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02/05/2023 | FRANCE | N°21/01938

France | France, Cour d'appel de Grenoble, 2ème chambre, 02 mai 2023, 21/01938


N° RG 21/01938 - N° Portalis DBVM-V-B7F-K3DL



N° Minute :





C3

























































Copie exécutoire délivrée

le :



à



la SCP BOUSEKSOU CHARVET CLARET



Me Audrey GELIBERT















AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBL

E



2ÈME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU MARDI 02 MAI 2023



Appel d'un Jugement (N° R.G. 19/00571) rendu par le tribunal judiciaire de BOURGOIN-JALLIEU en date du 01 avril 2021, suivant déclaration d'appel du 26 Avril 2021





APPELANTE :



Mme [R] [J] veuve [O]

née le [Date naissance 2] 1950 à [Localité 9] (ALGERIE)

de nationalité Française

[Adresse 6]

[...

N° RG 21/01938 - N° Portalis DBVM-V-B7F-K3DL

N° Minute :

C3

Copie exécutoire délivrée

le :

à

la SCP BOUSEKSOU CHARVET CLARET

Me Audrey GELIBERT

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

2ÈME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU MARDI 02 MAI 2023

Appel d'un Jugement (N° R.G. 19/00571) rendu par le tribunal judiciaire de BOURGOIN-JALLIEU en date du 01 avril 2021, suivant déclaration d'appel du 26 Avril 2021

APPELANTE :

Mme [R] [J] veuve [O]

née le [Date naissance 2] 1950 à [Localité 9] (ALGERIE)

de nationalité Française

[Adresse 6]

[Localité 11]

représentée par Me Houria BOUSEKSOU de la SCP BOUSEKSOU CHARVET CLARET, avocat au barreau de BOURGOIN-JALLIEU

INTIM É :

M. [I] [G]

né le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 8]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 7]

représenté par Me Audrey GELIBERT, avocat au barreau de BOURGOIN-JALLIEU, postulant, et Maître Yoave FENNECH du Barreau de TOULON

COMPOSITION DE LA COUR : LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Emmanuèle Cardona, présidente

M. Laurent Grava, conseiller,

Mme Anne-Laure Pliskine, conseillère

DÉBATS :

A l'audience publique du 21 février 2023, Anne-Laure Pliskine, conseillère, qui a fait son rapport, assistée de Caroline Bertolo, greffière, a entendu seule les avocats en leurs conclusions, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.

Il en a rendu compte à la Cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu à l'audience de ce jour.

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [J] veuve [O] et Monsieur [G] ont vécu en concubinage.

Deux enfants aujourd'hui majeurs sont issus de cette union.

-[S] [G], né le [Date naissance 5] 1992

[P] [G], née le [Date naissance 4] 1993.

M.[G] et Mme [O] se sont séparés.

Par acte d'huissier en date du 23 août 2019, Mme [O] a attrait Monsieur [G] devant le tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu aux fins notamment de voir réparer ses préjudices en lien avec les conditions de la rupture.

Par jugement en date du 1 er avril 2021, le tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu a :

-débouté Madame [R] [J] veuve [O] de ses demandes ;

-condamné Madame [R] [J] veuve [O] à payer à Monsieur [I] [G] la somme de 7 500 euros à titre d'indemnité d'occupation ;

-condamné Madame [R] [J] veuve [O] à payer à Monsieur [I] [G] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

-condamné Madame [R] [J] veuve [O] aux dépens de l'instance.

Par déclaration d'appel en date du 26 avril 2021, Mme [O] a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses conclusions notifiées le 26 octobre 2021, Mme [O] demande à la cour de:

Vu les articles 515-8, 1240 (anciennement 1382) et 1303 et suivants (anciennement 1371 et suivants) du code civil,

Vu les pièces du dossier,

À titre principal,

-constater le caractère autant brutal qu'inattendu de la rupture initiée par Monsieur [I] [G] dans sa relation avec Madame [R] [O] après 27 années de vie commune ;

-constater l'absence de délicatesse dont a fait preuve Monsieur [G] [I] lors de cette rupture ;

-constater la réalité et l'importance des préjudices autant matériels que moraux subis par Madame [R] [O] suite au départ de Monsieur [I] [G] ;

-dire et juger que les conditions dans lesquelles Monsieur [I] [G] a soudainement interrompu sa relation avec Madame [R] [O] sont de natures fautives ;

-constater le lien de causalité entre cette faute et les préjudices subis par Madame [R] [O].

