pas, en tout cas, d'identifier la cause de l'accident ni les circonstances exactes dans lesquelles celui-ci s'est produit.
Ce certificat médical initial a été produit par la caisse et n'apporte aucun élément sur les circonstances de l'accident indiquant seulement, 'douleur main droite'.
Quant aux certificats médicaux produits par l'appelant, non contemporains des faits car datés de 2015, 2016 ou encore 2017, ils ne peuvent être pris en compte dès lors qu'ils ne se rapportent pas à l'accident litigieux mais se réfèrent à l'accident du travail du 27 mai 2013.
Enfin l'appelant a produit diverses photographies et fiches techniques des articles avec leurs poids qu'il était susceptible de vendre dans le rayon où il était affecté mais aussi ses bulletins de vente journaliers (sa pièce n° 41). Il en ressort que pour la journée du 27 juin 2014, il aurait vendu 16 articles d'un prix allant de 1 euro à 47,70 euros, ce qui ne permet pas d'établir qu'il aurait été exposé à un danger particulier en les manipulant.
Au vu de l'ensemble des ces éléments, les circonstances de l'accident du travail du 27 juin 2014 s'avèrent indéterminées. Aucune faute inexcusable ne saurait donc être imputée à la SA [6] puisqu'aucun lien de causalité ne pourra être établi entre un éventuel manquement de l'employeur et l'accident.
Faute pour M. [B] de satisfaire à son obligation probatoire, il ne peut être fait droit à sa demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur et par voie de conséquences à ses demandes subséquentes.
Le jugement déféré sera donc confirmé.
Sur les mesures accessoires,
M. [B] qui succombe en ses prétentions, sera condamné aux dépens en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile et débouté de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
L'appelant sera en outre condamné à verser à la SA [6] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a dû engager et dont il serait inéquitable qu'elle conserve l'entière charge.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire, en dernier ressort après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement RG 18/01014 rendu le 15 octobre 2021 par le pôle social du tribunal judiciaire de Grenoble.
Y ajoutant,
Déboute M. [P] [B] de l'ensemble de ses demandes.
Condamne M. [P] [B] aux dépens.
Condamne M. [P] [B] à verser à la SA [6] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. DELAVENAY, Président et par M. OEUVRAY, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président