En conséquence,

-infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu le 1 er avril 2021 (en ce qu'il a débouté Madame [R] [O] de ses demandes indemnitaires sur le fondement de la responsabilité délictuelle de Monsieur [I] [G] ;

-débouter Monsieur [I] [G] de toute argumentation contraire ;

-condamner Monsieur [I] [G] à verser à Madame [R] [O] les sommes de :

*108 000 euros (cent huit mille euros) au titre de ses préjudices matériels,

*15 000 euros (quinze mille euros) au titre de son préjudice moral ;

À titre subsidiaire, si la Cour n'entendait pas retenir l'existence d'une faute imputable au requis, l'existence de dommages ou encore l'existence d'un lien de causalité entre la faute et les dommages,

-constater l'existence d'avantages financiers réalisés par Monsieur [I] [G] durant la vie commune au détriment de Madame [R] [O] ;

-constater que ces avantages ne résultent ni d'intention libérale de la part de Madame [R] [O], ni de la liquidation d'obligations dont cette dernière aurait été débitrice à l'égard de Monsieur [I] [G] ;

-dire et juger que ces avantages réalisés au profit exclusif de Monsieur [I] [G] ont entraîné un appauvrissement de Madame [R] [O].

En conséquence,

-infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu le 1 er avril 2021 en ce qu'il a débouté Madame [R] [O] de ses demandes indemnitaires sur le fondement de l'action de in rem verso ;

-débouter Monsieur [I] [G] de toute argumentation contraire ;

-condamner Monsieur [I] [G] à verser une somme de 159 000 euros (cent cinquante-neuf mille euros) à Madame [R] [O], à titre d'indemnisation de l'appauvrissement de Madame au profit de Monsieur.

Et en tout état de cause,

-infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu le 1 er avril 2021 en ce qu'il a condamné Madame [R] [O] au versement d'indemnités d'occupation à Monsieur [I] [G] ainsi qu'au titre des frais irrépétibles et des dépens ;

-débouter Monsieur [I] [G] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

-condamner Monsieur [I] [G] à payer à Madame [R] [O] une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de Procédure civile ;

-condamner le même aux entiers dépens de l'instance.

Au soutien de ses demandes, Mme [O] excipe d'une rupture fautive imputable à M.[G] au motif que ce dernier l'a brutalement abandonnée.

Elle allègue que M.[G], aux fins de poursuivre une formation d'ingénieur, l'a contrainte à mettre de côté sa propre carrière professionnelle, l'a obligée de par les mutations successives de son conjoint à prendre un congé parental.

Elle réfute avoir été informée de la rupture dès le mois d'avril 2017, et souligne que M.[G] l'a laissée sans subsides.

Elle fait en outre état d'un préjudice moral car après de nombreuses années de vie commune, suite à son soudain départ du logement familial, Monsieur [G] n'a pas hésité à l'assigner devant le tribunal d'instance aux fins de la voir expulser et de voir ordonner sa condamnation à lui verser une indemnité d'occupation.

Subsidiairement, elle expose que M.[G] s'est enrichi à ses dépens. Elle allègue que pendant que M.[G] faisait l'acquisition de divers biens immobiliers, elle-même a dû faire face seule à l'ensemble des dépenses du ménage et a ainsi dépensé tout son argent pour la famille sans réaliser la moindre économie.

Elle fait valoir qu'il est surprenant de solliciter une indemnité d'occupation depuis la date de séparation qu'il fixe à avril/mai 2017, alors qu'il est constant que Monsieur [G] ne s'est pas spécialement opposé à l'occupation du bien par sa compagne dans les mois qui ont suivi cette prétendue rupture, préférant partir dans le Sud ou aux Baléares.

Elle ajoute que la jurisprudence reconnaît de longue date que le concubin à l'origine de la rupture est tenu d'une obligation naturelle de ne pas laisser l'autre dans le besoin résultant du devoir moral d'entraide à l'égard d'un proche.

Dans ses conclusions notifiées le 23 juillet 2021, M.[G] demande à la cour de:

-confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu en ce qu'il a :

-débouté madame [R] [J], veuve [O] de ses demandes,

-condamné madame [R] [J], veuve [O] à payer àMonsieur [I] [G] la somme de 1.500 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamné madame [R] [J] aux dépens de l'instance

-infirmer partiellement le Jugement entrepris, non sur le principe d'une indemnisation à l'égard de Monsieur [G], mais sur le montant insuffisant alloué à Monsieur [G] à titre de dommages et intérêts, et statuant à nouveau:

-condamner Madame [O] au paiement de la somme de 25 000 euros au titre du préjudice subi par Monsieur [G] :

' 15.000 euros au titre de l'indemnité d'occupation

' 10.000 euros au titre du préjudice matériel subi (privation des biens de Monsieur, [G], dégradation et disparition desdits meubles).

En tout état de cause

-débouter madame [R] [J], veuve [O] de toutes ses demandes, fins et conclusions.

Y ajoutant

-condamner Madame [O] au paiement en cause d'appel de la somme de 4.000.00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

-statuer ce que de droit sur les dépens.

M.[G] soutient qu'il n'était à l'origine aucunement question d'une relation sérieuse, puisqu'il était ingénieur en formation à l'époque, et célibataire sans enfant, ayant été parfaitement clair sur ce point, ne poursuivant pour seul objectif que sa réussite professionnelle.

Il déclare que la grossesse fortuite de Mme [O] l'a conduit à faire le choix de démarrer une vie commune avec elle pour élever cet enfant, et qu'il a même tenté de créer une famille et qu'un second enfant est issu de la relation, ce qui explique la durée de celle-ci, puisqu'il souhaitait veiller sur ses enfants.

Il affirme que la séparation est intervenue en avril 2017 après un délitement de la relation qui s'est accentué au fil des années.

Il indique qu'ayant réussi le concours pour entrer dans une école d'ingénieur à [Localité 10] en 1991, il était avéré qu'il allait déménager, ce que Mme [O] n'ignorait pas et déclare que celle-ci n'a jamais sacrifié sa carrière professionnelle, qu'elle n'a en réalité continué à travailler que pour faire face aux frais d'un de ses enfants issus d'une précédente union.

Il réfute le fait que Mme [O] ait dû assumer seule les dépenses du foyer, ainsi que tout enrichissement sans cause, énonçant que pendant toute la vie commune, il a assumé seul la gestion de la famille, qu'il a intégralement pris en charge les frais de logement, de nourriture, de santé'ainsi que le paiement des factures.

A titre reconventionnel, il sollicite des dommages-intérêts puisqu'il il n'a pu avoir la jouissance d'un bien lui appartenant et ce pendant plus de deux années tout en assumant les charges inhérentes à ce bien.

La clôture a été prononcée le 7 décembre 2022.

MOTIFS

Sur la faute imputable à M.[G]

Mme [O] insiste sur les sacrifices professionnels qu'elle aurait acceptés aux fins de favoriser la carrière de son conjoint.

Toutefois, outre le fait qu'elle ne rapporte pas la preuve de ce qu'elle allègue, il sera en outre observé que cet argument peut être pris en compte dans le cadre d'un divorce pour apprécier l'existence éventuelle d'une disparité dans les conditions de vie des époux et l'octroi d'une prestation compensatoire, mais pas en cas de concubinage. Il en est de même pour les observations relatives au patrimoine respectif de chacune des parties.

La preuve n'est pas non plus rapportée au vu des éléments produits que M.[G] a profité de la vie commune pour s'enrichir aux dépens de Mme [O], ainsi que l'a justement relevé le premier juge.

Enfin, il résulte des débats que M.[G] a contribué à financer plusieurs dépenses essentielles suite à la séparation, qu'il n'a donc pas laissé Mme [O] complètement démunie.

En revanche, M.[G] allègue qu'il a initié la séparation au printemps 2017 et qu'il n'y a donc eu aucune rupture brutale.

Toutefois, dans le premier mail qu'il a adressé à ses deux enfants le 21 juillet 2018, s'il évoque le fait qu'il a 'initié cette séparation' en 2017, il indique également 'aujourd'hui, je relance le processus de séparation' écrivant en fin de message 'j'en suis certain, cette séparation va bien se passer', ce qui atteste du fait que celle-ci n'avait pas encore eu lieu à l'été 2017.

Mme [O] verse aux débats des photographies prises à l'été 2017, sur lesquelles le couple se tient enlacé , ce qui tend à corroborer ses propos selon lesquels elle n'a eu connaissance de la rupture qu'à l'été 2018 et non en 2017, éléments corroborés par les attestations qu'elle communique.

De plus, la production des mails démontre une volonté de M.[G] de tenter d'instrumentaliser ses enfants, ainsi dans le second mail qu'il écrit le 21 juillet 2018, il déclare que Mme [O] était tombée enceinte alors que lui ne le souhaitait pas et qu'il avait été 'victime d'un coup bas', évoquant des faits de manipulation par leur mère sur ses autres enfants issu d'une précédente union, aux fins d'inciter [S] et [P] [G] à prendre parti pour lui.

Enfin, il sera relevé que M.[G] a déposé plainte contre Mme [O] le 10 octobre 2019 pour des faits de vol de différents meubles (lits, vélo d'appartement, télévision, fauteuil, table basse, table de salle à manger, vaisselle, cafetière, combiné frigo congélateur, VTT, matériel d'équitation, livres, matériel d'outillage...).

Toutefois, dans le premier mail qu'il a adressé à ses enfants le 21 juillet 2018, il leur écrivait que Mme [O] pouvait prendre dans la maison tout ce qu'elle voulait à l'exception de quelques biens dont les outils et les livres, mais non les meubles, sachant que dans le procès-verbal de constat du 7 décembre 2018, il indiquait abandonner les meubles, par exemple dans la chambre de ses enfants, ainsi que la vaisselle et l'électroménager.

Quand bien même la maison a été laissée par Mme [O] dans un état de saleté réelle, il ne s'agit pas de dégradations, et des accusations de vol ne sont pas de même nature, parce qu'elles sont de nature infamante pour la personne qui se voit imputer ces faits.

Dès lors, il convient de considérer que M.[G] a causé un préjudice à Mme [O] en raison des circonstances de la rupture et il sera condamné à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Sur l'indemnité d'occupation

M.[G], qui a quitté le domicile conjugal à la fin du mois de juin 2018, a demandé par l'intermédiaire de son Conseil à Mme [O] de quitter les lieux par courrier de mise en demeure du 19 octobre 2018.

Mme [O] a quitté les lieux le 7 octobre 2019. Elle est donc restée dans les lieux sur une durée d'une année.

L'indemnité d'occupation ne saurait être équivalente à un loyer, puisqu'elle comporte un caractère précaire. Compte tenu du montant de la location de la maison à [Localité 11], estimée à 500 euros par M.[G], il sera retenu une somme de 500x80%x12 mois=4 800 euros.

Compte tenu de l'état de saleté de la maison, Mme [O] sera condamnée à verser au total à M.[G] la somme de 5 000 euros.

Chaque partie succombant partiellement à l'instance, elle conservera la charge des dépens qu'elle a exposés.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Infirme le jugement ;

Condamne M.[G] à payer à Mme [O] la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts ;

Condamne Mme [O] à payer à M.[G] la somme de 5 000 euros au titre de l'indemnité d'occupation ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que chaque partie conservera la charge des dépens qu'elle a exposés.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Arrêt signé par Mme Emmanuèle Cardona, Présidente de la deuxième chambre civile et par la Greffière,Caroline Bertolo, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21/01938
Date de la décision : 02/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-02;21.01938 ?
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